À l'inverse des techniques d’épuration qui ont d’une manière générale pour but d'éliminer de l'eau certaines matières ou composantes indésirables, le CONDITIONNEMENT consiste en la correction chimique de l’eau par addition de réactifs appropriés, de façon à corriger l'effet défavorable de certaines substances et à lui conférer des propriétés nouvelles adaptées à sa destination.
Dans le cas de l’eau d’alimentation des générateurs de vapeur, qui subit généralement une épuration préalable plus ou moins poussée, l'expérience prouve que, quelles que soient la complexité des installations de traitement et la qualité des résultats qui peuvent en être théoriquement obtenus, il reste nécessaire d’exercer une action complémentaire, de façon à suppléer aux défaillances de l’épuration et compléter les résultats atteints par celle-ci : tel est le rôle du conditionnement.
RAPPEL DES INCIDENTS POUVANT SURVENIR DANS LE FONCTIONNEMENT DES GÉNÉRATEURS DE VAPEUR
1. Phénomènes résultant du chauffage et de la vaporisation de l’eau
L’eau d’alimentation d’une chaudière est généralement constituée par une proportion variable d’eau neuve, plus ou moins épurée, dite eau d’appoint, et de vapeur condensée récupérée, dite eau de retour. Lorsque cette eau, qui contient donc, en général, des sels et des gaz dissous, est chauffée jusqu’à vaporisation à la pression du générateur, différents phénomènes d’ordre physique et chimique se produisent :
- - la solubilité des gaz dissous diminue et tend à s’annuler, la chaudière fonctionnant comme un dégazeur. La quasi-totalité de l’oxygène et du gaz carbonique libre ou libéré se trouve entraînée dans la vapeur ;
- - les bicarbonates sont dissociés en carbonates et gaz carbonique :
Ca(HCO₃)₂ → CaCO₃ + CO₂ + H₂O 2NaHCO₃ → Na₂CO₃ + CO₂ + H₂O
Alors que le carbonate de sodium est soluble, le carbonate de calcium est très peu soluble, et donne donc une phase solide.
Le carbonate de sodium lui-même est plus ou moins hydrolysé, suivant la pression et donc la température, en soude caustique et gaz carbonique (fig. 1) :
Na₂CO₃ + H₂O ↔ 2NaOH + CO₂
Les sels de magnésium sont à leur tour insolubilisés par la soude ainsi libérée, sous forme de magnésie hydratée très peu soluble, donnant naissance à la brucite (MgO) :
Mg²⁺ + 2NaOH → MgO + 2Na⁺ + H₂O
- - la solubilité des différents sels est modifiée en fonction de la température. Si, d’une manière générale, cette solubilité se trouve augmentée sous l'effet de l’élévation de température, certains composés voient au contraire leur solubilité diminuer (coefficient de solubilité négatif) ; c’est le cas en particulier de certains sels alcalino-terreux, tels que le carbonate et le sulfate de calcium, l’hydroxyde de magnésium, pour ne citer que les principaux.
Il est d’ailleurs à noter que, en raison notamment de changements dans la nature des formes cristallines stables, l’on peut observer, pour un même sel, une variation importante du niveau de solubilité ou même une inversion du coefficient de solubilité, suivant les zones de températures considérées (voir courbe fig. 2).
Or, la concentration de tous sels augmente sous l’effet de la vaporisation d’une partie de l’eau, puisque telle est la mission du générateur : produire de la vapeur. La salinité de l'eau en vaporisation augmenterait ainsi
indéfiniment si l’on ne pratiquait une purge de déconcentration, qui limite cette salinité à une certaine valeur, fonction de différents paramètres (type de chaudière, pression de fonctionnement, etc.).
