La création au cours de l'année 1981 de son Laboratoire Central a marqué pour le groupe de la Société Lyonnaise des Eaux (S.L.E.E.) l'amorce d'une évolution importante, qui, dans le contexte national de revalorisation de la recherche et de la technologie, mérite tout particulièrement d'être présentée.
Les principes de base de ce laboratoire, énoncés par M. Jérôme MONOD, Président de la S.L.E.E., lors de son inauguration le 4 juin dernier*, peuvent se résumer ainsi :
— atteindre l'excellence dans l’analyse et le contrôle de la qualité de l'eau distribuée ou épurée. Les moyens analytiques les plus puissants et la structure centrale la plus efficace doivent y contribuer ; — accroître la recherche dans le domaine de l'eau, pour assurer le maintien de la France et plus particulièrement du groupe S.L.E.E. au premier rang de la compétition internationale, mais aussi ; — ouvrir des axes de recherches nouveaux dans le domaine de la valorisation des déchets et de l'économie des matières premières et doter le groupe S.L.E.E. des moyens de se développer dans le domaine porteur d’avenir des « Biotechnologies ».
1. — UN LABORATOIRE CENTRAL D'ANALYSE
Dans l'eau, comme dans bien d'autres domaines, la qualité et la puissance des moyens analytiques sont indissociables de celle du service rendu. Elles sont en outre indispensables au développement du niveau technique et scientifique de l'ensemble du métier de base « eaux et déchets » de la S.L.E.E.
1.1. — Le Laboratoire Central de la S.L.E.E. est donc doté du matériel le plus moderne. Le tableau 1 en résume l’essentiel.
* Se reporter à la Chronique de l'Eau, page 10 de notre numéro 57 (août-septembre 1981).
Tableau 1. — Principaux appareillages du Laboratoire Central S.L.E.E.
— 1 biomètre de luminescence ; — 2 appareils de mesure du carbone organique total ; — 2 chromatographes liquide haute pression (détecteurs U.V. et fluorescence) ; — 3 chromatographes en phase gazeuse à colonnes remplies (détecteurs à ionisation de flamme) ; — 3 chromatographes en phase gazeuse à colonnes capillaires (photomètre à capture d’électrons, détecteur à ionisation de flamme) ; — 1 couplage chromatographie en phase gazeuse/spectrométrie de masse ; — 5 chaînes d'analyse automatique TECHNICON ; — 2 spectrophotomètres d’absorption atomique (flamme et four graphite) ; — 1 titrimètre potentiométrique automatique ; — 2 microscopes directs dont un à contraste interférentiel ; — 2 microscopes inversés avec caméra et écran de visualisation ; — 1 compteur à scintillation ; — 1 compteur de particules à rayon laser ; — 1 zétamètre à rayon laser ; — 1 spectromètre à plasma ICP multéléments.
En outre, le Laboratoire Central vient d'être équipé d'un ordinateur Digital Equipment VAX 11/750 qui a le double objectif :
— d'informatiser le traitement des données des analyseurs automatiques et d'éditer les bulletins d’analyse ; — de constituer une banque de données sur la qualité de l'eau distribuée par la Société.
L'ordinateur sera raccordé à la totalité des laboratoires régionaux de façon que l'information soit disponible pour tous.
Cet ordinateur servira également à constituer une banque de données documentaires pour les Sociétés.
du groupe S.L.E.E. Enfin il servira à la recherche et au calcul statistique.
1.2. - Ce Laboratoire Central d'analyse est avant tout orienté vers la distribution d'eau de la S.L.E.E. à laquelle il garantit la haute qualité du service public que rend cette Société. L'activité de distribution d'eau et d'assainissement du Groupe de la Lyonnaise des Eaux s’exprime en 1980 par :
- — 1 milliard de m³ d'eau fournis à 2 millions d'abonnés soit :
- — environ 8 millions d'habitants,
- — 50 000 km de canalisations d'eau potable,
- — 10 000 km de canalisations d'eaux usées,
- — 600 usines d'assainissement représentant 5 400 000 équivalents/habitants.
