L'accroissement de la densité de la population et la multiplicité des activités industrielles sont des sujets préoccupants, dans la mesure où la qualité de la vie dépend de l’efficacité du traitement des eaux résiduaires industrielles et domestiques qui en résultent.
La protection de la santé et de l'environnement des hommes dépend donc du bon fonctionnement des stations d’épuration biologique et de leur capacité à faire face aux pollutions biodégradables d'origine industrielle et humaine.
Ces stations assurent le traitement aérobie ou anaérobie des boues, lesquelles englobent une association d’êtres vivants — les micro-organismes — dont la composition est complexe et en perpétuelle évolution. Les transformations de cette communauté — la biomasse — suivent les mécanismes de sélection naturelle des populations. Elles dépendent des capacités d’adaptation des micro-organismes aux variations de leur biotope, c’est-à-dire aux fluctuations de la composition du milieu dans lequel les bactéries naissent, vivent et meurent.
La productivité qualitative et quantitative des stations est directement liée à l'état physiologique de la biomasse. En conséquence, le pilotage d'une station biologique implique de connaître : la composition de la biomasse ; les paramètres influant sur son évolution ; le potentiel de la biomasse à un instant donné ; il faut, de plus, savoir adapter la biomasse à la destination qu’on lui donne et donc la contrôler.
Consciente du fait que la clé de l’efficacité du traitement biologique des eaux usées réside dans la connaissance de l'état de la biomasse, la société Prolabo a réalisé, en collaboration avec la Cegos, une étude des paramètres importants dont la connaissance et la maîtrise sont nécessaires aux gestionnaires des stations d’épuration biologiques, l'objectif étant de déterminer un indicateur fiable et rapide destiné à optimiser les performances du système de traitement des rejets.
Nous évoquerons quelques éléments de base permettant de situer la complexité de l’éco-système des boues, sur lesquels repose le traitement de notre pollution biologique.
COMPOSITION DES BOUES : LA BIOMASSE
Les boues se composent de matériaux minéraux, de substances organiques inertes et de la biomasse. Celle-ci forme une communauté complexe qui ne se résume pas aux bactéries, seuls micro-organismes actifs dans l’élimination de la pollution. À côté d’elles, en effet, on trouve des champignons, des algues, des protozoaires, des rotifères, des nématodes, ces trois derniers groupes intervenant comme prédateurs des bactéries. La présence — ou l’absence — de telle ou telle espèce donnera une indication précieuse sur l'état de la station, ce qui nécessite une identification réalisée par un examen visuel, macroscopique d’abord, microscopique ensuite, lequel peut être confirmé par une culture bactérienne.
Les bactéries
Elles constituent la partie la plus importante de la population de la biomasse, par leur nombre (6,6 × 10⁹ bactéries/ml). Ceci est dû à leur petite taille, qui leur confère une grande surface d’échange avec le milieu, d’où une bonne reproduction ; rappelons que le nombre de bactéries double toutes les vingt minutes dans des conditions optimales. Leur activité de dépollution est liée aux systèmes enzymatiques qu’elles renferment comme tout être vivant.
Les protozoaires
Ces micro-organismes constituent la seconde population de la biomasse (environ 5 × 10⁴ protozoaires/ml). Du fait de leur taille plus importante, ils se développent moins vite que les bactéries (avec un doublement de la population toutes les 95 minutes).
Par leur activité de prédateurs, ils constituent un excellent indicateur de l'état d'une station de traitement, comme on le voit ci-dessous :
État de la station | Protozoaires | Commentaires |
---|---|---|
Bon | Phytoflagellés | Verts. Présents dans les eaux claires car ils utilisent la lumière solaire. |
Moyen | Ciliés | En surface, en grappe ou libres et mobiles. |
Mauvais | Zooflagellés | Très mobiles. Se nourrissent des bactéries. |
Les rotifères
Ces organismes pluricellulaires sont caractéristiques d’une aération prolongée.
Les nématodes
Ces vermiformes révèlent des conditions limites à la vie aérobie.
Les champignons
Ils sont un indicateur précieux : si la station est en bon état, ils sont peu nombreux. Leur croissance est favorisée par une température basse, un pH acide (4 à 5), une faible teneur en oxygène, une forte concentration en matières organiques et un rapport carbone, azote, phosphore (C/N/P) défavorable.
