Afin de produire une eau potable conforme à la réglementation au niveau des pesticides et du goût, l'Institution Interdépartementale pour l'Aménagement du Bassin de la Vilaine a décidé d'équiper son unité de traitement des eaux du Drézet (56) d'un filtre à charbon actif en grains. Une étude-pilote a permis de tester quatre types de charbon sur une durée de 10 mois et de retenir le charbon répondant le mieux aux objectifs de qualité recherchés. Les essais réalisés montrent que le charbon choisi permet de retenir 28 µg de triazines par gramme de CAG avant que ne soit décelée toute trace de pesticides dans l'eau filtrée. Sa durée de vie est alors de 13,5 mois.
Divers types de charbon actif en grains (organiques ou minéraux) actuellement utilisés dans le traitement des eaux présentent une structure poreuse qui leur confère une surface spécifique très importante, généralement supérieure à 600 m²/g. Cette particularité leur permet d’adsorber une grande variété de micropolluants, et d’affiner la qualité de l'eau potable ; cependant, préalablement à leur mise en œuvre, il est nécessaire d’opter pour le type de charbon le mieux adapté à la qualité de l'eau à traiter. La seule façon de choisir le charbon adéquat est de réaliser des essais dynamiques, sur site, au niveau de pilotes d’adsorption.
Cette démarche a été appliquée à l'usine des eaux du Drézet (56) où, parallèlement à la construction de filtres à charbon actif en grains, des essais-pilotes ont été réalisés afin de déterminer la nature du charbon répondant le mieux aux exigences de qualité recherchées : élimination des pesticides et amélioration du goût de l’eau.
Le traitement de l'eau à l'usine du Drézet
La Société des Eaux de la Presqu’île Guérandaise (SEPIG)* exploite pour le compte de l'Institution Interdépartementale pour l’Aménagement du Bassin de la Vilaine (IIABV), l’usine de production d’eau potable du Drézet, d’une capacité de 90 000 m³/jour, laquelle traite l’eau de la Vilaine au niveau de la retenue d’Arzal (40 millions de m³). Elle utilise à cet effet trois files de traitement identiques, d’une capacité unitaire de 1 650 m³/h, qui fonctionnent suivant le processus détaillé sur la figure 1.
* Filiale de CISE.
Les caractéristiques de l’eau de la Vilaine sont données dans le tableau 1, où l'on remarque une proportion non négligeable de triazines (100 à 2 500 ng/litre).
Afin de produire en permanence une eau de bonne qualité organoleptique, et de ramener la teneur en pesticides à un niveau compatible avec la norme française (< 100 ng/l), l’IIABV a choisi d’équiper l’usine d’un traitement d’affinage sur charbon actif en grains.
Une étude en pilote d’une durée de dix mois a permis de suivre le comportement de quatre types de charbon actif en grains, et de déterminer celui répondant le mieux aux objectifs de qualité recherchés.
Le pilote et les charbons testés
L'unité-pilote à double flux (procédé retenu pour les filtres définitifs) a permis de tester ces quatre types de charbon qui diffèrent, de par leur nature, leur mode d’activation, leur surface spécifique et leur densité, tels qu'ils figurent sur le tableau II.
Les charbons retenus sont normalement recommandés dans le traitement d’affinage de l’eau pour réaliser l’ad
sorption des pesticides. Leur surface spécifique est au moins égale à 1 000 m²/g.
Le pilote est constitué de quatre filtres de deux colonnes chacun, d’une hauteur unitaire de 3,45 m, et d’un diamètre de 140 mm, dans lesquelles la hauteur du lit de charbon est de 1,05 m. La filtration est ascendante dans la première colonne et descendante dans la seconde.
Les quatre charbons numérotés de 1 à 4 ont été testés en fonction de la capacité maximale de l’usine (4 500 m³/h) (figure 2). Ils avaient comme origine, pour le n° 1 la tourbe, pour le n° 2 le bitume, pour le n° 3 la houille et pour le n° 4 le bois.
Suivi analytique du pilote
Des prélèvements ont été pratiqués quotidiennement à l’entrée, à la sortie de chaque filtre et sur l’eau traitée produite par l’usine. Les mesures analytiques ont été effectuées, selon les paramètres, quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement (tableau III).
Les essais-pilotes, réalisés sur la durée de 10 mois, ont été répartis en deux périodes :
* une première de quatre mois, pendant laquelle le suivi analytique défini précédemment a été appliqué aux quatre charbons, et à l’issue de laquelle deux d’entre eux ont été présélectionnés ;
* une seconde, de six mois, qui a permis d’affiner les observations poursuivies sur les deux charbons sélectionnés, avec des mesures de pesticides et d’haloformes bimensuelles, et d’assouplir le programme analytique des deux autres, où les mesures quotidiennes ont été remplacées par des mesures hebdomadaires.
