Hans van Soest (Enprotech)
Erik Gonay (Aquacorp.)
La réutilisation des eaux usées épurées s’est longtemps heurtée à de fortes oppositions. Aujourd’hui, grâce à la montée en puissance du mouvement vert et grâce aux progrès enregistrés en matière de traitement des eaux usées, les installations de traitement d’eau peuvent être considérées comme de véritables unités de production. L’eau traitée étant alors le produit final. Les technologies membranaires ont joué un rôle important dans cette évolution.
L’étude de cas exposée dans cet article prouve que, outre un bénéfice environnemental avéré, la réutilisation des eaux usées est intéressante d’un point de vue économique et financier.
Tous les jours, les médias utilisent à profusion des mots comme « durabilité », « énergie verte », « footprint écologique », « neutre en CO₂ », et il est de bon ton d’user, voire d’abuser de préfixes tels que « éco- », « bio- », etc. Les éco-industries justement, et plus précisément encore les industriels du traitement de l'eau parmi lesquelles Enprotech profitent de cette tendance et jouent un rôle important dans la mise en œuvre sur le terrain de politiques environnementales toujours plus ambitieuses sans être forcément plus coûteuses. Grâce à la possibilité de produire de l’énergie verte avec du biogaz, une installation anaérobie devient rentable et cette technologie, désormais mature, connaît un essor sans précédent. De même, dans bien des cas, une unité de traitement d’eau peut désormais être bénéfique au plan environnemental comme au plan financier.
Pourtant, la réutilisation des eaux usées tarde à prendre son essor et reste paradoxalement peu développée en Europe. Ceci alors que les réglementations se font de plus en plus restrictives en matière de protection de la ressource. Dans les Flandres occidentales, le niveau de la nappe phréatique se situe à un niveau tellement bas que la réutilisation des eaux usées est devenue inéluctable. En 2002 à Koksijde, une installation affinant l'eau traitée par la station d’épuration de Wulpen a été mise en place.
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[Photo : Figure 1 : La qualité des eaux traitées est déterminante pour l'usage à laquelle elle est destinée.]
Le niveau de la nappe souterraine a pu être stabilisé en utilisant la technologie membranaire (ultrafiltration et osmose inverse) et l'infiltration naturelle dans les dunes. Les restrictions d'eau, phénomène auparavant récurrent durant les mois d'été, ne sont plus aujourd'hui qu'un lointain souvenir. Les restrictions de captage d'eaux souterraines sont un réel problème pour les industries utilisant de grosses quantités d'eau. Elles les contraignent à se tourner vers des ressources d'eau alternatives. Et si des audits sont réalisés afin de diminuer la consommation d'eau au sein des procédés, il reste malgré tout des volumes importants susceptibles d'être réutilisés plutôt que rejetés. Même si ceci ne peut se faire sans investissement, ce sont bien souvent des préjugés d'ordre psychologiques qui freinent la réutilisation des eaux usées épurées, surtout dans l'industrie alimentaire. Pour le consommateur final, les eaux usées gardent une connotation négative et restent dans l'esprit collectif sources de nombreux germes pathogènes. Par contre, dans les secteurs technologiques, on regarde les eaux usées épurées plutôt comme matière première de base (cradle-to-cradle).
L'application détermine la qualité d’effluent demandé
La qualité des eaux traitées est déterminante pour l'utilisation de celle-ci.
Un effluent traité de façon classique, contient, après décantation, de 10 à 30 mg/l de matières en suspension et est donc impropre à une quelconque réutilisation. Si l'on considère la réutilisation dans le cas d'une installation existante, on optera dans la plupart des cas pour une filtration à sable. Celle-ci réduit les matières en suspension jusqu’à 2 à 5 mg/l et dans certains cas influe sur les nitrates.
Une alternative un peu plus coûteuse consiste à recourir à l'utilisation d'une membrane d'ultrafiltration après la décantation. Ceci permet d’obtenir un effluent sans matières en suspension et exempt de bactéries. Mais les virus et les sels ne sont pas tous retenus par cette membrane. Afin de les éliminer, il est nécessaire de mettre en œuvre la technologie d'osmose inverse. Elle permet d’obtenir, en une seule étape, une eau assez pure (conductivité 100 µs), avec un rendement de 70-80 %. Cette eau peut être utilisée comme eau d'alimentation des chaudières à vapeur, mais sa qualité est souvent trop élevée pour une application comme eau de process. Il est donc nécessaire de la mélanger avec, par exemple, le perméat de l'ultrafiltration. Finalement, une désinfection complémentaire s’avère souvent nécessaire.
Le bioréacteur à membranes, la technologie clef
Le bioréacteur à membranes (BRM) combine la technologie classique à boues activées avec l'ultrafiltration. Ainsi, on saute une étape vis-à-vis du processus décrit ci-dessus.
Les membranes utilisées sont du même type que les membranes d’ultrafiltration. Les configurations les plus fréquemment rencontrées sont des membranes à plaques, des membranes capillaires ou à fibres creuses et des membranes tubulaires. Les deux premières sont immergées dans les boues activées, les membranes tubulaires par contre, se trouvent à l’extérieur.
