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Le bon tuyau

30 janvier 2001 Paru dans le N°238 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : Bernard BRéMOND, Véronique LECLERC, Yves-le GAT et 3 autres personnes

L?eau potable et les eaux usées, que nous consommons ou rejetons chaque jour, empruntent des milliers de kilomètres de canalisations qui constituent un immense réseau. La quantité et la qualité de ces eaux dépendent de l'état de ces canalisations. L?équipe bordelaise du Cemagref de Bernard Brémond garde un ?il sur toutes ces conduites'

[Photo : Les réseaux d’eau potable transportent l’eau du réservoir jusqu’au pied des habitations.]

60000 km de réseaux d’eau potable apportent l'eau jusqu’à nous et 160000 km de réseaux d’assainissement évacuent les différentes eaux usées résultant de nos activités. Ces réseaux, mis en place pour certains depuis plus de 80 ans, vieillissent et doivent être renouvelés. Leurs performances hydrauliques diminuent, les pertes d’eau et les casses augmentent. Les gestionnaires ont besoin d’estimer l’état des réseaux. Ils doivent pouvoir prédire le vieillissement des canalisations pour répartir leur renouvellement dans le temps. Mais ils sont aussi responsables de la qualité de l'eau qu'ils fournissent aux usagers. Les contaminations de l’eau par le plomb, le fer ou bien encore par des bactéries sont autant de problèmes qui se posent à eux.

Quand les tuyaux fuient...

L’eau potable est transportée dans des canalisations fermées, généralement enterrées

[Photo : Les casses sont soigneusement archivées.]

Sous les voies de circulation, deux anomalies peuvent se produire sur le réseau d'eau potable, les fuites diffuses et les fuites franches. La moitié de l'eau transportée par le réseau peut se perdre à cause de fuites dites diffuses. Les chiffres habituellement avancés attribuent des pertes de 10 à 20 % pour un réseau d'eau potable en bon état.

Une fuite franche, quant à elle, peut provoquer des dégâts plus spectaculaires : inondation, coupure d’eau et même perturbation du trafic routier. Elle entraîne des coûts sociaux et de réparation élevés. Cette fuite d'eau massive et brutale est le seul indicateur facilement accessible de l'état d'un réseau enterré. La corrosion, une augmentation de la pression d’eau dans le réseau, une déstabilisation du terrain par des travaux ou l'âge peuvent provoquer ce type de casse. Leur augmentation est un bon critère de vieillissement, lié aux caractéristiques des canalisations et de leur environnement.

Modéliser le risque de casse sur l’ordinateur

Réparer ou remplacer toutes les canalisations du réseau en même temps coûterait beaucoup trop cher à la collectivité. Dans le cadre de sa thèse, effectuée en partenariat avec la Lyonnaise des Eaux et Pont-à-Mousson SA, Patrick Eisenbeis a mis au point un modèle de prévision des casses. L’objectif est d’identifier les canalisations à risque et de planifier leur renouvellement.

Le nombre de casses est évalué grâce à une méthode de calcul originale. Un modèle utilisé en médecine pour analyser statistiquement des données de survie a été choisi. Il s'inspire du suivi de patients au cours d’essais thérapeutiques. Ici, il prend en compte dans ses calculs statistiques les canalisations qui n'ont pas encore cassé. Cette information supplémentaire améliore la fiabilité des résultats.

Le gestionnaire d'un réseau d'eau possède des archives (informatisées ou non) où sont enregistrées et localisées toutes les casses subies par le réseau. Une base de données est définie. Elle recueille des informations sur l'âge, le diamètre, la nature du matériau, l’intensité du trafic routier, la nature du sol. Ensuite, elle mémorise les dates de casses et leurs localisations sur le réseau. Les tronçons sont ensuite classés en fonction de leur risque de casse et il est alors possible de choisir ceux qui seront à renouveler en priorité. Cinq à dix ans de recul au minimum sont nécessaires pour avoir suffisamment de données afin d’évaluer l'état du réseau.