L’on perçoit ainsi nettement les conséquences des différents phénomènes physico-chimiques intervenant lors de l’évaporation partielle de l’eau dans un générateur :
- — sous l’influence combinée de l’augmentation de la concentration des sels et de la température, le produit de solubilité de certains sels peu solubles peut être dépassé, amenant ainsi leur précipitation hors de la solution. Selon leur nature et leurs conditions de formation, les précipités ainsi formés peuvent rester en suspension ou, au contraire, adhérer aux parois froides ou chaudes et donner lieu à un entartrage plus ou moins grave ;
- — les gaz dissous, en particulier l’oxygène et le gaz carbonique (l’azote étant chimiquement inerte dans ces conditions), sont dégagés en presque totalité avec la vapeur et donnent lieu à des corrosions dans le réseau vapeur lors de la condensation de celle-ci, en se redissolvant partiellement dans la phase liquide. Dans la chaudière elle-même, l’oxygène non éliminé et entraîné dans la circulation peut donner lieu à des corrosions, d’autres facteurs pouvant intervenir dans le phénomène d’attaque du métal, ainsi que nous le verrons ultérieurement ;
- — enfin, lors du dégagement de la vapeur, celle-ci entraîne une quantité plus ou moins importante de vésicules d’eau saline, ce phénomène pouvant être défini par le vocable général de primage.
Avant d’aborder le thème proprement dit du conditionnement, il nous paraît judicieux de détailler quelque peu ces trois catégories d’incidents, dont les conséquences varient considérablement d’un cas à l’autre, puis de passer rapidement en revue les divers procédés d’épuration.
2. L’entartrage
Il a été vu précédemment comment la précipitation des sels peu solubles pouvait survenir en chaudière.
L’entartrage concerne la précipitation cristalline directement sur les surfaces métalliques, avec formation d’incrustations adhérentes, compactes et dures (tartres).
Il se produit le plus souvent sur les surfaces chaudes, et il est alors le fait de composés à coefficient de solubilité négatif, tels que certains sels alcalino-terreux (sulfate et carbonate de calcium), ou dû à une précipitation de silice, par hydrolyse des silicates, du fait d’une insuffisance d’alcalinité ou d’une trop forte concentration en silice.Le film liquide au contact de la paroi chaude est en effet plus chaud que la masse d’eau en circulation, et c’est donc sur la paroi que la saturation sera atteinte en premier lieu avec ce type de composés. Il va de soi que, ces parois ayant pour mission de transmettre les calories, l’entartrage a des conséquences néfastes quant à la transmission de la chaleur, les dépôts étant caractérisés par une conductibilité thermique variable, mais bien inférieure à celle de l’acier.
CONDUCTIBILITÉS THERMIQUES COMPARÉESDE DIVERS DÉPÔTS ET MATÉRIAUX
Phosphate de calcium ............. | 25 |
Sulfate de calcium ................ | 16 |
Phosphate de magnésium .......... | 15 |
Silicate complexe d’aluminium ..... | 9 |
Tartre silicieux .................... | 0,6 |
Acier de chaudière ............... | 310 |
Brique réfractaire ................. | 7 |
La plus grave de ces conséquences est bien entendu la surchauffe locale, pouvant conduire à des éclatements de tubes, du fait de la diminution des caractéristiques mécaniques du métal. Mais on peut citer également, en cette période de crise de l’énergie, la diminution du rendement calorifique, qui se traduit par une surconsommation de combustible, pouvant atteindre 5 à 10 %.
Avec les chaudières modernes à vaporisation très rapide, il est possible de voir certains sels à coefficient de solubilité positif devenir entartrants. En effet, du fait de l’évaporation intense, le film liquide au contact des parois a une salinité beaucoup plus élevée que la masse d’eau de chaudière, et le point de saturation peut alors être atteint.
Un entartrage du système alimentaire de la chaudière peut également se produire, notamment en cas d’existence d’un économiseur, les conséquences étant ici moins graves.