Devant la complexité de la composition et des réactions de la biomasse, les gestionnaires des stations d’épuration dispo-
(1) Un C/N/P convenable correspond aux proportions : 100/5/1.
sent de moyens limités pour leur permettre de réagir rapidement en fonction de l’état de la biomasse. Ces moyens, qui se situent toujours a posteriori, sont le plus souvent liés à la compétence des techniciens.
Examen de la biomasse
Examen macroscopique
L’aspect du bassin donne des indications intéressantes :
— une eau claire est un signe de bon fonctionnement ;
— des protozoaires ciliés très mobiles, en surface, indiquent une marche normale ;
— des boues flottantes révèlent la présence de champignons (donc un fonctionnement défectueux) ;
— l’odeur elle-même est un excellent indicateur de l’état d’oxygénation de la station.
Examen microscopique
Cet examen nécessite, outre un matériel approprié, des connaissances importantes et une très grande pratique, faute de quoi les résultats obtenus risquent d’être erronés, d’où des conséquences graves.
Avec un grossissement de 100 on déterminera la densité de population ; avec des grossissements supérieurs on identifiera tout d’abord les organismes multicellulaires puis les unicellulaires.
Culture bactérienne
Il est possible de confirmer la présence de bactéries ou de préciser leur identité par culture en laboratoire, dans des milieux nutritifs appropriés ; cette technique reste toutefois du domaine du spécialiste. La confrontation des résultats obtenus par examen macroscopique et microscopique, puis par culture bactérienne permet au spécialiste de définir l’état de la station. Toutefois, cet état est précaire, la biomasse étant un milieu en perpétuelle évolution ; il importe donc de cerner rapidement les paramètres influant sur cette évolution. Quels sont donc ces paramètres si importants ?
ÉVOLUTION DE LA BIOMASSE :
LES PARAMÈTRES DE SÉLECTION
La biomasse est vivante ! Comme toute population, ses individualités naissent, vivent et meurent. Les différents micro-organismes présents tirent leur subsistance du milieu : les bactéries consomment la pollution, les protozoaires se nourrissent des bactéries... etc. Pour vivre, ils ont aussi besoin de respirer. Les variations du milieu vont donc avoir une incidence directe sur les diverses composantes de la population. Ces variations agissent comme des paramètres de sélection naturelle des micro-organismes :
— composition des eaux arrivant dans l’installation — influent — milieu nutritif ou toxique pour les bactéries ? ;
— conditions opératoires : teneur en oxygène dissous, efficacité de l’agitation, caractéristiques du débit, vitesse de retour des boues, vitesse d’élimination des boues ;
— type d’installation : filtre bactérien, boues activées...
Qu’un seul de ces termes se trouve modifié, volontairement ou non, la composition de la biomasse évoluera et des changements de productivité qualitative et quantitative de la station surviendront...
Composition de l’influent :
L’influent est l’élément nourricier de la biomasse, mais paradoxalement, s’il lui permet de vivre, il peut aussi lui donner la mort ; c’est donc l’un des paramètres fondamentaux de son évolution. Ses caractéristiques essentielles sont les suivantes :
— pH,
— teneur en carbone,
— concentration en nutriments (azote et phosphore),
— composition physique (solides en suspension),
— débit,
— température.
En contrôlant ces facteurs, on agit directement sur l’évolution de la biomasse : un pH trop acide favorisera le développement des bactéries filamenteuses avec les conséquences que l’on sait : formation d’un enchevêtrement de fils qui empêche les mouvements du bassin et provoque l’asphyxie des bactéries actives ; une teneur en carbone trop faible correspond à une nourriture insuffisante, d’où une diminution pondérale de la biomasse active (trop forte, elle induit le développement des bactéries filamenteuses). On a vu que le rapport C/N/P doit se situer autour de la valeur 100/5/1 ; si l’azote et le
phosphore se présentent en trop faibles proportions, le métabolisme des bactéries va se trouver dévié vers la production d'acide lactique, réaction consommatrice d’énergie bactérienne au bénéfice des bactéries filamenteuses. Enfin, si l'influent renferme des composés à propriétés bactéricides ou bactériostatiques, la composition et l’activité de la biomasse vont être profondément modifiées.
Les compositions qualitative et surtout quantitative de l'influent sont donc à suivre de très près, en particulier par la mesure des éléments suivants :
— carbone (par la D.C.O.),
— azote (par la méthode de Kjeldahl),
— phosphore (par colorimétrie),
— pH, température et débit,
— toxiques chimiques,
réalisée à l'aide d’appareils adaptés soit sur le terrain, soit en laboratoire.