[Encart : Un partenariat réussi pour le Canal de Provence Témoignage de Jacques Plantey Directeur des services techniques à la Société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale, Le Tholonet Extrait d'Avancées et Perspectives Scientifiques, 1999 La Société du canal de Provence, créée en 1957 par les collectivités de la région PACA, a été chargée par l'État en 1963 de réaliser et gérer le canal de Provence. L'objectif était d’acheminer l'eau depuis le Verdon et de la distribuer par un réseau de 4 000 km de canalisations sous pression, aux terres irrigables, aux industriels, aux communes et aux particuliers. La société se préoccupe de programmer le renouvellement des canalisations, mises en place ces quarante dernières années, donc de types et d'âges très différents, et implantées dans un environnement extrêmement varié et évolutif. Dans le cadre de nos relations avec le Cemagref nous avons été informés des modèles de prédiction de vieillissement des canalisations développés par l’unité Ouvrages et réseaux hydrauliques à Bordeaux. Nous avons apprécié l’adaptation des modèles à nos réseaux et la recherche de paramètres significatifs influant sur la probabilité de survie des diverses canalisations. L'échantillon des casses analysées couvre les dix dernières années. La première casse d'une antenne révèle une forte présomption de fragilité, alors que certains paramètres comme l'âge et la qualité de l'eau apparaissent peu significatifs. Le modèle ne pourra que s'améliorer avec une base de données de plus en plus enrichie.]
[Encart : Une collaboration européenne Depuis 1995, l'équipe de Bernard Brémond de Bordeaux travaille en étroite collaboration avec d'autres organismes européens. Un véritable réseau relationnel s'est ainsi créé entre le Cemagref, l'Université de Dresde (Allemagne), l'Université de Trondheim (Norvège) et le Water Research Center (Grande-Bretagne) mais aussi avec l'INSA de Lyon en France, qui développent des modèles différents. Cette collaboration donne lieu à de fréquentes rencontres, dans le cadre du COST (Cooperation in the Field of Scientific and Technical Research) Diagnosis of Urban Infrastructures et à l'accueil, pendant quelques mois, de Jon Rostum, de l'Université de Trondheim au cours de la préparation de son doctorat. Le projet européen “CareW” sur la gestion patrimoniale des réseaux d'eau a été récemment proposé à la Commission européenne et commencera début 2001. C'est l'occasion de consolider une coopération internationale déjà fructueuse.]

De l’ordinateur à la grandeur nature

Deux réseaux urbains, à Bordeaux et en banlieue parisienne, et deux réseaux ruraux alsaciens ont été étudiés. Le seul réseau bordelais totalise 2 000 km de canalisations. Dans tous les cas, les casses prévues par le modèle et celles constatées en réalité sont conformes et, pour les spécialistes, l’erreur obtenue est tout à fait acceptable.

[Encart : Un modèle utilisé par les gestionnaires de réseau d’eau potable Témoignage de Farrokh Fotoohi Responsable adjoint du pôle informatique technique au Centre international de recherche sur eau et environnement (CIRSEE) de la Lyonnaise des Eaux, Le Pecq Extrait d’Avancées et Perspectives Scientifiques, 1999 Le Cemagref a mis au point un modèle probabiliste dont le but est d’estimer la fréquence des casses des conduites dans un réseau d’eau potable sur un horizon de dix à vingt ans. Outre des paramètres classiques comme le nombre de défaillances dans le passé, le diamètre et l’année de pose des conduites, ce modèle original permet de prendre en compte des paramètres significatifs tels que le type du sol, le matériau, la position sous chaussée ou sous trottoir. Le modèle est intégré dans un logiciel, Predikass, en cours de validation sur des données recueillies en France (Communauté urbaine de Bordeaux, Roubaix, Tourcoing) et en Angleterre (Essex). Nous travaillons à l’intégration des résultats dans le Système d’Information Géographique APIC, utilisé pour la gestion des réseaux d’eau. Ce logiciel permettra d’améliorer les stratégies de renouvellement des conduites dans nos exploitations en France et à l’étranger.]