Une eau de grande qualité doit respecter des critères précis dont la rigueur va sans cesse croissant. À la Lyonnaise des Eaux où les structures sont décentralisées, chaque direction régionale dispose des moyens nécessaires aux contrôles de qualité réglementaires, cependant pour les contrôles de qualité plus complexes portant aussi bien sur les eaux potables que sur les eaux usées, les directions régionales font appel au Laboratoire Central. Sa rapidité d'intervention, ses contacts avec les laboratoires spécialisés dans les domaines de la santé permettent de résoudre au mieux les problèmes de qualité d'eau qui se posent au distributeur.
1.3. - De tels moyens analytiques sont également mis à la disposition de l'ensemble des sociétés du groupe œuvrant dans l'eau et les déchets.
En particulier :
- — la Société DEGREMONT, spécialisée dans la conception et la réalisation d'installations de traitement des eaux qui occupe un premier plan mondial et est représentée, avec ses filiales, dans 80 pays ;
- — la Société SITA, spécialisée avec ses filiales et la société TRIGA, dans la collecte, le traitement et la valorisation des déchets ;
- — le groupe SOFREP, constitué de bureaux d'études spécialisés dans les infrastructures et, en particulier, celles liées à l’eau et à l'assainissement.
Toutes, pour des analyses particulièrement complexes, ont recours aux moyens puissants du Laboratoire Central, mais surtout c'est grâce à eux qu'ils peuvent entreprendre avec lui des études et des recherches poussées.
1.4. - Enfin, le Laboratoire Central réalise des analyses pour des clients extérieurs en France et à l'étranger.
Des industriels, des collectivités locales, des sociétés de distribution d'eau lui font confiance et son agrément par le Ministère de l'Environnement et les Agences Financières de Bassin est une assurance supplémentaire de la qualité du service rendu.
Au total plus de 150 000 analyses physiques, chimiques ou bactériologiques sont réalisées chaque année.
2. — UN CENTRE DE RECHERCHE
Ce potentiel analytique trouve encore mieux sa raison d'être dans le développement rapide de l'activité recherche de la S.L.E.E.
2.1. - D'une façon générale le Laboratoire Central de la S.L.E.E. :
- — réalise des recherches appliquées et de l’appui technique dans les domaines du traitement et de la distribution de l'eau potable, de la collecte et de l'épuration des eaux usées et industrielles en France et à l'étranger.
Ces recherches qui constituent une des activités de base du Laboratoire Central lui ont valu, pour
certaines d’entre elles, une réputation internationale (ses travaux ont été deux fois couronnés par le prix « CHEMVIRON »).
Outre cette activité, qui lui est propre, le Laboratoire Central participe à des actions qui sont menées à l'extérieur. Celles-ci ont représenté, en 1981, le tiers de son budget.
- — il participe à des recherches sur l’eau et la santé publique (en particulier l’INSERM) et s’assure ainsi de la perfection du produit distribué et anticipe le renforcement des normes de potabilité. Là, peut-être encore plus qu’ailleurs, il joue son rôle de « service public ».
- — il participe avec des Universités et des Instituts de recherche spécialisés, français ou étrangers, à des recherches plus fondamentales, qui lui permettront ensuite de développer de nouveaux procédés et de nouveaux équipements dans le domaine de l’eau et des déchets :
- * nouveaux réactifs pour le traitement des eaux,
- * nouveaux procédés de traitement des eaux,
- * nouveaux capteurs et instruments de mesure,
- * modèles mathématiques pour la compréhension des phénomènes et la conception des ouvrages, automatisme,
- * nouveaux procédés de valorisation des déchets et du compost agricole...
- — il participe avec les différentes Sociétés du groupe à des recherches appliquées et au développement de nouvelles technologies.
2.2. Croissance de l'effort de recherche du Groupe S.L.E.E. et accentuation du rôle du Laboratoire Central.
Le montant total des dépenses de recherche et développement du Groupe S.L.E.E. dans le domaine de l'eau et des déchets a subi au cours des mois passés un accroissement important (Tableau 2). Le montant total des dépenses de R & D sera ainsi d'environ 55 millions de francs en 1982, ce qui, pour un secteur d'activité surtout orienté vers les services dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas 5 milliards de francs, représente un effort incomparable. Ce chiffre ne comprend d’ailleurs pas toutes les dépenses de normalisation, de documentation et d’appui technique qui viennent encore grossir les dépenses indirectement liées à des activités de haut niveau technique.