Les résultats connus, il est possible d'intervenir par divers moyens en vue d’ajuster les postes défectueux :
— addition de nutriments azote/phosphore,
— ajout de mélasse ou de farine de poissons pour le carbone,
— élimination des solides en suspension par filtration et/ou floculation,
— ajustement du pH par ajout de base ou d’acide.
La constance de la composition de l’influent est nécessaire si l'on veut obtenir une biomasse stable ; il reste à maîtriser les conditions opératoires.
Conditions opératoires
Le problème de la composition de l’influent étant « résolu », il convient de s'intéresser aux conditions opératoires qui agissent sur l’évolution de la biomasse, à savoir :
— l'oxygénation,
— l'agitation,
— le débit,
— la température,
— la vitesse de retour des boues,
— la vitesse d’élimination des boues.
Des conditions optimisées permettront un développement régulier de la biomasse, équilibré par son évacuation dans les boues rejetées.
Une suroxygénation favorisera le développement des bactéries à croissance rapide au détriment des espèces à croissance lente, d’où une profonde évolution de la biomasse. Dans le cas envisagé, l’élimination de l’azote peut être inadéquate par la perte des bactéries nitrifiantes.
Une température trop basse pourra favoriser le développement des bactéries filamenteuses.
Une vitesse d’élimination des boues trop importante affaiblira la biomasse. Réciproquement, une vitesse de recyclage trop élevée amènera une surpopulation bactérienne dans un milieu sous-nutritif d’où résultera, dans les deux cas, une évolution de la composition et de l’activité de la biomasse au détriment du rendement du bassin d’épuration.
Le facteur le plus aisément contrôlable jusqu’ici est la teneur en oxygène dissous. L’ajustement de ce paramètre à la composition de l’influent sera, certes, une aide précieuse au maintien de la station en bon état, mais sera insuffisant pour optimiser ses performances. Les autres facteurs sont directement dépendants du pilote de la station.
Type d'installation
La composition de la biomasse est également liée au type de l'installation : ainsi un filtre biologique ou lit bactérien renfermera une biomasse variée, peu homogène : bactéries, champignons, algues, protozoaires, rotifères, nématodes ; en revanche, une installation à boues activées abritera une population bactérienne importante soit en agrégat dans la boue, soit dispersée dans la phase liquide. Associés à ces bactéries, on trouvera des protozoaires ; dans des circonstances anormales, il apparaîtra des champignons en petit nombre ; si ceux-ci deviennent dominants, le phénomène bien connu de « bulking » (ou gonflement des boues) sera observé. Les rotifères et nématodes ne sont présents qu’en faibles quantités et les algues sont normalement absentes. La biomasse d’une installation à boues activées est donc plus simple et plus homogène que celle d’un filtre bactérien.
Le type d’installation agit donc bien sur la nature de la biomasse, ce qui a une incidence directe sur la capacité de traitement d’un influent donné.
POTENTIEL DE LA BIOMASSE
On constate donc une relation étroite entre la composition de la biomasse et son activité, celle-ci se définissant comme la quantité de bactéries présentes dans la biomasse, mais cette information doit être complétée par une indication sur l'état physiologique bactérien ; l’ensemble forme le potentiel de la biomasse. En effet, il est plus important de savoir quel travail peut effectuer une biomasse donnée que de connaître sa teneur en bactéries. On retrouve ici, tout naturellement, la dualité qualité-quantité que nous avons rencontrée à chacune des étapes précédentes.
Pour mesurer l’activité bactérienne — c’est-à-dire la quantité de bactéries — de nombreuses méthodes sont proposées : turbidité, carbone et azote organiques particulaires, volume cellulaire, poids secs, protéines, ADN… Certaines sont, d’évidence, non spécifiques aux bactéries actives. Les résultats obtenus sont alors entachés d’erreur du fait de la présence de détritus organiques ou minéraux en suspension.
D’autres, plus spécifiques mais incomplètes, se réfèrent à des entités biochimiques persistant après la mort des bactéries : ADN, protéines, carbone et azote ; aussi, pour que dans une station d’épuration, la mesure soit fiable et opération-
nelle, il est nécessaire que l'entité biochimique déterminée réponde aux critères suivants :
- sa teneur dans l’échantillon doit être proportionnelle au nombre des bactéries ;
- sa densité doit être relativement constante dans des conditions de vie définies ;
- sa persistance après la mort de la bactérie doit être de courte durée ;
- elle doit être dosable par une méthode simple, sensible et spécifique.