3. Les corrosions
Il faut ici distinguer deux aspects fort différents de ces corrosions : celles qui se produisent dans la chaudière elle-même, et celles qui affectent le réseau de vapeur et de retour d'eau condensée.
a) Dans la chaudière proprement dite, les facteurs de corrosion sont nombreux, mais les principaux sont incontestablement l’eau elle-même, l’oxygène dissous, et à un degré moindre, la soude caustique :
a) L’eau attaque les métaux ferreux en raison de l'absence, sur le plan thermodynamique, de domaine commun de stabilité. Ainsi, l'eau pure désaérée attaque lentement le fer à la température ambiante (réaction 1). Aux températures plus élevées, telles que celles rencontrées dans les générateurs de vapeur, l’attaque s’accélérerait par l’augmentation de la dissociation des molécules d’eau, s'il n'y avait une autre réaction débutant à 100 °C et dont l’effet s'oppose au précédent, puisqu’elle conduit à la formation de magnétite protectrice (réaction 2) :
(1) Fe + 2H₂O → Fe(OH)₂ + H₂ (2) 3Fe + 4H₂O → Fe₃O₄ + 2H₂ ou 3Fe(OH)₂ → Fe₃O₄ + H₂ + 2H₂O
La première réaction, qui résulte de deux mécanismes :
— l'un anodique : Fe → Fe²⁺ + 2e⁻ — l'autre cathodique : 2H⁺ + 2e⁻ → H₂ (2H₂O = 2H⁺ + 2OH⁻)
est fortement tributaire du pH, alors que la seconde dépend essentiellement de la température. C'est la raison pour laquelle on maintient un pH nettement alcalin dans les chaudières, et ce d’autant plus que la pression est plus faible. Il faut également signaler un type particulier d’attaque du fer par l'eau, qui se produit à température beaucoup plus élevée, lorsque le métal est surchauffé du fait de la présence de tartre poreux, ou en cas de circulation insuffisante pour assurer un refroidissement normal ; il se produit alors une décomposition de la vapeur d’eau en ses éléments, l’oxygène naissant se combinant immédiatement au fer ;
b) L’oxygène dissous, d’une manière générale, exerce une action très néfaste lors de la corrosion du fer par l’eau. Le mécanisme électrochimique prépondérant de cette corrosion est d’ailleurs modifié, le processus cathodique étant ici :
½ O₂ + H₂O + 2e⁻ → 2OH⁻
engendrant la réaction globale :
Fe + ½ O₂ + H₂O → Fe(OH)₂
Par sa capacité à oxyder l’hydrate ferreux en oxyde ferrique hydraté très peu soluble, il dépolarise les piles de corrosion, et entretient donc l’attaque.
En outre et surtout, il donne lieu au phénomène bien connu de corrosion par aération différentielle, avec formation de pustules sous lesquelles la corrosion est active, puisque selon ce processus, c’est la zone la moins aérée qui est anodique et donc attaquée.
Enfin, il perturbe la réaction 2 de formation de magnétite protectrice, comme indiqué précédemment.
Dans le cas précis des chaudières en activité, la quantité d’oxygène subsistant dans l'eau en vaporisation ne peut être que faible, car la plus grande partie en est dégazée et entraînée avec la vapeur.
Mais l’expérience montre que ces faibles quantités d’oxygène sont susceptibles de donner lieu à de sévères corrosions, notamment à moyenne et haute pression, corrosions d’autant plus dangereuses qu’elles sont localisées.
On comprend dès lors aisément l'importance de la désoxygénation de l'eau alimentaire des chaudières, cette élimination étant de plus en plus cruciale au fur et à mesure que s’élève la pression de fonctionnement du générateur ;
c) La soude caustique, dont la présence en faible quantité est généralement bénéfique (fixation du pH dans une zone légèrement alcaline), peut donner lieu à un phénomène de corrosion particulier, appelé fragilisation caustique ou « caustic cracking », lorsqu’elle se trouve présente en concentration très importante, de l'ordre de 5 à 10 %.
