Le but de cet exposé est la description de plusieurs applications où le CO2 est utilisé en traitement des eaux. La bonne maîtrise acquise par Carboxyque des transferts gaz-liquide permet de grandes possibilités d'intervention. On citera par exemple plusieurs réalisations, en eaux industrielles ou potables, où le CO2 a été préféré aux acides forts classiques. Sans être exhaustifs, les exemples ci-après décrivent les utilisations les plus courantes du CO2 dans le traitement des eaux.
Qu'est-ce que le CO2
Le CO2 est l'élément d'oxydation ultime des composés carbonés. Il est notamment produit par la combustion des matières organiques ou minérales et l'air expiré des poumons des êtres vivants en contient plus de 5 %.
Le CO2 est un produit extrêmement abondant dans le milieu naturel qui en contient des milliards de tonnes, soit sous forme gazeuse (en moyenne 0,035 % dans l'atmosphère), soit sous forme dissoute dans les eaux (océans, rivières et eaux souterraines), à raison de plusieurs grammes par m³, soit sous forme combinée (carbonate de calcium) dans les roches calcaires.
C'est un fluide inerte, plus lourd que l'air à l'état gazeux (densité 1,53), incolore et présentant une odeur légèrement acide à concentration élevée dans l'air. Comme nous le verrons ci-après, il est particulièrement mis en œuvre dans le traitement des eaux.
La production du CO2
La principale origine industrielle du gaz carbonique est chimique, issue d'effluents gazeux provenant d'industries de production d'engrais, en particulier d'ammoniac, à la suite des combinaisons ci-après :
CH4 + H2O → CO + 3 H2 N2 + 3 H2 → 2 NH3 CO + 1/2 O2 → CO2
Le CO2 ainsi produit s'échappe dans des fumées d'où il est extrait par des procédés d'épuration et de liquéfaction. Le traitement d'affinage comporte une désulfuration, une dessiccation pour éviter la formation d'hydrates solides à basse température et l'élimination des odeurs par filtration sur charbon actif. Le gaz ainsi produit contient plus de 99,5 % de CO2. Il est stocké et transporté à basse température (-20 °C, 20 bars) sous forme liquide.
Les principales propriétés du CO2
Le CO2 est produit industriellement sous ses trois formes :
- Liquide à ‑20 °C et 20 bars dans un réservoir cryogénique ;
- Liquide dans une bouteille à température ambiante sous sa pression de vapeur saturante (57 bars à 20 °C) ;
- Gazeux par soutirage direct d'une bouteille ou vaporisation du liquide ;
- Solide sous forme de neige ou de glace carbonique à une température de ‑78 °C à pression atmosphérique, obtenue par détente en dessous de la pression du point triple (soit 5,2 bars) du CO2 liquide.
Fluide inerte utilisé dans certains cas pour ses propriétés chimiques, c'est aussi une source de froid disponible en permanence à partir d'une bouteille ou d'un réservoir. Comme on le voit sur le tableau 1, ses propriétés et ses utilisations sont nombreuses.
Les propriétés acides du CO2
Le CO2 se combine à l'eau pour donner l'acide carbonique :
CO2 + H2O → H2CO3
L'acide carbonique est un diacide dont les équilibres de dissociation sont les suivants :
H2CO3 → HCO3⁻ + H⁺ Pk1 = 6,4 HCO3⁻ → CO3²⁻ + H⁺ Pk2 = 10,2
Dans la mesure où l'on ne recherche pas des pH très acides (le pH de l'eau distillée à 25 °C saturée en CO2 est égal à 3,8), les propriétés chimiques de l'acide carbonique peuvent être utilisées au même titre que celles des acides forts.
Neutralisation et ajustement du pH
De nombreuses industries – textiles, agro-alimentaires, chimiques, produits à base de ciment, papeteries, tanneries, boissons, etc. – rejettent des effluents basiques dont la neutralisation est progressivement imposée par la loi dans le cadre de la lutte antipollution.
