Les ouvrages devant contenir de l'eau potable sont soumis à des contraintes non négligeables qu'il est nécessaire de bien connaître pour assurer leur durabilité. Ces contraintes peuvent être internes, liées à la composition des bétons et aux caractéristiques intrinsèques de l'eau, mais aussi externes, liées au process de traitement des eaux : chloration, ozonation... L'analyse rigoureuse de ces paramètres doit conduire à l'élaboration d'une méthode adaptée d'exécution ou de réhabilitation assurant la pérennité de l'ouvrage.
La fonction première des ouvrages hydrauliques est de contenir de l'eau : par conséquent ils doivent être étanches, ce qui peut être obtenu suivant les techniques qui ont été exposées récemment par l'auteur dans la présente revue (1).
D’autre part les ouvrages doivent être durables : leur conception doit donc tenir compte de tous les facteurs internes ou externes pouvant influer sur leur longévité.
Enfin l'eau potable exige l'emploi de matériaux ayant subi avec succès des tests spécifiques “d’alimentarité” (Encadré I).
Dans une station de traitement d’eau potable, les facteurs pouvant nuire à la durabilité des ouvrages de Génie Civil sont de plusieurs ordres : d'une part les facteurs internes et d’autre part les facteurs externes dus à l’action des réactifs utilisés dans le traitement des eaux ou aux caractéristiques de celles-ci.
Les facteurs internes : l'alcali-réaction
Outre les problèmes de fabrication et de mise en œuvre des bétons pouvant influer directement sur l'étanchéité, il existe un mécanisme de dégradation spécifique dont les causes tiennent à la formulation même du béton : l’alcali-réaction.
L’alcali-réaction, ainsi dénommée, recouvre un ensemble de réactions chimiques entre certains types de silicates et de silice sous forme vitreuse ou mal cristallisée, contenus dans les granulats et les alcalins du béton. Les alcalins proviennent essentiellement du ciment, mais les granulats et les adjuvants peuvent également être une source alcaline ainsi que l'environnement (milieu marin...).
En présence d'eau, la solubilisation de la silice réactive par les alcalins conduit à la formation d’un gel expansif. Sous certaines conditions,
L’expansion entraîne un gonflement du béton à plus ou moins long terme (jusqu’à dix, voire vingt ans après sa mise en œuvre).
L’alcali-réaction se caractérise par une macrofissuration du béton pouvant s’accompagner d’une exsudation de gel silico-alcalin de couleur blanchâtre. Autre symptôme éventuel : la formation de petits cratères, “pop-outs”, dus à l’expulsion d’une pastille de forme conique par le gel formé autour du granulat proche de la surface du béton.
Les conséquences sont telles qu’elles peuvent mener à la destruction des ouvrages.
Remèdes
Pour éviter l’alcali-réaction, il est nécessaire de se conformer aux “Recommandations provisoires pour la prévention des désordres dus à l’alcali-réaction”, éditées par le Ministère de l’Équipement, des Transports et de la Mer et le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées en 1993, ou encore utiliser des fumées de silice à titre préventif.
En effet les fumées de silice sont particulièrement efficaces pour prévenir l’alcali-réaction, comme le démontre l’essai accéléré d’expansion selon la norme ASTM C 441 effectué au CEBTP (figure 1).
Le test consiste à mesurer les variations dimensionnelles d’éprouvettes confectionnées avec un ciment à forte teneur en alcalins et un sable de pyrex très réactif comparativement à celles du même mortier additionné de Sikacrete HD, un additif à base de fumées de silice. Du fait de la fixation chimique des alcalins dans les hydrates formés par la silice micronique du Sikacrete HD, on n’observe aucun gonflement, mais au contraire même un peu de retrait alors que le témoin présente dans les mêmes conditions un gonflement très important.
Les réactions chimiques en cause étant encore mal connues, il n’existe pas de solutions de réparation éprouvées. Des précontraintes tridimensionnelles et des procédés d’assèchement du béton sont les voies de recherche actuelles.
Les facteurs externes
Le traitement des eaux
Lors du processus de traitement des eaux potables, plusieurs types de réactifs sont employés pour la coagulation, la floculation et la désinfection des eaux :
- • les sulfates
Ils sont largement utilisés comme coagulants, sous forme de sulfate d’alumine ou de chlorosulfate ferrique. Les sulfates peuvent produire de sévères effets sur les bétons ; leur action se décompose en deux phases successives : transformation de la chaux libre du béton en sulfate de calcium, puis réaction expansive entre le sulfate de calcium et les aluminates tricalciques du ciment avec formation de trisulfoaluminate tricalcique ou ettringite. L’ettringite ayant un coefficient d’expansion de 300 %, le béton, sous l’effet des contraintes induites, se désagrège en surface puis à cœur.
- • les chlorures
Ils peuvent être utilisés à tous les stades du traitement de l’eau potable sous diverses formes : eau de Javel, dioxyde de chlore… Les chlorures attaquent la chaux libérée lors de l’hydratation du béton pour former du chlorure de calcium soluble dans l’eau. Ainsi, peu à peu, la porosité du béton augmente et la protection alcaline des armatures disparaît. Lorsque le chlore rencontre les armatures du béton, celles-ci peuvent alors se corroder. Le coefficient d’expansion de la rouille étant de 800 %, le béton de recouvrement éclate sous l’effet des contraintes induites.
