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La séquestration sélective et l'électrodépollution : deux nouvelles techniques de traitement des rejets industriels liquides

28 juillet 1989 Paru dans le N°129 à la page 69 ( mots)
Rédigé par : E.-van-der VLIST

Les technologies conventionnelles d’extraction des métaux toxiques dans les rejets industriels ont atteint leurs limites dans beaucoup de cas, et ne permettent pas de respecter les normes nationales et européennes, actuelles et futures, édictées par les organismes responsables de la protection de la santé et de l'environnement.

Parmi les méthodes appliquées aux effluents liquides, celles qui se rapportent à la précipitation, à l'échange d’ions ou à l’osmose inverse ne permettent pas à elles seules de produire des rejets dont la qualité soit en harmonie avec certaines réglementations d’aujourd’hui, et, a fortiori, avec celles de demain. De plus, dans beaucoup de cas, les sous-produits obtenus par ces techniques concentrent la pollution et ne font que déplacer le problème.

Le besoin d'une nouvelle technique plus performante, économiquement compétitive, ne produisant pas de sous-produits plus gênants que les produits de départ, fonctionnant de manière autonome ou en combinaison avec d'autres techniques existantes, se fait sentir dans plusieurs domaines d’activités industrielles génératrices de rejets contenant des métaux.

La séquestration sélective

Principe et applications

L’approche du procédé séquestrant

Observant la très grande efficacité des systèmes vivants pour fixer les métaux, deux biochimistes ont pensé utiliser des modèles biologiques pour synthétiser des molécules chimiques séquestrantes des métaux. Les cellules vivantes des plantes, des animaux, des microbes sont, en effet, capables d'utiliser sélectivement une large gamme de métaux tels que sodium, potassium, magnésium, calcium, cuivre, zinc, cobalt, fer, sélénium, manganèse pour leurs fonctions nutritives essentielles.

Fonctionnement des molécules naturelles

Les cellules contiennent en surface des récepteurs qui identifient et fixent uniquement le métal désiré ; lequel est présent à l'état solubilisé dans un environnement dont le pH est voisin de celui du liquide physiologique. À cette valeur de pH, quelques métaux, dont le fer, sont très peu solubles ; aussi l’organisme vivant excrète-t-il une substance appelée sidérophore, très riche en fer, qui constitue la réserve de fer de la cellule. Les sidérophores se classent en deux groupes, les hydroxamates et les phénolates-catécholates, qui tous deux se caractérisent par une très forte affinité pour le fer trivalent ; leurs constantes de formation sont de l'ordre de 10³⁰ à 10⁵⁰. Les deux exemples suivants (figures 1 et 2) sont typiques de chacun des deux groupes.

Dans les sidérophores naturels, le fer est fixé solidement par des liaisons covalentes à une partie du groupement catéchol de l’entérobactine, ou à la partie hydroxamate substituée de la ferrioxamine. L'autre partie des molécules ayant servi à fixer le fer est liée par liaison covalente à un squelette ayant une configuration rigide dans l’espace.

La géométrie spatiale de cette configuration détermine la sélectivité pour la fixation du fer III. D'autres métaux peuvent aussi être fixés sur les mêmes molécules mais leur affinité est bien moindre.

Synthèse des compositions séquestrantes

Les deux biochimistes entreprirent de synthétiser des séries de molécules séquestrantes des métaux en partant de catéchol ou de catéchols substitués comme partie active. Le catéchol est lié de façon covalente, par l'intermédiaire d’agents chimiques bifonctionnels, à la surface solide de verres très poreux, pour lui conférer des propriétés similaires à celles de l’entérobactine.

À la différence des sidérophores naturels où la partie active est rigide dans l'espace, avec les compositions synthétiques la partie active est libre de se mouvoir dans l’espace à la façon d’un ballon retenu par un fil. Ceci confère aux produits de synthèse une très grande affinité pour une très large gamme de métaux de transition et d’actinides par suite de l’action complémentaire de plusieurs groupes catéchols voisins.

