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Le décret du 27 janvier 2012 sur la réduction des pertes d'eau du réseau de distribution d'eau potable : enjeux et objectifs

30 mai 2013 Paru dans le N°362 à la page 81 ( mots)
Rédigé par : M. LAFORGUE

Le décret du 27 janvier 2012 a pour objectifs de favoriser l'efficience des réseaux de distribution, la réduction des prélèvements d'eau pour l'eau potable, la pérennité des réseaux et de la desserte en eau potable, et enfin la bonne gestion financière de ces réseaux. Ce décret, en imposant un taux objectif de rendement, va provoquer indirectement un accroissement du rythme de renouvellement des réseaux.

Pour comprendre les différents objectifs du décret n° 2012-97 du 27 janvier 2012, il faut se replacer dans le contexte actuel et les tendances d’évolution à moyen et long terme. Avec le réchauffement climatique, nous allons vers un accroissement potentiel des besoins en eau, notamment pour l’irrigation (de Lacaze, 2013), principalement du fait de la tendance à la hausse des températures et à la baisse des précipitations sur la France, particulièrement en été. Or, une baisse des précipitations signifie également une moindre recharge des nappes et des stockages en eau superficielle, notamment dans les bassins parisiens et aquitain, et sur la côte atlantique (de Lacaze, 2013). En croisant ces deux tendances (hausse des besoins et baisse des ressources disponibles), force est de constater qu’il va falloir optimiser les usages de l’eau et réduire les prélèvements, si nous souhaitons préserver les hydrosystèmes et leurs fonctions et usages associés. Certes, le principal vecteur de pertes d’eau est l’agriculture, car une bonne partie de l’eau prélevée est évapotranspirée, mais il faut que toutes les activités prélevant de l’eau sur les ressources fassent un effort de limitation. Concernant l’alimentation en eau potable, il y a une tendance à la baisse de la consommation en France, d’environ 1 % par an, et nous sommes actuellement en moyenne à 151 litres/jour/habitant (Demouliere et al., 2012). Mais il y a d’autres sources de réduction des prélèvements. Les agences de l’eau ne s’y trompent pas. À titre d’exemple, le dixième programme d’action (2013-2018) de l’agence Rhône Méditerranée et Corse multiplie par plus de deux et demi les soutiens aux économies d’eau par rapport à son précédent plan (266 millions d’euros). En ligne de mire, les réseaux d’eau potable fuyards et l’irrigation.

Les réseaux d’eau potable fuyards en ligne de mire

L’une des niches d’économie d’eau est donc la réduction des pertes sur les réseaux d’alimentation en eau potable. Actuellement, le rendement moyen des réseaux d’eau

[Photo : Fuite dans un regard.]

potable est de 76 % (Salvetti et Wittner, 2012), ce qui veut dire que 24 % des débits prélevés sont perdus sans être utilisés. La principale partie de ces pertes concerne les fuites et casses sur les réseaux de distribution.

Pour pouvoir réduire ces pertes, encore faut-il connaître les réseaux d’eau potable. Or, le niveau de connaissance de ces réseaux est insuffisant. Il y a environ 900 000 km de réseaux de distribution d'eau potable en France et leur indice de connaissance serait actuellement de 57 % (Salvetti et Wittner, 2012). C’est donc un vaste chantier qui s’ouvre.

Le premier objectif du décret du 27 janvier 2012 est donc d'imposer une connaissance des réseaux de distribution. Cette connaissance doit comporter a minima sur les installations de production et de distribution :

  • Les linéaires de canalisations,
  • L’année ou à défaut la période de pose,
  • La catégorie de l’ouvrage,
  • Des informations cartographiques,
  • Les matériaux utilisés et les diamètres des canalisations (si ces informations sont disponibles).

Ces descriptifs doivent bien évidemment être mis à jour au fur et à mesure de la réalisation des travaux. Ce que traduit cette démarche, c’est de disposer d’un historique et d’une cartographie à jour, avec en ligne de mire la possibilité d'identifier les conduites à risque et de faire une programmation optimisée du renouvellement des conduites et des recherches de fuites.

À ce titre, il y a deux façons de travailler pour réduire les pertes :

  • Faire des campagnes de recherche de fuites et être très réactif et efficace sur la détection de ces fuites et leur réparation ;
  • Anticiper sur ces fuites, en prévoyant le remplacement des tronçons les plus à risques.

Ces deux modes d’actions ne sont pas antinomiques. Ils sont complémentaires et tous les deux nécessaires. La recherche de fuite est naturelle et faite au quotidien par les exploitants. Encore faut-il la programmer correctement et des outils existent pour améliorer cette gestion (comme par exemple le produit Optiaqua). En revanche, la gestion patrimoniale est plus compliquée à mettre en œuvre car elle réclame du recul et de la mise en perspective.

[Photo : Fuite en sortie de station de pompage.]

Il faut bien comprendre également que les taux de renouvellement actuellement pratiqués en France sont insuffisants. Pour l'eau potable, le taux moyen est d’environ 0,6 % du réseau renouvelé chaque année (Salvetti et Wittner, 2012), alors que tout porte à croire qu'il faudrait plutôt le double. On peut remarquer qu'il faudrait environ 170 ans pour renouveler intégralement le réseau d’eau potable en France en restant sur ce taux de 0,6 % par an. Or, la durée de vie moyenne des conduites est en général inférieure à 170 ans. Il arrivera donc un moment où les rendements recommenceront à baisser par le simple fait que le réseau vieillissant plus vite qu'il n'est remplacé, les taux de casse et fuites augmenteront par km de réseau.