Ce phénomène est en net recul avec les chaudières modernes, dont le mode de construction soudée ne permet plus la formation de telles concentrations locales en NaOH, et nous ne le détaillerons pas ici.
Dans le réseau de vapeur et de retour d’eau condensée, la corrosion est due essentiellement à l'oxygène et au gaz carbonique.
La présence de ces gaz dans la vapeur a été explicitée précédemment, et leurs méfaits à ce niveau se produisent dès qu’une phase liquide, par condensation de la vapeur, apparaît.
L'action de l'oxygène, dont le mécanisme est identique à celui décrit lors des corrosions en chaudière, est ici aggravée par la présence d’anhydride carbonique.
En effet, lors de la condensation, une partie du CO₂ se dissout dans la phase liquide en se transformant en acide carbonique H₂CO₃, qui se dissocie avec libération d’ions H⁺, produisant une baisse de pH et, bien entendu, des conditions plus corrosives :
En l'absence d’oxygène, l’attaque acide par le gaz carbonique est relativement uniforme et se traduit par un amincissement du métal. En présence d’oxygène, le processus global se traduit plutôt par une accentuation de l’action de l’oxygène dissous et donc une aggravation nette des corrosions localisées, l’acidité carbonique agissant comme un dépolarisant des piles électrochimiques de corrosion.
Remarque importante : Corrosions en période d’arrêt
De nombreuses chaufferies ne sont pas exploitées en continu. Certaines installations sont arrêtées durant le week-end, d'autres ne fonctionnent que durant la journée, d’autres enfin sont mises en arrêt pour des périodes plus longues, de plusieurs mois parfois.
Si toutes les précautions ne sont pas prises, l'oxygène pouvant être présent dans l’eau emprisonnée, ou y pénétrant ultérieurement pendant l’arrêt, est susceptible de provoquer des attaques extrêmement localisées, et donc particulièrement dangereuses, favorisées par l’état de stagnation relatif de l'eau par rapport aux surfaces métalliques.
On peut estimer qu’une proportion importante des corrosions en chaudières se produit, ou du moins s’amorce, durant ces périodes de non-fonctionnement.
4 Le « primage »
La contamination de la vapeur par l'eau de chaudière peut en fait s’effectuer selon plusieurs mécanismes :
- Le processus le plus courant est la formation de mousse au plan d’eau de la chaudière. Cette mousse occupe le plus souvent un grand volume, le plan d’eau étant en quelque sorte « expansé », jusqu’à venir baigner les organes séparateurs de vapeur, d’où un entraînement d’eau important ;
- L’entraînement d'eau est caractérisé par le passage soudain de quantités plus ou moins importantes d’eau de chaudière dans la vapeur, le plus souvent lors d’appels brusques de vapeur ;
- Enfin, le primage proprement dit est dû à l’éclatement des bulles de vapeur lorsqu’elles atteignent le plan d'eau, après avoir traversé la masse liquide. La pollution de la vapeur est ici régulière, et d'autant plus faible que le système séparateur de vapeur est efficace.
De très nombreux paramètres interviennent lors de l'établissement de ces différentes formes d’entraînement d’eau, liés à la fois aux caractéristiques de la chaudière et à celles de l'eau en vaporisation (salinité, présence de particules en suspension, de tensio-actifs, etc.).
Les inconvénients du primage sont très variables suivant les installations, mais on peut dire qu’ils deviennent graves lorsque la vapeur doit être surchauffée ou alimenter des turbines en vue de produire de la force motrice.
Remarque :
Bien qu'il ne s’agisse pas à proprement parler de primage, il faut signaler ici un cas particulier de contamination de la vapeur par des composés ayant une certaine solubilité dans la vapeur d’eau, bien que pratiquement non volatils.
