La température de l'eau a une influence sur ses propriétés physiques et chimiques. Ainsi, toute variation de température de l'eau entraîne une modification du comportement des traitements qui lui sont appliqués. Il est donc important de connaître la température de l'eau et ses variations saisonnières, afin de pouvoir optimiser les traitements, le dimensionnement des équipements ainsi que les modalités d'exploitation. Les effets de la température sur les processus unitaires sont exposés (coagulation, floculation, décantation, filtration, désinfection et oxygénation).
Les eaux à traiter pour la production d'eau destinée à la consommation humaine ont des températures très différentes en fonction de leur origine. Les eaux souterraines ont des températures relativement stables sur une année, comprises en général entre 12 et 15 °C. Les eaux de surface quant à elles, ont des températures très variables, pouvant aller de 2 °C en hiver à 30 °C en été. Il est donc important de connaître la température de l'eau, ainsi que ses variations pour adapter au mieux les traitements, l'efficacité de ceux-ci étant fonction de la température.
La température : un des paramètres régissant les qualités des eaux destinées à la consommation humaine
Le décret français n° 2001-1220 du 20 décembre 2001 relatif aux eaux destinées à la consommation humaine indique comme référence de qualité une température de 25 °C, cette valeur ne s'appliquant pas dans
Tableau 1 : Variations des caractéristiques physiques de l'eau en fonction de sa température
Température (°C) | Poids volumique γ (N/m³) | Masse volumique ρ (kg/m³) | Module d'élasticité E × 10⁴ (N/m²) | Viscosité dynamique η × 10⁻³ (N·s/m²) | Viscosité cinématique ν × 10⁻⁶ (m²/s) | Tension superficielle σ (N/m) | Pression de vapeur pᵥ (kN/m²) |
---|---|---|---|---|---|---|---|
0 | 980,5 | 999,8 | 1,96 | 1,785 | 1,785 | 0,0756 | 0,61 |
5 | 980,7 | 1000,1 | 2,05 | 1,518 | 1,519 | 0,0749 | 0,87 |
10 | 980,4 | 999,7 | 2,10 | 1,307 | 1,306 | 0,0742 | 1,23 |
15 | 978,9 | 998,1 | 2,15 | 1,139 | 1,139 | 0,0735 | 1,70 |
20 | 977,9 | 997,1 | 2,17 | 1,002 | 1,003 | 0,0730 | 2,34 |
25 | 977,7 | 997,0 | 2,22 | 0,898 | 0,893 | 0,0720 | 3,17 |
30 | 976,4 | 995,7 | 2,25 | 0,798 | 0,800 | 0,0712 | 4,24 |
40 | 973,0 | 992,2 | 2,28 | 0,653 | 0,658 | 0,0696 | 7,38 |
Les départements d'outre-mer. Les limites de qualité pour les eaux douces superficielles destinées à la production de ces eaux, données à l'annexe 1-3 de ce même décret, sont de 22 °C comme valeur guide, avec une valeur limite impérative de 25 °C.
Par ailleurs, la température idéale pour se désaltérer est comprise entre 12 et 15 °C.
Effets de la température sur les caractéristiques physiques de l'eau
Le tableau 1 donne les variations des caractéristiques physiques de l'eau en fonction de sa température.
La conductivité de l'eau, fonction de sa minéralisation, dépend aussi de sa température au moment de la mesure. Si la température est différente de 20 °C, la formule suivante donne la correction à effectuer :
C_T = C_20 × [1 + 0,025 (T − 20)]
avec C en µS/cm
Effets de la température de l'eau sur les processus unitaires de traitement
Coagulation
La température de l'eau joue un rôle déterminant dans le choix du coagulant, le chlorure ferrique et les polychlorures d’aluminium étant plus adaptés aux eaux froides que le sulfate d’alumine. Pour ce dernier réactif, le pH optimum de coagulation, correspondant à la solubilité minimum de l’hydroxyde d’aluminium, augmente quand la température diminue : 6,3 à 25 °C et 6,8 à 4 °C. Les pH de coagulation doivent donc être corrigés en fonction de la température de l'eau à traiter.
Floculation
Le temps de séjour de l'eau dans les bassins de floculation dépend de sa température. Plus celle-ci sera élevée, moins le temps de floculation sera long. Pour des eaux chaudes, le temps de floculation peut être de l'ordre de 15 minutes, alors que pour des eaux froides (environ 5 °C), le temps de floculation devra être de l'ordre de 25 minutes, ce qui influence notablement la taille de l'ouvrage.
Mélange – Agitation
Qu’il s'agisse de mélange rapide pour obtenir une diffusion homogène des réactifs de coagulation dans tout le volume d'eau à traiter, ou d'agitation pour augmenter la probabilité de rencontre des particules dans le processus de floculation, les turbines doivent transmettre à l'eau une certaine puissance qui s'exprime par la formule suivante :
P = G² · V · η
où P = puissance dissipée (W) V = volume du bassin (m³) η = viscosité dynamique (N·s/m²)
Pour une valeur donnée du gradient de vitesse, dépendant de l'application et du type de la turbine, la puissance à dissiper dépend de la viscosité dynamique de l'eau et donc de sa température. Plus la température est élevée, moins la puissance de mélange sera importante.