Il est donc d’autant plus crucial de bien cibler les travaux de réhabilitation, et c’est l’objet de la démarche patrimoniale de SAFEGE qui se base sur une approche multicritères (Aflak, 2012). Elle permet de fournir un classement des conduites en fonction des niveaux de priorité d’action. Cette hiérarchisation est spatialisée. Ainsi, s’il n’est pas possible de prédire quelle sera la prochaine conduite qui cassera, on peut par contre définir des facteurs de risques en fonction d'un ensemble de paramètres allant de l'état des conduites et des historiques de casses, de leurs matériaux et âges de pose, de leur environnement (sol, sous-sol, environnement urbain…), de la qualité de l’eau, des contingences hydrauliques.

(modes de fonctionnement, pression…), ou encore de l’importance de ces conduites dans leur fonction de desserte en eau (présence de redondances, population impactée en cas de casse…).

Il existe aussi des modèles de vieillissement (prévoir, casse…) qui permettent de prédire globalement à l’échelle d’un réseau les taux de casses en fonction du programme de renouvellement.

Doper les rendements des réseaux de distribution d’eau

Ces approches patrimoniales sont donc des moyens essentiels pour réduire à terme les pertes sur le réseau, et c’est la raison pour laquelle la connaissance du réseau est la première étape requise par le décret du 27 janvier 2012. Mais il ne sert à rien de connaître son réseau de distribution si l’on n’entreprend pas d’actions pour améliorer les choses ou éviter une dégradation de celui-ci. Ainsi, le décret du 27 janvier 2012 vise surtout à doper les rendements des réseaux de distribution d’eau. À cette fin, il comporte une seconde partie qui impose l’atteinte d’un rendement objectif. Ce rendement obligatoire est :

  • • Rmini1 = 85 % pour les communes les plus urbanisées ;
  • • Rmini2 = 65 % + ILC/5 pour les communes rurales (plafonné à 85 %) ;
  • • Rmini2 = 70 % + ILC/5 lorsque le service de l’eau prélève plus de 2 millions de m³/an dans une ressource classée faisant l’objet de règles de répartition (la valeur est également plafonnée à 85 %) ;
  • • ILC étant l’indice linéaire de consommation, calculé comme le volume moyen journalier consommé par les usagers et les besoins du service plus les ventes d’eau à d’autres services, exprimé en m³, divisé par le linéaire de réseaux (hors branchements) exprimé en km.

La différence qui est faite ici entre les communes urbaines et rurales tient à ce que les communes rurales ont généralement un linéaire de conduite par habitant plus élevé qu’une commune urbaine, du fait d’une densité d’habitats plus faible. Plus de linéaire par habitant conduit insensiblement à plus de pertes ramenées à la consommation, donc à un rendement plus faible. Il est donc normal de tenir compte de cette différence entre les communes, en introduisant un mécanisme d’adaptation de l’objectif de rendement qui se fait par la prise en compte de l’indice linéaire de consommation (ILC).

Lorsque l’objectif de rendement n’est pas atteint, un plan d’action doit être mis en place par la collectivité (suivi annuel du rendement et plan de programmation pluriannuelle de travaux).

Il y a deux cas de figure de non-atteinte des objectifs du décret :

  • • Le descriptif détaillé du réseau n’est pas fait pour fin 2013,
  • • La collectivité n’a pas atteint le rendement objectif à l’année N et n’a pas mis en place un programme d’actions visant cette atteinte à l’année N+2.

Ces deux cas de figure conduisent la collectivité à voir doubler son taux de redevance pour l’usage d’alimentation en eau potable. Pour lever cette majoration, la collectivité doit réaliser le descriptif et/ou établir le plan d’action requis ou atteindre le rendement objectif.

[Photo : Renouvellement de canalisations.]

Conclusion

La loi Grenelle 2 et son décret d’application du 27 janvier 2012 visent donc notamment à favoriser le développement durable, l’efficience des réseaux de distribution, la réduction des prélèvements d’eau pour l’eau potable, la pérennité des réseaux et de la desserte en eau potable, et enfin la bonne gestion financière de ces réseaux. Concernant ce dernier point, il faut bien comprendre que le décret, en imposant un taux objectif de rendement, va provoquer indirectement un accroissement des renouvellements et vise à empêcher l’effet boule de neige que l’on pourrait actuellement craindre à la lecture des chiffres. En effet, si l’on en restait aux taux actuels de renouvellement, on devrait augmenter drastiquement le prix de l’eau dans de nombreuses communes au moment où les réseaux commenceraient à devenir massivement fuyards. Le décret impose donc un lissage des dépenses qui est non seulement favorable à la réduction des prélèvements en eau sur les ressources (et donc à l’environnement) mais aussi à l’équilibre financier des services de l’eau sur le long terme.

[Encart : Références bibliographiques Aflak A., 2012. Expérience de l’évaluation multicritère de l’état de 9000 km de réseaux d’eau pour l’aide à la gestion patrimoniale. TSM n° 12, p. 63-74. Demoulin R., J. Bensaid Schamba, J. Berger, A. Aït Kaci, F. Rougier, 2012. Les services publics d’eau et d’assainissement en France. Données économiques, sociales et environnementales. Rapport FP2E/BIPE, 88 pages. De Lacaze X., 2013. Quelles stratégies d’adaptation dans le domaine de l’eau ? Projet Explore 2070. Stratégies d’adaptation au changement climatique dans le domaine de l’eau. Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 31 pages. Salvetti M., C. Wittner, 2012. Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement : panorama des services et de leurs performances. Les rapports Eaufrance. ONEMA, 83 pages.]
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