Ce phénomène n’est sensible qu’aux pressions élevées, et concerne principalement la silice. Celle-ci peut ensuite, lors de la détente et du refroidissement dans les étages inférieurs de la turbine, le cas échéant, s’y déposer sous forme de dépôts siliceux, et y provoquer des incidents pouvant être graves. C’est la raison pour laquelle la teneur en SiO₂ des eaux de chaudières haute pression doit être maintenue à un niveau particulièrement bas, au prix d’une épuration poussée.
PROCÉDÉS D’ÉPURATION
Telle qu'elle est disponible dans la nature, l'eau ne peut pas être admise directement en chaudière ; elle doit au préalable subir des opérations d’épuration et de conditionnement. Le choix du type d’épuration et des réactifs de conditionnement à mettre en œuvre dépend essentiellement de la qualité de l'eau disponible, du type de chaudière et des préconisations du constructeur, de la destination de la vapeur.
Rappelons rapidement les principaux procédés d’épuration :
1. L’adoucissement
Ce procédé permet de remplacer les ions alcalino-terreux de l'eau par des ions sodium, par passage sur échangeur d’ions ; on utilise une résine cationique forte, mise sous forme Na :
Ca(HCO₃)₂ + 2RNa ➔ R₂Ca + 2NaHCO₃ CaSO₄ + 2RNa ➔ R₂Ca + Na₂SO₄
R symbolisant la structure de la résine échangeuse d'ions.
L'adoucissement permet d’obtenir un titre hydrotimétrique (TH) voisin de zéro, les autres titres de l'eau n’étant pas affectés.
2. La décarbonatation à la chaux
Ce traitement permet d’éliminer les bicarbonates alcalino-terreux, la dureté temporaire et le gaz carbonique dissous par réaction avec la chaux :
Ca(HCO₃)₂ + Ca(OH)₂ ➔ 2CaCO₃ + 2H₂O Mg(HCO₃)₂ + 2Ca(OH)₂ ➔ 2CaCO₃ + Mg(OH)₂ + 2H₂O CO₂ + Ca(OH)₂ ➔ CaCO₃ + H₂O
L'eau ainsi traitée voit son TAC et son TH baisser et son pH monter.
Des traitements complémentaires sont susceptibles d’éliminer la dureté permanente et une partie de la silice.
Au cours de la décantation des boues formées, les matières en suspension et une partie des matières organiques présentes dans l’eau sont éliminées.
3. La décarbonatation sur résine carboxylique
On utilise dans ce cas une résine cationique faible, mise sous forme H :
Ca(HCO₃)₂ + 2RCOOH ➔ (RCOO)₂Ca + 2CO₂ + 2H₂O Mg(HCO₃)₂ + 2RCOOH ➔ (RCOO)₂Mg + 2CO₂ + 2H₂O NaHCO₃ + RCOOH ➔ RCOONa + CO₂ + H₂O
Ce procédé permet l’élimination du TAC et de la dureté temporaire, mais conduit à la formation de quantités importantes de gaz carbonique, nécessitant l'emploi d’un éliminateur de CO₂. À la sortie de cet appareil, l'eau est saturée en oxygène, et a un pH acide en début de cycle.
Un adoucissement complémentaire peut retenir la dureté permanente.
4. La déminéralisation
Le chaînage le plus simple comprend deux échangeurs d’ions ; l'eau passe successivement sur une résine cationique forte, mise sous forme H, et une résine anionique faiblement basique, mise sous forme OH :
— Échangeur de cations :
Ca(HCO₃)₂ + 2RH ➔ R₂Ca + 2CO₂ + 2H₂O CaSO₄ + 2RH ➔ R₂Ca + H₂SO₄ NaCl + RH ➔ RNa + HCl
— Échangeur d’anions :
H₂SO₄ + 2ROH ➔ R₂SO₄ + 2H₂O HCl + ROH ➔ RCl + H₂O
L’eau ainsi obtenue est à TH, TAC et SAF nuls ; le pH obtenu est proche de la neutralité ; les teneurs en silice et en oxygène n’ont pas été modifiées.
