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Le L.C.H.F. : Laboratoire Central d'Hydraulique de France

30 juillet 1979 Paru dans le N°36 à la page 41 ( mots)
Rédigé par : P PPRUDHOMME

L.C.H.F.

LABORATOIRE CENTRAL D’HYDRAULIQUE DE FRANCE

[Photo : À Maison-Alfort, sur 7 000 m² couverts : les halls d'implantation de modèles réduits et maquettes pour les études du L.C.H.F.]

avec la bienveillante participation de M. Jean LAURENT Président d'Honneur du L.C.H.F.

par P. PRUDHOMME Directeur Général

C'est en 1939 que, sollicité par les pouvoirs publics, M. Jean LAURENT, Ingénieur ESE, Docteur ès Sciences Physiques, alors Ingénieur en Chef de la Société Hydrotechnique de France, lança les bases de ce qui devait devenir plus tard le LABORATOIRE CENTRAL D'HYDRAULIQUE DE FRANCE (L.C.H.F.).

Ne disposant d’aucun bâtiment susceptible d’être rapidement équipé en laboratoire d'essais hydrauliques, conscient de plus de l'extrême confidentialité et de l’urgence de la mission qui lui était confiée, Jean LAURENT n'hésita pas à construire, dans son jardin de l'actuelle avenue du Général-Leclerc à Paris, le modèle réduit physique nécessaire à la délicate étude de désensablement de la Base d'Hydravions de PORT-LYAUTEY, au Maroc.

C'est 26 heures après que le problème lui ait été posé, que Jean LAURENT commença la construction dudit modèle, ce qui constitue un record jamais battu.

Le succès de cette première étude entraîna de nouvelles demandes qui donnèrent lieu à des essais très divers : radiers de barrages, désensablement de canaux, recherches sur la formation de la glace, et tout particulièrement étude du Port de POINTE-NOIRE (Congo), la première — réalisée à une grande échelle ayant nécessité la construction d'un bâtiment spécial — qui ait porté à la fois sur la protection des bassins contre l’ensablement et la tranquillisation des plans d'eau.

Les résultats de cette étude conduisirent l'Administration à confier, en 1942, à Jean LAURENT une mission dans les différents pays d'Afrique Occidentale française.

Il en revint chargé d'essais dont l'importance et les dimensions de maquettes nécessaires exigèrent le transfert des premières installations.

Ces circonstances marquèrent le point de départ du brusque et important développement du L.C.H.F. Les recherches du local adéquat — en pleine période d'occupation — furent longues et laborieuses. Grâce, en particulier, au puissant et permanent appui du Ministère des Travaux Publics, Jean LAURENT finit par trouver, tout à côté du pont de Charenton, un ancien dépôt de tramways désaffecté, géré par la Compagnie du Chemin de Fer Métropolitain, et d'une superficie voisine de un hectare. Aubaine inespérée pour un homme qui sut immédiatement jauger le parti qu'il pouvait en tirer pour un laboratoire d'hydrau-

Fosses de révision transformables en canaux d’essais ou en réservoirs d’eau communicants ou isolés, bien répartis dans l’ensemble des trois halls dont l’espacement des piliers ne crée aucune contrainte pour l’implantation des grands modèles réduits. La maquette du port de Dakar atteignait 1000 m², celle de Conakry 900 m². Il est à noter que cette disposition a été préconisée par Jean LAURENT pour de tels laboratoires à l’étranger… ou copiée.

[Photo : Juin 1948 : M. J. LAURENT présentant un équipement d’essai à M. le Président Robert SCHUMAN lors de l’inauguration du Laboratoire.]

LE L.C.H.F. ACTUEL

C’est ainsi qu’en mai 1943, le Laboratoire Central d’Hydraulique de France prenait ses quartiers à Maisons-Alfort dans les locaux qu’il occupe toujours en tant que locataire du département du Val-de-Marne, auquel ces bâtiments ont échu au fil des cessions et des découpages administratifs de la région parisienne.

Tout d’abord, « Entreprise libérale individuelle », le LABORATOIRE s’est transformé, le 1ᵉʳ avril 1946, en Société à Responsabilité Limitée dont le gérant était tout naturellement M. Jean LAURENT, les associés quelques-uns de ses amis personnels. La constitution en S.A.R.L. offrait au LABORATOIRE la forme juridique lui permettant de recevoir l’appui financier indispensable à son développement, dans le cadre d’un prêt du Crédit National.

