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La valorisation agricole des boues de la station d'épuration de Saumur

30 juillet 1984 Paru dans le N°84 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : F. ROCHER

LA STATION DE SAUMUR Construite en 1970, la station d’épuration des Huraudières présente une capacité de traitement de 50 000 équivalents-habitants ; du type « boues activées moyenne charge », elle traite les effluents du District urbain de Saumur (Saumur et communes associées). Assez peu d’industries polluantes étant raccordées au réseau d’assainissement, les rejets domestiques sont nettement prépondérants.

Le débit des effluents traités à la station est de 4 000 à 4 500 m³/j et les valeurs analytiques déterminées sur échantillon moyen sont les suivantes : DCO = 1 200 mg/l O₂, DBO₅ = 500 mg/l O₂, MES = 350 mg/l, NTK = 160 mg/l – N-NH₄ = 65 mg/l – P total = 20 mg/l.

Les effluents font l’objet des traitements indiqués dans le tableau 1 :

Tableau 1

TraitementsOuvragesCaractéristiques
RelèvementVis d’Archimède
DégrillageGrille courbeNettoyage automatique par râteau
Dégraissage – DessablageOuvrage uniqueAération fines bulles (Aéroflott) – Extraction des sables débourbés – Raclage mécanique des graisses
Décantation IOuvrage rectangulaireVolume : 1 500 m³ – Raclage sur racleur en surface
AérationBrassage par 3 turbinesVolume : 1 000 m³ – Puissance turbine : 22 kW × 3 turbines – Mesure et enregistrement d’oxygène par analyseur Beckman ; asservissement du temps de marche d’une turbine
Décantation IIRécupération IIVolume : 2 500 m³ – Récupération des boues par raclage
ComptageDébit-mètre ArkonType « bulle à bulle »

Les boues recueillies à la suite du traitement des effluents possèdent les caractéristiques suivantes :

— données quantitatives : boues fraîches : 1 500 kg/j – boues digérées : 1 000 kg/j ; — données qualitatives :

Type de bouesConcentration (g/l)Matières volatiles (%)
Boues fraîches35–5575–80
Boues digérées25–3060–65
Boues digérées épaissies50–6060–65

La chaîne de traitement des boues est décrite dans le tableau 2.

Tableau 2

MatièresOuvragesCaractéristiques
Boues biologiques + boues primaires (≙ boues fraîches)ÉpaississeurVolume : 400 m³ – Ouvrage alimenté en continu et raclé
Boues digéréesDigesteur anaérobieVolume : 1 840 m³ – Ouvrage brassé au gaz – Température : 35 °C
Boues sèchesLits de séchageCirculaires mécanisés – Surface : 5 060 m² – Capacité unitaire : 1 200 m²
Boues épaissiesBassin de stockage (nombre = 3)Brassées – Extraction de surnageant par pompe puis recyclage en tête de station
GazGazomètreVolume : 100 m³ – Gaz utilisé pour le chauffage du digesteur

Le volume de boues produites, d’une concentration de 50 à 60 g/l, atteint 6 000 m³/an (graisses exclues, évacuées à part).

LA VALORISATION AGRICOLE DES BOUES

Les boues en provenance des lits de séchage étaient initialement mises en décharge. Les difficultés d’exploitation créées par le mauvais fonctionnement des lits de séchage furent, en 1976, à l’origine d’un projet de déshydratation mécanique et, en 1977, faisant suite à une incitation de l’Agence de bassin et du ministère de l’Environnement, le District urbain de Saumur opta pour la valorisation agricole des boues, après s’être entouré des avis des spécialistes (1).

Après l’acquisition d’une tonne à lisier de 4 500 litres par le District, les premiers essais furent entrepris chez un agriculteur avec le concours, pour le suivi agronomique, du Comité régional pour le développement agricole du Saumurois.

Les résultats très concluants obtenus et le souhait des agriculteurs de passer à une phase opérationnelle conduisirent, en 1978, à mettre en place des bassins de stockage et à acquérir des matériels d’aspersion adaptés au volume des boues à répandre.

Dès 1977 toutes les boues produites par la station d’épuration furent ainsi épandues sur terrains agricoles.

Le District s’était fixé comme principe, dès le début, d’une part de prendre en charge la totalité de l’organisation des épandages, et d’autre part d’assurer leur réalisation depuis les chemins d’accès aux parcelles en évitant ainsi de pénétrer dans les champs avec des matériels lourds.

