Dès 1955, la ville de Cholet est sensibilisée aux problèmes de protection de l'environnement, de par son activité industrielle. En effet, l'industrie du mouchoir, bien sûr, mais aussi l'industrie agro-alimentaire causent beaucoup de nuisances à la rivière « La Moine » de très faible débit.
La station d'épuration construite alors permet de traiter les rejets d'eaux usées de l'équivalent de 40 000 habitants. Le schéma en est simple ; il est orienté vers un ratio (kWh consommé/kg de pollution éliminée) très peu élevé.
Le choix des élus choletais s'est porté, en effet, vers un traitement biologique des effluents par système filtres bactériens peu « énergivores » et un traitement des boues par digestion anaérobie, consommateur de chaleur mais producteur de biogaz.
Cette dernière filière de traitement (digesteur primaire — gazomètre — digesteur secondaire — chaufferie) est conservée aujourd'hui encore et son aménagement a fait l'objet de travaux en 1981, sous la forme d'une valorisation énergétique totale du biogaz produit, par la mise en place des cogénérateurs Totem, producteurs d'énergies électrique et thermique.
Cette installation pionnière en France, avec ce type de matériel, permet aujourd'hui à la station d'épuration d'une capacité de 120 000 équivalent-habitants de couvrir, à partir de sa production de déchets, la moitié de sa consommation électrique et la totalité de ses besoins thermiques, soit 110 TEP/an.
Nous allons, après un bref rappel du principe de la digestion anaérobie des boues, présenter la démarche des services techniques municipaux qui ont choisi ce matériel, décrire l'installation de la chaufferie et ses équipements, enfin exploiter les bilans 1982 et 1983 de fonctionnement de l'installation.
DIGESTION ANAÉROBIE
Le fort pourcentage de matières organiques dans les boues de la station d'épuration biologique nécessite, pour éviter les nuisances lors de leur stockage, un traitement particulier qui, à Cholet, consiste en une stabilisation par fermentation anaérobie méthanique, laquelle comprend deux phases : liquéfaction et gazéification.
Dans cette dernière, les bactéries méthaniques strictement anaérobies produisent du gaz méthane à partir d'acides volatils ou d’alcools formés dans la première phase. Le gaz produit est composé essentiellement de méthane CH₄ et de gaz carbonique CO₂ dans les proportions suivantes :
— CH₄ : 65 % – 70 % — CO₂ : 25 % – 30 %.
Divers autres éléments viennent en complément.
La production de gaz est le critère le plus représentatif de la qualité de la digestion. Elle dépend essentiellement de deux facteurs : la température et le temps de séjour.
À titre d'exemple, nous commenterons le schéma de la digestion des boues, adopté à la station d'épuration de Cholet. L'installation comprend :
— un épaississeur ................................ 600 m³ — deux digesteurs primaires ................. 2 × 1 800 m³ — deux gazomètres ............................ 2 × 500 m³ — un digesteur secondaire ........................ 1 200 m³ — une chaufferie (chaudière + cogénérateur)
Les caractéristiques de fonctionnement sont les suivantes :
— volume de boues injecté en digestion ............. 70 m³/j — teneur en matières sèches ........................... 6 % — teneur en matières organiques .................... 75 % — volume de gaz produit ............................ 1 500 m³/j — production de gaz/kg matières organiques introduit ............................................. 0,476 m³/kg — température de digestion ........................ 35 °C ± 1 — pH des boues digérées ........................... 7,2 – 7,4 — brassage des digesteurs .......................... 24 h/24 — chauffage des boues ............................. 10 h/jour
LA MISE EN PLACE DES COGÉNÉRATEURS. POURQUOI ?
L'idée directrice a été, lors de l'établissement du programme d'extension de la chaufferie en 1980, d'utiliser en totalité le biogaz produit lors de la stabilisation des boues, soit 1 500 m³/j. Après quelques vérifications, seul 20 % du volume total est brûlé pour le chauffage des digesteurs calorifiques.
