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Le canal de Corinthe : un chantier qui aura duré 20 siècles

30 novembre 2015 Paru dans le N°386 à la page 105 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

La vertigineuse saignée rectiligne dans le roc que constitue le canal de Corinthe, profonde de 8 mètres pour une largeur de 25 mètres, permet de relier depuis 1893 la mer Egée à la mer Adriatique, évitant ainsi aux navires les dangers des caps du Péloponnèse. L?idée d'une telle réalisation est bien antérieure à sa réalisation puisque c'est Néron, en 67 après JC, qui avait fait débuter des travaux. Mais sa mort précoce en entraînera l'interruption. César, Caligula et quelques autres envisagèrent la reprise du projet mais la technique ne le permit qu'à la fin du 19ème siècle.

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La vertigineuse saignée rectiligne dans le roc qui constitue le canal de Corinthe, profonde de 8 mètres pour une largeur de 25 mètres, permet de relier depuis 1893 la mer Égée à la mer Adriatique, évitant ainsi aux navires les dangers des caps du Péloponnèse. L’idée d’une telle réalisation est bien antérieure à sa concrétisation puisque c’est Néron, en 67 après J.-C., qui avait fait débuter des travaux. Mais sa mort précoce en entraînera l’interruption. César, Caligula et quelques autres envisagèrent la reprise du projet mais la technique ne le permit qu’à la fin du 19ᵉ siècle.

La Grèce est ainsi faite que pour une superficie de seulement 130 000 km² (trois fois la Suisse), ce pays compte près de 4 000 km de côtes déchiquetées sur la mer Ionienne et la mer Égée, tandis qu’un sixième de son étendue est constitué par des îles et des îlots. D’ailleurs, pour les anciens Grecs, non seulement les îles mais le continent lui-même – une île immense – reposaient sur la mer et étaient portés par elle. La partie continentale de la Grèce, presqu’île la plus méridionale de l’Europe, est composée de deux blocs : la Grèce centrale et le Péloponnèse, lui-même une presqu’île de la presqu’île. Par un caprice de la nature, les deux blocs ne sont reliés que par une langue de terre de 6 km de largeur, sorte de fracture inachevée qui sépare le golfe de Corinthe à l’ouest du golfe Saronique à l’est : c’est l’isthme de Corinthe. À l’extrémité ouest, la ville de Corinthe, à l’est la ville d’Isthmia, qui depuis les Grecs est à l’origine du nom consacré à ce genre d’étranglement géographique.

La plaine de Corinthe, comme celle de l’Argolide, fut habitée dès les temps préhistoriques (5ᵉ millénaire avant J.-C.), puis envahie par les Doriens vers 1000 av. J.-C., et progressivement Corinthe devint une métropole opulente qui fonda à son tour des colonies telles que Corfou et Syracuse. L’isthme, quant à lui, a joué un rôle essentiel dans l’histoire de la Grèce tant du point de vue économique que stratégique, étant le seul pont naturel qui relie le nord et le sud pour le passage des populations, des marchandises et des armées.

Mais pour les marins, comment passer du golfe de Corinthe au golfe Saronique et inversement ? Cette question les préoccupa de tous temps et reçut pour la première fois une solution vers la fin du 7ᵉ siècle avant J.-C. par une idée.

[Photo : Le Diolkos était une chaussée de 10 mètres de large à son point de départ sur le golfe de Corinthe et son pavage de pierre commençait au bord même de la mer. Elle permettait de transporter les bateaux d’une extrémité à l'autre de l'isthme.]

audacieuse qui fut à l'origine de l'un des plus grands chantiers de travaux publics de la Grèce antique : la construction du « Diolkos » ou route de passage.

Le « Diolkos » ou route du passage

Le tracé de cette route, mis à jour dans sa majeure partie lors de fouilles réalisées entre 1956 et 1962 par la Société Grecque d’Archéologie, révèle que le Diolkos était une chaussée de 10 mètres de large à son point de départ sur le golfe de Corinthe et son pavage de pierre commençait au bord même de la mer. Les bateaux étaient conduits à ce point de la côte, puis tirés sur le Diolkos. D'abord étayés par des cylindres de bois, ils étaient ensuite transportés sur un véhicule spécial à roues. On déchargeait le bateau avant de le hisser sur le Diolkos pour réduire son poids et on acheminait les marchandises déchargées par la route ordinaire parallèle jusqu’à l'autre extrémité de l'isthme. Pavé de pierres poreuses sur toute sa surface, le Diolkos se rétrécissait après son point de départ jusqu’entre 3,50 m et 6 m. Deux profonds sillons parallèles, à 1,50 m l'un de l'autre, le creusaient dans toute sa longueur : on plaçait dans ces deux sillons les roues du véhicule qui transportait le bateau, ce qui facilitait sa marche et la rendait plus sûre. Aux tournants de la route, les sillons étaient élargis pour augmenter la stabilité du véhicule.

C'est ainsi que le bateau était tiré à travers l'isthme. Quand il atteignait l'extrémité du passage sur le Golfe Saronique, on le mettait à la mer, on rechargeait la cargaison et il continuait son voyage. Cette solution n’accélérait pas seulement les échanges, elle donnait aussi aux bateaux qui naviguaient entre le Centre et l'Est de la Méditerranée la possibilité d’éviter les tempêtes, très fréquentes autour des côtes du Péloponnèse.