Alors que l’effort de DEGREMONT dans la recherche liée à son activité d'ingénierie et de construction de stations d’épuration d'eau est resté stagnant ou décroissant ces trois dernières années, c'est la S.L.E.E. proprement dite qui fait un bond considérable, doublant ses crédits de recherche de 1980 à 1981 et prévoyant de les quadrupler en 1982.
Tableau 2 — Évolution des budgets R & D du groupe S.L.E.E. (kF) (Activité — Eau — Assainissement — Déchets)
EXERCICE | 1978 | 1980 | 1981 | 1982 |
---|---|---|---|---|
DEGREMONT | 21 075 | 20 153 | 19 401 | 22 744 |
S.L.E.E. | 1 100 | 3 279 | 6 684 | 25 219 |
Autres sociétés (SITA, TRIGA, SOFREP...) | 200 | 500 | 800 | 1 595 |
Aides publiques | 2 045 | 1 615 | 2 140 | 5 657 |
TOTAL | 24 420 | 25 547 | 29 095 | 55 215 |
dont travaux sous-traités à l'extérieur du groupe S.L.E.E. | 150 | 300 | 1 000 | 9 700 |
Cet accroissement de l'effort de la S.L.E.E. va de pair avec le développement du Laboratoire Central.
qui imprime à l'ensemble un mouvement dans au moins deux directions :
— accroissement de la participation du groupe à la recherche fondamentale,
— ouverture de nouveaux axes de recherche.
2.3. - Accroissement de l'effort du groupe dans le domaine de la recherche fondamentale.
Les budgets prévus pour ce qu'il est convenu de baptiser « recherche fondamentale » — à moyen ou long terme en amont des procédés et des appareillages — atteindront en 1982 un montant de 11 700 KF, soit 21,4 % du total alors que pour les exercices précédents les budgets équivalents ne dépassaient pas 200 à 300 KF. En fait, ce montant est sous-traité pour une part importante à des chercheurs extérieurs au Groupe (pour 4 500 KF environ). Mais beaucoup de recherches portant sur une meilleure connaissance de la qualité des eaux seront entreprises au Laboratoire Central lui-même.
Le Laboratoire Central, soit par les contrats qu'il va passer avec les chercheurs extérieurs, soit par les recherches qu'il va entreprendre directement, jouera de plus en plus un rôle de rassemblement et de coordination de l’acquis des connaissances de base utiles à l'ensemble du Groupe S.L.E.E.
2.4. - Développement de nouveaux axes de recherche.
Au-delà des connaissances nécessaires tant pour la distribution de l'eau que pour son ingénierie, il est apparu indispensable d’aborder de nouveaux axes de recherche susceptibles d'ouvrir de nouvelles voies d'action pour le Groupe (biotechnologies, par exemple), d’améliorer la qualité des services qu'il rend (recherche sur l’Eau et la Santé…) et de ren forcer son action commerciale, en particulier, dans les pays en voie de développement (technologies douces…).
2.5. - Évolution de l'aide publique et ouverture sur l'extérieur.
L’aide publique (Tableau 2) à la recherche du Groupe S.L.E.E., en grande partie constituée par les aides des Agences Financières de Bassin, ne représente que 6 à 8 % de l’effort total et, tout en admettant l'hypothèse du maintien de ce pourcen tage au voisinage de 8 %, le Groupe de la Lyonnaise envisage par contre d'injecter dans la recherche extérieure (universités, etc.) des sommes croissant fortement et passant de 1 000 KF en 1981 à 9 700 KF en 1982. Ces sommes correspondent en particulier à des contrats passés avec des centres français pour l’essentiel (CNRS, Université, INSERM, Institut Pasteur, BRGM…), mais également avec des univer sitaires nord-américains et japonais.