L'excédent pouvait alors être détruit (torchère), être employé sur des équipements municipaux (chauffage d'une piscine à 1,5 km), ou être valorisé sur place, soit par compression pour l'alimentation de véhicules, soit pour produire de l'énergie électrique et thermique. C'est cette dernière solution qui a retenu l'attention des élus choletais pour les raisons suivantes :
— elle n'entraîne, dans le cadre de la construction d'une nouvelle chaufferie, qu'un supplément de dépense raisonnable (+ 400 000 F) par rapport à une solution classique chaudière + torchère ;
- — elle offre, grâce aux diverses subventions, notamment celle de l’Agence pour les économies d’énergie, un plan de financement très favorable. Sur les 400 000 F d’investissements supplémentaires, 140 000 F seront à la charge de la Ville ;
- — elle permet de disposer d’électricité compétitive pendant les heures où elle est vendue le plus cher (notamment en heures pleines et pointes d’hiver) ;
- — elle représente, avec 180 TEP/an, une participation à l’effort économique énergétique que chacun se doit de réaliser.
Quel type de matériel adopter ?
L’établissement des caractéristiques de la station d’épuration a déterminé très vite les limites de la nouvelle installation :
- — volume de biogaz disponible : 1 500 m³/j, soit 62,5 m³/h ;
- — consommation électrique moyenne horaire : moyenne 136 kWh, mini 120 kWh ;
- — consommation thermique : 50 th/h.
Il fallait donc trouver un matériel capable de consommer 60 m³/h de biogaz, produire 110 kWh au maximum (la vente à l’EDF n’était pas envisagée) et au moins 50 000 cal/h.
La recherche du matériel à mettre en place a porté principalement sur la comparaison des critères suivants : puissance nominale installée, couplage au réseau EDF, fiabilité d’entretien, encombrement, bruit.
Les premières démarches entreprises en 1980 nous ont amenés à comparer deux types de matériel :
- — de gros moteurs permettant à eux seuls de développer une puissance électrique de 100 kW ;
- — de petits appareils « Totem » développant 15 kW.
Après essai d’une période d’un an avec un cogénérateur, il a été décidé de choisir cette seconde solution — installation de 7 appareils — en fonction des éléments suivants :
- — l’aspect modulaire permet d’assurer continuellement une production d’énergie en tenant compte des arrêts pour entretien sur un ou deux appareils à la fois ;
- — le couplage au réseau EDF présente un réel avantage puisqu’il permet l’utilisation totale de l’énergie électrique produite ;
- — le fournisseur a proposé aux élus un contrat de maintenance total couvrant chaque appareil pendant 20 000 heures, contrat dont le coût permet de conserver une marge de bénéfice intéressante pour le bilan financier développé plus loin ;
- — la présentation du matériel est particulièrement séduisante (isolation, insonorisation) et attrayante par rapport à du matériel plus imposant (groupe de 100 kW par exemple).
Caractéristiques et fonctionnement du cogénérateur
L’appareil constitue un module d’énergie totale compact, isolé et insonorisé, fonctionnant au biogaz et équipé d’une centrale électronique multifonctions de contrôle et de gestion (figure 1). Il comporte principalement :
- — un moteur thermique à allumage électronique entraînant une génératrice asynchrone de 15 kW de puissance nominale ;
- — une récupération de chaleur sur les circuits de refroidissement et de lubrification du moteur, sur les gaz d’échappement et sur le refroidissement de la génératrice (ces récupérations — 39 kW — sont drainées vers le primaire de l’échangeur principal interne à l’appareil) ;
- — une isolation et une insonorisation efficaces (niveau de bruit : 65 dBA) réalisées par panneaux escamotables, piège à son sur l’aspiration et silencieux sur l’échappement ;
- — un châssis autoporteur ;
- — une série de dispositifs qui accomplissent deux fonctions spécifiques :
- 1) le diagnostic qui assure le fonctionnement correct thermo-mécanique de toutes ses parties, l’arrêt du groupe avant qu’une panne quelconque puisse se vérifier et endommager l’appareil, la signalisation du besoin d’entretien ;
- 2) le contrôle qui assure le branchement correct sur le réseau électrique des groupes composant le cogénérateur, l’arrêt du groupe en cas d’anomalie dans le réseau électrique, et l’asservissement du fonctionnement à des signaux provenant du thermostat, d’une télécommande, ou bien manuels ;
- — une protection de découplage (en option) ; une par installation isole le Totem du réseau électrique en cas d’anomalie de la tension ou de la fréquence du courant électrique.
L’expérience de ce matériel permet de dégager les éléments suivants :
- — longévité du moteur thermique : 10 à 15 000 h ;
- — révisions ou interventions d’entretien toutes les 1 250 heures de fonctionnement en alimentation gaz naturel et GPL, et toutes les 1 000 heures en alimentation biogaz ;
- — puissance délivrée : limitée à 13,5 kW environ en alimentation biogaz.