Les conduites sont ensuite classées en fonction de leur fragilité et différentes politiques de renouvellement vont pouvoir être testées. Une visualisation des phénomènes devient ensuite nécessaire. C’est le travail de la Lyonnaise des Eaux qui utilise un Système d’Information Géographique (SIG), appelé APIC. Une fois le modèle mis au point, il sera alors possible de visualiser les prévisions sur une carte du réseau et de repérer les endroits à remplacer prioritairement.

De l’eau qui circule, oui, mais de quelle qualité ?

Prévenir le risque de casse sur le réseau pour fournir aux usagers, que nous sommes, de l’eau en permanence est une chose primordiale. Mais s’assurer que l’eau qui arrive au robinet est de bonne qualité est tout aussi important. Il s’agit alors d’apprécier la pression de l’eau, sa durée de stagnation dans le réseau, les origines de cette eau ou bien encore le devenir des produits désinfectants comme le chlore. Le logiciel Porteau mis au point au Cemagref modélise le fonctionnement hydraulique des réseaux d’eau potable. Le modèle obtenu permet d’obtenir la vitesse et la pression de l’eau en tout point à partir de données sur le schéma du réseau et la consommation des abonnés. Ce logiciel est utilisé pour la conception des restructurations de réseaux, mais aussi comme outil de diagnostic. Il permet ainsi d’apprécier la fiabilité du système de distribution d’eau potable et le respect des normes de qualité de l’eau. Outil informatique d’aide à la décision, le logiciel Porteau est aujourd’hui largement diffusé auprès des Directions départementales de l’Agriculture et de la Forêt mais aussi auprès des bureaux d’études et des gestionnaires de réseaux.

Du plomb dans les canalisations

En France, la concentration maximale autorisée de plomb dans l’eau potable était fixée à 50 microgrammes par litre. Mais en 1998 une directive européenne abaisse cette teneur limite à 10 microgrammes par litre. Les collectivités ont quinze ans pour respecter cette nouvelle norme. La gageure est de taille : il faut changer tous les tuyaux en plomb, essentiellement les branchements particuliers reliant la canalisation du réseau au compteur de l’abonné.

En 1995, le Cemagref s’associe à la Lyonnaise des Eaux pour étudier les facteurs de risque impliqués dans le relargage du plomb au niveau des branchements. Ces facteurs sont divers : longueur du branchement, âge, qualité de l’eau véhiculée et intensité du trafic routier. L’étude a été réalisée sur le réseau de distribution d’eau potable de Bordeaux, dont 60 % des branchements sont constitués de plomb.

Les branchements de la ville ont été classés en quarante types. La concentration en plomb a été testée in situ au niveau d’un certain nombre de branchements, pris au hasard.

Cette étude a permis d’établir des corrélations entre le relargage du plomb et des facteurs de risque. Les canalisations les plus à risque sont celles installées avant la Deuxième Guerre mondiale. Les tuyaux posés à partir des années 1950 sont moins dangereux car le procédé de fabrication du plomb a changé.

Un logiciel a ainsi été mis au point. Il permet de calculer le pourcentage d’habitations dont l’eau dépasse la norme légale en plomb.

[Photo : Place du modèle de casse dans l’appréciation de la fiabilité d’un réseau.]

Connaître l’état de santé des réseaux d’assainissement

En France, chaque habitant rejette tous les…

[Encart : Le fer, ennemi du bon goût Témoignage de David Fertier, UR Ouvrages et réseaux hydrauliques, Bordeaux Les canalisations transportant l’eau potable ont été mises en place, pour la plupart, dans les années 1920. Elles sont principalement en fonte et ne possèdent pas de revêtement intérieur. L’eau est donc directement en contact avec le fer des tuyaux. Des phénomènes de corrosion apparaissent et entraînent une mise en solution du fer dans l’eau. La qualité de l’eau s’en ressent. Lorsque la concentration de fer est forte, l’eau peut prendre une coloration rouge et présenter un goût ferrugineux désagréable. Le taux de mise en solution du fer dépend directement de la qualité de l’eau et du régime hydraulique. Pour lutter contre ce phénomène dans le cas d’une eau agressive par exemple, on peut envisager une reminéralisation de l’eau afin de la sursaturer en carbonate de calcium. En effet, une eau calcaire dépose sur les parois une fine pellicule de tartre qui agit comme une protection contre les phénomènes de corrosion. Mon travail de thèse a pour objet de hiérarchiser les conduites en fonction du risque de détérioration de la qualité de l’eau. La première étape est d’étudier en laboratoire l’influence de la qualité de l’eau sur les phénomènes de corrosion et de mise en solution du fer par une méthode électrochimique. L’étape suivante consiste à étudier l’influence du régime hydraulique sur la dégradation de la qualité de l’eau en montant une canalisation en fonte sur pilote.]
[Photo : Canalisations d’un réseau d’assainissement en construction.]