Globalement le Groupe S.L.E.E. reversera sous forme de financements à des chercheurs publics et privés près de deux fois les sommes qu’il recevra à titre d'aide publique.
2.6. - Le développement des ressources humaines.
Le Tableau 3 résume l’évolution des effectifs passés et à venir. Ces effectifs sont totaux et ne font pas la distinction entre les différentes caté gories de personnel (cadre, maîtrise...) et leur statut (statutaires S.L.E.E., Degremont, temporaires, thésard…).
Tableau 3. — Évolution des effectifs totaux susceptibles de réaliser de la recherche dans le Groupe S.L.E.E.
1960 | 1981 | 1982 | |
---|---|---|---|
Degremont | 127 | 135 | 140 |
Laboratoire Central S.L.E.E. | 42 | 53 | 78 |
Divers | 1 | 2 | 3 |
TOTAL | 170 | 190 | 221 |
Le Laboratoire Central, là encore, voit et verra la croissance la plus importante. Son personnel situé sur une sorte de plaque tournante devra pouvoir migrer vers la distribution d’eau mais aussi vers les différentes sociétés du Groupe et leur apporter ainsi en permanence un sang neuf imprégné des techniques de pointe et indispensable au dyna misme de l’ensemble. À cet accroissement d’effec tifs, il faut une fois encore ajouter les travaux sous- traités à l’extérieur qui contribuent également à générer des emplois dans les secteurs de pointe de la recherche et de la technologie.
2.7. - Le programme de recherche 1982 du Groupe S.L.E.E.
La recherche réalisée par le Groupe S.L.E.E. étant maintenant coordonnée au niveau central, on peut difficilement dissocier les programmes des diffé rentes sociétés. D’une façon générale, le Laboratoire Central se place en amont des autres sociétés et surtout de Degremont, naturellement tourné vers les procédés et les appareillages, mais des « grou pes » de travail pluridisciplinaires et inter-sociétés sont chargés du suivi des principaux thèmes et sont ainsi les garants du bon transfert de la connaissance.
a) Techniques séparatives.
Ces recherches portent non seulement sur les procédés traditionnels de coagulation, floculation, filtration, flotation, déminéralisation, etc., qui sont la base du métier de l’eau mais aussi sur l’adsorp tion, la séparation par membranes et la micro filtration, qui sont considérées tant par la S.L.E.E. que par Degremont comme des voies d’avenir.
b) Biotechnologies.
Dans ce thème sont rassemblées les études portant sur la méthanisation des effluents et des déchets avec une partie fondamentale importante correspondant à un contrat signé avec l’Institut Pasteur. Une cellule « biotechnologie » a été créée ainsi au Laboratoire Central et jouera à la fois un rôle d’interface entre les fondamentalistes et les chercheurs du groupe mais aussi de première étape vers l’application des recherches entreprises.
c) Traitements d’oxydation et désinfection.
Les recherches consisteront en la mise au point de la production d’ozone et en un certain nombre de cas d’application à des usines de la S.L.E.E. Des études plus en amont seront entreprises sur l’action des oxydants (chlore, dioxyde de chlore, ozone…), ainsi que sur leur transfert et leur mise en contact dans l’eau.
d) Qualité des eaux.
C’est là le thème le plus important qui sera traité au Laboratoire Central. Ces études porteront par exemple sur l’évolution de la qualité des eaux dans les réseaux, la caractérisation et la quantification des différentes matières organiques, dont en particulier les sous-produits d’oxydation… L’évaluation biologique d’une eau (toxicité, mutagenèse…) et la quantification des virus figurent également au programme.
e) Enlèvement de l’azote des eaux potables et résiduaires.
Thème encore très à la mode où le Groupe S.L.E.E., tant au niveau des eaux potables que usées, maintient son effort.
f) Capteurs et automates.
g) Épuration des eaux résiduaires.
h) Modèles mathématiques. Contrôle centralisé.
i) Traitement des boues.
j) Traitement des ordures ménagères.
k) Enlèvement biologique du phosphore.
l) Élimination des odeurs.
m) Épuration par production de biomasse, lagunages, technologies douces.
n) Eau et santé.
o) Aquaculture.
p) Citons encore pour mémoire une étude sur la sécurité des installations de traitement d’eau de surface en région parisienne et une ébauche d’étude sur le traitement des déchets liquides toxiques.