Ce prêt permit à Jean LAURENT de compléter l’aménagement du laboratoire — jusqu’alors financé exclusivement sur ses deniers personnels — en construisant un nouveau hall perpendiculaire à ceux existant, et fermé par une façade soustrayant les plans d’eau à l’action néfaste des courants d’air et des poussières, en adaptant aux nouveaux besoins les bâtiments administratifs, etc.

Ces nouveaux aménagements donnèrent lieu à une inauguration solennelle, le 3 juin 1948, sous la présidence de Robert SCHUMAN, alors Président du Conseil. Cette manifestation, intégrée dans la célébration du centenaire de la Société des Ingénieurs Civils de France, se déroula en présence d’un millier d’assistants parmi lesquels des représentants des grands corps de l’État, des Académies et de nombreux savants étrangers. Les appréciations formulées au cours des discours prononcés firent de cette date le jour faste du laboratoire.

C’est en 1946 que le L.C.H.F. fut appelé à étudier les ports du Maroc, en commençant par celui de SAFI. Ce fut l’occasion de constater une fois de plus l’ignorance dans laquelle les « Services locaux », absorbés par leurs tâches d’exploitation, se trouvaient vis-à-vis des phénomènes naturels, origines des divers inconvénients les amenant à recourir aux services du laboratoire.

Frappé par cette situation pratiquement générale, Jean LAURENT avait conçu et organisé un « service d’observations en nature » : hydrographie, océanographie, sédimentologie. Il avait constitué une équipe de spécialistes : ingénieurs hydrographes, etc., et équipé une vedette hydrographique.

L’Administration des Travaux Publics du Maroc lui confia une première mission pour le port de SAFI. Les résultats en furent spectaculaires ; ce fut ainsi possible de représenter correctement les « phénomènes causes » : courants divers, houles, vents, etc. Il s’ensuivit immédiatement une extraordinaire fidélité dans les « phénomènes effets » : érosion, sédimentation, formation des flèches, agitation.

Il a été dit que cette première mission, cette innovation, a constitué un décisif « pas en avant » dans la technique des modèles réduits. Elle inaugurait une nouvelle méthode dont le principe est d’associer étroitement, et de façon permanente, la nature et le laboratoire.

Elle a été inspirée à son auteur par la très simple et élémentaire intuition que, pour résoudre quelque problème que ce soit, il est indispensable d’en connaître les données.

Une importance particulière fut donnée aux études sédimentologiques, au développement desquelles le Professeur A. RIVIÈRE a largement participé. Le L.C.H.F. a été longtemps le seul laboratoire d’hydraulique à posséder son propre service sédimentologique ; un ingénieur en chef, Claude MIGNIOT, jouit d’une réputation internationale. L’une de ses plus récentes et importantes études concerne la baie du Mont Saint-Michel ; il en sera question plus loin.

Mais évoquons ici l’étude de la rivière BETSIBOKA, à Madagascar, dans la maquette de laquelle, en reproduisant les variations de son débit observées pendant soixante ans, on a obtenu une parfaite fidélité des évolutions corrélatives du lit. Ceci a permis de définir les dispositions à adopter pour maintenir utilisable — contrairement à l’opinion exprimée — le port de Majunga, indispensable à l'économie de l'île, mise en péril par les fréquentes fermetures du port de Tamatave sous l’effet des typhons.

La renommée du L.C.H.F. a rapidement gagné l'étranger. En 1950, Jean LAURENT a été appelé par le gouvernement brésilien. Au bout de six mois de consultation, d'études diverses, c'est le Pérou, puis le Chili qui ont eu recours à lui.

Le gouvernement chilien, impressionné par les résultats d'une première étude portuaire réalisée « in situ », le chargea d’établir un laboratoire d’hydraulique national. Celui-ci, inauguré en 1952, fut pendant près de vingt ans dirigé par des ingénieurs et techniciens de Maisons-Alfort qui se relayaient à peu près tous les cinq ans.

En 1954, ce fut la Colombie qui voulut avoir, elle aussi, son laboratoire d’hydraulique. Le L.C.H.F. en dressa les plans, dirigea l’aménagement, puis, par la suite, en assura la direction comme à Santiago. Au cours d'une préétude à Buenos-Ayres, de l'embouchure du Rio de la Plata, étude rendue particulièrement difficile par l’écart considérable entre les dimensions horizontales et les faibles profondeurs, Jean LAURENT imagina une méthode consistant à établir des maquettes successives à échelles croissantes, dites « maquettes gigognes ».

