Après une campagne d'analyses, qui a permis de qualifier et de quantifier les émissions odorantes de la station d'épuration de Reims, trois actions ont été définies et réalisées. En premier, les effluents provenant du traitement des boues sont traités par de l'eau oxygénée. La couverture et la ventilation des principales sources d'odeurs permet de capter ces nuisances. Une désodorisation par lavage chimique, traitant 8000 m3/h, est dimensionnée à l'aide d'un logiciel modélisant les phénomènes d'absorption gaz-liquide avec réaction chimique. La consommation des réactifs est calculée en fonction des flux d'odeurs (H2S, NH3, amines, RSH), mais aussi du CO2 présent dans l'air.
La station d’épuration de Reims, d'une capacité nominale de 550 000 équivalents-habitants était depuis son installation à l’origine de nuisances olfactives. Pour y remédier, une campagne d’analyses, réalisée par Anjou Recherche, a tout d’abord permis de qualifier et de quantifier les émissions odorantes [1]. La solution technique, permettant d’éliminer ces nuisances olfactives, qui a ensuite été mise en œuvre comporte une action en trois points :
• Traitement de l’effluent.
• Couverture et ventilation des ouvrages où se situent les sources d’odeurs.
• Désodorisation de l’air extrait.
Traitement de l’effluent
Le traitement des effluents provenant du traitement des boues, avant leur recirculation en tête de la station, permet d’éliminer les sulfures solubles et donc de limiter le dégazage des polluants soufrés au-dessus des ouvrages de traitement des eaux.
Il existe différentes solutions pour éliminer ces sulfures : soit par oxydation en S natif ou en SO₄²⁻ suivant le potentiel d’oxydation et le pH (emploi de H₂O₂, Cl₂, O₂, NO₃, …), soit par précipitation par les sels de fer en FeS.
L’eau oxygénée (H₂O₂) est le réactif le plus utilisé. Il permet d’oxyder les sulfures et de relever le taux d’oxygène et le potentiel Redox sur toute la longueur du réseau.
H₂S + 4H₂O₂ → SO₄²⁻ + 4H₂O + 2H⁺ pH > 7,5
Grâce à la solubilité complète de l'eau oxygénée et à la légèreté de l’installation, la mise en œuvre de ce traitement est simple. Il permet également en cas de surdosage de réoxygéner l’effluent.
Les filtrats des presses à bandes et les surverses des épaississeurs sont réceptionnés dans une bâche (temps de séjour = 30 min). La concentration moyenne en sulfures est de 20 mg/l.
L’injection de l’eau oxygénée est réalisée par une pompe doseuse et le débit est régulé par une sonde Redox.
Couverture et ventilation des ouvrages
En raison de la superficie de la station, la couverture n’a concerné que les principaux ouvrages. À la suite de la campagne d’analyses des odeurs [1], les ouvrages à couvrir et à ventiler ont été inventoriés. Il en résulte que les principales sources d’odeurs se situent dans les postes de relevage, les prétraitements, et le traitement des boues. Les ouvrages de traitement des eaux (décanteurs, traitements biologiques) ne génèrent pas de composés odorants (ou peu).
La nouvelle station de désodorisation d'air vicié collecte l’air extrait de l’ensemble des ouvrages couverts. L’air vicié est repris dans chaque ouvrage par un réseau de gaines en aluminium munies de grilles de reprise d’air spéciales. Les lignes d’extraction sont équipées d’extracteurs dont les caractéristiques débit-pression sont calculées pour amener à pression nulle la totalité de l’air extrait à l'entrée de l’unité de désodorisation. À chaque réseau d’extraction est associé un réseau d’air frais en vis-à-vis.
L’analyse du fonctionnement de la station d’épuration et les différentes campagnes de mesure de flux malodorants nous ont conduit à identifier un ensemble de pollutions présentant les contraintes suivantes :
- une prédominance d’hydrogène sulfuré et de méthyl-mercaptan,
- un taux significatif d’ammoniac et de produits azotés relevé dans les salles de stockage et de chaulage des boues.
Les données de base concernant les gaz malodorants à traiter par la désodorisation sont résumées dans le tableau I.
Tableau I – Concentration des différents gaz malodorants
Polluants | Concentrations moyennes (mg/m³) | Concentrations maximales (mg/m³) |
---|---|---|
H₂S | 4,5 | 7 |
CH₃SH | 3 | 5 |
NH₃ | 3 | 5,5 |
N-Org | 0,5 | 1 |
Désodorisation de l'air extrait
Le procédé de désodorisation de l'air extrait a été choisi selon les critères suivants :
- garantie et fiabilité,
- intégration dans le tissu urbain,
- coûts d’investissement,
- coûts de fonctionnement,
- facilité d’exploitation.