Décantation
La vitesse de décantation d'une particule grenue est donnée par la loi de Stokes :
V = (g / 18 η) · (ρ_s − ρ_e) · d²
avec ρ_s = masse volumique de la particule grenue ρ_e = masse volumique du liquide d = diamètre de la particule
Plus la température de l'eau est élevée, plus la viscosité et la masse volumique de l'eau diminueront, favorisant ainsi la décantation de la particule. Il n'existe pas de formule mathématique permettant de calculer la vitesse de décantation des particules floculées, par contre on peut connaître sa variation en fonction de celle de la température de l'eau :
V_temp1 = V_temp2 × (η_temp2 / η_temp1)
Les variations de la température de l'eau dans les différentes zones d'un décanteur entraînent des courants de densité qui perturbent la décantation. Ainsi, l'échauffement des couches supérieures par le soleil entraîne une diminution de la densité de l'eau et la création de courants dirigés de bas en haut pouvant entraîner les flocs vers les goulottes de reprise des eaux clarifiées, ce qui peut amener à couvrir les décanteurs pour améliorer leur rendement de séparation.
Le rendement de la décantation dépend du type de l’écoulement dans les ouvrages. Plus l’écoulement est laminaire, meilleur est le rendement de la décantation. Le type d'écoulement est défini par le nombre de Reynolds qui dépend, entre autres, de la viscosité cinématique et donc de la température :
Re = (V × D_h) / ν
avec V = vitesse d'écoulement (m/s) D_h = diamètre hydraulique (m) ν = viscosité cinématique (m²/s)
Dans le cas d'un décanteur lamellaire, le nombre de Reynolds de l'écoulement dans les empilements doit être compris entre 100 et 200. Pour une valeur requise du nombre de Reynolds, la vitesse de Hazen (débit/surface utile des plaques projetée sur un plan horizontal) est dépendante de la viscosité et donc de la température.
Filtration sur lit granulaire
Les pertes de charge dans les filtres augmentent quand la viscosité de l'eau augmente et donc quand la température baisse, ce qui
entraîne une diminution des vitesses de filtration et de la durée des cycles entre deux lavages, pour une charge donnée.
En filtration biologique, l'activité de la biomasse qui se développe sur les grains diminue avec la température, ce qui affecte la qualité du filtrat, notamment par une diminution du taux d'abattement de l'ammoniaque et de la matière organique.
Pour les filtres à lavage à contre-courant à l'eau seule, il faut augmenter le débit d'eau de lavage quand sa température augmente, et donc quand la viscosité diminue, pour conserver un taux d’expansion constant. En particulier, pour les filtres à charbon actif en grains, le taux d'expansion souhaité du média étant fixé (pour assurer un bon lavage), il faut faire varier la vitesse de contre-lavage en fonction de la température de l'eau. À cet effet, il est utile de prévoir un débitmètre et une vanne de réglage au refoulement de la pompe de lavage, pour permettre à l'exploitant d'ajuster son débit en fonction des saisons.
Filtration membranaire
Les performances des membranes varient avec la température de l'eau :
quand elle diminue, la viscosité augmente. On a alors :
- diminution du flux transmembranaire,
- augmentation de la pression d’alimentation pour conserver la même capacité de production,
- diminution du passage en sels dissous.
quand elle augmente, la viscosité diminue. On a alors :
- augmentation du flux transmembranaire,
- diminution de la pression d’alimentation pour conserver la même capacité de production,
- augmentation du passage en sels dissous,
- diminution de la durée de vie des membranes.
Le flux transmembranaire nominal est donné par les fabricants pour une température de référence de 25 °C. Pour des températures différentes, le facteur de correction TCF est déterminé par la formule suivante :
TCF = 1,026 (T - 25)
Là encore, le dimensionnement d'une installation de traitement devra se faire en prenant la température la plus contraignante, c'est-à-dire la température minimum.
Échange d'ions
Certains échangeurs d'ions sont sensibles aux variations de la température au niveau du taux de fuite et de la capacité d'échange. Par contre, pour ceux employés pour le traitement des eaux destinées à la consommation humaine, adoucissement et dénitration, la température n'est pas un facteur significatif, si ce n'est, comme pour tous les médias en grains, pour la détermination des pertes de charge et des vitesses de soulèvement.
Désinfection
Le taux d’inactivation des bactéries, virus... augmente avec la température. Pour une même efficacité, le paramètre C.t (concentration en désinfectant en mg/L x temps de contact en minute) diminue quand la température de l'eau augmente. Le tableau 2 donne la valeur nécessaire du C.t pour un abattement de 3 log (99,9 %) des Giardia lamblia par le chlore à pH 7.
