La nouvelle politique tarifaire d’E.D.F. a pour but, entre autres, d’inciter les industriels à adapter leur consommation aux disponibilités ; le prix de l’électricité est basé sur le type de centrales utilisé pour assurer la production à un moment donné. La tarification correspondant à une production essentiellement d’origine nucléaire pendant « l’été » (avril à octobre inclus), et surtout le « plein été » (juillet et août), période particulièrement attractive, rend l’utilisation de l’énergie électrique compétitive pour la production directe de vapeur. C’est pourquoi les chaudières électriques, dont celles à jets multiples, connaissent un développement important depuis 1984.
Le principe de fonctionnement de ce type de générateur a déjà été abondamment décrit ; pour une meilleure compréhension, nous le rappellerons succinctement (figure 1) : un courant électrique passe dans un jet d’eau où l’eau conductrice, se comportant comme une résistance, se trouve partiellement vaporisée par effet Joule. En pratique, une colonne, comportant de nombreuses buses, est située dans l’axe de la chaudière. L’eau, prise à la base de celle-ci par une pompe de circulation, passe à travers ces buses, d’où elle ressort sous forme de jets projetés sur les électrodes à la base desquelles un dispositif permet de former de nouveaux jets vers les contre-électrodes.
La colonne centrale et les contre-électrodes sont reliées au neutre, tandis que les électrodes reliées aux phases sont portées selon les constructeurs à une tension variant de 13,2 à 20 kV.
La résistance est constituée d’une part par les jets d’eau circulant entre la colonne centrale et les électrodes et d’autre part par les jets allant des électrodes aux contre-électrodes.
La vaporisation représente 3 à 4 % du débit d’eau en circulation. La variation de puissance est obtenue en agissant sur le nombre de jets, soit en masquant un certain nombre de buses de la colonne centrale (Sulzer, Parent), soit en faisant varier le débit d’eau admis dans la colonne centrale (Stein).
PARTICULARITÉS DES CHAUDIÈRES ÉLECTRIQUES À JETS
Conductivité
Il s’agit d’un paramètre fondamental dont dépend la bonne marche de la chaudière ; la conductivité électrique d’une eau traduit sa capacité à transporter un courant électrique ; c’est l’inverse de la résistivité. La conductivité d’une eau s’exprime en microSiemens par centimètre (µS/cm) ; elle dépend de la nature des ions qu’elle contient, de leur concentration et de la température. Tous les constructeurs ont adopté pour son expression la température de 25 °C.
La valeur à maintenir en chaudière est fixée par le constructeur en fonction de la tension d’alimentation, des distances électrodes-colonne centrale et électrodes-contre-électrodes, et éventuellement de la nature des produits chimiques utilisés pour son ajustement. Selon les installations, cette valeur est comprise entre 1 800 et 4 000 µS/cm ; elle fixe la concentration maximum admissible dans la chaudière en fonction de la qualité de l'eau d’appoint. À ce propos, il convient de ne pas oublier de prendre en compte, dans le calcul, la transformation bicarbonates-carbonates et la décomposition des carbonates avec formation de soude beaucoup plus conductrice et d’appliquer, éventuellement, une correction de conductivité sur la valeur de l’appoint. C'est cette conductivité en chaudière, requise par le constructeur, qui, en fonction du pourcentage de retours et de leur qualité, implique ou non de pousser l'épuration de l’appoint au-delà d’un simple adoucissement.
Absence de surface de chauffe
Ce sont les jets qui, en transportant le courant, s’échauffent ; pour les conductivités moyennes habituellement rencontrées, la vaporisation se produit à leur périphérie. Il n'y a donc pas à craindre de conséquences telles qu'un entartrage ou une précipitation de silice comme dans une chaudière à combustible ou à thermoplongeurs ; en particulier le rapport SiO₂/TAC n'est pas aussi contraignant que dans une chaudière conventionnelle.