3. — CONCLUSION
Le Laboratoire Central de la Lyonnaise des Eaux constitue maintenant un des plus importants centres européens de recherche sur l’eau. Il contribuera à n’en pas douter au renforcement de la place de la France au premier rang de la compétition internationale dans le domaine de l’eau.
Il concrétise un effort très important du Groupe de la S.L.E.E. qui en quelque sorte devance les vœux exprimés par le Président de la République et rappelés à l’occasion du Colloque National sur la Recherche et la Technologie.
« La question posée est dès lors simple : quelle place pour la France dans cette compétition internationale ? À la tête ou à la traîne ? Au cinquième rang, après les U.S.A., l’U.R.S.S., le Japon, la R.F.A. ou au premier rang ? Vassale ou éclaireur ? Mon choix est fait. Je veux qu’au cours du septennat prochain la France de la science soit à la tête du peloton. Et j’en prendrai les moyens. Nous bâtirons une France alerte et allègre, regardant l’avenir en face, sans peur du lendemain. Si la France est mal pourvue en ressources naturelles, elle est par contre riche en matière grise. Là est notre avenir : l’exploitation des gisements insoupçonnés de notre intelligence. »
(Extrait du discours du 22 avril 1981 de M. François Mitterrand au Palais du Luxembourg.)
Dans ce contexte national, la création du Laboratoire Central de la S.L.E.E. prend ainsi une valeur d’exemple.
Une première mondiale !...
DE L'EAU POURLA VILLE DE MONTPELLIER
UN PEU D'HISTOIRE :
Jadis et jusqu’en 1766, la population de Montpellier, assez réduite, se contentait à l'intérieur de la cité de puits publics et privés donnant une eau de qualité douteuse, et hors les murs de diverses sources appelées Fonts ou Fontaines et portant de jolis noms évocateurs tels que « Font Putanelle, Font Couverte, Fontaine de la Saunerie... ».
Au XVIIIᵉ siècle, le problème de l'alimentation en eau de la ville devenant plus sérieux, l'ingénieur et physicien Henri PITOT, membre de l'Académie des Sciences de Paris mais natif d’Aramon dans le Gard, fut amené à établir un projet d’aqueduc pour conduire à Montpellier les ressources de la Fontaine de Saint-Clément.
Ce projet aboutit à la construction des fameux Arceaux dont le modèle n’était rien moins que le Pont du Gard, et aussi de l'élégant château d'eau du Peyrou, de précieux style Louis XV mais également d'inspiration romaine si l’on peut dire, puisque c'est sous l’empire romain que s’était instauré l’usage de coiffer les réservoirs de somptueuses bâtisses...
L'aqueduc était long de 13 954 mètres dont 8 771 en sous-sol et 931 arceaux. Il apportait 2 160 m³ d'eau par jour avec un débit de 25 litres par seconde. Mais moins d'un siècle après sa mise en service il s'avérait insuffisant, du moins à sa prise, la capacité d’approvisionnement de la Fontaine de Saint-Clément étant trop faible. C'est alors, en 1854, que la Source du Lez entre en scène ! L’aqueduc de Pitot est prolongé de 5 km jusqu’à elle, pour l’obtention de 25 litres par seconde supplémentaires.
Désormais les besoins ne cesseront plus de croître à une cadence accélérée. Le débit demandé à la Source du Lez passe de 25 litres par seconde en 1859, à 125 en 1879, 250 en 1900, 400 en 1931, 1 000 en 1980...
LA SOURCE DU LEZ
La Source du Lez est située à une douzaine de kilomètres de Montpellier, en bordure de la Nationale 112.
Elle se présente comme une large vasque de 30 à 35 mètres de diamètre, profonde en son centre de quelques 15 mètres. Jaillissant au milieu des garrigues elle est souvent considérée comme un but de promenade. C'est en fait une maîtresse source, la septième de France, qui a de quoi piquer la curiosité de tous ceux qui l'approchent.