Diverses études ont été lancées pour déterminer les seuils de concentration à ne pas dépasser sur les principaux composés odorants à la sortie de l’unité de traitement des odeurs. Ces limites ont été calculées en tenant compte de la dilution atmosphérique (vent, vitesse de cheminée, …) de façon qu'il ne subsiste pas d’odeurs perceptibles à la limite du domaine occupé par la station d’épuration (tableau II).
Tableau II – Concentrations maximales à la sortie du traitement des odeurs
Composés odorants | Concentrations seuils (mg/Nm³) |
---|---|
NH₃ | ≤ 1 |
N organiques | ≤ 0,1 |
H₂S | ≤ 0,1 |
CH₃SH | ≤ 0,05 |
Compte tenu de ces critères, une désodorisation par lavage chimique opérée dans trois tours a été proposée :
- La première tour est dite « acide », le pH adéquat est obtenu en injectant de l’acide sulfurique (H₂SO₄). Cette tour élimine tous les composés azotés (NH₃ et amines).
- La deuxième tour et la troisième tour sont dites « basique » et « oxydante ». Ces deux tours éliminent plus ou moins bien, selon le pH et la teneur en chlore, tous les composés soufrés (H₂S, RSH, …). L'utilisation d’un oxydant permet d’accroître l'efficacité de la désodorisation sur des composés à constante de Henry très élevée (comme les mercaptans). L’oxydation est obtenue par ajout d’eau de Javel ou fabrication de chlore actif par électrochloration.
Les tours d’absorption
Dans le traitement des stations d’épuration, les débits d’air à mettre en œuvre sont importants. Il faut donc obtenir une perte de charge faible et un transfert rapide. Dans ces conditions, une colonne à garnissage comprend les éléments suivants (figure 2) :
- un ou plusieurs éléments de colonne formés d’un plateau support au-dessus duquel vient s’empiler le garnissage,
- un système de distribution du gaz,
- un système de distribution du liquide avec des redistributions éventuelles,
- un dévésiculeur destiné à arrêter les gouttes liquides entraînées par le gaz,
- un pied de cuve,
- les gaines d’air.
La tour est cylindrique et chaudronnée en matériau plastique (polyester, polypropylène).
La solution de réactifs est stockée dans le pied de cuve. De là sont effectuées les opérations de pompage vers l’aspersion, de déconcentration automatique (purge), d’appoints d’eau et de réactif pur, de vidange et de trop-plein. Le niveau est régulé par des sondes.
Le plateau support en matériau synthétique remplit un double rôle : un rôle mécanique pour supporter le poids du garnissage et un rôle hydrodynamique pour distribuer le gaz dans la tour.
Le garnissage est l’élément essentiel de ce type de contacteur. Son choix se fait en fonction de plusieurs critères : efficacité, prix, mise en œuvre et hydrodynamique du système garnissage-colonne. Les garnissages sont caractérisés par leur diamètre nominal, l’aire interfaciale, le facteur de garnissage et leur masse volumique. Il convient de travailler avec des garnissages à aire interfaciale élevée tels que Levapack, C10-12, …
Pour un bon fonctionnement de la colonne, le liquide doit former un film continu à la surface du garnissage. On utilise, à cet effet, des rampes équipées de buses d’aspersion.
Le dévésiculeur, placé en haut de la colonne, est chargé de piéger les gouttelettes emportées par le flux d’air.
La régulation
Le bon fonctionnement d’une désodorisation est lié au strict respect d’un certain nombre de consignes de fonctionnement.
Dans le cas d’une installation constituée de plusieurs files de traitement, l’équirépartition du débit d’air doit être régulée.
Les consignes de pH et les teneurs en chlore des bains de lavage doivent être respectées. La régulation du pH est réalisée par des appareils de mesure en continu fiables et posant peu de problèmes d'installation et de fonctionnement.
Quel que soit le système permettant de délivrer l’hypochlorite dans les bains de lavage (eau de Javel ou électrochlorateur), une régulation performante est nécessaire : la mesure du potentiel d’oxydo-réduction est alors la plus simple à mettre en œuvre. Lorsque l'exigence d'une qualité constante et d’un niveau élevé est demandée, ou lorsque les variations de charge sont importantes, il est souhaitable d'installer un appareil mesurant la teneur en chlore des bains de lavage. Des chloromètres mesurant jusqu’à 2 g/l de chlore n’existant pas sur le marché, nous avons mis au point avec la société Secomam un appareil permettant une mesure continue, sans dilution et sans ajout de réactifs. La méthode, appelée « Analyse Spectrale Directe », permet, grâce à une simple mesure optique, la détermination de la teneur en chlore pour mesurer des valeurs de quelques mg/l à 5 g/l. Ce système est déjà en service dans la station d’épuration d’Antibes.