Il est cependant nécessaire que l'eau d’alimentation soit parfaitement adoucie, car toute entrée de dureté en chaudière conduit à des précipités de structure plus ou moins cristalline. Il faut noter à ce sujet l’intérêt de la présence de phosphate dans le conditionnement pour précipiter le calcium sous forme amorphe de phosphate tricalcique ou d’hydroxyapatite. Véhiculés par l'eau, ces cristaux, et à un degré moindre les précipités amorphes, vont provoquer l'érosion des ajutages, électrodes, contre-électrodes et pompe de circulation. Des dépôts vont également apparaître dans les ajutages, en perturbant la formation régulière des jets, avec création d’éclaboussures et risques de mini-arcs électriques. De plus, des corrosions vont apparaître sous ces dépôts.
Primage
La vaporisation ne se produisant pas dans la masse d’eau, le primage (entraînement d’eau par la vapeur) proprement dit est faible ; en revanche, l'eau subissant un brassage important — le débit de circulation est égal à 30 fois la vaporisation — il faut craindre la formation de mousses, ayant pour principales conséquences :
- — des déclenchements intempestifs par contact avec le niveau très haut ;
- — des amorçages d’arc au bas des électrodes ;
- — des déséquilibres entre phases avec courant homopolaire important ;
- — des passages de courant à l’extérieur des jets avec risques de formation d’arcs et décomposition électrothermique de l’eau ;
- — des dépôts de sels conducteurs sur les isolateurs intérieurs des amenées de courant.
Production d’oxygène et d’hydrogène
La vapeur produite par une chaudière électrique à jets contient des traces d’oxygène et d’hydrogène provenant :
- — d’une électrolyse partielle de l’eau selon les réactions :
H₂O → 2 H⁺ + 1/2 O₂ + 2e⁻ 2 H₂O + 2e⁻ → 2 OH⁻ + H₂
- — d’une décomposition électrothermique de l’eau lors de la formation de mini-arcs au voisinage des électrodes (élévation de température).
L’oxygène semble provenir essentiellement de la décomposition électrothermique de l’eau. La mise en évidence de cette production d’oxygène a été faite en octobre 1984 aux Papeteries Matussière et Forest à Turckheim. Depuis, de nombreux contrôles ont été effectués en France par EDF (Centre de Recherches des Renardières) et l'APAVE. La quantité d’oxygène contenue dans la vapeur est en général de l'ordre de quelques ppm, voire inférieure au gramme par tonne, mais peut dépasser, dans certains cas, une dizaine de ppm.
Le service études et recherches d'EDF a mis au point une méthode simple de détermination de la teneur en oxygène dans la vapeur (1). Cette teneur est très variable d'une chaudière à l'autre :
- — elle croît avec la tension électrique d’alimentation ;
- — elle croît avec la conductivité électrique de l’eau de la chaudière ;
- — elle croît lors de fonctionnement à allure réduite et lors des changements d’allure.
Les quantités d’oxygène produites semblent moins importantes dans les chaudières équipées d’électrodes en fonte. Des différentes mesures effectuées jusqu’à présent, il ne semble pas que la vitesse de corrosion dans le réseau « condensats » soit augmentée de façon significative par rapport à une chaudière conventionnelle.
Au Canada et aux États-Unis, des chaudières électriques ont été mises en service avec plusieurs années d’avance sur la France ; la production d’oxygène n’ayant été mise en évidence que fin 1984, des traitements spécifiques des condensats par réducteurs n’ont pu être mis en place qu’à partir de 1985. Les différents groupes d’études qui ont visité ces pays n’ont pas rapporté de cas de corrosion imputables à l’utilisation de ces chaudières.
La teneur en oxygène que l’on retrouve dans les condensats est très faible ; en application des lois de Henry, elle dépend de la température, de la pression et surtout des fuites de vapeur du réseau (2). Dans une chaudière à combustible ou électrique à thermoplongeurs, l’oxygène éventuellement présent provient d’un dégazage insuffisant de l’eau d’alimentation, alors que dans une chaudière électrique à jets multiples, l’oxygène est produit à raison d’un volume d’oxygène pour deux d’hydrogène.