Chacun se doute qu'une résurgence de cette importance suppose un gros travail naturel d’emmagasinage dans les entrailles de la terre. C'est ce travail qui passionne les chercheurs depuis le début du siècle et il faut bien dire qu’il mérite d’être étudié.
Imaginons d’abord une vaste zone d’environ 400 km², comprise entre l’Hérault et le Vidourlé d’une part, entre les Cévennes et le front nord de Montpellier d'autre part. Sous les paysages qui nous sont familiers, des couches de roches diverses, mais essentiellement calcaires, qui formaient aux origines le fond marin et qui furent puissamment modelées et accidentées par les plissements intervenus il y a des millions d'années. Les poussées formidables de ces plissements ont provoqué dans l’épaisseur considérable des calcaires, la formation d'un réseau très dense de fissures de tout calibre, un peu comme les vaisseaux qui irriguent notre chair. Ce réseau aboutit à
des galeries de circulation, qui, se frayant un passage en fonction de la tendreté des roches rencontrées, ont trouvé diverses issues à l'air libre. De ces émergences, la plus importante est celle de la Source du Lez. C'est aussi, comme l'a démontré le Professeur AVIAS, la plus basse du système, donc celle qui recueille le maximum des eaux drainées. L'ensemble est contenu par une couche de marnes et d'argiles imperméables, lesquelles délimitent le réservoir aquifère, sorte de citerne compartimentée gigantesque.
On voit clairement que par les dimensions prodigieuses de son réservoir aquifère, par son point d'émergence qui est le plus bas du système et par son fonctionnement en simple trop-plein, la Source du Lez recèle à son amont de grandes quantités d'eau et peut par conséquent être exploitée en cas de besoin, c'est-à-dire en périodes de sécheresse, autrement que sur son écoulement naturel. Il est évident enfin que des eaux emmagasinées dans les cavités du sous-sol profond sont nécessairement de bien meilleure qualité que celles des fleuves exposés à toutes les pollutions directes, particulièrement dangereuses car les zones traversées sont fortement industrialisées.
LE CHOIX S'EST PORTÉ SUR LA C.G.E.
À Montpellier, la consommation d'eau a doublé en 20 ans. Elle est assurée par l'eau de la Source du Lez (environ 32 millions de m³) et par l'eau du Bas-Rhône traitée (environ 4 millions de m³). Les installations actuelles ne sont plus suffisantes, notamment en période de sécheresse. Il était donc urgent d'établir une politique de l'eau.
On aurait pu construire une seconde usine de traitement de l'eau comme celle existante de Portaly. Très onéreuse, cette solution avait un autre inconvénient : elle aurait rendu la ville encore plus dépendante de la Compagnie du Bas-Rhône Languedoc.
Le choix se porta donc sur une meilleure utilisation de la Source du Lez, protégée de toute source de pollution chimique et industrielle et dont le prix de revient est nettement moins cher que l'eau du Bas-Rhône.
À la suite d'un appel d'offres et d'un concours organisé en 1979, il est décidé de signer une convention entre la ville de Montpellier et la Compagnie Générale des Eaux. Celle-ci s'engage notamment à assurer les travaux d'aménagement souterrains de la Source du Lez, l'entretien et le fonctionnement des ouvrages nécessaires. Elle prend en charge le coût de l'investissement estimé à environ 30 millions de francs. En contrepartie la convention lui assure une rémunération correspondant à environ 14,5 centimes par m³ produit par la Source du Lez.
L'utilisation de l'eau de la Source du Lez plutôt que celle du Bas-Rhône permettra à Montpellier de faire une économie substantielle. En effet, l'eau du Bas-Rhône, qu'il faut traiter pour la rendre potable, revient à 1,50 franc par m³ alors que l'eau de la Source du Lez reviendra à 14,5 centimes le m³ lorsque les nouvelles installations seront en service d'ici un an.
Au total c'est une économie de près de 30 % que pourrait faire la collectivité si elle utilisait exclusivement la Source du Lez plutôt que l'eau du Bas-Rhône.