C’est cette méthode qui a permis de réaliser des études de la baie du Mont Saint-Michel dont les heureux résultats font actuellement l'objet de nombreuses publications, d’émissions télévisées, ou constituent le sujet de thèse de doctorat.

C'est dans les cinq continents que le L.C.H.F. a été appelé à apporter son concours ; il a, deux années consécutives, été — en pourcentage — le premier « exportateur » français avec respectivement 72 et 73 % de sa production pour l’étranger. La constante progression de son activité s'accompagna de modifications dans sa structure.

C’est ainsi que, le 25 octobre 1952, la S.A.R.L. dont il a été question ci-dessus, s’est transformée en société anonyme sous la dénomination définitive de LABORATOIRE CENTRAL D'HYDRAULIQUE DE FRANCE, avec une première prise de participation de l'État (48 % du capital) par le canal de la Caisse Centrale de la FRANCE D'OUTRE-MER, maintenant Caisse Centrale de Coopération Économique. Cette participation d’État était portée à 60 % en 1958 par l'introduction du Ministère des Travaux Publics (Office National de la Navigation) et du Ministère de l'Industrie (Électricité de France).

Jusqu’en 1969, le Laboratoire Central d’Hydraulique de France a poursuivi ses activités dans ce cadre de S.A. à capital majoritaire d'État. À cette époque, l’essor pris par les problèmes d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement avait conduit à la constitution de nombreux organismes, publics ou privés — français comme étrangers — structurés pour aborder tous les aspects de tels problèmes et le L.C.H.F. se devait d'élargir son champ d'action, jusqu'alors surtout tourné vers les aménagements portuaires et côtiers.

Les responsables du L.C.H.F. se sont ainsi tournés vers des groupes français d'études qui présentaient des complémentarités intéressantes, et c'est ainsi que la S.E.M.A. et l'O.T.H., sociétés d'études du groupe PARIBAS, qui avaient pris ensemble des options importantes dans le domaine de l'aménagement par la création de l’Omnium Technique d'Aménagement et de Géohydraulique, ont repris la participation que détenaient dans le L.C.H.F. les organismes étatiques, puis progressivement celle des autres partenaires privés.

Groupé depuis 1970 à la Société Géohydraulique, le Laboratoire Central d'Hydraulique de France est maintenant redevenu une société privée au capital de 506 000 F, filiale de la Holding financière O.T.H., totalement indépendante d'entreprises de travaux publics ou de fabricants de matériel, mais trouvant auprès des autres filiales de l’O.T.H. certaines complémentarités, notamment en matière de calculs de génie civil (par exemple O.T.U.I., O.T.H.-Services).

[Photo : M. P. PRUDHOMME, Directeur général du L.C.H.F.]

LES DOMAINES D’ACTIVITÉS

Dans cet article, nous parlerons en fait du groupement constitué par le L.C.H.F. et sa filiale géohydraulique, lesquels forment un ensemble totalement imbriqué qui propose sa collaboration, au stade des études pour la maîtrise de l'eau dans les domaines suivants :

1. Eau en tant qu’Élément qu'il s'agit de domestiquer pour lutter contre les dégradations qu'elle peut engendrer, soit à l'environnement naturel, soit aux constructions humaines :

  • — protection des ports contre l’agitation due à la houle et contre l’envahissement par les sédiments ;
  • — défense du littoral contre l’érosion ;
  • — stabilité des ouvrages maritimes ou des ouvrages « offshore » ;
  • — protection contre les inondations ;
  • — défense des berges et du lit des cours d'eau ;
  • — lutte contre l'érosion des sols ;
  • — contrôle de la propagation de la pollution par les eaux (de surface ou souterraines).

2. Eau en tant que Besoin qu'il convient de rechercher, évaluer, mobiliser, répartir :

  • — reconnaissances géologiques des aquifères : levées de terrain, photo-interprétation, analyses géologiques et géomorphologiques, interprétation des diagraphies, etc. ;
  • — reconnaissances des tracés des cours d'eau et des bassins versants : cartographie, photo-interprétation, etc. ;
  • — hydrologie et hydrogéologie destinées à évaluer les ressources disponibles, localisation et choix des sites de mobilisation des ressources en eau : barrages, forages, prises d’eau ;
  • — plans directeurs d'aménagement des ressources en eau ;
  • — adduction d'eau, réseaux de distribution et d’irrigation.