La puissance électrique est fonction de la qualité du biogaz ; elle correspondra à 13,8 kW pour un gaz dont le PCI équivaut à 5 500 kcal/m³.
L'INSTALLATION
Aménagée définitivement en septembre 1981, la chaufferie de la station d'épuration comprend :
— 7 cogénérateurs qui développent 98 kW et 210 th/h ; — 1 chaudière — fioul biogaz de 180 th/h (en secours) ; — 2 échangeurs à spirale : eau 60 °C — boue 35 °C ; — 1 aéroréfrigérant qui dissipe les calories excédentaires.
Coût de l'installation
En septembre 1981, le surcoût occasionné par la mise en place des Totem s’élevait à 400 000 F (l'opération globale d'un montant de 700 000 F comprend la construction d'un bâtiment 8 × 4 m, sous-sol et rez-de-chaussée, un échangeur à spirale 180 th/h, deux pompes à eau, une pompe à boues, un réseau de canalisation, sept cogénérateurs, un aéroréfrigérant, une armoire électrique).
Le montant global des subventions (État, agences de Bassin, agence pour les Économies d’énergie) représente 65 % du montant des travaux.
La part du surcoût revenant à la Ville de Cholet représente donc 140 000 F.
BILAN D’EXPLOITATION
Les résultats obtenus ont été rassemblés dans le tableau ci-dessous :
1982 | 1983 | |
---|---|---|
Production électrique des Totem (kWh/an) | 447 166 | 441 640 |
Heures de marche de l'ensemble des Totem (h/an) | 34 000 | 35 125 |
Coût du contrat d’entretien (par an) | 55 271 | 64 063 |
Économie sur facture EDF (F/an) | 106 688 | 115 305 |
Électricité achetée à EDF (kWh/an) | 595 531 | 753 145 |
On peut faire les observations suivantes : — la station d’épuration produit environ 40 % de ses besoins électriques ; — elle produit aussi la totalité de ses besoins thermiques ; — le coefficient d'utilisation du système est de 57,5 % ; — l’économie réalisée sur le plan énergétique est de 110 TEP.
Sur le plan technique : on peut dire que, pour un temps de fonctionnement global de l'installation de 84 000 heures, l'usure des pièces mécaniques reste limitée. À titre d’exemple, les plus importantes interventions concernent le remplacement de deux moteurs et deux génératrices. Actuellement, certains moteurs ont fonctionné jusqu’à 15 000 heures (soit l’équivalent de près de 900 000 kilomètres, s’ils avaient été montés sur véhicules).
Sur le plan financier : l’économie réalisée en 1982 et 1983 atteint 51 500 F/an ; après déduction du montant de l’amortissement (18 000 F/an), elle ressort à 33 500 F/an, soit un temps de retour de 140 000/33 500 = 4,2 ans.
Un bilan plus serré, établi mois par mois, permet de mettre en évidence les différents résultats du système en fonction de la période de l'année, par exemple en janvier et en septembre.
Janvier | Septembre | |
---|---|---|
Heures de marche totales | 3 939 | 3 258 |
Coût d’entretien (F/HT) | 6 933 | 6 092 |
Prix du kWh (F/HT) | 0,346 | 0,146 |
Économie réelle (F/HT) | 11 588 | -313 |
On voit donc que le coût de fonctionnement des appareils peut être supérieur à l’économie réalisée (tarification EDF d'été) ; il reste que, dans le cas d'une station d’épuration, deux critères justifient un fonctionnement permanent : le chauffage des boues à 35 °C, la destruction du biogaz (contenant éventuellement de l’hydrogène sulfuré) pour limiter les odeurs.
Il est certain cependant que la politique mise en place par EDF et les projets de tarification jusqu’en 1990 n’incitent pas au fonctionnement permanent d‘un tel système. Ils assurent à l'exploitant des économies grandissantes, notamment en périodes tarifaires de pointes et d’heures pleines d’hiver (figure 2).
CONCLUSION
La valorisation du biogaz mise en œuvre à la station d’épuration de Cholet à partir des générateurs d’énergie et de chaleur Totem permet, sur le plan énergétique, de réaliser une économie de 110 TEP/an.
En tenant compte des conditions particulières de l'installation, l'amortissement doit être obtenu sur une période de 4 ans environ.
Enfin, sur le plan technique, le système adopté présente, de par sa conception modulaire, une adaptation aisée du nombre d’appareils correspondant aux paramètres d’exploitation de toute station d’épuration.