Les effluents d’élevage sont constitués par les déjections des animaux, plus ou moins diluées par les eaux de lavage. Ils peuvent être classés en deux grandes catégories : — les produits liquides : ce sont essentiellement des lisiers, — les produits solides : ce sont les fumiers, les fientes et les litières de volailles « de chair ».
R. de LAUZANNELes Transformeurs
Les effluents d’élevage sont constitués par les déjections des animaux, plus ou moins diluées par les eaux de lavage. Ils peuvent être classés en deux grandes catégories :
— les produits liquides : ce sont essentiellement des lisiers,
— les produits solides : ce sont les fumiers, les fientes et les litières de volailles « de chair ».
Riches en éléments fertilisants, ces produits constituent des engrais ou des amendements de bonne valeur, dont la richesse reste encore aujourd'hui fréquemment inexploitée par les agriculteurs, et dont malheureusement on ne voit trop souvent que les aspects négatifs, en particulier dans les zones excédentaires ; ainsi, les lisiers sont-ils considérés alors comme un déchet à forte charge organique et donc hautement polluant.
LA VALEUR AGRONOMIQUEDES DÉJECTIONS
Les lisiers
Chaque élevage est un cas particulier et les caractéristiques des lisiers varient selon les espèces animales, mais également en fonction du type d’élevage, de la ration alimentaire, des maladies éventuelles des animaux et, bien sûr, des conditions de stockage.
Le tableau I donne des fourchettes de production et de composition pour différents lisiers.
Le taux d’azote minéral (ammoniacal) par rapport à l'azote total est variable, mais après deux à trois mois s’établit à un niveau relativement constant (60 à 70 % pour le lisier de porcs, 50 à 60 % pour les volailles et poules pondeuses, …), l'azote organique contenu par le lisier étant, grosso modo, pour moitié minéralisé dans l'année, pour moitié minéralisé les années suivantes.
La valeur économique nominale d'un m³ de lisier de porc non dilué correspond à un équivalent-engrais voisin de 35-40 F, qui peut baisser, en fonction de la dilution, jusqu’à 20 F/m³. On voit donc que l’emploi du lisier comme élément fertilisant, loin d’être négligeable, peut être à l’origine d'une économie d’engrais appréciable.
L’éleveur doit à cette fin gérer son lisier, en particulier au niveau du stockage et de l’épandage (par le choix des cultures appropriées, des doses, l’organisation du chantier, …).
On observera cependant que la charge polluante de ces lisiers n'est pas négligeable ; les chiffres donnés dans le tableau II en montrent le niveau, mesuré par les méthodes habituelles d’appréciation (M. Héduit, 1979).
Les fumiers
Obtenus à partir des déjections et des litières, ils ont des caractéristiques fluctuant également en fonction des types d’élevages, de leur conduite, de l’épaisseur et de la nature de la litière (pailles de céréales, voire sciures, copeaux…), de l’alimentation, de la race et du stockage.
On peut retenir qu’en valeur moyenne :
— Une tonne de fumier de bovin à 25 % de matière sèche comprend :• 5 kg d’azote (essentiellement organique),• 3 kg d’acide phosphorique,• 6 kg de potasse,
— Une tonne de fumier de volailles à 60 % de matière sèche comprend :• 30 kg d’azote et d’acide phosphorique,• 20 kg de potasse,
ces chiffres devant être considérés comme des ordres de grandeur.
Si le fumier joue un rôle d’engrais, grâce à la libération, via la minéralisation, d'éléments fertilisants assimilables immédiatement, en tout état de cause moins rapidement que le lisier, il joue aussi essentiellement celui d’amendement, assurant ainsi un rôle très important, en améliorant la structure du sol ; il permet ainsi :
Tableau I
Éléments | Bovins | Porcins | Ovins | Volailles |
---|---|---|---|---|
Quantité produite kg/j/animal | 35 à 45 | 10 à 15 | 2,5 | 0,20 |
Teneur en matière sèche % produit brut | 10 à 15 | 7,5 à 10 | 13 à 15 | 25 à 40 |
Teneur en matière organique % produit brut | 6 à 10 | 5 à 7 | 10 | 13 à 18 |
Teneur en azote kg/m³ | 4 à 6 | 5 à 7 | 10 à 12 | 10 à 30 |
Teneur en anhydride phosphorique kg/m³ | 2 à 3 | 4 à 7 | 2 à 7 | 10 à 30 |
Teneur en oxyde de potassium kg/m³ | 3 à 6 | 2 à 4 | 6 à 13 | 5 à 9 |
— de conserver l'eau nécessaire à la croissance des plantes,
— de favoriser les échanges entre éléments minéraux,
— de limiter le tassement des sols.
Les fientes
Ces produits, stockés sous forme solide, se déshydratent plus ou moins rapidement, et de ce fait, on peut obtenir en fin de stockage des produits dans lesquels les formes azotées uréiques subsistent. Des travaux tentent actuellement d’estimer ces dernières en vue de pouvoir les prendre en compte dans la prise en compte des apports azotés.