3. Impact de l’intervention de l'Homme sur l’écoulement des eaux, non seulement vis-à-vis des actions destinées à l’aménagement ou à l'usage des eaux, mais aussi de celles dont la vocation est toute autre :

  • — extraction de sables ou graviers en mer, rivières ou plaines alluviales ;
  • — constructions diverses (routes, bâtiments, zones d'aménagement) en bordure de cours d'eau ou du littoral ;
  • — ponts ;
  • — ouvrages importants enterrés qui perturbent l'écoulement des nappes d'eau souterraines ;
  • — restructuration agricole (forestation ou déforestation, remembrement et suppression des terrasses ou des murets de clôture) ;
  • — urbanisation ou industrialisation (étanchéité du sol ou épandage de produits polluants).

LES STRUCTURES

Pour mener efficacement toutes ces actions, le L.C.H.F.-Géohydraulique a choisi de concentrer ses efforts sur les disciplines en relation très directe avec la maîtrise de l'eau (hydraulique, sédimentologie, géologie, océanographie, hydrogéologie) en s’assurant le concours de sociétés complémentaires ou de spécialistes indépendants pour les matières annexes nécessaires à la réalisation de certains projets (économie, agriculture, génie civil, écologie, chimie, biologie).

Malgré un créneau relativement étroit dans l’éventail des disciplines scientifiques, l'objectif d’offrir aux interlocuteurs du L.C.H.F.-Géohydraulique des relations personnalisées tout en assurant le maximum d’efficacité technique l'a conduit à se structurer en cellules de 15 à 25 personnes, et trois de ces cellules constituent les départements techniques responsables des études, dans leurs domaines déterminés, en utilisant les moyens mis à leur disposition par les autres cellules.

En voici une présentation synoptique sur laquelle figurent les noms des principaux responsables de ces unités :

[Photo : ORGANIGRAMME L.C.H.F. EN 1979]

Direction Scientifique : F. BIESEL Direction Générale : P. PRUDHOMME Services Administratifs (Secrétaire général) : A. LE SAGET

Moyens techniques

Départements

  • — Technique Maritime : C. ORGERON
  • — Ing. principal : I. CAPDESOSCQ
  • — Sédimentologie, Ing. en chef : C. MIGNIOT
  • — Ressources en Eau : J. BERGE

Informatique – Centre propre de

Élément spécialisé du groupe d'études O.T.H. (OMNIUM TECHNIQUE HOLDING) qui comprend environ un millier de personnes, L.C.H.F.-Géohydraulique emploie actuellement 110 personnes, plus de la moitié de son effectif étant composée d'ingénieurs et de techniciens spécialisés dans les seuls domaines de la maîtrise de l'eau.

Pour mener à bien les études qui leur sont confiées, ces spécialistes disposent de moyens propres :

— Deux grands centres d’essais sur modèle réduit :

• le centre de Maisons-Alfort, abrité dans un vaste hall de 100 m de longueur sur 70 m de largeur, soit 7 000 m² couverts, équipé notamment :

– d'un canal vitré de 66 m de longueur et de section carrée de 1 m de côté,

– d'un canal de carènes de 64 m de longueur et de section droite de 4,2 m de largeur par 1,7 m de hauteur,

– de 8 cuves à houle et de modèles fluviaux divers ;

• le centre de Bordeaux-Mérignac, composé d'un ensemble de deux halls distincts : l'un de 110 m de longueur par 25 m de largeur équipé de trois cuves à houle, l'autre de 75 m de longueur par 15 m de largeur servant à des études fluviales.

[Photo : Essai de stabilité d'un ouvrage maritime du Centre L.C.H.F. de Bordeaux]

— Des équipements de mesures appropriés pour la collecte des données de terrain en matière de : hydrographie, bathymétrie, océanographie, hydrologie, hydrogéologie.

— Un centre d’informatique à Maisons-Alfort, comportant deux ordinateurs :

• un PDP-11 pour le traitement en temps réel des données physiques recueillies sur les modèles ;

[Photo : Étude sur modèle des projets d'extension du port de La Pallice (La Rochelle)]

• un ordinateur de calcul INTERDATA (mémoire centrale pouvant atteindre 1 024 K) avec périphériques : table traçante grand format, oscilloscope, imprimantes, tablette graphique d'introduction des données cartographiques, etc.