L’utilisation de sulfite catalysé en vue d’ajuster la conductivité en chaudière permet de réduire une partie de l’oxygène naissant formé avant son passage en phase vapeur ; le mélange gazeux provenant de l’électrolyse ou de la décomposition de l’eau contient alors un peu plus de deux tiers d’hydrogène pour moins d’un tiers d’oxygène. Lors de la condensation de la vapeur, les gaz vont se solubiliser dans le condensat selon leur pression partielle dans le mélange gazeux. Le mélange gazeux ayant été légèrement appauvri en oxygène, la solubilité de ce dernier va se trouver réduite au détriment de l’hydrogène, avec modification du potentiel oxydo-réducteur, rendant le condensat moins corrosif.
Le sulfate de sodium formé lors de la réaction du sulfite avec l’oxygène possédant une conductivité comparable à celle du sulfite, la conduite de la chaudière n’est pas affectée par la présence ou non d’un excès de sulfite en chaudière. Le conditionnement au sulfite n’ayant pas pour but, dans ce cas, de réduire tout l’oxygène formé.
Fer et matières en suspension
L’impact des jets sur les électrodes et les contre-électrodes entraîne une érosion se traduisant par une élévation de la teneur en fer total dans l’eau de la chaudière, qui vient s’ajouter à la concentration du fer contenu dans l’eau alimentaire, provenant essentiellement des condensats. Cette érosion est d’autant plus importante que l’on travaille à conductivité élevée avec des électrodes acier.
Les matières en suspension résultant de la précipitation de certains sels contenus dans l’eau alimentaire et de particules de fer participent à ce phénomène d’érosion ; pour une même teneur de matières en suspension, l’érosion augmente avec la taille des particules et leur caractère cristallin. La présence de fer — ou de tout autre métal — dans l’eau, quelle qu’en soit la forme — hydroxydes, oxydes, particules métalliques — accroît les risques d’amorçage d’arcs.
CONDITIONNEMENT DE L’EAU DES CHAUDIÈRES ÉLECTRIQUES À JETS
Le conditionnement appliqué doit tenir compte des particularités de fonctionnement de ce type de chaudière :
- limitation de l’alcalinité pour éviter les phénomènes de moussage qui favorisent la formation d’arcs (arrêts intempestifs, dégradation du matériel) ;
- présence de phosphates pour éviter la précipitation de silicate de calcium en cas d’entrée de traces de dureté, mais limitation de leur teneur pour ne pas favoriser le moussage ;
- utilisation d’un dispersant spécifique des sels de fer permettant de réduire la taille des particules en suspension, limitant ainsi les risques d’érosion et facilitant l’élimination des matières en suspension par les purges ;
- utilisation préférentielle de sulfites pour apporter la conductivité si nécessaire ; ces sels n’ont pratiquement pas d’influence sur l’alcalinité mais permettent une réduction rapide d’une partie de l’oxygène formé en chaudière, surtout à marche réduite ;
- maintien du pH des condensats à une valeur > 9 pour favoriser la formation de la magnétite : voir diagramme tension-pH de M. Pourbaix (3) pour le fer (figure 2).
Pour maîtriser la concentration, le dosage des réactifs doit se faire proportionnellement au débit d’appoint, le débit des purges permettant d’ajuster la conductivité en chaudière ; une purge continue (pouvant être utilisée pour la mesure de conductivité) est complétée par une purge commandée par le conductivimètre en conductivité haute. En cas d’appoints multiples, le conditionnement sera spécifique et proportionnel à chaque appoint. L’injection se fait préférentiellement en bâche alimentaire.
Ajustement de la conductivité
Cet ajustement se fera à l’aide d’Erpon RS ou, en cas d’appoint avec
une eau non décarbonatée, à l'aide de Solerpon RSL. Ce choix permet de réduire une partie de l’oxygène formé en chaudière contribuant à la protection du réseau condensats, et de diminuer l'alcalinité apportée en chaudière en supprimant pratiquement tout dosage de soude.
Limitation de l’alcalinité en chaudière
Il est souhaitable d’y maintenir les conditions ci-après :
pH = 10 à 11,5TAC = 30 à 40 °f.
Le brassage important auquel l’eau est soumise dans la chaudière favorise la formation de mousses ; parmi les facteurs aggravants, on peut noter : l’alcalinité, l’excès de phosphates, la présence de matières organiques et de matières en suspension. Dans le cas d’utilisation d’eau alimentaire susceptible de contenir des matières organiques (eaux de vache par exemple) des corps favorisant la formation de mousses, il sera judicieux d’incorporer au conditionnement un réactif antimousse de type Erpamousse BN.
