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Le biogaz « à la ferme »

31 octobre 2013 Paru dans le N°365 à la page 57 ( mots)
Rédigé par : René MOLETTE

En France, la modification des tarifs de l'électricité issue du biogaz a ouvert le marché des digesteurs à la ferme. Les agriculteurs se mettent à produire de l'énergie via le biogaz en utilisant les sous-produits de leurs fermes et exploitant souvent un gisement de matières organiques disponibles. Les technologies mettent en ?uvre des fermentations continues « humides » à moins de 15 % de matières sèches (MS) et des fermentations sèches, continues ou discontinues, à plus de 25 % de MS. Le biogaz est principalement transformé en électricité et chaleur via des co-générateurs.

[Photo : Figure 1 : Schéma de principe de la filière méthanisation à la ferme.]

La méthanisation des matières solides en France a réellement démarré avec le relèvement du prix de l’électricité issue du biogaz en 2006. D’autres pays, comme l’Allemagne, la Belgique et de nombreux autres pays européens ont développé une industrie du biogaz à la ferme depuis de nombreuses années. En 2013, l’Allemagne a installé plus de 7000 digesteurs à la ferme, ou digesteurs exploitant un gisement territorial et c’est donc tout naturellement qu’ils ont implanté leurs technologies pour répondre au marché français. Pourtant si la stratégie en Allemagne est basée en grande partie sur l’utilisation des cultures énergétiques, la France pour l’instant, a choisi de favoriser la production de biogaz à partir des sous-produits agricoles, industriels et de tout autre produit destiné à l’abandon. Ceci conduit à un marché national qui nécessite des adaptations technologiques principalement dues à la variété des substrats possibles utilisés dans les digesteurs. Dans cet article, nous aborderons d’une manière générale, les aspects techniques et biologiques des caractéristiques et digesteurs installés dans des fermes, ou qui exploitent un gisement de sous-produits territoriaux.

D’une manière générale, les filières sont

[Photo : Déchets issus de la grande distribution.]

composées de stockage, de prétraitement avant fermentation dans le digesteur (et parfois post-digesteur qui peut servir aussi de stockage) pour subir une séparation de phase (ou non) avant épandage. Nous voyons ici les caractéristiques des différentes étapes (figure 1).

Les substrats

Dans la stratégie d’alimentation à la ferme, le substrat utilisé va avant tout dépendre de ce qui est récupérable ou produit sur la ferme, mais aussi de ce qui peut provenir de gisements des alentours afin de compléter ou d’augmenter la production d’énergie. On trouve par exemple des fumiers, des lisiers, des surproductions de fruits ou de légumes, des écarts de triage, mais donc aussi des matières issues du voisinage comme des tontes de pelouse, des déchets provenant d’IAA, de la grande distribution, de restaurations collectives, et parfois des lactosérums quand la ferme est couplée à la production de fromage. Les substrats solides sont momentanément stockés sur des aires bétonnées, et les liquides dans des cuves.

Les substrats sont caractérisés par leur potentiel méthane (BMP), et leurs compositions physico-chimiques (taux de matières sèches (MS), de matières organique (MO) ou (MV pour Matière Volatile), les teneurs en azote, phosphore, potassium...).

L’azote organique sera transformé en ammoniaque. Sa concentration est un paramètre particulièrement important pour éviter les problèmes d’inhibition. Le rapport C/N, s’il a une signification en compostage, n’a aucune explication plausible en méthanisation ; c’est principalement la teneur en azote ammoniacale qui participera au pouvoir tampon et qui apportera l’azote nécessaire à la croissance, qui a de l’importance. Le soufre issu notamment des protéines sera réduit en H₂S. On considère que l’on doit rester en dessous de 3 à 4 g/L d’azote et 300 mg/L d’H₂S dans le digesteur pour éviter les inhibitions.

Les prétraitements

La nature des substrats utilisés va conditionner les prétraitements que doivent subir les matières, soit pour faciliter l’accès à l’hydrolyse, soit pour respecter la législation.

Ceux qui sont les plus communément utilisés sont le broyage, le mélange, l’hygiénisation thermique pour les intrants qui sont susceptibles de contenir de la viande. En fonction de la technologie utilisée, les intrants peuvent subir une dilution via une addition d’eau, un recyclage de la fraction liquide du digestat ou encore être mélangés avec une fraction du digestat avant introduction dans le digesteur.

Les technologies de fermentations

Les technologies de la méthanisation à la ferme sont bien sûr intimement liées à la nature des substrats. Comme pour les fermentations solides en général, on peut avoir des systèmes en une étape ou deux étapes, une fermentation « humide » (avec 5 à 15 % de MS) ou « sèche » (avec plus de 20 % de MS), en fonction de la teneur en matière sèche dans le digesteur et elle peut être mise en œuvre en continu ou en discontinu, suivant la technologie choisie (et la quantité de substrat à traiter).

Les technologies continues

Dans cette mise en œuvre, les substrats sont apportés chaque jour dans le digesteur et il en sort chaque jour du digestat. Elle peut être réalisée en fermentation sèche, mais c’est principalement la fermentation humide qui est installée dans les fermes. Dans le cas de l’exploitation du biogaz par un cogénérateur, le principe de la filière est représenté sur la figure 2.