[Photo : Enterobactine sidérophore microbien.]

La figure 3 donne le modèle graphique d'une composition séquestrante pour les métaux. Les étriers symbolisent les groupes sidérophores fixés par une liaison à la surface solide représentée par la ligne continue.

Exemples d'applications et résultats

La recherche sur les séquestrants sélectifs (3) s'orienta alors sur la synthèse de compositions utilisables pour la résolution de problèmes industriels.

Industrie nucléaire : les premiers efforts (4) portèrent sur l'extraction de métaux communément trouvés dans les effluents de l'industrie nucléaire, c'est-à-dire des sous-produits de fission tels que Cobalt 60, Strontium 90 et Cesium 137.

Le tableau I donne le résultat d'essais effectués sur site.

Tableau I

Effluent Composition Résultat après traitement
Circuit primaire de refroidissement B 2 000 ppm – U 5 ppm – Ni 1 ppm – Cr 0,4 ppb – Co-60 50 ppt – Cs-137 20 ppt Co-60 indétectable – Cs-137 indétectable – Rendement 4 × 10^6
Eau de piscine Cs-137, Co-60, Sr-90 à des concentrations variables Tous indétectables
Complexes citriques Fe-59, Co-60 Tous deux indétectables
Eaux de nettoyage de sols Co-60 0,1 ppt – Sr-90, Cs-137, Cr-51, Nb-95, Sb-125, Zn-65, Fe ≤ 90 ppm – Na 1 000 ppm – Ca 173 ppm – Mg 90 ppm – B 22 ppm – pH 7,8 – MES 1 000 ppm Extraits à plus de 99,9 %

Traitement de surface

Un second domaine a retenu l'attention des inventeurs : il s'agit des effluents provenant des ateliers de traitement de surface (5, 6).

La figure 4 montre l'efficacité du système sur l'exemple du zinc (0,01 ppm de zinc à la sortie), bien que la concentration en zinc de l'effluent à l'entrée soit variable. L'effluent traité est un bain de rinçage de zinc en galvanoplastie.

La présence d'autres éléments n'interfère pas ; le tableau II donne la liste de ces éléments.

Tableau II

Éléments Concentration (ppm)
Zn192,60
Mn000,05
Mg008,54
Na043,40
Sr000,16
B018,40
Si001,20
Ca039,90
pH6,3 – 7,3

Les essais ont montré que 100 cycles d'utilisation des compositions étaient envisageables. Des résultats analogues ont été obtenus à partir de bains de rinçage de nickel contenant aussi d'autres éléments. Le recyclage des compositions s'obtient généralement en les régénérant avec des acides minéraux dilués. Dans le cas du nickel on récupère une solution à 8 g/l qui est renvoyée dans le bain d'électrolyse.

Récemment (7) nous avons développé le procédé pour retenir et récupérer le cadmium dans les effluents acides provenant de décadmiage et de passivation chromique. Avec l'électrolyse directe du cadmium sur le bain mort après la ligne de cadmiage, nous avons réalisé un procédé total qui permet de réduire les fuites en cadmium à 0,02 ppm et ne produit pas de boues contenant du cadmium comme pollution secondaire.

Lavage des fumées d'incinérateurs

L'extraction du mercure des solutions de lavage des fumées d'incinérateurs a fait aussi l'objet de recherches (8) ; quelques-uns des résultats obtenus figurent sur le tableau III.

Tableau III

Métal Concentration en entrée (ppm) Concentration en sortie (ppm)
Hg0,9< 0,001
Hg0,1< 0,001

Bien d'autres essais ont été menés, concernant notamment des développements sur la récupération des catalyseurs dans l'industrie chimique et sur les métaux précieux.