Ces fientes se caractérisent toutefois par une teneur en matière sèche relativement élevée (30 % environ) et des teneurs en azote, acide phosphorique et potasse intéressantes (respectivement 18, 12 et 7 g/kg de produit brut).
L'IMPORTANCE QUANTITATIVE DES DÉJECTIONS
La production globale de ces déjections est très importante, et on arrive ainsi en France à un gisement potentiel qui s’établit comme suit :
— Azote : près de 2 000 000 tonnes,
— Acide phosphorique (P₂O₅) : 1 200 000 tonnes,
— Potasse (K₂O) : 1 700 000 tonnes.
Il faut noter que le chiffre de la production d’azote est proche de la consommation annuelle provenant des engrais minéraux.
Toutefois, ces déjections ne sont pas toutes récupérables, loin s’en faut, en particulier celles émises au pâturage, et on admet couramment que seules 1 000 000 de tonnes d’azote, soit la moitié, sont théoriquement récupérables, 50 % de ce total étant situé dans 5 régions (Bretagne, Pays de Loire, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Nord). On observera à ce sujet qu’un travail de l’ACTA de décembre 1987 montrait que l’indicateur « effluents d’élevage » des quantités d’azote épandables à l’hectare était significativement en hausse sur 20 départements pour la période 1975-1985, et significativement en baisse sur 4 départements pour la même période ; cet indicateur a une valeur moyenne pour la France de 46 kg/ha fertilisables en 1985, l’indicateur engrais de synthèse se situant à 81 kg/ha.
LA SITUATION ACTUELLE N’EST PAS SATISFAISANTE...
Si ces sous-produits ont une valeur agronomique reconnue par les spécialistes et s’ils peuvent donc à ce titre être incorporés à leur plan de fumure par les agriculteurs, dans le cadre d’une fertilisation raisonnée de l’exploitation, il est de fait que la situation constatée est aujourd’hui globalement peu satisfaisante, leur élimination dans des conditions préjudiciables à l’environnement prenant trop souvent le pas sur une véritable valorisation.
Cela tient à un ensemble de causes dont les plus importantes sont :
— des insuffisances importantes au niveau des capacités de stockage (lisiers en particulier, ...),
— l’inadaptation de certaines pratiques agricoles,
— la méconnaissance par les utilisateurs de la valeur agronomique de ces sous-produits.
Tableau II
Espèces | Veaux de boucherie | Bovins à l’engrais | Porcs à l’engrais | Lapins | Volailles | Moutons |
---|---|---|---|---|---|---|
Paramètres | ||||||
M.S. | 19,0 | 135 | 82 | 260 | 273 | 176 |
M.E.S. | 8,2 | 56 | 66 | — | — | — |
DBO₅ | 7,5 | 40 | 190* | 165 | — | — |
DCO | 16,5 | 173 | 80 | 1 100* | 700* | 246 |
*2 mg/g sec
Cet ensemble de facteurs, lié aussi, il faut bien le dire, au phénomène de concentration de porcheries en Bretagne, a incontestablement sa part dans l’augmentation de la teneur en nitrates des eaux potables constatée aujourd’hui dans bien des régions françaises ; il est aussi à l’origine de problèmes d’eutrophisation des eaux superficielles.
L’ACTION DE L’AGENCE
Cette action s’inscrit dans la droite ligne de deux études :
— le programme élaboré par le Comité d’orientation pour la réduction de la pollution des eaux par les nitrates et les phosphates (Corpen), et approuvé par les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement le 15 mai 1985, qui a défini les lignes directrices de la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates et phosphates d’origine agricole ;
— le document regroupant les propositions d’action à mettre en œuvre pour lutter contre la pollution azotée des eaux en zone d’élevage excédentaire constituant les éléments d’un programme d’action spécifique pour la Bretagne, programme conçu et élaboré en tenant compte de la nécessité de concilier la lutte contre la pollution des eaux et le maintien d’une agriculture performante. Il comprend, entre autres, une série de propositions visant :
— la nécessité d’un « bilan azote » au niveau de l’exploitation,
— l’intérêt de poursuivre l’acquisition de références concernant la valeur fertilisante des déjections, l’emploi combiné d’engrais de synthèse et des effluents d’élevage, et l’approche économique de la fertilisation,
— la durée minimale du stockage, ainsi que l’amélioration des dispositifs et des conditions de stockage,
— l’amélioration des conditions, ainsi que des matériels et techniques d’épandages,
— le transport des déjections, en privilégiant les transports à moyenne distance des fientes de poules pondeuses et des fumiers de poulets de chair, ainsi qu’en poursuivant et en améliorant le système banque de lisier mis en place à titre expérimental dans les Côtes-du-Nord,
— l’étude de faisabilité technico-économique d’une unité de traitement des lisiers.