Les résultats
Présélection des deux charbons
Parmi les paramètres analytiques mesurés, seuls certains ont permis d’effectuer une première sélection des charbons : c’est le cas des paramètres organiques comme le COT, l’oxydabilité au permanganate de potassium et l’absorbance aux UV. En ce qui concerne ces trois paramètres, l’abattement est d’environ 30 %, et le charbon bitumineux (n° 2) présente globalement les meilleurs rendements d’élimination (figure 3). De plus, pour ce charbon, les tests de goût de l’eau mettent en évidence une eau filtrée de meilleure qualité.
Les résultats obtenus entre les charbons à base de tourbe (n° 1) et de houille (n° 3) sont sensiblement équivalents ; le charbon à base de bois (n° 4) présente une efficacité nettement inférieure aux trois autres charbons, et la présence de triazines (35 ng/l) a été détectée à la sortie de ce filtre après seulement deux mois et demi de filtration, alors qu’aucune trace de pesticides n’a été décelée à la sortie des autres filtres.
Les mesures de pertes de charge mettent en évidence, d’une part un colmatage rapide du charbon n° 3 à base de houille, l’augmentation de la perte de charge étant de 2,6 cm/jour avec un cycle de lavage ressortant à cinq jours (contre sept pour les trois autres charbons), et d’autre part un excellent comportement hydraulique du charbon n° 1 à base de tourbe (augmentation de la perte de charge de 0,2 cm/jour).
Les deux charbons retenus à l’issue de cette première période de présélection sont le charbon bitumineux (n° 2) pour la qualité de l’eau produite, et le charbon à base de tourbe (n° 1) pour ses qualités hydrauliques.
Sélection du meilleur CAG
Au cours de la seconde période, le rendement d’élimination de l’oxydabilité au permanganate de potassium, du COT et de l’absorbance UV est compris entre 15 et 20 % pour les quatre CAG (figure 3).
Quelques mois après leur mise en œuvre, les premières traces de pesticides ont été décelées à la sortie des quatre filtres (tableau IV). La charge de triazines retenue avant la première détection est de 28 µg par g de CAG pour le charbon (n° 2) bitumineux et de 35,6 µg par g de CAG pour le charbon (n° 1) à base de tourbe.
D’une manière générale, le charbon bitumineux élimine mieux la charge polluante organique que le charbon à base de tourbe ; il produit également
Tableau I
Caractéristiques de l’eau de la Vilaine.
Paramètres | Concentrations |
---|---|
TAC | 2,5 °F à 7 °F |
TH | 8 °F à 15 °F |
COT | 7 mg/l à 9 mg/l |
Triazines | 100 ng/l à 2 500 ng/l |
NH₄⁺ | 0 à 2 mg/l |
Fe²⁺ | 0,02 à 0,6 mg/l |
Mn²⁺ | 0,03 à 0,15 mg/l |
Cl⁻ | 40 à 130 mg/l |
Tableau II
Caractéristiques des charbons testés.
CAG | 1 | 2 | 3 | 4 |
---|---|---|---|---|
Origine | Tourbe | Bitumineuse | Houille | Bois |
Granulométrie : | ||||
* taille effective (mm) | 0,6/0,7 | 0,6 | 0,85/1 | — |
* diamètre moyen (mm) | charbon filé Ø 0,8 | 0,9/1,1 | 0,85/1 | 1,2/1,5 |
* coef. d’uniformité | 1,53 | 1,8 | < 1,7 | — |
Densité : | ||||
* apparente (g/l) | 380 | 500 | 500 | 240 |
* après lavage (g/l) | 335 | 425 | 400 | — |
Surface spécifique (m²/g) | 1000 | 1100 | 1000 | 1400 |
Indice d’iode (mg/g) | 1050 | 1050 | 1020 | 950 |
Activation | thermique | thermique | thermique | chimique |
Tableau III
Suivi analytique du pilote.
Paramètres mesurés | Fréquence |
---|---|
pH, température, turbidité, oxydabilité au KMnO₄, NH₄⁺, absorbance UV, Cl⁻, TAC | quotidienne |
Pertes de charge, COT, bactéries revivifiables à 22 et 37 °C, goût de l’eau, NTK | hebdomadaire |
Haloformes, indice phénol, pesticides (triazines + lindane) | mensuelle |
Tableau IV
Premières traces de triazines décelées.