Par déminéralisation totale, il est possible d’éliminer tous les ions contenus dans l’eau, y compris la silice et le gaz carbonique ; seul l'oxygène n’est pas retenu. Cette élimination de la silice de l'eau d’appoint est particulièrement importante, comme on l’a vu précédemment, dans le cas de chaudières moyenne et haute pressions, ayant des turbines sur le réseau vapeur.
De nombreux chaînages sont possibles ; les types de résines échangeuses d’ions à mettre en œuvre et le chaînage dépendent de la qualité de l'eau disponible et des résultats visés.
Cf + CF > CO₂ + Af + LM Cf + CF > Af + CO₂ > AF + LM
Cf = cation faible (résine carboxylique) CF = cation fort CO₂ = éliminateur de CO₂ Af = anion faible AF = anion fort LM = lit mélangé (1/3 CF + 2/3 AF)
La déminéralisation est habituellement suivie d'un dégazage thermique.
5. Le dégazage thermique
Ce traitement permet d’éliminer la plus grande partie de l'oxygène dissous.
L’eau est pulvérisée dans un courant de vapeur, qui la porte à 102 – 105 °C, température correspondant au minimum de solubilité de l’oxygène ; à la sortie du dégazeur, la teneur résiduelle est inférieure ou égale à 10 microgrammes.
LE TRAITEMENT INTERNE
Dans ce cas, l'eau est admise sans épuration préalable dans la chaudière, qui joue à la fois le rôle de générateur et d’appareil d’épuration, la précipitation des sels alcalino-terreux sous forme de boues étant généralement obtenue par l'apport de réactifs alcalinisants ou phosphatants.
Le traitement interne n’est envisageable que pour certains types de chaudières — on se limite généralement aux chaudières à tubes de fumée — travaillant à des pressions inférieures à 15 bars, en adaptant le taux de concentration aux caractéristiques physico-chimiques de l’eau et aux valeurs prescrites par le constructeur de la chaudière. Il est impératif que le système d’extraction permette l’élimination des boues formées dans le générateur ; il est souhaitable également que la chaudière soit aisément visitable et que tous les points de la surface de chauffe soient accessibles à la lance.
Les réactifs de conditionnement utilisés en traitement interne ont pour rôle :
— empêcher la précipitation de sels incrustants dans le réseau alimentaire,
— favoriser ces précipitations en chaudière sous forme de boues fluides, dispersées, facilement éliminables par les purges,
— passiver les surfaces métalliques,
— si besoin est, relever le pH de l'eau en vaporisation, pour limiter la vitesse de corrosion et favoriser la formation de magnétite,
— réduire les effets de l’oxygène contenu dans l'eau alimentaire, afin de limiter les risques de corrosion,
— neutraliser l'action du gaz carbonique dans le réseau des condensats,
— supprimer le primage.
CONDITIONNEMENT DE L’EAU D’ALIMENTATION DES CHAUDIÈRES
L'addition de réactifs de conditionnement a pour but d’amener les paramètres essentiels de l'eau aux valeurs prescrites par le constructeur du générateur de vapeur, à l'alimentation et dans la chaudière, en tenant compte de la qualité et de la quantité d’appoint, de retours, et de l'utilisation de la vapeur, de façon à protéger l’ensemble de l'installation des méfaits détaillés précédemment.
Le point d’injection est choisi de manière à permettre des réactions chimiques totales avant l’admission de l'eau en chaudière.
1. Traitement alcalinisant
Il permet de se placer dans les conditions les moins corrosives, à la fois sur le réseau alimentaire et en chaudière, et de conserver la silice à l'état soluble ; les valeurs de pH et les titres alcalimétriques à maintenir dépendent de la pression de fonctionnement du générateur.