— Des laboratoires annexes à Maisons-Alfort et à Bordeaux-Mérignac pour les analyses d'eau, de sédiments et de caractéristiques physico-chimiques diverses.

— Enfin, des ateliers spécialisés : mécanique, électronique, électricité ; le L.C.H.F. mettant au point et fabriquant par lui-même une grande partie de ses équipements de laboratoire.

LES ATOUTS TECHNIQUES

A) La sédimentologie :

Dès ses premières années d’activités, le Laboratoire Central d'Hydraulique de France s'est penché sur le difficile problème du déplacement des sédiments (sables, graviers, vases) sous l'effet des courants (le long des côtes, dans les estuaires ou les cours d'eau). Avec les éminents conseils du Professeur RIVIÈRE, de la Sorbonne, Jean LAURENT et ses collaborateurs, dont Claude MIGNIOT, actuellement Ingénieur en Chef du Département « Sédimentologie » du L.C.H.F., ont pu entreprendre de longues et nombreuses expériences de laboratoire en vue de déterminer les moyens de reproduire, sur des modèles réduits physiques, les déplacements de sédiments observés en nature. Dès 1943, le L.C.H.F. pouvait lancer les premières réalisations de ce qu'il est courant d'appeler maintenant « modèles à fonds mobiles » (1) dans lesquels des matériaux artificiels,

(1) Expression consacrée pour désigner les modèles dont les fonds, constitués par des matériaux granulés, évoluent du fait du déplacement desdits matériaux sous l'effet des courants.

[Photo : Modèle de simulation du dépôt des sédiments autour du mont Saint-Michel.]

répartis sur toute la surface du modèle dont ils constituent le fond, jouent le rôle des sédiments naturels et doivent se déplacer dans le modèle, toute proportion d'échelle conservée, comme ces derniers le feraient dans la nature.

Une telle transposition peut paraître simple dans sa seule énoncé, mais il faut bien voir que l’échelle géométrique de réduction de la zone géographique à reproduire en laboratoire (fréquemment de 1/150) ne peut être utilisée pour la transposition des sédiments. En effet, à l’échelle du 1/150, un sable dont les grains auraient des diamètres de 0,2 à 0,5 mm devrait être simulé par un sable de diamètre 1,3 à 3,3 µ, c'est-à-dire une poudre impalpable dont le comportement dans le modèle serait, de par la finesse du matériau, soumis à des effets physiques d'une toute autre nature (capillarité, électro-chimie, etc.) que celle propre aux phénomènes hydrodynamiques. Ne parlons pas des vases dont le diamètre naturel des grains est déjà inférieur à 40 µ !

C'est sur un modèle de ce type qu’ont été réalisées récemment les études de protection de l'environnement maritime du Mont Saint-Michel. Il avait fallu d'ailleurs, pour cette étude, utiliser deux types de matériaux artificiels sur le modèle (de la nacre et de la sciure de bois) pour reproduire fidèlement le comportement simultané du sable et de la vase.

Comme on le voit, la transposition n'est pas simple et il a fallu mettre au point des « essais de comportement » de ces matériaux artificiels de simulation pour que, en jouant tout à la fois sur la granulométrie et la densité de ceux-ci, on sache, face à des sédiments naturels donnés, quelle gamme de matériaux artificiels choisir pour la représentation sur modèles de laboratoire. Il a fallu analyser les résultats acquis au fur et à mesure des recherches pour établir progressivement des lois toujours améliorées au fil de l'expérimentation. Il fallut mettre au point la technique de « tarage » du modèle sédimentologique qui est cette phase de tâtonnement (4 à 6 mois d'essais fréquemment) au cours de laquelle on cherche le bon équilibre entre la similitude hydrodynamique qui régit la reproduction à l’échelle du laboratoire des phénomènes hydrauliques (courants, lignes d’eau, marées, houles, débits, etc.) et la similitude « sédimentologique » qui régit le déplacement et le dépôt des sédiments. Ces deux types de similitude ne répondent pas aux mêmes lois de transposition et c'est donc un compromis qu'il faut trouver pour assurer une bonne représentativité du modèle, sans laquelle tous les résultats qui seraient énoncés n'auraient aucune valeur. L'acquis du L.C.H.F. au cours de ses quarante années d'expérience lui vaut une maîtrise particulière de cette représentativité des modèles sédimentologiques, non seulement pour des sables et des graviers, mais également pour la reproduction des phénomènes de déplacement et de dépôt des vases.