litres d’eaux usées. 160 000 km de réseaux évacuent les différentes eaux usées des usagers jusqu’aux stations d’épuration. Dans les réseaux d’assainissement, l’eau circule à surface libre. Les matériaux utilisés pour les canalisations sont le béton ou le PVC. La loi sur l’eau de 1992 impose aux collectivités de surveiller et de contrôler les rejets collectifs urbains. Les inspections du réseau d’assainissement se sont intensifiées.

En général, les municipalités inspectent, annuellement, au mieux 5 % de leur réseau. Ces inspections coûtent cher et les gestionnaires ont du mal à exploiter les informations récupérées, souvent peu représentatives de l’état de santé réel du réseau.

Des réseaux sous surveillance télévisuelle

Pour examiner l’état du réseau, des robots téléguidés équipés d’une caméra de surveillance sont envoyés à l’intérieur du réseau.

Les anomalies observées sont classées en 14 catégories. Elles correspondent à des déformations, des cassures, des fissures, à l’entrée de racines, à la corrosion, l’obstruction, des contrepentes où l’eau stagne et libère de mauvaises odeurs…

Comme pour les réseaux d’eau potable, les scientifiques étudient les possibilités de casses ou d’anomalies dans un environnement donné.

La probabilité de rencontrer ces anomalies est calculée en fonction de l’âge, de la nature du tuyau, de la nature des effluents, de la profondeur et du trafic routier.

En général, les tuyaux sont enterrés entre 1 et 6 m de profondeur, soit 2 m en moyenne. Les canalisations situées sous les arrêts de bus, par exemple, sont particulièrement sensibles du fait du freinage et du redémarrage des véhicules.

La première modélisation des risques d’anomalies a été élaborée à partir de 351 rapports d’inspections télévisuelles (ITV) effectuées dans l’agglomération bordelaise.

On détermine ainsi le nombre de tronçons à sélectionner aléatoirement et à examiner par ITV pour estimer la fréquence des diverses anomalies sur le réseau complet. Sur une ville comme Bordeaux, 7 000 à 8 000 tronçons doivent être observés sur 10 ans pour avoir une idée représentative de l’état du réseau.

Cette étude trouve un prolongement naturel dans le cadre du programme national REREAU (Réhabilitation des réseaux urbains), piloté par le ministère chargé de l’Équipement, et destiné à fournir aux gestionnaires de réseaux d’assainissement ainsi qu’aux maîtres d’ouvrages, des éléments d’aide à la décision en matière de gestion patrimoniale.

[Encart : Une eau qui n’a pas goût de Javel Comment s’assurer que l’eau qui arrive au robinet est réellement potable ? Des agents désinfectants, tels que le chlore, sont injectés dans l’eau pour éliminer toute contamination par des bactéries. Une des possibilités consiste à doser le chlore de façon massive lors de son départ de la station de traitement. Mais l’eau en début de parcours risque alors d’avoir un goût iodé, jugé désagréable par les usagers. En revanche, l’eau qui a déjà parcouru plusieurs kilomètres peut présenter une concentration en chlore trop faible pour être active. Une solution utilisée pour remédier à ce problème est de disposer des stations de rechloration le long du réseau. Sophie Consens a effectué sa thèse au Cemagref de Bordeaux, en partenariat avec la SADE, une filiale de la Compagnie Générale des Eaux. L’objet de ce travail est de déterminer les emplacements optimums pour les stations de rechloration. Une méthode a été mise au point pour moduler les injections de chlore dans le temps, afin d’optimiser les quantités de désinfectant à envoyer dans le réseau.]
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