Pour atteindre ces résultats, différentes substances chimiques peuvent être utilisées : carbonate de soude, soude, phosphates alcalins, etc., les premiers étant réservés aux chaudières basse et moyenne pressions.
Le conditionnement alcalinisant doit naturellement tenir compte de l’hydrolyse du carbonate de sodium en soude libre, qui, comme cela a été vu précédemment, augmente avec la pression, et l’excès en hydroxydes libres doit être rigoureusement suivi pour les chaudières à moyenne et surtout haute pression.
Aux très hautes pressions, l’alcalinité propre de certaines amines et de l’ammoniaque est généralement mise à profit.
2. Traitement phosphatant
Le maintien en chaudière d’un léger excès d'ions phosphates est destiné à favoriser la passivation des surfaces métalliques et à précipiter les traces de dureté sous forme de phosphate tricalcique ou trimagnésien, nettement moins incrustants et isolants que les tartres carbonatés ou silicatés correspondants.
Selon le type de réactifs utilisé, il est possible de contrôler les traces de dureté dans le réseau alimentaire, surtout lors d’emploi de réchauffeurs ou d’économiseurs, tout en agissant sur l’alcalinité en chaudière.
Dans ce but, l’action des différents phosphates alcalins (mono, di ou trisodique) est généralement complétée par l'addition de produits séquestrants et surtout d’agents dispersants.
3. Traitement réducteur
Nous avons vu que l’oxygène est l’un des principaux responsables de la corrosion, donc redouté dans les réseaux de condensats. L’addition de réactifs réducteurs est nécessaire pour éliminer l’oxygène avant son entrée dans le générateur de vapeur ; les plus utilisés sont les sulfites alcalins et l’hydrazine.
a) Avec les sulfites, la réaction s’écrit :
Na₂SO₃ + ½ O₂ → Na₂SO₄
La vitesse de cette réaction dépend de nombreux facteurs : excès de réducteur, température, pH, salinité de l’eau, etc.
Les traiteurs d’eau proposent généralement des sulfites catalysés qui permettent d’obtenir une vitesse de réaction très rapide.
b) Contrairement aux sulfites, l’hydrazine n’apporte pas de salinité à l’eau traitée :
N₂H₄ + ½ O₂ → N₂ + 2 H₂O
La réaction, plus lente qu’avec les sulfites, dépend également de l’excès d’hydrazine, de la température, du pH, etc.
Des formulations catalysées sont proposées sur le marché.
Étant donné sa plus faible réactivité et son coût élevé, elle est habituellement réservée aux chaudières moyenne et haute pression, en complément du dégazage thermique.
4. Traitement antiprimage
Pour prévenir le primage, il est nécessaire d’obtenir un régime de fonctionnement régulier de la chaudière. Or, dès qu’une demande brutale de vapeur intervient, l’exploitation se fait à des pressions momentanément inférieures à la pression prévue par le constructeur.
Pour lutter contre un primage essentiellement d’origine chimique, il convient de limiter la salinité et l’alcalinité de la chaudière, d’éviter toute entrée d’huiles, de matières grasses, de matières organiques, conduisant à des réactions de saponification dans le générateur de vapeur.
L’emploi de réactifs antiprimage, généralement de type polyamide, en réduisant la tension interfaciale, permet l’obtention d’une vapeur plus pure et autorise le maintien d’une concentration plus élevée en chaudière, se traduisant par des économies d’eau, de combustible et de réactifs de conditionnement.
6. Traitement filmogène
Des réactifs, de type polyamines, peuvent remplacer les produits ou procédés chimiques évoqués lors des traitements précédents ; en effet, leur emploi consiste, non plus à traiter l’eau, mais à protéger les surfaces des installations. Ces polyamines, de haut poids moléculaire, ayant une forte affinité pour les surfaces métalliques, y forment un film protecteur.
