La stabilisation aérobie anciennement utilisée pour stabiliser les boues avant épandage peut être également un procédé efficace et robuste pour réduire les quantités de boues à évacuer s'il est mis en oeuvre de façon optimale. En effet, il permet de réduire significativement la quantité de boue à évacuer (40 % en moyenne). Des essais récents ont permis de mieux appréhender l'influence des différents paramètres (nature des boues, concentration, température, temps de séjour) sur la réduction des boues mais aussi sur le transfert d'oxygène, jusqu'alors mal maîtrisé en boues concentrées.
En France, le devenir des boues issues des stations d’épuration est de plus en plus problématique. Il devient, pour un grand nombre de stations d'épuration, rentable de réduire in situ la quantité de boue à évacuer. Pour ce faire, il existe un procédé simple, déjà éprouvé mais pas toujours bien mis en œuvre : la stabilisation aérobie.
Description de la stabilisation aérobie
La stabilisation aérobie est un procédé de traitement des boues issues de l’épuration d’effluents urbains ou industriels. Une stabilisation aérobie est classiquement constituée d’un réacteur (en béton ou métallique) et d’un système d’aération par insufflation d’air ou brassage de surface. Le réacteur est alimenté en continu ou par bâchée par des boues plus ou moins concentrées (de 8 g/L à 50 g/L).
L’apport d’oxygène permet aux microorganismes aérobies de dégrader la matière organique. Avec un temps de séjour allant de quelques jours à plusieurs dizaines de
Jours, la matière organique biodégradable est plus ou moins complètement oxydée.
Historique de la stabilisation aérobie
Développé dans les années 60-70, le procédé était initialement destiné à stabiliser les boues en réduisant la quantité de matière organique biodégradable. Ainsi la fermentation des boues et les problèmes d’odeurs ont été limités. La stabilisation aérobie a montré qu'elle réduisait également la quantité de micro-organismes pathogènes dans les boues.
Au cours des années 80-90 la stabilisation aérobie a peu été installée en raison du développement de boues activées en aération prolongée (boues moins fermentescibles) et de la consommation énergétique importante.
Aujourd’hui, étant donné les contraintes et les coûts élevés pour l’évacuation des boues, outre l'utilisation pour stabiliser les boues, ce procédé est une solution à envisager pour réduire la quantité de boue à évacuer.
Implantation de la stabilisation aérobie en France
La stabilisation aérobie est très peu implantée en France. Les hommes de métier lui reprochent d’être trop coûteuse à exploiter à cause de la consommation électrique qu'elle nécessite. De plus, la quantité de matière organique biodégradable dans les boues d’aération prolongée (de plus en plus répandues) est limitée par la dégradation initiée dans le système épuratoire. Il est communément pensé que la stabilisation aérobie ne peut permettre d’abattre guère plus de 10-20 % de la matière organique de ce type de boue.
Nous verrons que ces deux points qui freinent l'implantation de la stabilisation aérobie sont à relativiser.
Potentiel de dégradation d’une boue d’aération prolongée
Il est possible en laboratoire de suivre précisément la dégradation obtenue au cours du temps en aérant des boues en batch. Des expérimentations menées en laboratoire en 2005 à Anjou Recherche (centre de recherche de Veolia Eau) ont permis de mettre en avant un potentiel de dégradation des boues d’aération prolongée (20 jours d'âge de boue) nettement supérieur au 10-20 % attendu.
En 20 jours, à 20 °C, 45 à 50 % des matières volatiles en suspension (matière organique particulaire) a été dégradé et de l’ordre de 40 à 45 % des matières totales en suspension (une partie du minéral est solubilisée).
Des essais dans une cuve de 3,5 m³ aérée par des diffuseurs fines bulles et alimentée chaque jour ont permis de confirmer la bonne efficacité de réduction de boue du procédé sur des boues d’aération prolongée. En moyenne sur des essais effectués sur site sur 6 mois en 2006, pour des temps de séjour compris entre 10 et 20 jours et des températures allant de 20 à 40 °C, le procédé a permis de dégrader 35 % des matières organiques particulaires (MVS) et de l’ordre de 30 % des matières en suspension.
Influence de l’âge d’une boue sur sa biodégradabilité aérobie
Comme indiqué précédemment, la dégradation pouvant être obtenue sur une boue d’aération prolongée est au-dessus de ce qui est communément pensé.
Le bilan de la figure 3 permet d’expliquer la relative bonne dégradabilité des boues d’aération prolongée. Pour une pollution donnée, une boue activée forte charge produira plus de boue qu'une aération prolongée. En absolu, la boue forte charge contient plus de deux fois plus de matière organique potentiellement biodégradable par stabilisation aérobie que la boue d’aération prolongée. Mais, en relatif, la différence est moins importante ; la boue de forte charge contient près de 70 % de matière organique potentiellement dégradable et la boue d’aération prolongée en contient un peu plus de 50 % (ce qui reste un fort potentiel).
Coûts d’exploitation
Dégrader la matière organique des boues en conditions aérobies nécessite une aération intense. Cette aération qui peut être réalisée par insufflation d’air ou par agitation mécanique consomme beaucoup d’électricité. Ainsi la consommation électrique représente la majorité des coûts d’exploitation d'une stabilisation aérobie.
Exemple de dépense énergétique d’installations existantes, ramenée à la tonne de MS dégradée :
- – Stabilisation aérobie thermophile de boues flottées issues du traitement d’effluent d’une
– stabilisation aérobie à température ambiante de boues mixtes urbaines aérée par turbine montée de surface : 2 500 kWh par tonne de MS dégradée.