Le démarrage du chantier de la Source du Lez est l'aboutissement d'une longue bataille juridico-politique : 20 années de lutte.
En 1961, le Professeur de géologie Jacques AVIAS révéla l'immense capacité de la Source du Lez. Entre 1975 et 1980 eurent lieu trois enquêtes d'utilité publique ; le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique donna de son côté un avis favorable.
C'est le 20 août 1981 seulement que le Préfet de l'Hérault, après quelques difficultés, approuva la convention entre la Ville de Montpellier et la C.G.E.
LE CHANTIER D'AMÉNAGEMENT SOUTERRAIN
Le captage actuel de l'eau de la Source du Lez est assuré par des pompes mises en place dans la vasque naturelle formée par la Source. Cette vasque est d'une profondeur inférieure à 10 m et le débit est limité, notamment en période d'étiage, à moins de 1 000 litres par seconde.
Le but des travaux est de pouvoir capter l'eau en amont de la Source (dans le cours « souterrain » du Lez), de façon à obtenir un débit de production suffisant pour les années à venir, soit environ 2 000 litres par seconde.
Le chantier en cours peut être considéré comme une « première mondiale » en raison notamment des techniques de pointe utilisées.
L'exploit des plongeurs à moins 75 mètres.
Dès 1949, des plongeurs essayèrent de reconnaître la Source du Lez depuis la fameuse vasque et son goulet.
Mais il fallut attendre 1965 et 1967 pour que les premières plongées avec du matériel « moderne » permettent une reconnaissance jusqu'à la cote moins 25 mètres (par rapport à la vasque) et sur une longueur de 200 mètres.
C'est en 1971 qu'une plongée du Groupe d'Études et de Plongées Souterraines (G.E.P.S.) de MARSEILLE permit une reconnaissance jusqu'à la cote moins 52 mètres après avoir reconnu une longueur de galeries de 320 mètres.
Enfin, du 15 au 21 mai 1979, à l'occasion du concours lancé par la Ville pour la réalisation du captage profond de la Source, un nouveau pas décisif a pu être franchi grâce à la ténacité et au courage des plongeurs de la COMEX appelés par la Compagnie Générale des Eaux*.
Munis de combinaisons étanches, maintenus en équi-pression par les bouteilles d’air elles-mêmes, les plongeurs ont exploré l'hydrologie du Lez au plus profond et ont accompli en même temps une véritable prouesse de niveau mondial. Contrairement à la logique, ils ont constaté que le conduit ne se prolongeait pas suivant le dernier axe observé, mais débouchait dans une chambre verticale de près de 30 mètres de hauteur où il se perdait.
Néanmoins, après une longue et harassante recherche, le conduit était retrouvé, sous un angle différent puis suivi sur plus de 120 mètres, jusqu'à la cote reconnue de moins 75 mètres. À ce niveau, il descendait de façon très abrupte, suivant le pendage des couches tel un véritable « puits » sans fond, mais à moins 75 mètres (sous 75 tonnes de pression, au m²) et à plus de 520 mètres de la vasque, les limites ultimes techniques de la plongée « libre » étaient atteintes. Aller au-delà, était mettre en jeu la vie même des hommes.
Description du projet.
Le projet consiste à aménager une salle souterraine dont les dimensions sont : longueur 19 m ; largeur 8 m ; hauteur 11 m. La salle accueillera un pont roulant, un portique permettant de manœuvrer les pompes et un ascenseur d'accès pour le personnel.
La salle souterraine est reliée au conduit de la Source par l'intermédiaire de quatre forages (Ø 1,80 m – profondeur 50 m). Trois de ces forages sont équipés de pompes immergées ; le quatrième est destiné aux plongées ultérieures. Ces forages sont creusés directement à partir de la salle souterraine, ce qui explique la hauteur importante de cette dernière.
* Se reporter à notre numéro 41-42 de Janvier-Février 1980 : la Chronique de l'Eau, p. 10.
La salle souterraine est reliée aux canalisations existantes par l'intermédiaire d'une galerie souterraine (longueur 230 m – section circulaire Ø 1,80 m). Cette galerie sera « en charge » (c'est-à-dire remplie d'eau) lors de l'exploitation.