CAG | Triazines (ng/l) | Volume filtré correspondant | Durée de filtration |
---|---|---|---|
1 | 80 | 1 000 m³ | 6,5 mois |
2 | 30 | 950 m³ | 6 mois |
3 | 50 | 720 m³ | 4,5 mois |
4 | 35 | 460 m³ | 2,5 mois |
Tableau V
Écarts de qualité entre les deux CAG présélectionnés.
Paramètres | Différences et performances comparées du CAG n° 2 et du CAG n° 1 |
---|---|
COT | + 8 % d’abattement pour le CAG 2 |
Oxydabilité KMnO₄ | + 7,5 % d’abattement pour le CAG 2 |
Absorbance UV | + 7,3 % d’abattement pour le CAG 2 |
Triazines | + 5,3 % de volume traité pour le CAG 2 |
Goût de l’eau | + 26 % de tests inférieurs au seuil 2 (nombre de tests = 19) pour le CAG 2 |
Tableau VI
Rendements moyens obtenus au cours de l’étude.
Paramètres | Filière actuelle | CAG n° 1 | CAG n° 2 |
---|---|---|---|
COT (% abattement) | 43,2 % | 58,9 % | 61,3 % |
Oxydabilité KMnO₄ (% abattement) | 62,8 % | 75,1 % | 76,8 % |
Abs UV (% abattement) | 78,9 % | 85,8 % | 86,8 % |
Goût eau seuil < 2 (en % d’échantillons, 19 tests) | 21 % | 53 % | 79 % |
une eau de meilleure qualité gustative.
Les écarts moyens de qualité entre les deux charbons présélectionnés sont donnés dans le tableau V.
Autres paramètres
Quel que soit le charbon, la turbidité à la sortie des filtres est d’environ 0,15 NTU. La recherche des phénols sur l'eau de la Vilaine est restée négative ainsi que la mesure de NTK à la sortie des filtres. Le TAC et les chlorures ne varient pas lors de la filtration sur le CAG. Le pH varie de + 0,1 à + 0,2 unité par rapport à sa valeur relevée à l'amont des filtres. Les charbons sont peu efficaces vis-à-vis de l'élimination des haloformes. La flore bactérienne est peu active, le nombre de germes ne dépasse pas quelques dizaines (par ml d'eau).
En ce qui concerne le résiduel d’azote ammoniacal, les essais-pilotes ont mis en évidence, quel que soit le charbon, un processus d’ammonification ou de réduction de nitrate en azote ammoniacal au sein du lit filtrant. Le delta de concentration en ammoniaque (entrée-sortie) est positif en période hivernale et négatif le reste du temps (figure 4).
Transposition des résultats du pilote à l’échelle de l’usine
Les caractéristiques du pilote et la durée de l’étude permettent de transposer à l’échelle de l’usine les résultats obtenus au cours des essais, afin de définir la durée de vie du CAG. Le critère le plus contraignant vis-à-vis des objectifs fixés est l’élimination des pesticides : l’état de ces composés va donc déterminer son cycle de régénération. Compte tenu des problèmes de désorption possibles de ces composés, on considère un charbon comme saturé dès l’instant où la mesure en triazines de l'eau filtrée devient décelable (30 ng/l).
En se basant sur les résultats obtenus au cours de l’étude-pilote et sur l’utilisation sur le site du charbon actif en poudre à la dose moyenne de 10 g/m³ lors des essais, le cycle de régénération des charbons n° 2 et 1 serait :
- — de 13,5 mois pour le charbon bitumineux, soit l'équivalence de 20,5 Mm³ en volume d’eau traitée à l’usine ;
- — de 13 mois pour le charbon à base de tourbe, soit l'équivalence de 19,5 Mm³ en volume d’eau traitée.
On constate, en outre, que le traitement d’affinage sur CAG a permis d’améliorer le rendement d’élimination de la pollution organique (tableau VI).
Conclusion
Les essais-pilotes de filtration sur CAG menés à l’usine des eaux du Drézet ont permis de déterminer le type de charbon répondant le mieux aux exigences de qualité recherchées (élimination des pesticides et amélioration du goût de l'eau), compte tenu de la qualité des eaux de la Vilaine.
Le charbon bitumineux a donné systématiquement les meilleurs résultats au niveau de l’abattement des paramètres organiques et des pesticides ainsi que du goût de l'eau. Les essais ont également permis de définir la fréquence de régénération du CAG qui ressort, selon les conditions expérimentales de l'étude, 13,5 mois.
Ces essais ont permis au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre de sélectionner le charbon actif qui sera mis en place à l’usine du Drézet, le charbon retenu étant le charbon bitumineux, lequel présente l’avantage, outre ses performances d’adsorption, d’un coût d’exploitation avantageux (premier approvisionnement et réactivation).