Le Diolkos fut plusieurs fois remis à neuf au cours des siècles suivants. Il resta en service jusqu’au règne d’Auguste, bien que l'apparition de navires toujours plus grands ne limitât son utilité. Aux époques ultérieures, on le mentionne très peu et seulement à propos d'activités guerrières. Car l'usage du Diolkos fut en tout temps difficile et onéreux ; il s'avéra impraticable aux bateaux de grands tonnages. C'est pourquoi dès l’Antiquité on envisagea de creuser à travers l'isthme un canal qui relierait pour toujours les deux golfes et rendrait possible à tous les bateaux, en tout temps, d’éviter la traversée qui devenait dangereuse après le Cap Maléa, au sud du Péloponnèse.

Relier les deux golfes par un canal

C'est Néron qui, pour la première fois, entreprit de faire creuser un canal à travers l'isthme : il fit étudier les moyens de réalisation, rassembla les ressources nécessaires à l'exécution et inaugura en personne le creusement de l'isthme, avec une petite pioche d'or. C’était en …

[Photo : En 1882, un consortium sous la gérance du général Tiirr et du banquier français Jacques de Reinach donne naissance à la Société internationale du canal maritime de Corinthe. Le capital s’élève à 30 millions de francs or et le siège est établi à Paris.]
[Photo : Les travaux de percement de l’isthme de Corinthe débutent le 10 avril 1882. Au total, le percement de l’isthme nécessitera l’enlèvement de 9,5 millions de mètres cube de déblais dont la plus grande partie en roches consistantes.]

68 après J.-C.. Mais il mourut trois mois plus tard et les travaux, jugés trop coûteux, furent abandonnés.

En 1880, le projet de percement du canal fut repris par un Hongrois naturalisé Italien, le général Istvan Türr, qui se replongea sur le projet du canal de Corinthe. Ami de Ferdinand de Lesseps, il avait accompagné le « Grand Français », considéré comme le spécialiste des travaux maritimes de grande envergure, dans ses plus grandes réalisations à Suez et à Panama. Fort de ce savoir-faire, Türr rencontre le gouverneur général de la Banque nationale de Grèce Marc Rénieri. Ils évoquent ensemble la possibilité de relier l'Égée à l'Adriatique par un couloir maritime et finalement, Türr obtient la concession pour la construction du canal. En 1882, un consortium sous la gérance du général Türr et du banquier français Jacques de Reinach donne naissance à la Société internationale du canal maritime de Corinthe. Le capital s'élève à 30 millions de francs or et le siège est établi à Paris.

Les travaux de percement de l'isthme de Corinthe débutent le 10 avril 1882. On retrouva rapidement la trace des puits et des excavations réalisées par Néron sur une ligne parfaitement droite, et, le tracé adopté par les ingénieurs étant le même que celui des anciens, ces travaux furent utilisés pour la construction du canal. L'exécution des travaux se déroula sur les mêmes bases que le travail effectué à Panama. Les alluvions des tranchées en plaine furent enlevées à la drague et le massif rocheux par l’emploi simultané de la perforation mécanique des trous de mines et de puissants explosifs. Au total, le percement de l'isthme nécessitera l’enlèvement de 9,5 millions de mètres cubes de déblais dont la plus grande partie en roches consistantes.

Le contrat prévoyait que le canal serait livré à la navigation au bout de quatre années. Le délai fut respecté, mais la société de Türr ne survit pas au déclenchement du scandale du Canal de Panama et fit faillite. Une nouvelle société, baptisée Société hellénique du canal de Corinthe, fut alors créée par des investisseurs grecs ce qui permit au canal d’être achevé en 1893.

Au total, l’ouvrage fait 6 343 mètres de longueur, 25 mètres de largeur, 8 mètres de profondeur, et les falaises qui le bordent atteignent une hauteur maximale de 79,5 mètres. Trois grands ponts – pour les trafics ferroviaires et routiers – relient la Grèce Centrale au Péloponnèse, tandis qu’en bas, dans le canal, les navires de moins de 10 000 tonnes et 8 mètres de tirant d'eau passent désormais directement d'une mer à l'autre évitant un long détour de 230 miles autour de la péninsule. Environ 11 000 navires empruntent cette voie chaque année.

C'est ainsi que la presqu’île du Péloponnèse, séparée de la Grèce Centrale par une rigole d'eau de mer, est devenue à la fin du 19ᵉ siècle une île.

Ce que les Anciens n’avaient pas pu réaliser avec leurs moyens, c’est-à-dire creuser une tranchée aussi profonde au sein même de plateaux montagneux, ce sont les Grecs des temps modernes qui, reprenant l'ancien projet, ont pu le mener à bien une vingtaine de siècles plus tard. En un temps record, puisqu’il ne se posait pour ce canal, ni problème de niveau, ni problème d’écluse, ni de bief de partage à alimenter.

[Photo : Dans le canal, les navires de moins de 10 000 tonnes et 8 mètres de tirant d’eau passent désormais directement d'une mer à l'autre évitant un long détour de 230 miles autour de la péninsule. Environ 11 000 navires empruntent cette voie chaque année.]
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