Parmi les avantages les plus importants de cette technologie, on peut citer la haute qualité de l’effluent (pas de matières en suspension, une charge plus basse dans le perméat) et la compacité. La membrane est une barrière pour les boues ; le temps de rétention de boues est indépendant du temps de rétention hydraulique de l'eau. Ainsi, on peut arriver à une concentration de boues plus importante dans la biologie et donc à une charge plus importante par m³ de volume du réacteur.
Grâce à une baisse des prix et une augmentation du nombre de références, la techno
[Photo : Une alternative un peu plus coûteuse consiste à recourir à l'utilisation d'une membrane d'ultrafiltration après la décantation. Ceci permet d’obtenir un effluent sans matières en suspension et exempt de bactéries.]
La technologie membranaire a beaucoup évolué ces dernières années. Cet engouement a dopé la recherche à l’échelle mondiale pour remédier à certains points faibles comme l’encrassement des membranes ou encore la consommation d’énergie.
La construction d'un bioréacteur à membranes revient à environ 20 % plus cher qu'une installation classique. Cette technologie est appliquée surtout pour des raisons de manque de place (aussi bien des nouvelles constructions que des rétrofits) et pour la réutilisation d'eau.
Étude de cas
Prenons le cas réel de la société VegetableCo, spécialisée dans le traitement des légumes, utilisant 300 000 m³ d’eau d’origine souterraine par an pour des applications diverses : blanchiment, rinçage, lavage, …
Au renouvellement de son permis de captage, la quantité autorisée pour le captage d'eau souterraine a été diminuée jusqu’à 50 000 m³ maximum par an. Ceci a immédiatement impliqué de rechercher des ressources d’eau alternatives. Compte tenu du fait que l'utilisation des eaux de surface n'est pas envisageable dans ce cas spécifique, la seule possibilité consistait à réutiliser les eaux usées épurées. Jusqu’à présent, la société rejetait l'ensemble de ses eaux usées au réseau. Le tableau 1 reprend les frais actuels (tout inclus), base pour l’étude.
Tableau 1 : eaux et coûts associés
Origine d'eau | Frais (€/m³) |
Eau de nappe souterraine | 1,3 |
Eau du réseau | 2,0 |
Eau usée évacuée | 1,0 |
Deux scénarii sont repris (tableau 2). Dans le premier cas, « rien ne change », la ressource en eau souterraine est complétée avec l'eau du réseau. Le scénario s’avère très coûteux.
Dans le deuxième cas, les eaux usées sont réutilisées autant qu'il est possible. Pour ce faire, une installation BRM est construite, complétée par une installation d’osmose inverse (OI). En bout de chaîne, l'eau est traitée dans une unité de désinfection (UV). Dans ce scénario, jusqu’à 75 % des eaux usées peuvent être réutilisées, l’apport se faisant par la ressource en eau souterraine et/ou l’eau du réseau.
Le concentrat de l’osmose inverse est évacué vers le réseau d’eaux usées.
Tableau 2 : les deux scénarii
Scénario 1
« rien n’est changé »
Origine d'eau : eau souterraine (17 %) + eau du réseau (83 %)
Traitement d'eau : sans
Évacuation au réseau : eaux usées
Scénario 2
réutilisation des eaux usées
Origine d'eau : eau de réutilisation + complété avec eau souterraine (17 %) et eau du réseau (8 %)
Traitement d'eau : BRM + OI + UV
Évacuation au réseau : concentrat de l’OI
Tableau 3 : relevé des coûts des deux scénarii
Frais (€/an) | Scénario 1 « rien n’est changé » | Scénario 2 réutilisation des eaux usées |
Eau souterraine | 65 000 | 65 000 |
Eau du réseau | 498 000 | 48 000 |
Évacuation | 262 000 | 16 000 |
Projet | — | 479 000 |
Investissement (1) | 0 | 173 000 |
Exploitation et entretien | — | 306 000 |
Total | 825 000 | 608 000 |
(1) Amortissement sur 10 ans à 4,5 %
Les frais totaux sont repris dans le tableau 3. La valeur totale du projet avoisine les 1 200 000 € (clé en main).
Sur la base des chiffres mentionnés ci-dessus, le retour sur investissement du projet se réalise en 5,5 ans.
Un problème subsiste : si la charge restant dans le concentrat ne dépasse pas les normes, la concentration des différents composants les dépasse parfois. Ceci reste un point important de discussion avec les autorités de régulation qui revient de façon récurrente et freine bon nombre d’industriels intéressés par la réutilisation des eaux usées épurées.
Conclusions
Des restrictions au niveau de l'utilisation des eaux souterraines contraignent les industriels à rechercher de plus en plus fréquemment des ressources alternatives. La réutilisation des eaux usées épurées se situe dans le prolongement des tendances actuelles de la réutilisation des matières premières et de la durabilité des technologies. L’expérience accumulée en la matière par Enprotech montre qu’outre ses bénéfices environnementaux, la réutilisation des eaux usées épurées devient de plus en plus intéressante au plan économique.
[Photo : Parmi les avantages les plus importants du BRM, on peut citer la haute qualité de l’effluent (pas de matières en suspension, une charge plus basse dans le perméat) et la compacité.]