De plus en plus nombreux sont les adeptes d'une démarche globale qui intègre dès la conception d’un ouvrage les charges liées à la construction, au fonctionnement, à la maintenance et accessoirement à l'abandon d'un immeuble, ou au démantèlement d’une installation. Si cette démarche convainc chaque jour de plus en plus d'acteurs de la filière construction, elle reste encore peu répandue pour tous les ouvrages souterrains qui, psychologiquement, sont souvent inconsciemment rejetés de la mémoire et écartés de la préoccupation des concepteurs.
Dans le domaine des ouvrages enterrés, les premières approches correspondent à la prise en compte des frais de fonctionnement et de maintenance visant à intégrer ces charges dès la conception des réseaux de distribution d'eau et d’assainissement. Les ouvrages souterrains présentent toutefois un certain nombre de spécificités que l'on peut tenter d’approcher en illustrant le propos d'un exemple, les forages de production d'eau.
Quelques rappels
Le coût global intègre successivement les postes suivants :
— coût de conception, qui s’appuie sur une analyse prévisionnelle besoins-ressources et sur l'étude des risques liés aux interactions statistiques ou dynamiques structures enterrées-milieu souterrain ; cette analyse permet d’approcher dès l'avant-projet les risques de défaillance du forage (corrosion, colmatage …) ou de la ressource sollicitée (baisse excessive de niveau, dégradation de la qualité…) et d'en dégager les contraintes qui interviendront dans le choix et le coût des équipements ;
— coût de construction : celui-ci correspond à la création du forage et de ses ouvrages annexes (pompe, colonnes d’exhaure, électrodes de commande…) ainsi qu’au coût des tests préalables à la mise en service à partir des conclusions de la phase d’étude précédente. Cette dernière aura pris en compte les contraintes liées à l’existence d’ouvrages riverains (par exemple rabattement de la nappe limité pour éviter le tassement de formations superficielles compressibles par dénoyage) ;
— coût de fonctionnement et d’exploitation : il cumule tous les coûts liés à la mise en service et à l'exploitation de l’ouvrage : énergie de pompage, suivi opérationnel (procédure de contrôle et formation du personnel), analyse périodique (et accessoirement coût de traitement de la ressource en eau prélevée qui reste fonction à la fois de sa qualité, mais aussi de son usage) ;
— coût de maintenance : contrôle périodique du forage, des pompes et ouvrages annexes, nettoyage et développement à intervalles de temps réguliers, contrôle du débit critique et du débit d’exploitation, renouvellement des pompes et ouvrages annexes, etc., font partie de ce poste, ainsi que la constitution et la mise à jour d'un dossier de suivi (tableau de bord).
On peut distinguer successivement :
• les interventions simples (test visant à apprécier l’évolution du couple rabattement-débit, « plombage » du fond de l'ouvrage, analyse d’eau…),
• les interventions plus complexes et plus espacées dans le temps (montage et démontage des pompes et tubes d’exhaure, examen par vidéocaméra…).
— coût d’abandon : ce poste revêt une importance particulière dans le cas des ouvrages enterrés, et plus particulièrement des forages de production d’eau. L'obturation d'un forage s’avère, en effet, indispensable pour assurer la sécurité des riverains, éviter de constituer des voies préférentielles de circulation d'eaux polluées vers le milieu souterrain, ou de mettre en communication des niveaux aquifères différents. Cette charge peut représenter un pourcentage important de la valeur de remplacement du forage pour assurer son abandon dans des conditions optimales de sécurité, conformément à la législation en vigueur.
La difficulté principale rencontrée dans cette approche réside dans le choix des conditions d’évolution de l’économie sur une période de 20 à 30 ans, durée moyenne d’amortissement d’un forage de production d'eau. Cet élément est indispensable pour apprécier le coût global actualisé d'un ouvrage à une date donnée. En effet, la valeur actualisée d'une charge est la suivante :
C₀ = Cₙ / (1 + t)ⁿ
où :
t = taux d’actualisation
Cₙ = charge en francs constants à l’année n
C₀ = charge actualisée après n années
Une valeur moyenne du taux d’actualisation sur une longue période est assez délicate à apprécier.
Enfin, l'approche « coût global », outre une optimisation des dépenses, vise deux objectifs : meilleure qualité pour moindres pannes.
À cette démarche, doivent s’ajouter les taxes de prélèvements, d'assainissement et de pollution perçues par les Agences de l’Eau au titre de la gestion et de la protection des ressources.
coûts
Les figures 1 et 2 résument la démarche proposée dans l'hypothèse d'un amortissement linéaire de l'ouvrage de production.
Dans le cas des forages de production d'eau, l'évolution du coût global ne varie pas de façon linéaire ; en effet, la restauration périodique de la capacité de production d'un forage joue en sens inverse sur les coûts constitutifs du coût global, et notamment sur le coût d'exploitation et sur le coût de maintenance.
On remarquera que l'exploitation d'un forage de production d'eau n’est qu'un élément constitutif du coût d'un bien ou d'un service : l'eau.
Le coût de l'eau produite, en s'appuyant sur ce choix d’approvisionnement, pourrait être confronté au coût de l'eau achetée au réseau de distribution collectif ; ce dernier choix correspond, de fait, à un transfert contractuel de responsabilité.
Enfin, cette analyse peut être comparée aux termes P1, P2, P3, P4 couramment usités dans le domaine de la gestion des installations de chauffage, P1 représentant le terme lié aux investissements et gros entretien, P2 le terme commandé par la fourniture d'énergie, P3 le terme qui assure la couverture des frais de personnel de maintenance et petit entretien, P4 un terme qui permettrait la prise en charge des coûts d’abandon de l’ouvrage.