Pour sa part, l'Agence a réalisé dans le cadre du programme FREMUR un audiovisuel consacré à l'épandage des lisiers, qui est mis à la disposition des professionnels, et en particulier des chambres d’agriculture, pour animer des réunions d'information des agriculteurs, visant à permettre à ces derniers de mieux tenir compte de la valeur fertilisante des lisiers. Elle a également réalisé une fiche technique sur leur épandage, pouvant accompagner utilement cet audiovisuel.
Par ailleurs, au cours de l'année 1988, elle a jugé opportun de s’impliquer directement dans deux opérations importantes détaillées ci-après qui visent :
- — la première, à l'amélioration des matériels d’épandage des sous-produits organiques (lisiers, fientes, mais aussi boues de stations d’épuration, composts, ...),
- — la deuxième, à la faisabilité d'une unité de compostage de fientes de volailles.
Étude sur les matériels d'épandage
L'Agence entreprend à la fin de cette année, en liaison avec le Bureau commun du machinisme et de l'équipement agricole (BCMEA) et plusieurs missions de valorisation agricole des déchets, une étude complète portant sur les matériels d’épandage de divers sous-produits (boues d’épuration, lisiers, fumiers, composts) afin de mieux connaître ces matériels, d’expertiser leurs performances dans les conditions réelles d’utilisation, leurs coûts (investissement, fonctionnement ...), et d'établir un véritable guide de l'utilisateur et de l'acheteur.
Cette étude comprend trois phases :
- — la première comprend une sélection des matériels (8 tonnes à lisiers et 14 épandeurs à fumier) et l’élaboration d'un protocole d’observations portant sur la régularité du spectre d'épandage, les possibilités de réglage du dosage à l'hectare, le rapport qualité/prix au m³ épandu et les facilités d'emploi ;
- — la deuxième relative à la réalisation des essais et observations sur le terrain par les chambres d’agriculture ;
- — la troisième, consistant en la rédaction et la synthèse de fiches d'observations, en vue d’établir un bilan des performances des matériels testés, puis de réaliser un guide technico-économique pour les utilisateurs et acheteurs potentiels.
Cette étude, dont la première phase est déjà réalisée, sera poursuivie par l'Agence avec le concours financier des Agences de Bassin et du ministère de l'Agriculture.
Réalisation d’une unité pilote de traitement de fientes de poules pondeuses
Il s'agit en l‘occurrence de permettre l'exportation de ces fientes, qui sont une source potentielle de pollution et de nuisance, soit directement si elles sont mal utilisées, soit indirectement par la concurrence qu’elles font à d'autres déjections plus liquides (lisiers) dans la course aux surfaces d’épandage engagée dans les Côtes-du-Nord.
L’Agence a proposé à la Coopérative du Gouessant à Lamballe, la création d'une unité-pilote de traitement-valorisation de ces fientes, basée sur la technique du compostage par aération forcée. L’unité prototype, basée chez un important éleveur de Plésidy (22), sera dimensionnée pour traiter 70 m³/semaine de fientes à environ 20 % de siccité moyenne ; elle devrait permettre de produire 16 à 20 tonnes/semaine de fientes compostées à 70 % de matière sèche. La technique mise en œuvre permettra pour un coût modéré de traiter les fientes et de les transformer en un produit commercialisable : réduction du pouvoir fermentescible, modification de la couleur, de la texture et de l’odeur.
En outre, dans le cadre de cette opération qui bénéficiera de l'aide financière des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement (Mission eaux nitrates), du département des Côtes-du-Nord et de la coopérative, sont prévus des tests agronomiques, ainsi que des tests de commercialisation du produit obtenu.
Les résultats de cette opération permettront de préciser les coûts du traitement des fientes, les coûts de production du compost obtenu et d’avoir les éléments nécessaires à la reproduction d'unités de ce type, en vue d’apporter une contribution efficace et nécessaire au problème de l’élimination de ces produits (très aigu dans certains départements), tout en libérant des surfaces pour l’épandage des lisiers.
CONCLUSION
Les effluents d’élevage constituent un potentiel fertilisant extrêmement important, mais encore trop mal utilisé à ce jour, malgré les progrès incontestables réalisés ces dernières années grâce à l'action des pouvoirs publics, sous l'égide en particulier du CORPEN.
Le programme, mis au point à l'initiative de ce dernier, tant au niveau national qu’au niveau de la Bretagne, a déjà montré sa pertinence, même si beaucoup de choses restent encore à faire ; l'Agence, outil privilégié des pouvoirs publics pour l’élimination et la valorisation des déchets et qui remplit un rôle d'interface entre les deux ministères de l'Agriculture et de l'Environnement, continuera à œuvrer aux côtés des différents partenaires intéressés pour que le potentiel de ces sous-produits soit optimisé dans le sens d'une meilleure protection de l'environnement, conjuguée à une agriculture performante.