Limitation de l’excès en phosphate
On doit s’efforcer de ne pas dépasser les valeurs suivantes :
P₂O₅ < 15 mg/l (PO₄ < 20 mg/l).
Cette limitation a pour objet d’éviter la formation de mousses, mais en maintenant néanmoins la présence de phosphates qui participent à la passivation des surfaces (diminution des risques de corrosion de la chaudière), et surtout parce qu'ils précipitent sous forme amorphe les traces de dureté entrant en chaudière ; les boues formées sont facilement éliminées, grâce à l’action très dispersante du Solerpon SDK.
En l’absence de phosphates, les traces de dureté provoquent la précipitation d’un tartre silicaté dont les cristaux particulièrement abrasifs sont véhiculés dans la chaudière.
Limitation des teneurs en matières en suspension et du fer en chaudière
Les matières en suspension favorisent la formation de mousses ; il convient donc de les maintenir à une valeur aussi faible que possible (de préférence à moins de 20 mg/l). La teneur en MeS est surtout liée à la teneur en fer. Le fer peut être à l'origine d’amorçage (arc) ou d’érosion lorsqu’il se trouve sous forme de particules d’oxyde ; il peut provenir de l’appoint, des condensats et de l’usure des électrodes et/ou des contre-électrodes.
L’utilisation de Solerpon SDK permet la dispersion de MeS et du fer en vue de leur élimination par les purges. Il est souhaitable de maintenir le fer total à moins de 2 mg/l en chaudière.
Le respect de ces valeurs est souvent incompatible avec le maintien d’un taux de concentration raisonnable. À la faveur d’une baisse de la demande de vapeur, on peut procéder à des purges plus importantes, à condition de maintenir la conductivité constante par un apport supplémentaire d’Erpon RS.
Dans tous les cas de figure, la purge minimum représentera 1 à 2 % de la vaporisation.
Protection du réseau condensats
Nous avons vu que l'utilisation d’Erpon RS, pour ajuster la conductivité en chaudière, permettait de rendre le condensat moins corrosif ; les risques de corrosion du réseau condensats seront réduits de façon très significative si l’on porte leur pH à 9 minimum ; l’eau d’appoint étant généralement décarbonatée-adoucie ou déminéralisée, l'obtention de cette valeur ne met pas en œuvre des quantités trop importantes de réactifs.
En l’absence d’exigence d’une vapeur de qualité alimentaire, c’est l’Erpamine 3FA qui sera retenue pour ce conditionnement, la formation d’un film hydrophobe sur les surfaces en contact avec les condensats renforçant la protection due à l’alcalinisation ; le passage du traitement par amines uniquement neutralisantes à l’Erpamine 3FA se fera progressivement compte tenu du caractère très légèrement détergent des amines filmantes, en suivant le fonctionnement des purgeurs et la teneur en fer des condensats. La partie filmante de l’Erpamine 3FA étant entraînable à la vapeur, il n’y a aucun risque de filmage ou d’accumulation dans la chaudière.
CONCLUSION
Les nombreux avantages que procure l’utilisation d’une chaudière électrique à jets multiples — souplesse d’exploitation, sécurité de fonctionnement, surveillance réduite — ne doivent pas conduire l’exploitant à négliger les problèmes d’eau : la maîtrise du contrôle de la conductivité est nécessaire, mais pas suffisante.
De même, pour tout projet d’implantation de ce type de matériel, il est souhaitable d’associer dès le début de l’étude une société de traitement d’eau spécialisée capable d’adapter l’eau d’appoint disponible aux qualités requises par le constructeur et permettre ainsi une optimisation des conditions d’exploitation.
BIBLIOGRAPHIE
- (1) Détermination de la concentration en oxygène total contenu dans la vapeur produite par une chaudière électrique à jets multiples. Isabelle Richy - Georges Ferry - EDF : Direction des Études et Recherches HE 152 NS 2776.
- (2) Calcul de la teneur en oxygène dans les condensats. Georges Ferry EDF : Direction des Études et Recherches.
- (3) Leçons en corrosion électrochimique. Marcel Pourbaix Cebelcor.