La norme française concernant le pH impose qu'il soit compris entre 5,5 et 8,5. D'autre part, certains procédés de fabrication nécessitent un ajustement
Tableau I. Propriétés et exemples d'utilisation du CO₂
• Fluide inerte et bactériostatique - État physique : gazeux - Applications : protection des silos ; extinction du taux de O₂ ; conservation sous gaz des aliments |
• Agent cryogénique - État physique : solide - Applications : surgélation rapide ; transport de produits frais ; nettoyage par projection de particules de glace carbonique (procédé CO₂ Cleanblast) |
• Solvant - État physique : conditions supercritiques (T > 31 °C, P > 74 bars) - Applications : extraction supercritique |
• Agent de carbonation - État physique : gaz dissous - Applications : gazéification des sodas et bières |
• Agent de propulsion - État physique : gaz dissous - Applications : substitution des CFC |
• Agent accélérateur de la photosynthèse - État physique : gazeux - Applications : enrichissement de l’atmosphère des serres |
• Agent de réminéralisation - État physique : gaz dissous - Applications : ajustement de la dureté de l'eau |
• Agent d'acidification - État physique : gaz dissous - Applications : ajustement précis du pH des produits |
Tableau II. Les avantages du CO₂
• Le CO₂ est chimiquement inerte avant son introduction dans l'eau - Pas de protection individuelle de sécurité (bottes, lunettes, gants, postes de rinçage...) - Pas de bac de rétention à prévoir autour du réservoir - Pas de corrosion ou de vieillissement des installations |
• Le CO₂ est livré liquéfié sous sa propre pression de vapeur puis vaporisé avant utilisation - Pas de machine tournante (pompe ou compresseur) pour véhiculer le réactif - Éloignement possible entre stockage et utilisation (pression de transport gratuite) |
• Une fois dissous dans l'eau, le CO₂ constitue un diacide faible (H₂CO₃) libérant successivement des bicarbonates (HCO₃⁻) et carbonates (CO₃²⁻) - Pas d'ajout d'ions étrangers (chlorures ou sulfates) dans l'eau - Solubilisation des carbonates en bicarbonates pour pH < 8,3 - Aucun risque de suracidification lors d'erreurs de dosage - Stabilité du pH (courbe de neutralisation à faible pente) |
Des acides forts minéraux sont traditionnellement utilisés tels que HCl, H₂SO₄ et HNO₃, non sans inconvénients. D’autre part, ces acides forts ne peuvent convenir quand il s’agit de produits alimentaires ou si le pH doit être réglé de manière précise.
Réalisations industrielles d'ajustement de pH au CO₂
Nous examinerons trois exemples de traitement d’effluents industriels.
Neutralisation des eaux de rejets dans l'industrie textile après mercerisage
L'industrie textile, et plus particulièrement celle du coton, utilise une technique appelée mercerisage ou caustification. Cette opération, réalisée sur des fils, tissus ou mélanges textiles, est effectuée par mise en contact sous pression de la matière cellulosique avec une solution aqueuse de soude caustique. Elle confère au textile un aspect brillant et soyeux, facilite les éventuels traitements ultérieurs de teinture, permet l’augmentation de l’affinité tinctoriale et stabilise la maille.
La cellulose présente une grande affinité chimique pour la soude (liaison alcalicellulose) et le caractère divisé des fibres est favorable à une rétention de liquide par capillarité. Il est donc nécessaire de multiplier les rinçages avec des volumes d’eau importants et d'intercaler des rinçages à l'eau acidulée afin d’éliminer la soude caustique. La neutralisation des eaux de rejet est actuellement réalisée par de l’acide sulfurique ou chlorhydrique lorsque le pH n’est pas conforme aux normes (pH > 8,5).
Dans le cas particulier de l’usine Devanlay, sise à Romilly (10), les eaux alcalines peuvent être mélangées à d'autres effluents pour obtenir un pH final pouvant varier entre 7 et 13.
Le débit à traiter est de l’ordre de 45 m³/h. Compte tenu des variations importantes de pH, le débit de CO₂ est régulé automatiquement pour maintenir le pH de consigne fixé par l’opérateur.
Le CO₂ est mis à disposition dans un réservoir isolé sous vide, de 30 t de capacité, où il est stocké à l’état liquide sous une pression de 20 bars à sa température de vapeur saturante (−20 °C). Il est ensuite vaporisé et détendu à une pression de 3 bars avant d’être introduit dans un bassin de 5 m de profondeur, où il se dissout dans l’effluent à traiter.
Le CO₂ est injecté dans le bassin par l’intermédiaire d'une turbine immergée, ce qui permet d'une part d'ajuster la DBO de l’effluent par aspiration de l'air extérieur et dissolution de l’oxygène, et d’autre part de répartir le CO₂ dans le bassin en fonction du pH.
Le débit de CO₂ est ajusté automatiquement par un ensemble de régulation PID, à partir d'une mesure de pH effectuée dans la cuve comprenant, outre le régulateur PID, un convertisseur et une vanne de régulation pneumatique. Il varie naturellement en fonction du pH d'entrée des effluents et peut atteindre 140 kg/h. Cinq injecteurs additionnels dont le débit unitaire peut atteindre 30 kg/h sont placés en fond de cuve pour suppléer la turbine en cas de défaillance.
Les effluents traités sont évacués du bassin par surverse. Un contrôle de validation de pH est effectué en fin de station.
