LE PROCÉDÉ PÉTRIFIX*
M. A. F. Zech Responsable-Projet PEC Engineering
I. QUELQUES DONNÉES DU PROBLÈME
Chacun peut constater que l’activité industrielle utilise des technologies générant une grande quantité de déchets. Une partie importante de ces déchets est constituée de déchets boueux. Ils proviennent des effluents industriels, urbains ou agricoles. Cela représente 500 000 t/an de boues à traiter en France par un procédé de solidification (chiffre estimé au Congrès sur l’Environnement à Paris en décembre 1979).
Le volume croissant de ces déchets boueux rend urgentes des solutions réalistes.
Tout d’abord, les caractéristiques physiques de ces boues (humidité, viscosité…) ne permettent pas une mise en décharge ou, a fortiori, une utilisation comme matériau de remblai.
De plus, les propriétés chimiques de ces boues ne les rendent pas totalement insensibles aux phénomènes de percolation par les eaux de pluie. Cela peut entraîner, dans certaines conditions, une remise en solution des traces d’éléments toxiques (dans les nappes phréatiques par exemple).
Dans quelques cas, ces boues peuvent trouver des évacuations particulières :
- — l’incinération si ces boues ont un pouvoir calorifique élevé ;
- — l’épandage sur terrain agricole si ces boues ne risquent pas de « libérer » des toxiques (certains métaux lourds par exemple) ;
- — la valorisation soit par récupération des éléments contenus dans la boue (cas assez rare en raison d’une faible concentration des produits et d’une humidité importante), soit, dans certaines conditions, par un enrichissement des boues pour l’utilisation des excréments animaliers comme engrais des sols, par exemple.
Mais bien souvent, la seule solution acceptable au point de vue économique et écologique est d’effectuer un traitement de ces boues par un procédé permettant leur insolubilisation et leur solidification.
La réglementation à venir du Marché commun, régissant l’élimination des déchets industriels et la protection des nappes d’eau souterraines, engendre un intérêt croissant en Europe pour la solidification des déchets boueux toxiques (Chemical Engineering du 2 juillet 1979).
Le développement des procédés de solidification doit se fonder sur l’obtention de boues traitées possédant des propriétés de stabilité « historiques ».
On ne peut pas, en effet, se contenter de stabilité décennale, voire moindre, comme dans la construction et les travaux publics.
Il faut viser la stabilité des boues solidifiées sur les périodes de temps les plus longues possible. La difficulté de simuler de telles périodes incite à utiliser les travaux de l’archéologie et de la « science des matériaux ».
Pour répondre à ces exigences, différents procédés de solidification ont été mis au point dans le monde, une dizaine ayant actuellement une portée industrielle notable.
Si ces procédés diffèrent dans leurs principes (utilisation de ciment, de polymères, de liants ou autres…) et dans leurs technologies, une des caractéristiques reconnues qui leur est commune est la très bonne résistance à la lixiviation (ou percolation) du déchet solidifié.
* Brevet déposé.
III. LE PROCÉDÉ PÉTRIFIX
Dans toute l'Europe et en particulier en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et sur tout le pourtour du bassin Méditerranéen, il est possible de voir des monuments romains quasi intacts, lorsque leurs matériaux n'ont pas été utilisés localement. Du Panthéon au Pont du Gard, du port d’Ostie (près de Rome) au « cloaca maxima » (égout du Ve siècle à Rome), ces structures témoignent d’une époque qui a su créer des pseudo-minéraux dont les propriétés sont proches de certaines roches naturelles.
On peut témoigner de l'existence de telles structures où les pierres ont été en certains endroits dégradées, alors que le mortier subsiste.
C'est la connaissance scientifique de ces matériaux et de ces structures qui ont bien supporté les siècles (les bétons romains sont basés sur une réaction pouzzolanique) qui a permis de mettre au point un procédé d’une fiabilité remarquable : le Pétrifix.
Dans le procédé Pétrifix, on mélange à la boue un ensemble de réactifs mettant en jeu une réaction pouzzolanique. Il se forme des silicates de calcium hydratés et des silico-aluminates de calcium d'une composition particulièrement stable.
La tobermorite ou l’ettringite, pour ne citer que deux composés formés lors de la prise (appelée hydratation), sont des composés que l'on trouve dans la nature, signe d'une grande stabilité.
La formation de tous ces composés (silicates, aluminates…) provoque une consommation importante d’eau (32 molécules d’eau pour la formation d’ettringite, par exemple). L'eau libre de la boue est transformée en « eau liée ». Au sens strict, il y a consommation de l'eau contenue dans la boue pour en faire un produit solide.
Par ailleurs, lors de la réaction des composés stables du Pétrifix, il y a formation de produits de substitution. Par exemple, un atome d’aluminium peut être remplacé par un atome de chrome hexavalent.
On peut affirmer que ces phénomènes de substitution confèrent au Pétrifix les qualités non pas de réactions d’enrobage, mais de réactions de fixation au niveau moléculaire.
On trouve là les raisons de l'insolubilisation des toxiques (métaux lourds en particulier) par le procédé Pétrifix.
Nous présentons ci-après quelques résultats de tests de lixiviation officiels effectués sur différents types de boues, ainsi que des tests de résistances mécaniques.