Les coûtsde « non-maintenance »d’un forage de production d’eau
La maintenance d'un ouvrage de production vise à conserver celui-ci en état de production optimale ; en cela, ce poste répond aux normes AFNOR X60-100, à 104-150 ; en règle générale, il est toujours trop élevé pour l'exploitant.
On peut s'interroger sur les surcoûts liés à l'absence de maintenance d'un forage de production d'eau. Les désagréments liés au dysfonctionnement d'un ouvrage peuvent concerner successivement divers postes :
- - perte de production partielle ou totale, ou à défaut diminution de la qualité de la production ;
- - perte de jouissance d'un bien ou d'un immeuble (détérioration d'un forage desservant une pompe à chaleur eau-eau par exemple) ;
- - dommages écologiques (contamination des eaux souterraines à partir d'un forage défaillant) ;
- - dommages économiques ou financiers liés à l'apparition ou à l'absence de maîtrise de certains risques (incendie) du fait de l'indisponibilité de l'outil de production au moment voulu.
DEUX EXEMPLESDE SURCONSOMMATIONÉNERGÉTIQUE
Dans l'hypothèse d'un forage capable de produire à l'origine 300 m³/h sous un rabattement de 5 m (Calcaire du Carbonifère dans le secteur de Lille par exemple) durant 10 h/j et 300 j/an et dont la vétusté a amené à pomper 200 m³/h sous 15 m de rabattement durant 15 h/j et 300 j/an, les dépenses complémentaires en énergie sont les suivantes : 0,0066 (200 × 15 × 15 × 300) – (300 × 5 × 10 × 300) = 59 400 kWh pour une production de 900 000 m³/an, soit, sur la base d'un prix moyen à 0,30 F HT/kWh, une dépense supplémentaire annuelle de 17 820 F HT.
Sur la base d'une exploitation de l'aquifère du Calcaire carbonifère à raison de 25 millions de m³/an dans le bassin de Lille sur environ 55 ouvrages, un refoulement supplémentaire de 1 à 2 m par an (qui correspond à l'abaissement annuel de la nappe) représente une consommation énergétique supplémentaire de 150 à 300 000 kWh pour les exploitants.
Ces quelques exemples montrent que les dommages ou pertes sont d'autant plus importants que l’occupation du sous-sol se densifie et que les ouvrages vieillissent, sans pour autant être mieux entretenus.
En résumé, la « non-maintenance » est susceptible d'engendrer :
- - la dépréciation des actifs,
- - les pertes d’exploitation,
- - la responsabilité vis-à-vis des usagers,
- - la responsabilité à l'égard des tiers.
Cette démarche ne prend en compte qu'une production de débits moyens réguliers. Pour certains usages, l'analyse devra être approfondie en intégrant la nécessité de fournir des débits de pointe importants (irrigation, refroidissement) nécessaires à la satisfaction d’un certain nombre de services attendus. À titre de
démonstration, la figure 3 permet d’apprécier les différentes origines de consommation de surcoût énergétique liées à la « non-maintenance » ou à la « sous-maintenance » d’un forage de production d’eau.
Le premier poste correspond à l’accroissement Δ h de la hauteur de refoulement lié à la détérioration progressive de la courbe caractéristique de l’ouvrage due à l’augmentation des pertes de charge. La solution réside dans un contrôle et dans un développement à un intervalle de temps régulier du forage.
Le deuxième poste d’augmentation de la consommation énergétique résulte du précédent et provient de l’utilisation des organes de pompage à un rendement inférieur au rendement optimal du matériel installé. L’entretien régulier de l’ouvrage aura comme conséquence un retour à la normale de cette charge.
Le troisième poste d’accroissement de la consommation énergétique peut être lié à l’apparition de pertes de charge supplémentaires du fait de la réduction de diamètre des tuyaux de refoulement par dépôt d’oxydes ou de carbonates.
Accessoirement, d’autres surcoûts énergétiques peuvent apparaître : profondeur d’immersion insuffisante de la pompe provoquant la cavitation du corps de pompe par refoulement d’émulsion air-eau, surconsommation d’énergie liée à l’accroissement du temps de pompage (nécessaire pour prélever une ressource identique à pertes de charge croissantes), surcoût lié au changement de tranches de tarification…
Conclusion
Pour remédier à divers aléas liés au choix des matériaux constitutifs des ouvrages ou de ses composants, à l’évolution de l’environnement souterrain — en particulier en zone urbaine — et notamment de la qualité des eaux souterraines, à des erreurs d’exploitation ou à des défauts de maintenance, ou simplement à la vétusté de l’ouvrage, le recours à la notion de « coût global » lors de la conception de nouveaux forages de production d’eau est indispensable pour éviter des erreurs par trop grossières. Une telle approche est de nature à permettre la maîtrise des difficultés d’exploitation et les conséquences directes et indirectes qu’elles peuvent générer pour l’usager, public ou privé.
La mise en place de bases de données devrait, en outre, conduire à un recueil d’informations sur le suivi des forages, de manière à disposer de statistiques de référence et à optimiser au mieux le parc de forages existants, en tenant compte des interférences entre ouvrages et de l’évolution de la vétusté du parc.
Le développement de « suivi-mesures » s’appuyant sur un autocontrôle de l’exploitant est indispensable si l’on veut disposer de chroniques référentielles suffisantes pour asseoir un diagnostic correct en cas de défaillance. Les contrôles « niveau-débit-qualité », « pression-pertes de charge », « consommation électrique »… sont autant d’éléments qui concourent à une production optimale à coût minimal.