Le déchaulage des peaux en tannerie après l'opération épilage-pelanage
En règle générale, les peaux provenant d’un cycle d’épilage-pelanage basé sur la mise en œuvre d'un procédé chaux-sulfure présentent, après rinçage, un pH de l’ordre de 12. En vue de leur tannage qui se déroule
En milieu acide, les peaux doivent être débarrassées progressivement de leur alcalinité. C’est le but du déchaulage, opération qui permet de neutraliser les peaux à des pH inférieurs à 8. La majorité des sociétés françaises utilisent pour ce faire des acides faibles (sels d’ammonium, acide lactique, borique ou citrique) sous forme pulvérulente.
Ici, les avantages du CO₂ sont la souplesse d'utilisation (suppression des pulvérulents), l’amélioration de la qualité des peaux et la suppression de la pollution azotée dans le cas de l'utilisation de sels d’ammonium.
Aux Tanneries d’Annonay, les peaux sont traitées dans un foulon d’une tonne de capacité.
Le CO₂ est stocké dans des bonbonnes de 300 kg de capacité à température ambiante, sous la pression de vapeur saturante correspondante (soit 50 bars à 15 °C). Le CO₂ est introduit après détente dans le bain du foulon dont le pH décroît progressivement en suivant la progression du déchaulage de la peau.
Neutralisation d’eaux de lavage de bouteilles
Le conditionnement d’emballages implique nécessairement leur nettoyage avant remplissage. Ce lavage est généralement réalisé par une solution alcaline qui, malgré un recyclage, engendre des rejets d’effluents basiques (pH = 11) avec des pointes à pH = 13 à la vidange des laveuses.
Chez Prodis Boissons (La Chapelle-d’Armentières), le débit d’eaux résiduaires se situe autour de 50 m³/h et leur pH varie de 10 à 12 avant neutralisation à un pH compris entre 7 et 8. La courbe de neutralisation avec H₂SO₄ conduit à une consommation de 5 moles d’H₂SO₄ par m³ d’effluent pour une neutralisation de 10 à 7,5. La correspondance théorique en CO₂ est de 2 moles de CO₂ (2 × 44 g = 88 g) par mole H₂SO₄ (98 g), soit 0,44 kg CO₂/m³ d’effluent (pour un pH initial de 10).
Les essais menés avec un réacteur de neutralisation pouvant traiter 2 m³/h confirment cette valeur.
Le débit horaire de CO₂ correspondant à un débit d’effluents de 50 m³/h est de 30 kg/h pour pH = 11,5. Durant les conditions de pointe, le pH sortie de laveuse est de 12,6 et le débit de pointe s’élève alors à 350 kg/h. On retient un débit maximum de CO₂ de 60 kg/h convenant aussi bien dans les conditions normales que dans les pointes.
L’installation complète de neutralisation comprend :
- un réservoir de stockage de CO₂ liquide (20 bars, –20 °C) de capacité 7 t ;
- un vaporiseur électrique de capacité 60 kg/h ;
- un châssis de détente et de régulation de débit comprenant un régulateur PID de pH ;
- un réacteur de neutralisation tubulaire en forme de serpentin, alimenté par une pompe.
Le recyclage de l’effluent est effectué en fonction du pH de consigne (afin d’absorber les conditions de pointe).
Les avantages du CO₂
Ils sont résumés dans le tableau II.
Le CO₂ et le traitement des eaux potables
Le CO₂ tient une place importante dans le domaine du traitement de l’eau potable, où il trouve son utilisation essentiellement dans le rééquilibrage calcocarbonique des eaux agressives (reminéralisation). Il est alors utilisé comme réactif avec la chaux pour réaliser la synthèse du bicarbonate de calcium. C’est le cas de l'usine du Syndicat des Eaux de Beaufort présenté par la suite.
Un exemple d’application où le CO₂ est utilisé pour ses qualités d’acide faible (régulation du pH de floculation) est également traité (Usine de Saint-Maur).
Le rééquilibrage calcocarbonique
Le rééquilibrage calcocarbonique constitue une correction chimique de l'eau ; en effet, les eaux naturelles contiennent de nombreux éléments chimiques dissous, dont le plus commun est le bicarbonate de calcium – Ca(HCO₃)₂.
Le CO₂ total contenu dans les eaux se répartit sous forme libre (CO₂) et combinée (Ca(HCO₃)₂ ou CaCO₃). Le CO₂ libre entre pour une part dans l'équilibre calcocarbonique, « CO₂ équilibrant » suivant la réaction :
Ca(HCO₃)₂ ↔ CaCO₃ + H₂O + CO₂
l'autre part excédentaire constituant le « CO₂ agressif ».