Aménagements au niveau de la station d’épuration

Trois bassins de stockage ont été construits dans l’enceinte de la station d’épuration, de façon à obtenir la dissociation du rythme des épandages du fonctionnement de cette station (constitution de volume-tampon) et l’épaississement maximum des boues afin de diminuer les volumes transportés.

Les bassins, d’une capacité unitaire de 1 200 m³, ont été construits en remblai et imperméabilisés par apport d’argile. L’équipement de chaque bassin comprend :

  • — une passerelle servant à la fixation des pompes et à l’accès,
  • — une pompe à lisier hacheuse (Red 2) servant à l’homogénéisation et à l’extraction des boues épaissies.

L’alimentation en boues digérées se fait gravitairement à partir du digesteur. Une fois les bassins remplis, ces boues sont laissées en décantation pendant trois à quatre semaines. Le surnageant est recyclé en tête de station, puis les boues épaisses sont brassées et extraites vers un poste de remplissage du camion-citerne.

Le matériel de transport et d’épandage

Une première expérience d’épandage agricole fut organisée par le District urbain en 1977. L’aspiratrice du service d’assainissement et la multi-benne transportaient les boues dans les bennes disposées en bordure de champ (capacité unitaire 5 m³) où elles étaient reprises par une tonne à lisier (acquise par le District) remorquée par le tracteur de l’exploitant. Les inconvénients rencontrés furent les suivants :

  • — disponibilité temporaire de l’agriculture,
  • — tassement du terrain du fait de la multitude des passages effectués en vue d’obtenir le dosage désiré,
  • — accessibilité des terrains compromise en hiver et au printemps,
  • — immobilisation de deux véhicules du service d’assainissement.

Ce dispositif fut abandonné et, en 1979, le District urbain s’équipa de matériels mieux adaptés au transport et à l’épandage des boues. Depuis cette époque celui-ci s’effectue au moyen d’un canon à lisier, alimenté à partir d’un camion-citerne par une canalisation branchée sur un groupe motopompe mobile.

Les boues sont transportées vers le champ d’épandage par un camion Mercedes 2624 à deux ponts, équipé d’une citerne de forme elliptique, d’une capacité de 16 200 l et réalisée en résine polyester armée de fibres de verre. L’emploi du polyester a permis un gain de poids important et un accroissement de un mètre cube environ du volume de la cuve, tout en obtenant une meilleure résistance à la corrosion.

Le groupe motopompe est monté sur une remorque routière. Ses caractéristiques sont les suivantes : moteur diesel Hatz – D 108 avec démarrage électrique par batterie – puissance 51 CV à 2 600 tr/min – pompe Bauer à entraînement par courroie – débit : 40 m³/h. La remorque est équipée d’un compresseur servant à la vidange de la tuyauterie avant chaque déplacement de canon.

La liaison entre la pompe et le canon d’aspersion est assurée par 300 m de tuyaux souples Ø 100 mm d’une longueur unitaire de 12,50 m. Ces tuyaux sont rangés et transportés dans des coffres de rangement sur la remorque. Le canon d’aspersion utilisé est un canon à lisier à turbine Fluxi avec buse en plastique de 22 mm de diamètre, d’une portée de 30 à 35 mètres.

[Photo : Camion de transport de boues de 12 000 l de capacité, avec remorque d’épandage.]

(11) Parmi les études réalisées et en cours, on peut citer :

  • — les essais de minéralisation de l’azote des boues dans des sols de nature différente (I.N.R.A. de Dijon) ;
  • — étude de l’évolution microbiologique d’une boue de station d’épuration pendant le stockage, sur végétation et dans le sol (étude menée par l’Institut Pasteur de Lyon) ;
  • — étude d’accumulation de métaux lourds dans le sol et dans les végétaux (I.N.R.A. de Beauce).
[Photo : Canon d’épandage en action.]

avec un angle de dispersion réglable par butée, pouvant atteindre 360° (un canon Bauer plus puissant, à balancier, avec les mêmes possibilités de dispersion, comporte une buse de 30 mm et assure une portée pouvant atteindre 50 m). Cet ensemble a été réalisé dans nos ateliers.