Chaque jour, les substrats sont introduits dans une trémie sur peson, mélangés et parfois broyés avant introduction, en une ou plusieurs fois. Le digesteur est agité séquentiellement afin de réaliser le mélange et souvent, au-dessus, une membrane souple sert de stockage de biogaz. Le digestat passe ensuite dans une cuve de stockage qui sert aussi de post-digesteur et dans lequel on peut encore récupérer 10 à 15 % de méthane supplémentaire. Parfois ce post-digesteur n’existe pas et le digestat subit une séparation de la phase liquide et solide.

[Photo : Figure 2. Principe de la technologie continue de méthanisation à la ferme en fermentation « humide ».]
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[Photo : Digesteur continu à voie humide à Essert Blay (Savoie).]

Dans les fermes, ce sont des technologies mettant en œuvre de la fermentation en milieu humide avec environ 8 à 12 % de matière sèche dans le digesteur qui sont installées. Les charges en matière organique (MO) sont d’environ 2 à 3 kg de MO/m³ de digesteur/jour et les rendements de méthane sont de 250 à 350 m³/tonne de MO. Les temps de séjour sont en général de 40 à 70 jours en fonction de la nature des substrats entrants, et le biogaz est à environ 50 à 60 % de méthane.

La technologie discontinue

Ce sont des fermentations à voies « sèches », donc à haute teneur en matière sèche. Le principe est d’introduire dans une fosse couverte ou des cellules (de quelque dizaine de m³) le mélange de substrats auquel on a incorporé 20 à 40 % de digestat d'une fermentation précédente (qui sert d’inoculum). Les lixiviats sont récupérés et, après chauffage, sont aspergés sur la masse à méthaniser.

Plusieurs fosses démarrées séquentiellement permettent d’avoir une production de biogaz plus ou moins constante. Le biogaz peut être utilisé en cogénérateur pour faire de l’électricité et de l’eau chaude, qui servira notamment à chauffer le lixiviat. Un schéma de ce système, mis au point par BEKON, est représenté figure 3. Au Gaec du Bois Joly, la charge organique est d’une centaine de kilos par m³ de digesteur et le temps de séjour moyen est de 70 jours. La production de méthane va de 200 à 280 m³/tonne de MO.

[Figure : Schéma de principe de digesteur BEKON.]

Exploitation du biogaz

Il est composé de méthane (50-65 %), de gaz carbonique (35 à 50 %), d’hydrogène sulfuré (150 à 1000 ppm) et de vapeur d’eau (saturante).

Il est souvent nécessaire d’éliminer l’H₂S pour protéger le cogénérateur. Pour cela, le biogaz produit reçoit (dans le ciel gazeux) 2 à 4 % d’air afin que l’oxygène réagisse avec l’H₂S via les microorganismes fixés sur les parois. Le soufre se retrouve sous forme solide (S₀) et se dépose sur les parois.

Le biogaz subit une déshydratation et est souvent filtré par passage dans du charbon actif pour abaisser encore le taux d’H₂S. Il peut être exploité via une cogénération, pour produire de l’électricité et de l’eau chaude, être utilisé en chaudière, ou bien subir une purification poussée pour que le méthane atteigne au moins 97 % avant d’être injecté dans le réseau de gaz naturel.

Une torchère est nécessaire pour éviter de rejeter directement le biogaz dans l’atmosphère en cas de besoin.

Coût d’investissement des digesteurs à la ferme

Les coûts d’investissement dépendent beaucoup de la taille de l’installation. La figure 4 montre les coûts d'investissement en France pour des cas de figures avec exploitation par cogénérateur. Si, pour les installations à forte capacité de traitement, les coûts sont relativement identifiables, ce n’est pas le cas pour les petites où, parfois, il y a une part importante d’auto-construction (figure 4).

[Photo : Digesteurs discontinus du Gaec du Bois Joly.]
[Photo : Exemple de coût d’investissement en fonction de la puissance électrique installée pour des digesteurs à la ferme.]

Conclusion

Les digesteurs « à la ferme » deviennent une composante importante des exploitations agricoles.

Ils sont un complément financier intéressant pour les agriculteurs. L’industrie française de la méthanisation se met en place non seulement en reproduisant les technologies classiques mais aussi en innovant non seulement dans les technologies mais aussi dans leurs mises en œuvre.

La méthanisation a de sérieux atouts pour contribuer à la mise en place des 23 % d’énergie renouvelable prévus pour 2020. Elle est indépendante des conditions climatiques, elle contribue à économiser de l’énergie et exploite des gisements de matières organiques variés.

La France compte moins d’une centaine de digesteurs à la ferme à côté des 7 000 en Allemagne. Nous avons donc encore du chemin à parcourir. L’implantation des digesteurs doit être aussi une source de développement social via les emplois qu’elle doit générer.

Voir l’article d’Etienne Longchard sur la mise en œuvre de la méthanisation sur les exploitations.

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