CONDITIONNEMENT DE LA VAPEUR
Comme nous l’avons vu précédemment, les corrosions dans les circuits de vapeur condensé sont dues essentiellement à la présence d’oxygène et de gaz carbonique : alors que la vapeur reste sèche, ces gaz n’ont pas d’action corrosive.
La vapeur condensée, acidifiée par l’anhydride carbonique, dissout la surface métallique avec laquelle elle est en contact ; en l’absence d’oxygène, il s’agit d’une corrosion acide généralisée.
L’oxygène accélère cette corrosion par dépolarisation, cette action étant particulièrement marquée à l’interface vapeur-condensats.
Pour limiter ces corrosions, il convient de réduire les quantités d’oxygène et de gaz carbonique apportées dans la vapeur.
Le gaz carbonique provient essentiellement de la décomposition des bicarbonates et de l’hydrolyse du carbonate de soude en chaudière.
La protection contre la corrosion par le gaz carbonique dans les réseaux condensats peut être obtenue de deux façons :
- • par l’emploi d’amines volatiles neutralisantes : ces réactifs neutralisent l’acide carbonique dans les condensats par formation de bicarbonates ou carbonates d’amines :
R – NH₂ + H₂CO₃ → R – NH₃HCO₃ + H₂O R – NH₂ + R – NH₃HCO₃ → (R – NH₃)₂CO₃ + H₂O
Ces amines entraînées à la vapeur sont choisies en fonction de leur pouvoir alcalinisant, de leur coefficient de partage eau-vapeur et de leur comportement à l’égard des métaux cuivreux.
La quantité d’amines à mettre en œuvre est directement liée à la quantité de
gaz carbonique formé ; utilisées seules, les amines neutralisantes sont sans action sur les corrosions provoquées par l’oxygène ;
— par les amines filmantes :
ces amines, insolubles, forment à la surface du métal un film hydrophobe empêchant tout contact condensats-métal.
La quantité d’amines à mettre en œuvre est liée à la surface à protéger mais indépendante des quantités d’oxygène et de gaz carbonique présentes.
Le dosage est ajusté de façon à permettre une vitesse de formation du film suffisamment rapide pour éviter toute action chimique sur la paroi en cas de détérioration du film protecteur.
Remarque : en industrie alimentaire, lorsque la vapeur entre en contact avec les produits, en cours de fabrication, l'emploi de réactifs volatils est proscrit.
PROTECTION DES CHAUDIÈRES À L’ARRÊT
C'est souvent lors des périodes d’arrêt que les chaudières subissent les plus graves dommages dus à la corrosion.
Lorsque l’arrêt est prévu pour une longue durée, il est préférable de conserver la chaudière vide, sèche, en évitant toute entrée d’humidité par l'emploi de réactifs déshydratants.
Pour des arrêts plus courts, la chaudière peut être conservée pleine d’eau en assurant son plein total, en limitant les entrées d’air, après avoir vérifié la propreté des surfaces de chauffe (absence de tout dépôt qui pourrait être à l’origine de corrosion par aération différentielle) et s’être placé en milieu nettement réducteur et alcalin.
CONTRÔLES
Il est surprenant de constater avec quelle négligence la chaufferie est encore traitée dans certaines usines.
Or, il suffit parfois d’un arrêt de chaudière pour que cesse rapidement toute l’activité de l'usine, entraînant des pertes considérables sans commune mesure avec le coût d'une surveillance raisonnable.
L'expérience a prouvé que, quel que soit le type de traitement adopté, sa constance (réajustement en fonction de contrôles réguliers) est déterminante de l’efficacité de la protection ; les fluctuations possibles des caractéristiques de l’eau d’appoint exigent des modifications de dosage. La tenue de cahiers d’exploitation est un outil précieux.
Les contrôles à effectuer, leurs fréquences, les valeurs à respecter et les mesures de correction à apporter en cas d'anomalie sont précisés, selon chaque type d’installation, par le traiteur d’eau.
J. FOYEN — J.-P. ROCQ.