Les cinq années d'utilisation du matériel d’aspersion par le District urbain de Saumur ont permis de dégager les conclusions suivantes le concernant : sa limite d'utilisation est atteinte lors de la formation d’aérosols, auquel cas des précautions doivent être respectées impérativement lors de l’épandage, en fonction de la situation de la parcelle et du vent ; ses avantages essentiels sont :

  • - la possibilité d’épandage sans introduction de matériel sur le terrain, ce qui permet des épandages de cultures en place : ray-grass – maïs, du semis jusqu’à la première semaine de juillet ;
  • - « l'indépendance » du matériel, qui constitue une unité parfaitement mobile pouvant assurer l’épandage des boues de collectivités dans un rayon de 35 km ;
  • - la possibilité d’épandage de boues concentrées sans augmentation excessive de la longueur des opérations : l'épandage de 16 m³ à 50 g/l demande 25 mn alors que la même quantité à 70 g/l n’exige que 10 mn supplémentaires.

Organisation des épandages

L'objectif est d’utiliser pour les besoins agricoles la totalité des boues produites par la station, ce qui ne peut évidemment être atteint que si les agriculteurs sont satisfaits et tirent un bénéfice de l'utilisation des boues. À cet effet, deux conditions doivent être remplies :

  • - la composition des boues à épandre doit être bien connue ;
  • - les doses et les époques d’épandage doivent être étudiées en fonction des caractéristiques des sols et des cultures mises en place sur chaque parcelle.

Cela nécessite d’une part l’analyse des boues à répandre, et d’autre part l’analyse des sols qui doivent les recevoir.

L’analyse des boues

Des échantillons de boues sont prélevés pour analyse dans les bassins de stockage après brassage, lorsqu'ils sont pleins. Par ailleurs, une analyse complète est effectuée sur les boues prélevées avant chaque épandage. Ces analyses comprennent le dosage des éléments suivants :

  • - au laboratoire du District urbain de Saumur : matières sèches, matières volatiles, pH, azote total Kjeldahl, azote ammoniacal ;
  • - au laboratoire d’analyse des sols d’Arras : phosphore, sodium, magnésium, potassium, zinc, cuivre, manganèse, plomb, chrome, nickel, cobalt, bore, cadmium, mercure.

L’analyse des sols

Les prélèvements sont assurés à la demande du District urbain par le conseiller agricole du Comité régional du Développement agricole saumurois. Ils sont effectués à partir de plusieurs prélèvements dont le nombre varie selon la surface du terrain, répartis sur un plan succinct du champ considéré.

Les carottes prélevées sont mixées de façon à obtenir un échantillon moyen par terrain. Cette opération est effectuée avant chaque épandage. Les analyses (exécutées par le Laboratoire d’analyses des sols de l’I.N.R.A. à Arras) comprennent des mesures d’humidité et de granulométrie, ainsi que le dosage des éléments suivants : carbone organique, zinc extractible, azote Kjeldahl, cuivre total, pH « eau », chrome total, acide phosphorique, nickel, calcium échangeable, cobalt, magnésium, plomb, potassium, cadmium, manganèse, mercure.

Mise en œuvre des épandages

À partir des résultats de ces analyses et du type de culture à mettre en place, le conseiller agricole indique aux services techniques du District les doses d’azote à appliquer (considérées comme le facteur principal).

L’épandage est réalisé en respectant les doses ainsi définies ; l'agriculteur et le conseiller agricole reçoivent une fiche de valeur fertilisante comportant les éléments suivants : volume (dosage), matière sèche (dosage), azote total, azote minéral, azote disponible (50 % azote total), azote phosphorique (65 % de l’apport). Le conseiller agricole indique à l’agriculteur les doses complémentaires d’engrais chimiques à apporter (notamment de potasse, les boues n’en contenant pas) ainsi que les époques d’application.

Le bilan de l’opération

La valorisation agricole a apporté une amélioration très nette des conditions d’exploitation de la station d’épuration, en offrant une très grande souplesse pour l’extraction des boues en excès, grâce au volume de stockage important qui a été mis en place. L’épandage est réalisé par deux personnes du service de l’assainissement. En une journée, suivant la distance et l’accessibilité des parcelles, le volume épandu varie entre 80 et 120 m³. Le temps passé pour répandre les 6 000 m³ de boues produites annuellement à Saumur est d’environ 70 jours (échelonnés sur 8 à 9 mois).