Tableau 2 : Valeurs du paramètre C.t en fonction de la température pour un abattement de 3 log de Giardia lamblia par le chlore à pH 7
T (°C) | 1 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 |
---|---|---|---|---|---|---|
C.t (mg·min/L) | 236 | 165 | 124 | 83 | 62 | 41 |
Le volume d'un bassin de contact eau-chlore doit être calculé pour la température la plus basse de l'eau, l'efficacité de la désinfection étant alors plus grande lorsque la température augmente.
Par contre la demande en chlore augmente avec la température, du fait de l'accroissement de la biomasse se développant sur les parois des conduites des réseaux de distribution.
Il est à noter aussi que la formation des sous-produits de la désinfection augmente avec la température. Par exemple pour la chloration, on a une augmentation de +50 μg/L de THM par accroissement de 10 °C de la valeur de la température. Ainsi une augmentation de 10 °C de la valeur de la température entraîne une augmentation de la production de THM de 50 μg/L.
Oxygénation
La solubilité de l'oxygène diminue quand la température de l'eau augmente, comme le montre le tableau 3.
Tableau 3 : Solubilité de l'oxygène en fonction de la température, à la pression atmosphérique et au niveau de la mer
T (°C) | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 |
---|---|---|---|---|---|---|---|
C (mg/L) | 12,8 | 11,3 | 10,1 | 9,2 | 8,4 | 7,7 | 7,1 |
Traitements correctifs du caractère agressif ou incrustant d’une eau
Toute modification de la température de l'eau fait varier son pH de saturation et donc son indice de saturation :
Isat = pH - pHs
Isat positif, l'eau est incrustante Isat négatif, l'eau est agressive
Il est à noter que le pH de l'eau a tendance à diminuer quand sa température augmente. Le calcul de l'équilibre calco-carbonique et donc le dimensionnement des postes de réactifs pour la correction du pH dépendent donc également de la température.
Autres effets de la température
Solubilité des réactifs de traitement
En règle générale, la solubilité des réactifs augmente avec la température de l'eau de dilution, à l'exception de la chaux, dont la solubilité est donnée par le tableau 4.
Ainsi, la détermination du débit de l'eau d'alimentation d'un saturateur produisant de l'eau de chaux doit être effectuée sur la base de la température la plus élevée.
Température et hydraulique
Lors de la conception des usines de traitement il est toujours fait appel à des notions d'hydraulique.
Trois paramètres essentiels entrant dans les calculs hydrauliques, à savoir :
- les pertes de charge par frottement dans les conduites,
- le NPSH disponible des installations de pompage,
Tableau 4 : Solubilité de la chaux vive et de la chaux hydratée (ou éteinte) en fonction de la température de l'eau de dilution
T (°C) | 0 | 10 | 20 | 30 | 40 | 50 | 60 | 70 | 80 | 90 | 100 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
CaO (g/L) | 1,40 | 1,33 | 1,25 | 1,16 | 1,06 | 0,97 | 0,88 | 0,80 | 0,71 | 0,64 | 0,55 |
Ca(OH)₂ (g/L) | 1,85 | 1,76 | 1,65 | 1,53 | 1,41 | 1,28 | 1,16 | 1,06 | 0,94 | 0,85 | 0,70 |
– la puissance absorbée à l'arbre des pompes dépendent directement de la température.
Les pertes de charge par frottement sont déterminées à l'aide de la formule de Colebrook.
J = λ × (V² / 2g) / D
où λ, le coefficient de perte de charge, est fonction du nombre de Reynolds, lui-même dépendant de la viscosité cinématique de l'eau et donc de sa température.
Le NPSH (Net Positive Suction Head) disponible d'une installation est donné par la formule suivante :
NPSHₐ = (P / w) – hᵥ
où P = pression absolue à l'entrée de la pompe w = poids volumique de l'eau hᵥ = hauteur représentative de la tension de vapeur de l'eau pompée, avec hᵥ = (Pᵥ / w) (Pᵥ = pression de vapeur)
On constate donc que le NPSH est fonction de la pression de vapeur et du poids volumique de l'eau pompée, deux valeurs dépendant de sa température.
La puissance absorbée à l'arbre d'une pompe se détermine par la formule suivante :
P = (w Q H) / (100 η)
avec P en kW w en daN/m³ Q en m³/s H en m de colonne d'eau η le rendement
dans laquelle il apparaît : – le poids volumique de l'eau (w), – la hauteur d'élévation nette (H) qui inclut les pertes de charge par frottement dans les conduites, toute valeur dépendant de la température.
Conclusion
On constate que la température, ainsi que ses variations saisonnières, doivent être prises en compte, bien qu'elles soient trop souvent négligées, dans la définition des processus de traitement et dans l’exploitation des usines de production d'eau potable. De plus, en toute logique, les garanties de la qualité de l'eau produite devraient être liées à une valeur ou à une gamme de températures de l'eau à traiter.