Ces caractéristiques ont conduit à retenir l’Adénosine Triphosphate ou ATP, métabolite de tous les êtres vivants. Il faut noter que son extraction sélective à partir des corps bactériens permet de distinguer l’ATP bactérien de celui de la biomasse.
Les études réalisées sur ce biocomposé présent dans les eaux ont permis d’établir qu’il constitue un indicateur précieux pour l’étude en discontinu de l’action des paramètres divers : addition de substrats, de toxiques, oxygénation et cela quel que soit le type d’installation.
Toutefois, la seule détermination de l’ATP ne donne d’indication que sur la teneur en bactéries ; il reste à en définir l’état physiologique. Ceci est possible grâce aux transformations naturelles de l’ATP, biocomposé extrêmement fragile qui fait partie d’un ensemble de nucléotides adényliques dont deux autres éléments sont l’Adénosine Diphosphate (ou ADP) et l’Adénosine Monophosphate (ou AMP). Il a été montré que le rapport entre ces trois dérivés est fonction de l’état physiologique du milieu vivant. On dispose ainsi d’une mesure réelle du potentiel d’activité de la biomasse.
Le dosage de ces trois nucléotides s’effectue spécifiquement par voie enzymatique selon la méthode de l’étalonnage interne, la mesure étant réalisée par bioluminescence, c’est-à-dire par détermination de la quantité de lumière émise au cours de la réaction enzymatique finale. Cette technique d’avant-garde simple, rapide et élégante reste, aujourd’hui encore, du domaine du laboratoire spécialisé ; toutefois, les progrès sont rapides et l’on peut raisonnablement penser que les responsables des stations biologiques disposeront bientôt de l’outil qu’ils attendent afin de compléter valablement la panoplie dont ils disposent déjà pour piloter leur station d’épuration.
CONTROLE DE LA BIOMASSE
Dans les paragraphes précédents nous avons vu tout l’intérêt que présente la connaissance de l’évolution et du potentiel de la biomasse, la population bactérienne de cette dernière, très fragile, étant le véritable centre de dépollution de la station.
La connaissance rapide de l’état de santé de la biomasse par la mesure conjointe de l’ATP/ADP/AMP permettra de réguler l’activité de la biomasse et d’intervenir au moment opportun sur des problèmes spécifiques, domaine dans lequel la contribution des biotechnologies est un apport important.
Des biomasses « synthétiques » ont été mises au point et sont aujourd’hui disponibles. Elles sont constituées de nutriments spéciaux et de bactéries mutées, spécifiquement adaptées pour combattre des pollutions particulières : corps gras, phénols, polyaromatiques, fibres cellulosiques, filamenteuses, odeurs, etc.
Ainsi la biomasse synthétique va venir aider la biomasse naturelle d’une station. Elle se développe rapidement et permet de rétablir rapidement des conditions de marche normales en améliorant la productivité et la qualité des rejets. Toutefois la biomasse synthétique va se trouver bientôt sous l’influence des paramètres de sélection naturelle et évoluer elle aussi.
Outre cet aspect de dépannage, une biomasse synthétique, seule ou mélangée, facilite le démarrage ou le redémarrage des stations par simple ensemencement, le choix de la biomasse s’effectuant en fonction de la nature de l’influent. Son avantage majeur est l’adaptation de la réponse biologique aux besoins, le dosage de l’ATP/ADP/AMP donnant une indication précise sur l’état de la biomasse et sa réaction au milieu.
CONCLUSION
Voici, brossé à grands traits, un tableau d’ensemble du rôle de la biomasse, de sa connaissance et de sa maîtrise nécessaire dans les stations d’épuration biologique.
Il en ressort qu’il est important de porter son attention sur les points suivants :
- connaître sa composition ;
- savoir agir sur les paramètres de sélection naturelle ;
- déterminer son potentiel ;
- la contrôler efficacement.
Ces éléments sont difficiles à déterminer et souvent longs à définir. C’est pour accélérer et rationaliser leur connaissance que Prolabo a choisi un axe de recherches qui, à terme, mettra à la disposition des gestionnaires des stations d’épuration biologique un indicateur précis et rapidement obtenu comme la teneur en ATP, ADP, AMP.
Ce contrôle supplémentaire, représentatif du potentiel des bactéries, permettra de mieux maîtriser les réactions de la biomasse et, par conséquent, d’abaisser le coût d’exploitation des stations, de mieux maîtriser les risques dus aux effluents industriels, de rentabiliser les investissements, d’améliorer la qualité et la quantité des rejets et par là-même la qualité de notre cadre de vie.