L'électrodépollution

La solution contenant les métaux, destinée à être traitée par le procédé de séquestration, ne doit pas contenir de complexant des métaux dont la constante de formation soit supérieure à celle des compositions séquestrantes utilisées. Si c'est le cas, comme par exemple pour les solutions contenant de l'EDTA ou certains détergents anioniques, il faut au préalable détruire ces composés (qui sont en général des composés organiques).

Ce genre de produit se trouve en particulier dans les solutions décontaminantes.

[Photo : Figure 2 : Ferroximamine sidérophore microbien.]
[Photo : Figure 5 : Schéma d’un pilote de récupération sélective des métaux en solution.]

…test utilisées pour le nettoyage des tuyauteries dans l’industrie nucléaire.

Pour la destruction de tels composés organiques, il existe une solution représentée par l’électrodépollueur (9). Cette technique fait appel à l’emploi d’électrodes dispersées constituées par une dispersion solide conductrice dans le liquide à traiter. L’ensemble est mis en circulation et traverse des grilles alternativement polarisées positivement et négativement.

Lorsque les particules dispersées, imbibées de liquide, touchent les grilles, des réactions d’oxydation, puis de réduction ont lieu, qui détruisent les composés organiques, y compris les noyaux aromatiques. Les sous-produits formés sont essentiellement du gaz carbonique et de l’azote.

Après filtration, le liquide peut être envoyé dans la colonne remplie de compositions séquestrantes pour l’extraction des métaux.

Conclusion

L’acquisition de ces nouvelles techniques donne la possibilité de résoudre des problèmes existants et nouveaux de traitement des eaux. Société de recherche agréée, subventionnée par l’ANVAR, nous avons, dans ce but, construit des pilotes pour tester le procédé de séquestration (figure 5) et des unités de laboratoire d’électro-dépollution (figure 6), ce qui permet la réalisation d’ensembles à l’usage des industries (laboratoire-pilote-réalisation).

BIBLIOGRAPHIE

1 – Neilands J.B. 1981 – Ann. Rev. Biochem. 50 : 715.

2 – Devoe L.W. and Holbein B.E. Insoluble Chelating Compositions. United States Patent n° 4 530 963, 23 juillet 1985.

3 – Devoe L.W., Van der Vlist E., and Holbein B.E. Devoe Holbein Technology : new technology for the extraction of hazardous waste metals. Hazardous Materials Management Conference, Hamburg, juin 1985.

4 – Greer C.W., Brener D., Browne E.N.C., Devoe L.W., Holbein B.E. « Vitrokele ™ compositions : Novel, high affinity, metal selective and regenerable media for the removal of radio-active metals from aqueous nuclear waste streams ». Waste Management 85, Tucson (Arizona), 24-25 mars 1985.

5 – Holbein B.E., Devoe L.W., Neirinck L.G., Nathan M.F., Arzonetti R.N. Devoe Holbein technology : new technology for closed-loop source reduction of toxic heavy metals wastes in the nuclear and metal finishing industry. In : R. Clark (éd.), Massachusetts Hazardous Waste Source Reduction Conference Proceedings, Bureau of Solid Waste Disposal, 17 octobre 1984, p. 66.

6 – Neirinck L.G. and Holbein B.E. Removal of heavy metals from waste streams with novel, high-affinity, selective and regenerable media. Annual Meeting of American Electroplaters Society, Detroit (Michigan), juin 1986.

7 – Van der Vlist E., Grange D. Élimination du cadmium dans les effluents provenant de passivations chromiques. Interfinish 1988, 6 octobre – Recueil de Conférences, p. 865.

8 – Holbein B.E. Method for removing of mercury and other related metals from a liquid medium. United States Patent n° 4 654 322, 31 mars 1987.

9 – Sorapec. Demande de brevet d’invention n° 77 12671, avril 1977.

10 – Agrément du Ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur du 21 avril 1987.

[Photo : Pilote de récupération sélective des métaux en solution.]
[Photo : Figure 6 : Schéma d’un électrodépollueur.]
[Photo : Vue d’un électrodépollueur.]
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