À titre d'exemple, nous reproduisons sur les figures suivantes la comparaison des prévisions effectuées sur modèle et la réalité observée en nature aux époques équivalentes après l'exécution des aménagements concernés, pour les sites de :

  • — Agadir (aménagement portuaire) au Maroc ;
  • — Pointe-Noire (aménagement portuaire) au Congo.
[Photo : Comparaison des prévisions « modèle » et évolution en nature : Agadir (prévisions sur modèle faites en 1950).]
[Photo : Comparaison des prévisions « modèle » et de l'évolution en nature : Pointe-Noire (prévisions sur modèle faites en 1960).]

De façon à donner une première idée de l'importance de ces études sédimentologiques, disons que les essais sur modèle s'échelonnent généralement sur une année (4 à 6 mois pour le « tarage » et 6 mois d'essais de prévision). Il faut, en effet, considérer que l'on reproduit généralement une année « nature » par une journée d'essais, ce qui conduit à poursuivre les essais pendant cinq à dix jours fréquemment pour avoir une juste notion de l'évolution future d'une zone face à un aménagement donné. Et une même étude demande l'examen de plusieurs types d’aménagement.

B) L’hydraulique souterraine :

Dans un autre secteur de la maîtrise de l'eau, l'hydrogéologie, le L.C.H.F.-Géohydraulique a également apporté une contribution importante au développement des techniques. C'est en 1962 que la société Géopétrole, du groupe SEMA, qui devait donner naissance cinq ans plus tard à Géohydraulique, s'intéressait, sous l'impulsion de son directeur scientifique, M. André HOUPEURT, à la possibilité d'utiliser les méthodes mises au point par l'industrie pétrolière pour traiter les problèmes posés par l'exploitation des eaux souterraines. Il s'agissait non pas de transposer les techniques d'investigation géologiques ou géophysiques pour la localisation et la reconnaissance des aquifères, lesquelles techniques étaient déjà utilisées en la matière, mais d'apporter la connaissance et la maîtrise des pétroliers en mécanique des fluides en milieux poreux au service de ceux chargés de gérer notre patrimoine de ressources en eau qui commençaient à se trouver confrontés à des problèmes de rationalisation de l'exploitation de celles-ci. Ce n'était que justice de voir la mécanique des fluides en milieux poreux se remettre au service des hydrauliciens dont l'un des leurs, l'ingénieur DARCY, avait jeté les premiers fondements en 1856 grâce à son analyse du comportement des fontaines de la ville de Dijon.

Les pétroliers, pour déterminer les conditions d'exploitation des gisements d'hydrocarbures leur permettant d'extraire le maximum de « brut » ou de gaz, avaient élaboré des « modèles » permettant de simuler en laboratoire l'écoulement du pétrole dans les interstices de la roche-réservoir vers les puits de production. Il s'agissait généralement de modèles analogiques électriques, « electric-analyser » qui s'appuyaient sur le fait que l'écoulement d'un fluide dans un milieu poreux est régi par des lois dont la formulation mathématique est identique à celle des lois qui régissent la circulation du courant électrique dans un conducteur. Ultérieurement, avec l'apparition de la deuxième génération des ordinateurs, les modèles analogiques ont été progressivement remplacés par des modèles mathématiques.

Le département d'études hydrologiques de Géopétrole, devenu en 1967 Géohydraulique, s'est donc attaché à transposer ces outils pétroliers pour les rendre utilisables pour la maîtrise de l'exploitation des eaux souterraines. La transposition n'était pas simple, car, contrairement à ce que l'on pense généralement du fait d'une certaine auréole qui s'attache à tout ce qui concerne le pétrole comme l'atome, les phénomènes sont beaucoup plus complexes en matière d'eau souterraine qu’en matière de gisement d'hydrocarbures :

  • — ces derniers sont plus limités géographiquement et de ce fait le milieu poreux concerné est plus homogène que ne le sont les aquifères ;
  • — la compressibilité du pétrole et sa faible densité donnent une prépondérance à la pression d'origine du gisement dans le mécanisme de production par rapport aux alimentations latérales éventuelles ;
  • — le gisement d'hydrocarbures est par nature isolé hydrodynamiquement des couches supérieures (sinon il n'existerait pas) et les seuls échanges fluides ne peuvent provenir que de l'éventuel aquifère « actif » sous-jacent, alors qu'une nappe sou-
[Photo : Modèle analogique (cuve théoelectrique) de simulation des nappes souterraines. (Photo J. BIAUGEAU.)]