Tableau III
Dimensionnement de la désodorisation
Polluants | Teneur maximale (mg/m³) | Teneur moyenne (mg/m³) | Sortie (mg/m³) | Rendements obtenus |
---|---|---|---|---|
NH₃ | 5,5 | 3 | < 0,1 | > 99 % |
N-Org | 1 | 0,5 | < 0,1 | > 99 % |
H₂S | 7 | 4,5 | < 0,1 | > 99,9 % |
RSH | 4 | 2,5 | < 0,1 | > 99,8 % |
Tableau IV
Dimensionnement des tours
Colonne | Tour 1 | Tour 2 | Tour 3 |
---|---|---|---|
Forme de la tour | Cylindrique polyester | Cylindrique polyester | Cylindrique polyester |
Hauteur tour | 9,5 m | 9,5 m | 9,5 m |
Diamètre | 4 m | 4 m | 4 m |
Hauteur garnissage | 2,1 m | 2,1 m | 2,1 m |
Type garnissage | C10-12 | C10-12 | C10-12 |
Surface spécifique | 250 m²/m³ | 250 m²/m³ | 250 m²/m³ |
Vitesse air | 1,8 m/s | 1,8 m/s | 1,8 m/s |
Temps contact | 1,2 s | 1,2 s | 1,2 s |
Débit liquide | 240 m³/h | 240 m³/h | 240 m³/h |
Réactifs | H₂SO₄, NaOH + NaOCl | NaOH + NaOCl | NaOH + NaOCl |
Modélisation
La conception d'une colonne à garnissage passe obligatoirement par deux étapes :
- une modélisation hydrodynamique, qui permet de déterminer le diamètre de la tour, le garnissage, le taux de mouillage et la perte de charge,
- une modélisation du transfert gaz-liquide, qui permet de déterminer la hauteur de garnissage, le pH et le taux de chloration.
Modélisation hydrodynamique
L’étude hydrodynamique d'une colonne à garnissage est nécessaire pour déterminer les conditions mécaniques optimum du transfert. Il en découle la vitesse de passage du gaz, le taux de mouillage du garnissage (fraction de garnissage qui va être recouverte d’un film liquide) et la perte de charge du gaz par mètre de hauteur de colonne. De nombreux ouvrages décrivent cette modélisation [2] [3] [4].
Le diamètre de la colonne est défini par la vitesse de travail que l’on doit mettre en œuvre pour obtenir un bon contact gaz-liquide.
Le calcul de la perte de charge par mètre linéaire de garnissage est indispensable pour déterminer le choix du ventilateur d’extraction. On utilise différentes formules empiriques qui sont fonction de la nature du garnissage et de différents paramètres hydrodynamiques.
Le taux de mouillage correspond au rapport du débit volumique de liquide par le périmètre maximal mouillable dans une section droite.
Modélisation du transfert des polluants
La désodorisation de l'air vicié de station d'épuration par lavage en tours garnies est basée sur le principe du transfert des polluants de la phase gazeuse vers la phase aqueuse. La modélisation du transfert nécessite la connaissance des paramètres et des lois du transfert de masse (loi de Fick, théorie du double film).
Pour une hauteur dz et une surface S de colonne, la quantité de polluant transférée dX sera :
dX = kₐ aₛ dz S (X* − X)
kₐ et aₛ sont donnés par les équations de Onda et al. [5] ; X* est obtenue par la loi de Henry.
Dans le cas particulier où le composé absorbé réagit dans la phase liquide (cas de H₂S et RSH), il intervient un facteur d'accélération E. On a alors l’expression suivante :
dX = kₐ aₛ dz S (X* − X)
La valeur de E est accessible à partir de trois nombres adimensionnels :
- le critère de Hatta,
- le critère appelé rapport « concentration-diffusion » Z.
• le critère appelé rapport « réaction-transfert » R.
Ces trois nombres dépendent des réactions mises en jeu (stœchiométrie, constantes de vitesse), des concentrations et de la diffusivité dans la phase aqueuse du réactif et du polluant.
Calcul des concentrations des polluants à la sortie
Si nous écrivons les bilans massiques sur toute la colonne et en un point quelconque de celle-ci, en considérant la quantité de polluant faible et donc les débits égaux tout le long du réacteur (figure 3), on définit les paramètres comme suit :
G = débit massique du gaz (kg/m² s). L = débit massique du liquide (kg/m² s). X = concentration du polluant dans le liquide, Y = concentration du polluant dans le gaz.
À contre-courant et par unité de surface, on a :
G (Ye − Ys) = L (Xs − Xe) et G (Ye − Y) = L (Xs − X).