Dans l'eau dépourvue de bicarbonate de calcium (issue des massifs granitiques ou obtenue par dessalement d’eau de mer), le CO₂ dissous constitue du « CO₂ agressif ». L’acidité qui en résulte (H₂CO₃) se caractérise par un pH inférieur au « pH équilibrant » de l'eau, valeur théorique calculée en fonction de la composition de celle-ci en différentes espèces ioniques, ce qui provoque de fortes perturbations au réseau de distribution par le biais de phénomènes de corrosion. La lutte contre cette corrosion nécessite l’augmentation du titre alcalimétrique de l’eau (TAC) par neutralisation, ainsi que l’accroissement du titre hydrométrique (TH) (teneur en calcium), de façon à former une couche protectrice naturelle par dépôt sur les canalisations.
L'addition de chaux et de CO₂ constitue le moyen le plus couramment employé pour le rééquilibrage calcocarbonique de l’eau. Les doses nécessaires préconisées sont rapportées au TAC à corriger, soit 5,6 g de CaO et 8,8 g de CO₂ par m³ d’eau et par degré de TAC à corriger.
La régulation du pH en floculation
La production d’eau potable implique une étape de clarification qui a pour objectif de précipiter et de récupérer diverses matières colloïdales. On emploie à cet effet des agents de floculation ou coagulants, qui sont des sels métalliques d’acides forts : 70 % des floculants sont en effet des sulfates d’aluminium Al₂(SO₄)₃ (WAC, PCBA, par exemple). La floculation doit être réalisée à un pH optimum précis pour permettre la précipitation totale des matières à récupérer et éviter la dissolution d’ions Al³⁺ qui deviendraient toxiques (recommandation Al³⁺ < 50 µg/l – limite maximum Al³⁺ < 200 µg/l). Ces agents coagulants disposent d’un pouvoir acidifiant, mais un apport complémentaire d’acidité est indispensable lorsque la dose de coagulant nécessaire est faible ou lorsque le pH de l'eau brute atteint 8 à 8,5.
La dissolution du CO₂ dans l’eau permet d’obtenir une régulation fine du pH et d’assurer ainsi les conditions optimales de la floculation.
La consommation de CO₂ varie de 15 à 40 g de CO₂ par m³ d’eau traitée.
Usine du Syndicat des Eaux de Beaufort
Le débit de cette usine (exploitée par la CEO) peut varier d’un minimum de 520 m³/h à 800 m³/h.
Le dosage de CO₂ nécessaire à la reminéralisation varie entre 30 et 40 g/m³, soit une consommation horaire comprise entre 15,6 et 32 kg/h. Le CO₂ est introduit par l’intermédiaire d’un
hydro-injecteur dont le principe est de dissoudre le CO₂ sous pression à un taux proche de la solubilité maximale. Les avantages de ce système sont la simplicité et la compacité du matériel de dissolution. Les caractéristiques de l'injecteur sont déterminées en fonction du débit de CO₂ et de la pression de l'eau dans le circuit principal.
Dans ce cas particulier, une régulation de pH est nécessaire en amont du traitement de réminéralisation.
Le dosage de CO₂ à assurer est de 10 à 20 g/m³ selon la saison, soit au total de 5,2 à 16 kg/h. L’injection est réalisée par l'intermédiaire d’un diffuseur poreux disposé en fond d’une cheminée d’équilibre d'une hauteur de 5,5 m. Cette hauteur est suffisante pour assurer une dissolution quasi totale du CO₂. Le débit de CO₂ est ajusté automatiquement en tête du traitement par une vanne de régulation asservie au pH de l'eau.
L’usine des eaux de la ville de Saint-Maur
Dans cette installation réalisée en 1989 par OTV, le débit d’eau varie entre 500 et 1000 m³/h en hiver, contre 1000 à 1500 m³/h en été. Le pH de l’eau est situé entre 7,90 et 8,15.
Le floculant utilisé est un polychlorure basique d’aluminium. La consigne du pH est fixée à 7,4 avec injection de CO₂ dès que le pH dépasse 8.
La quantité de CO₂ à injecter est comprise entre 10 et 40 g/m³, et le débit horaire de CO₂ varie de 5 à 60 kg/h. L’injection s’effectue par un hydro-injecteur alimenté par le réseau de la ville sous une pression de 4 bars. Le CO₂ est donc dissous sous pression à un taux proche de la solubilité maximale, dans un circuit auxiliaire de l’installation de traitement. L’injection est régulée par un ensemble de régulation PID à partir d’une mesure du pH réalisée en aval du point d’addition du floculant.
Conclusion
En conclusion, nous avons voulu présenter un certain nombre d’utilisations du dioxyde carbone dans le traitement de l'eau.
Nous avons insisté sur les propriétés du CO₂ réactif gazeux, inerte et non corrosif, qui n’acquiert les propriétés recherchées qu’après sa mise en solution dans l'eau. Les différentes réalisations citées démontrent sa grande facilité de mise en œuvre. Certaines sont très récentes et la liste présentée n'est pas exhaustive. D’autres applications sont sans doute envisageables.