...terraine est en relation avec les aquifères environnants, par l'intermédiaire de couches plus ou moins perméables, ainsi qu'avec les cours d'eau (nappes alluviales) et les apports pluviométriques par l'infiltration aux affleurements.

Malgré tout, dès la fin 1962, Géopétrole lançait les premières études de nappes sur modèle analogique électrique pour le compte du B.R.G.M. : étude de la nappe de la craie dans la région de Douai-Valenciennes. Aux difficultés techniques s'ajoutait aussi le manque d'habitude d'un raisonnement global à l'échelle d'un ensemble aquifère : toute l'hydrogéologie se résumait alors au problème de l'implantation d'un puits dans la zone où il pourrait donner le meilleur débit et à l'interprétation d'essais de pompage pour connaître les caractéristiques essentielles de la zone aquifère dans laquelle l'ouvrage permettait de puiser. Ce ne fut pas la moindre action de Géohydraulique que de convaincre les responsables de l'intérêt de raisonner à l'échelle des aquifères et non plus à la seule échelle du puits ou du forage. Utilisant toujours pour base les outils pétroliers, Géohydraulique mettait ensuite au point un ensemble de programmes mathématiques lui permettant d'abandonner progressivement la simulation par analogie électrique pour l'usage des seuls modèles mathématiques dont elle détient toujours une gamme complète pour l'étude de tous les problèmes d'hydraulique souterraine.

C) L'informatique au service de l'hydraulique :

S'engageant résolument dans une politique de développement et d'adaptation de ses moyens techniques pour assurer une plus grande efficacité dans les études qui lui sont confiées, le L.C.H.F.-Géohydraulique a choisi, en 1971, d'accroître, sous l'autorité de son Directeur Scientifique Francis BIESEL, son potentiel « informatique » tant en matière de programmes de calcul qu'en moyens propres d'ordinateurs.

Deux axes de développement étaient alors définis :

  • — Liaisons ordinateurs-modèles réduits physiques pour la commande de certains équipements (par exemple : asservissement d'un générateur de houle pour la reproduction d'un cycle donné comportant amplitude, période et direction variables) ou pour l'intégration immédiate des mesures effectuées sur les modèles et le calcul en temps réel de grandeurs caractéristiques (houle moyenne ou maximale à un poste à quai déterminé, énergie pénétrant dans un port sous l'effet d'une tempête donnée, etc.). C'est ainsi que le L.C.H.F. vient de mettre au point un générateur de houles irrégulières (aléatoires ou correspondant à un cycle donné) particulièrement souple d'emploi, puisqu'il peut aussi bien fonctionner en canal vitré (test de sections courantes de digues) qu'en canal de carène (remorquage de structures, efforts sur les ouvrages « offshore ») ou en cuve à houles (effets tridimensionnels sur les ouvrages maritimes).

  • — Programmes de calculs souples et peu coûteux :

    Jusqu'alors la tendance avait été souvent de voir dans les programmes mathématiques la pure transposition des modèles réduits physiques. Et pourtant le fait même du calcul conduit obligatoirement au découpage de l'espace en cellules et engendre nécessairement des contraintes de direction dans la représentation des écoulements d'une cellule vers l'autre, détruisant ainsi le caractère continu du milieu naturel.

    Le parti nouveau pris par le L.C.H.F. a été de s'appuyer sur ces contraintes fondamentales du calcul en accroissant au maximum la dimension des cellules d'espace et en traitant particulièrement la formulation des échanges entre cellules : le but recherché était d'alléger les temps de calcul sur ordinateur tout en assurant une précision convenable des résultats. C'est ainsi que le L.C.H.F. détient maintenant des programmes mathématiques particulièrement performants pour l'étude de la propagation de la houle à l'approche des côtes (réfraction seule) ou l'étude de l'agitation dans un port (réfraction-réflexion-diffraction).