La salle souterraine est reliée à la surface par l'intermédiaire de deux puits (Ø fini : 3,20 m – hauteur 30 m). L'un des puits est destiné à la manutention des divers équipements ; l'autre, muni d'un ascenseur, est réservé au personnel et permet l'accès à la salle souterraine.
Les diverses commandes sont rassemblées dans un bâtiment situé à la surface, au niveau des têtes de puits.
Le déroulement des travaux
Les premiers travaux préparatoires ont commencé au mois de mars 1981. Ils sont réalisés selon les phases suivantes :
— creusement de la galerie souterraine qui reliera la salle souterraine aux canalisations. En attendant, la galerie sert d'accès au chantier.
— creusement et bétonnage de la salle souterraine.
— aménagement des 2 puits d'accès à la salle.
— aménagement des 4 forages.
— bétonnage de la galerie.
— mise en place des équipements.
La fin des travaux est prévue pour novembre 1982.
Techniques mises en œuvre.
Le creusement de la galerie a été réalisé par l'emploi d’oxygène liquide. Ce procédé a permis d’obtenir des vitesses de propagation très nettement inférieures à celles admises couramment par les normes relatives aux « travaux de creusement sous immeuble en mauvais état ».
Tout risque d’ébranlement du conduit karstique naturel a ainsi été évité. La mesure des vitesses de propagation des ondes de choc a été assurée en permanence par l'intermédiaire de capteurs préalablement placés dans les forages de reconnaissance.
Les diverses phases de réalisation de la salle souterraine sont :
- — creusement de la voûte (une pente avait été aménagée à cet égard en fin de creusement de la galerie) : déroctage à l’oxygène liquide ;
- — bétonnage de la voûte : bétonnage par coffrage coulissant ;
- — creusement du stross (c’est-à-dire de la partie inférieure) ;
- — bétonnage des radiers en trois phases par coffrage (hauteur 8 m - longueur 10 m) mis en opposition ;
- — bétonnage du radier.
Le creusement des 2 puits sera réalisé par la méthode dite du « raise-boring », de bas en haut. Cette méthode est schématisée par le croquis.
Les forages en Ø 1,80 m seront exécutés par une machine à circulation inverse type « Wirth ». La machine de forage sera installée dans l’usine souterraine, l’évacuation des déblais s’effectuant par canalisations posées dans la galerie.
Chacun des 4 forages aura une profondeur d’environ 50 m et sera tubé en Ø 1,80 m.
Équipements et Entreprises
Les trois groupes électropompes immergés de S.H.M. PLEUGER à vitesse variable auront un débit unitaire de 1 000 l/s et une hauteur de refoulement de 984 m.
Les variateurs de vitesse de JEUMONT-SCHNEIDER auront une fréquence de 22 à 55 Hz.
L'équipement complémentaire comportera :
- — 1 portique 20 t sur puits matériel ;
- — 1 pont roulant en voûte de la salle souterraine ;
- — 1 ascenseur d’accès à l’usine souterraine (capacité : 8 personnes).
Rappelons que la Ville de Montpellier, qui est le maître d’ouvrage, a choisi pour maître d’œuvre le Cabinet d’Étude Marc MERLIN, qui a collaboré avec les spécialistes en hydrogéologie régionaux du B.R.G.M.
Les travaux sont actuellement réalisés par la Compagnie Générale des Eaux avec le concours de CAMPENON-BERNARD (travaux souterrains), SADE (forages et équipements hydrauliques), FOURNIER-GROSPAUD (électricité), OLIVIER (bâtiments).
En guise de conclusion
Le 26 novembre 1981, aimablement conviés par M. FRECHE, Député-Maire de Montpellier, les gens de la presse équipés de bottes et de cirés ont apprécié et suivi avec grand intérêt la visite de ce chantier sortant totalement de l’ordinaire et qui représente pour les Montpelliérains une double victoire, un double but : d’abord sauvegarder et améliorer le patrimoine écologique de la rivière du Lez et ensuite faire prévaloir, à l’heure de la décentralisation, les choix arrêtés par les élus locaux.