Selon le type d’effluent dégradé, la température de traitement et le dispositif d’aération, la consommation énergétique ramenée à la tonne de MS dégradée peut être très différente d’une stabilisation aérobie à une autre. Étant donné le coût élevé de traitement (déshydratation), de l’évacuation (transport) et de la dévolution des boues, le procédé se révèle, dans la plupart des cas, rentable.
Optimisation du dimensionnement
Les ouvrages de stabilisation aérobie sont de taille importante car la dégradation de la matière organique nécessite un temps de séjour élevé (entre 6 et 40 jours suivant la température de traitement).
À temps de séjour constant, augmenter les MES des boues par un épaississement permet de diminuer la taille de l’ouvrage.
Cependant plus les boues sont concentrées moins le transfert d’oxygène est bon. Le compromis volume/concentration/temps de séjour sera défini selon les critères suivants : performance/coûts de fonctionnement/coûts d’investissement.
Le devenir de l’azote
La dégradation de la matière organique particulaire entraîne l’augmentation de l’azote sous forme ammoniacale (NH4+). Cette forme de l’azote très soluble se retrouve dans le liquide interstitiel des boues. Le devenir de l’azote ammoniacal dépend des conditions opératoires. En conditions thermophiles, les bactéries nitrifiantes (qui transforment l’ammonium en nitrates) sont inhibées donc l’azote reste sous forme ammoniacal. À plus faible température, une partie de l’azote ammoniacal est oxydée en nitrates. En fonction de la concentration en oxygène et du séquençage de l’aération, une part plus ou moins importante de ces nitrates formés est transformée en azote gazeux.
Stabilisation aérobie thermophile : effets de la température
Traiter des boues très biodégradables (boues mixtes, boues agro-alimentaires…)
Suffisamment concentrées (> 25 g/L en matières organiques) permet d’avoir une élévation de température importante et d’obtenir, sans apport extérieur d’énergie de chauffe, des conditions thermophiles (> 50 °C).
L’énergie générée par l’activité biologique, appelée énergie biogène, est, en effet, suffisante pour élever la température de la boue de plusieurs dizaines de degrés.
Avoir une température élevée permet d’augmenter les performances de destruction des pathogènes et permet d’avoir une cinétique de dégradation de la matière organique plus rapide (réduction du volume du réacteur).
La température a des effets contradictoires sur le transfert d’oxygène :
- - baisse de la concentration de saturation en oxygène du milieu, donc baisse du transfert
- - baisse de la viscosité donc augmentation du transfert
- - baisse de la tension de surface donc augmentation du transfert
Globalement, travailler en conditions thermophiles modifie peu le transfert d’oxygène par rapport à des températures plus faibles.
Discussion générale
- - Les effluents types graisses sont de plus en plus souvent dégradés in situ car cette solution est souvent moins coûteuse que le transport et le traitement en centre spécialisé. Le traitement in situ consiste en une dégradation par des micro-organismes lipophiles aérobies dans une cuve aérée et agitée.
- - La plupart des sociétés de traitements des eaux proposent leur propre traitement aérobie des graisses.
- - Les boues issues de l’épuration des effluents industriels sont souvent coûteuses à évacuer. Il est souvent préférable d’en réduire au maximum le volume in situ. Selon leur origine, les boues sont plus ou moins organiques et biodégradables. Les boues des industries agro-alimentaires sont particulièrement organiques. Ce type de boue convient bien à une dégradation biologique. On peut obtenir aisément plus de 50 % de réduction des matières organiques des boues et fonctionner en stabilisation aérobie thermophile.
- - La stabilisation aérobie est particulièrement intéressante à installer dans le cas de la réhabilitation de stations existantes dès lors qu’il y a un bassin en bon état de taille suffisante qui peut être récupéré. Il suffit alors d’installer l’équipement nécessaire (aération, pompes...). En faisant l’économie du génie civil, le coût d’investissement peut devenir intéressant.
- - Dans le cas de stations à construire, prévoir une stabilisation aérobie peut être intéressant si la réduction de production de boue est un enjeu majeur (difficultés pour évacuer les boues, coût d’évacuation élevé). Il faut que les économies générées par la plus faible quantité de boues à évacuer permettent de compenser les coûts d’exploitation (surtout la dépense électrique de l’aération) et d’amortir le coût de construction du bassin et de l’équipement.
- - Quelques additifs (additifs fongiques ou cocktails bactériens) proposés par des fournisseurs de biotechnologies ont été testés en prototype. Les résultats obtenus n’ont pas permis d’en déduire une efficacité supplémentaire par rapport à celle habituellement obtenue sans additifs. C’est la raison pour laquelle Veolia s’est plutôt penchée sur l’amélioration des mécanismes physiques et biochimiques de la stabilisation aérobie. Ainsi une performance de réduction de boue supérieure aux attentes a pu être obtenue en optimisant la conception et la mise en œuvre du procédé dans la filière de traitement des boues.
Conclusion
Dans un contexte d’augmentation des coûts d’évacuation, réduire la quantité de boue à évacuer est nécessaire.
La stabilisation aérobie permet de dégrader une part importante de la matière organique des boues.
Contrairement aux idées reçues, la stabilisation aérobie, bien mise en œuvre, est un procédé rentable économiquement et qui peut permettre d’obtenir une réduction de boue intéressante même sur des boues d’aération prolongée.
Références bibliographiques
Mavinic D.S. and Koers D.A. Performance and kinetics of low-temperature aerobic sludge digestion. Journal Water Pollution Control Federation, 54, p. 2088-2098 (1979).
B.C. Anderson and D.S. Mavinic. Assessment and Application of Kinetic Reaction Rates in Pilot-Scale Semi-Continuous Aerobic Sludge Digestion. Environmental Technology Vol 13, p. 115-128 (1992).