  • — Choix des ordinateurs : l'objectif fondamental poursuivi a été la recherche d'un dialogue le plus aisé possible entre l'ingénieur et l'ordinateur. Le PDP-11 a d'abord été retenu, en tant qu'ordinateur de processus, pour la fonction d'asservissement ou de calculs en temps réel associés aux essais sur

modèles réduits physiques. C'est un ordinateur peu encombrant dont la robustesse lui confère une fiabilité particulière. Pour le centre de calcul proprement dit, le L.C.H.F. a pris le risque d'une solution d'avenir en faisant confiance à la nouvelle génération des « macro » mini-ordinateurs avec l'acquisition d'un INTERDATA 8/32 dont la mémoire centrale peut atteindre 1 024 K octets. À cet ordinateur ont été associés des périphériques destinés à faciliter l'entrée des données (tablette graphique) et la sortie rapide des résultats sous forme synthétique (courbes sur oscilloscope avec reproduction immédiate par photocopie). La construction des programmes de calcul du L.C.H.F. tient compte du souci permanent de faciliter le dialogue ingénieur-machine.

LES ACTIONS CONCRÈTES

À la description de ce qui précède, il ne faudrait pas croire que la collaboration du L.C.H.F.-Géohydraulique n'est possible que pour des études techniques exigeant des moyens sophistiqués et financièrement lourds. La structure légère et le créneau volontairement limité au domaine de la maîtrise de l'eau lui donnent la souplesse nécessaire pour adapter ses interventions au problème posé par le maître d'ouvrage et au budget fixé par ce dernier, dans le cadre d'une mission plus ou moins limitée :

  • — Mission d'expertise où un spécialiste examine l'ensemble du problème, avec visite de la zone si nécessaire, et porte un diagnostic.
  • — Études préliminaires ou de conception mettant en œuvre de simples calculs ou la réalisation de modèles mathématiques ou physiques.
  • — Stricts essais de laboratoire destinés à expérimenter tel ou tel dispositif conçu par d'autres (stabilité des ouvrages maritimes, tracé des digues de protection d'un port, etc.).
[Photo : Essais hydrauliques du barrage de l'OUED ISSEN au Maroc.]
  • — Études d'APS – d’APD ou de projets.
  • — Missions d'assistance et de conseil temporaire ou permanente auprès d'un maître d'ouvrage régulièrement confronté à des problèmes d'aménagements hydrauliques.

LE RAYONNEMENT À L'ÉTRANGER

Avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 22 millions de francs en 1978, le L.C.H.F.-Géohydraulique est confronté à un volant permanent d'une soixantaine d'études confiées par des administrations ou établissements publics, tant français qu'étrangers, ou par des sociétés privées. Environ 65 % de son activité concerne des aménagements situés à l'étranger. À son actif, on peut citer quelques ordres de grandeur d'intervention dans les principales disciplines hydrauliques qu'il appréhende :

  • — aménagements portuaires : plus de 100 études dont 60 à l'étranger (Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Amérique du Sud, Moyen-Orient, Sud-Est Asiatique notamment) ;
  • — aménagement du littoral (infrastructures routières, centres touristiques, développement urbain, défense de l'environnement) : une cinquantaine d'études dont la moitié à l'étranger ;
  • — aménagements d'estuaires : une trentaine d'études dont une vingtaine à l'étranger ;
  • — hydrologie, aménagement fluviaux : une centaine d'études dont plus de la moitié à l'étranger ;
  • — hydrogéologie, exploitation des eaux souterraines : une quarantaine d'études dont une trentaine à l'étranger, la moitié d'entre elles mettant en œuvre des techniques de simulation des écoulements souterrains (modèles analogiques ou mathématiques).

CONCLUSION

La vocation du L.C.H.F. le spécialise dans un destin lié à l'importance de trouver des solutions aux problèmes futurs de maîtrise de l'eau. Tout indique actuellement que ces problèmes sont à la fois de plus en plus nombreux et de plus en plus graves pour l'environnement et l'avenir des populations.

Ainsi que l'indiquait le P.-D.G. de L.C.H.F.-Géohydraulique dans son rapport à l'A.G.O. juin 1978 : « L'activité de la société, malgré les difficultés provoquées par la conjoncture économique, ne régresse pas et grâce à l'exutoire en matière de halls d'essais qui résulte de l'implantation de Bordeaux va pouvoir envisager un nouveau pas vers le développement sans risquer de buter sur un goulot d'étranglement. »

P. PRUDHOMME.

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