On peut alors écrire :
∫ L dX = kL av E Cr ∫ dz / (X* − X)
et, en séparant les variables :
∫ dX / (X* − X)
Pour déterminer les concentrations d’H₂S et RSH en sortie, on est obligé de tenir compte du facteur d’accélération E, et donc de calculer les nombres adimensionnels de Hatta et Z. Pour tenir compte des deux réactions chimiques — dissociation et oxydation — on calcule :
Hatta_global = √(Hatta_dissociation + Hatta_oxydation) et Z_global = Max(Z_dissociation, Z_oxydation)
Un logiciel simulant le fonctionnement d’une désodorisation par absorption gaz-liquide a été établi. Pour des concentrations en polluants à l’entrée données, il calcule les concentrations en sortie en fonction de la configuration choisie.
Le logiciel utilise la méthode de calcul pas à pas sur des hauteurs de colonne dz. On calcule le facteur E en chaque point de la colonne [6] [7] [8].
Les réactifs
Les rendements commencent à baisser et les consommations en réactifs augmentent lorsque la concentration en sels dépasse une certaine valeur. Il faut donc déconcentrer le pied de cuve en effectuant une purge. Les purges sont calculées avec les teneurs en sels maximum.
Les consommations d’acide sulfurique, de soude et d’eau de Javel ont été déterminées par notre Centre de Recherche [6]. Elles ont été vérifiées par rapport aux consommations de différentes unités construites et exploitées par OTV.
Beaucoup d’auteurs ou de constructeurs oublient un élément important pour calculer la consommation de soude. Il faut, en effet, tenir compte du CO₂ qui va réagir avec la soude suivant les relations :
NaOH + CO₂ → NaHCO₃ 2 NaOH + CO₂ → Na₂CO₃
L’air contient 0,033 % (volumique) de CO₂, soit 640 mg de CO₂ par m³ d’air. Suivant le pH et les lois de transfert, 5 à 10 % de CO₂ est absorbé dans la phase liquide. Avec les débits d’air importants que l’on traite, la quantité de soude consommée par le CO₂ n’est pas négligeable et peut facilement représenter la moitié de la consommation totale.
Les résultats sont rassemblés dans les tableaux III et IV.
Conclusion
Les stations d’épuration, qui constituent aujourd’hui de véritables usines faisant appel à des technologies de plus en plus sophistiquées, sont situées de plus en plus dans des zones sensibles à forte urbanisation. L’étude qui précède montre la possibilité de répondre aux problèmes d’odeurs sur une station ancienne et étendue. Il est bien sûr plus facile de répondre à ces problèmes dans une station compacte. La modélisation permet ainsi, à l’aide de l’outil informatique, de dimensionner une désodorisation par lavage chimique. En optimisant tous les paramètres dimensionnels, le modèle prédit les concentrations de polluants à la sortie de chaque tour.
Lors de la mise en route de l’installation (prévue en novembre 92), on pourra prévoir les consommations de réactifs et les meilleurs réglages à adopter en fonction des flux réellement reçus dans l’unité de désodorisation.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Bonnin Ch., Sudry G., Élimination des nuisances olfactives sur la station d’épuration de Reims, L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES, n° 156, juin 1992, pp. 41-46.
[2] Copigneux P., Distillation-Absorption : Colonnes garnies, Les techniques de l’ingénieur, 1979, p/2 626.4-//2 626.23.
[3] Herwood T.K., Pigford R.L., Absorption and Extraction, 2nd edition, Mc Graw-Hill Book Company, 1952.
[4] Trambouze P., Van Landeghem H., Wauquier J.P., Les réacteurs chimiques : Conception, calcul, mise en œuvre, chap. 6, éditions Technip, 1983.
[5] Onda K., Takeuchi H., Okumoto Y., J. Chem. Eng., n° 1, 1968, p. 56-62.
[6] Bonnin Ch., Les sources de nuisances olfactives dans les stations de traitement des eaux résiduaires, et leur traitement par lavage à l’eau chlorée en milieu basique, Thèse de Doctorat, École Nationale Supérieure de Chimie, Rennes, 1991, n° 725, 191 p.
[7] Bonnin Ch., Laplanche A., Paillard H., Martin G., Élimination du sulfure d’hydrogène par absorption gaz-liquide en présence de chlore, 3ᵉ congrès français de génie des procédés, Compiègne, 5-7 septembre 1991.
[8] Bonnin Ch., Laplanche A., Darmon D., Modelization of hydrogen sulfide elimination by wet-scrubbing on packed column and chlorine oxydation, 65th Annual Conference & Exposition Water Environment Federation, New Orleans, LA, September 20-24, 1992.