- • l’ozone
Employé pour la désinfection des eaux, l’ozone lui-même n’a pas d’action sur le béton, cependant son mode de fabrication peut causer des dommages. En effet, lorsque l’ozone est fabriqué à partir de l’oxygène contenu dans l’air, l’azote se transforme en oxydes d’azote (NOx) lesquels, en présence d’eau, donnent de l’acide nitrique qui, lui, est agressif vis-à-vis du béton (dissolution des silicates).
La qualité des eaux
Eaux pures (titre hydrotimétrique TH < 10)
Les eaux pures naturelles et les eaux de condensation solubilisent les hydrates du ciment. Après quelque temps, les bétons (en fonction de la qualité initiale du béton) se désagrègent totalement, les granulats se déchaussent et les armatures ainsi dépassivées peuvent se corroder. Ce phénomène est très fréquent notamment au niveau des sous-faces de coupoles de réservoirs.
Eaux dures ou incrustantes
Les eaux dures ou incrustantes n’ont pas à proprement parler d’action sur le béton si ce n’est le dépôt d’une couche protectrice de carbonate de calcium. Cependant, pour le nettoyage de ces ouvrages on emploie des solutions (agréées par le Ministère de la Santé) qui se caractérisent par un pH acide. Si le nettoyage est mal maîtrisé, ces solutions sont de nature à endommager le béton et nuire à l’étanchéité des ouvrages.
Eaux fortement chargées en gaz carbonique dissous
Le gaz carbonique dissous peut lui aussi dégrader le béton, par transformation de la chaux libre (protection alcaline des aciers) en carbonate de calcium (phénomène de carbonatation des bétons).
La norme NF P 18-011 considère comme fortement agressives et très fortement agressives des eaux contenant respectivement plus de 60 mg/l et 100 mg/l de gaz carbonique.
Les remèdes
Phase de construction des ouvrages
Les ouvrages doivent être étanches et durables. Il convient donc d’évaluer l’agressivité du milieu et d’adapter la construction aux sollicitations. La norme NF P 18-011 donne une première approche de cette démarche (Encadré II).
Le premier objectif est de réduire la porosité du béton. Il faut donc s’employer dans un premier temps à uti...
obtenir des bétons présentant un rapport eau/ciment le plus faible possible.
Ces précautions ne sont quelquefois pas suffisantes et on peut alors choisir les constituants en fonction de l’agressivité du milieu.
Si l’emploi de ciments spéciaux paraît s’imposer, il est à remarquer que l’ajout de fumées de silice à un ciment CPA 55 courant donne de meilleurs résultats qu’un ciment CPA 55 de classe PM-ES non traité (figures 2 et 3).
Face à des sollicitations plus importantes (niveau de protection 3), il est nécessaire d’apporter aux structures une protection superficielle à base de mortiers prédosés à hautes performances ou de résines époxydiques de qualité alimentaire.
Réhabilitation
Avant toute réhabilitation il convient de réaliser un diagnostic des bétons de manière à connaître leur état réel et de proposer des solutions adaptées.
Préparation des supports
La préparation des supports est primordiale : c’est cette opération qui conditionne la réussite de la réhabilitation des ouvrages.
Elle consiste à éliminer tous les bétons pollués ; si cette opération s’avérait impossible, la réparation ne pourrait que ralentir les phénomènes de dégradation faute de pouvoir les traiter radicalement.
Les supports préparés par tous les
moyens mécaniques appropriés doivent présenter une cohésion superficielle d’au moins 1 MPa.
Réparation des bétons
- • les aciers apparents doivent être décapés et protégés par un inhibiteur de corrosion ;
- • le reprofilage des bétons doit être réalisé avec des mortiers de réparation conformes à la norme NF P 18-840.
Selon les cas de figure on appliquera ensuite une protection superficielle sur les bétons.
Cas particulier de l’ozone fabriqué à partir de l’air
On se trouve dans ce cas devant un problème difficile à résoudre : d’une part il est souhaitable d’apporter une protection au béton (en raison de la production d’acide nitrique) et d’autre part l’emploi de matériaux organiques du type résine est prohibé (attaque des liaisons hydro-carbonées par l’ozone).
Seul l’emploi de mortier prédosé à hautes performances appliqué en protection est un bon compromis à ce problème (figure 4).
Conclusion
Pour bien construire ou réparer les bétons des stations de traitement, il est nécessaire de déterminer avec précision l’agressivité potentielle de l’environnement et les causes de l’endommagement des bétons.
En fonction de ces critères on adaptera les méthodes d’exécution ou de réhabilitation en fonction des paramètres de chantiers : délais de réalisation, température à l’exécution...
BIBLIOGRAPHIE
- (1) Thierry Guet, L’étanchéité des ouvrages hydrauliques, dans L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 166 (septembre 1993), page 110.
- (2) Sika Information, La technologie des fumées de silice (octobre 1990).