À la demande de collectivités voisines (Baugé, Chacé-Varrains) le District a accepté de prendre en charge, moyennant rémunération, l’épandage des boues de leur station d’épuration, soit environ 15 000 m³ par an. Le prix de revient brut du mètre cube épandu, qui varie avec la distance et l’accessibilité des terrains, se situe aux environs de 20 F (amortissement inclus). Si l’on ajoute le suivi technique (analyses de boues, de sol et frais d’encadrement), ce prix atteint 25 à 26 F. La contribution financière demandée aux agriculteurs est fixée à un montant correspondant au prix de 40 % de la quantité de l’azote apportée, ce qui est particulièrement avantageux pour eux, et s’ajoute à l’économie des frais d’épandage (cette situation est toutefois défavorable pour le District, dont l’exploitation reste déficitaire).

Outre l’économie qui en résulte, ils apprécient particulièrement cette méthode pour plusieurs raisons (indépendamment du fait qu’elle ne nécessite aucune intervention matérielle de leur part) :

  • — le rôle d’amendement joué par les boues,
  • — l’apport d’éléments fertilisants (azote pris comme facteur limitant, en supposant 50 % de minéralisation dès la première année),
  • — l’effet d’arrosage produit en été.

LE POINT DE VUE DU CHERCHEUR

M. R. Chaussod de l’Institut national de la recherche agronomique de Dijon nous donne maintenant son opinion ; elle nous servira de conclusion.

Des observations effectuées sur cultures de maïs avaient montré que les boues n’avaient pas la même efficacité selon les types de sols sur lesquels elles étaient apportées. Nous avons donc cherché si cette différence d’efficacité était due à un effet direct de la nature du sol sur l’évolution des boues, ou bien à un effet indirect au niveau des pertes (volatilisation d’ammoniac, dénitrification, lessivage…). Pour cela, les mêmes boues résiduaires ont été étudiées simultanément au champ (à Saumur) et au laboratoire (à Dijon) sur les mêmes sols, l’un limoneux, l’autre sableux.

  • — au laboratoire, on n’observe pratiquement aucune influence du type de sol sur la minéralisation de l’azote organique des boues. Dans ces conditions parfaitement contrôlées (température = 20 °C ; humidité proche de l’optimum) on minimise les pertes, et cette approche donne donc une valeur fertilisante azotée potentielle : 60 % de l’azote total des boues est utilisable pour les plantes de la première année ;
  • — au champ, au contraire, l’effet du sol est très marqué : lorsque l’on dose à différentes dates l’azote minéral présent dans les parcelles boues et dans les parcelles témoins, on observe un accroissement du stock d’azote minéral après apport de boues dans le sol limoneux, alors qu’en sol sableux les parcelles boues et les parcelles témoins se distinguent à peine ;
  • — au laboratoire comme au champ, les pertes d’azote par volatilisation d’ammoniac sont très modestes dans les deux types de sols. Mais la méthode utilisée (piégeage de l’ammoniac dans l’acide borique) n’est pas totalement satisfaisante.

Dans l’état actuel de nos connaissances, la valeur azotée potentielle des boues peut être définie avec une précision et une fiabilité acceptables si les caractéristiques du produit sont connues (type de boue, composition chimique…). Par contre, la valeur azotée réelle dépend trop des conditions de l’environnement pour être déterminée de façon simple. On commence à savoir mesurer la dénitrification au champ, mais les techniques à notre disposition n’ont encore pas été appliquées à des épandages de boues, etc. Ce dernier point me semble particulièrement important : si l’on commence à pouvoir évaluer grossièrement l’efficacité azote d’une boue épandue au printemps, il n’en est absolument pas de même pour les épandages d’automne.

Comment évolue l’azote d’une boue épandue avant l’hiver ? Que reste-t-il comme « azote efficace » pour la culture suivante ? Qui est actuellement en mesure de répondre à cette question ? On connaît l’influence du type de sol (texture, profondeur) sur le lessivage des nitrates ; on a montré au laboratoire que les boues favorisent la dénitrification ; on possède des données sur l’influence de la température sur la vitesse de minéralisation des boues… Malgré cela, on manque cruellement d’expérimentation de synthèse donnant des résultats concrets, comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres déchets organiques : lisiers, déchets d’industries agro-alimentaires, etc.

Finalement, les essais de Saumur le confirment, des expérimentations conjointes recherche-développement s’avèrent absolument indispensables et devraient être lancées en plus grand nombre si l’on souhaite progresser dans nos connaissances de façon à garantir à la fois les performances agronomiques et la protection de l’environnement.

C’est à cette condition que la valorisation agricole des boues produites par les unités d’épuration importantes pourra être généralisée.

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