TESTS MÉCANIQUES
Échantillon aux normes de l’industrie du béton (4 cm × 4 cm × 16 cm)
• Résistance à la flexion : 15 b
• Résistance à la compression : 98 b
TABLEAU DES RÉSULTATS
REPÈRE 1 – INDUSTRIES MÉTALLURGIQUES (stockage tube acier)
TENEUR EN ÉLÉMENTS (mg/kg de boue sèche) | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Cd | Cr (VI) | Cu | V | Zn | Cu TOTAL | ||
Boues brutes | 0 | 110 | 59 500 | 170 | 1 650 | 160 | 61 590 |
Boues pétrifiées – 1 mois | 0 | 0,12 | 6,3 | 0,18 | 0,625 | 0,225 | |
Boues pétrifiées – 12 mois | 0 | 0,17 | 61,4 | 0,18 | 0,16 | 0,18 |
REPÈRE 2 – INDUSTRIES HYDROCARBURES / PHÉNOLS
Cd | Cr (VI) | Cu | |
---|---|---|---|
Boues brutes | — | — | — |
(approx. 3 250 mg/l DCO) | — | — | — |
Boues pétrifiées – 1 mois | 0,5 | 0,10 | 42 |
Boues pétrifiées – 12 mois | 0,5 | 0,10 | 73,6 |
IV. LA MISE EN ŒUVRE DU PÉTRIFIX
La réalité industrielle, tout au moins en France et en Europe, permet de rencontrer trois types de problèmes d’évacuation de boues industrielles :
- 1) Évacuation en centre de traitement.C’est principalement le cas des petites quantités de boues toxiques (moins de 500 t/an).
- 2) Évacuation en centre de stockage pour traitement de solidification ultérieur.C’est le cas pour des pollutions particulières (déchets d’hydrocarbures par exemple) ou éventuellement pour des quantités de l’ordre de 500 à 2 000 t/an.
- 3) Évacuation en lagunes locales.C’est pour un grand nombre d’industriels la solution classique. On peut rencontrer en France et en Europe des lagunes à traiter entre 2 000 t et 500 000 t (quelquefois plus).
Dans les deux premiers cas, de petites unités fixes de traitement permettent une excellente solidification et la constitution d’un bon matériau de remblai à partir de la boue.
[Schéma : Procédé Pétrifix – Système unité mobile (Procédé PIME)]Légende
- A – Lagune à boues
- B – Sélecteur à boues et homogénéisateur
- C – Pompe de transfert des boues
- D – Doseur à boues
- E – Stockage de réactifs pulvérulents
- F – Doseur à pulvérulents
- G – Stockage de réactifs liquides
- H – Doseur de liquide
- I – Malaxeur
- J – Bande sauterelle
- K – Camion pour évacuation du Pétrifix
- L – Pompe haute pression d’évacuation du Pétrifix
- M – Retour vers lagune ou autre terrain pour reconstitution
Dans le cas du traitement de solidification en lagunes, on peut mettre en évidence quatre phases de réalisation.
- a) Sondage de la lagune.Cette opération, qui précède tout traitement, est effectuée avec une minutie particulière. Il est indispensable d’avoir une « photographie » la plus réelle possible de la lagune, autant d’un point de vue chimique pour déterminer la ou les formulations nécessaires que d’un point de vue géométrique (profondeur, résistance des sols…) pour choisir la technologie de traitement la plus adaptée.
- b) Choix de la formulation.À partir d’un échantillonnage précis (voir ci-dessus), il est déterminé en laboratoire le ou les types de réactifs nécessaires au traitement en fonction de l’utilisation finale de la boue pétrifixée.
- c) Mise en œuvre.Une unité mobile a été mise au point (brevet Société PIME) pour intervenir dans différentes configurations de stockages de boues toxiques.Dans tous les cas, l’unité mobile de traitement permet une homogénéisation des boues, un dosage précis des réactifs et un malaxage très élaboré de l’ensemble boues + réactifs.Cette unité peut aujourd’hui traiter jusqu’à 1 000 t de boues par jour par le procédé Pétrifix.Cette unité intervient dans toute la France et en Europe.
- d) Réutilisation de la boue pétrifixée.Après traitement de la boue par le procédé Pétrifix, celle-ci retrouve l’état d’un matériau neutre chimiquement et stable mécaniquement.
Le matériau peut servir à reconstituer le sol de la lagune (si celle-ci n'est plus utilisable) ou bien servir de matériau de remblai localement. D'autres réutilisations sont en cours d’étude actuellement.
V. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES DU PROCÉDÉ
Outre son intérêt en ce qui concerne la protection de l'environnement et la reconstitution des sols, le procédé Pétrifix offre de nombreux avantages spécifiques :
- — Aucune dilution du déchet n'est nécessaire pour permettre son traitement.
- — Pas d’eau de ressuage lors de la prise.
- — Résultats de laboratoire maîtrisés pour la satisfaction des objectifs proposés.
- — Débit de traitement important. Par exemple, et compte tenu des opérations d’installation de chantier et de démontage, une lagune de 5 000 m³ peut être réalisée en 2 semaines, une lagune de 20 000 m³ en 6 semaines.
- — Par rapport aux autres traitements de déchets boueux (incinération...) le coût de traitement est faible, entre 100 et 150 F/t en général.
De tous ces avantages, le procédé Pétrifix peut mettre particulièrement en avant le fait d’être un procédé « ultime » de traitement, c’est-à-dire un procédé qui n'engendre pas lui-même un déchet.
Un tel procédé et les procédés analogues ne cesseront de se développer dans une évolution irréversible vers une protection de l'environnement plus rigoureuse et plus contraignante.