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La réserve du Vallon Dol et l'alimentation en eau de la région marseillaise

23 decembre 1976 Paru dans le N°11 à la page 87 ( mots)
Rédigé par : René CLEMENT

Par M. René CLEMENT, Directeur Général et d’Aménagement de la Région Provençale, de la Société du Canal de Provence

MARSEILLE ET LE PROBLEME DE L'EAU

Le problème de l'eau à Marseille est aussi ancien que la ville elle-même du fait qu’il n’existe aucune ressource locale susceptible de faire face aux besoins. Depuis toujours, les édiles marseillais se sont souciés de l’alimentation en eau de l’agglomération. Au milieu du siècle dernier, un ouvrage admirable, à l'échelle des besoins de la deuxième ville de France, était réalisé : le Canal de Marseille.

Construit pour un débit de plusieurs fois supérieur aux besoins de l'époque, cette œuvre gigantesque a permis à la population du grand port méditerranéen de passer de 250 000 habitants à plus de 900 000 à l’heure actuelle.

Le Canal de Marseille comporte toutefois des ouvrages vétustes qui le rendent fragile. Les débits nécessaires à la satisfaction des besoins croissants de la région en plein développement qu'il dessert dépasseront, dès les prochaines années, les possibilités de transport de cet aqueduc.

C'est la raison pour laquelle la Ville de Marseille s'est souciée de disposer d'une autre ressource. Elle favoriserait ainsi le projet de dérivation des eaux du Verdon et permettrait, de ce fait, avec les autres collectivités locales concernées, la création de la Société du Canal de Provence et d'Aménagement de la Région Provençale.

LE RECOURS AU CANAL DE PROVENCE POUR LA CREATION ET LE REMPLISSAGE D'UNE NOUVELLE RESERVE : LE VALLON DOL

Parmi les objectifs fixés à la S.C.P. par le cahier des charges de sa concession figurait l'alimentation de la ville de Marseille à partir du Verdon.

Les considérations qui avaient conduit à prévoir la construction d'un nouvel ouvrage plutôt que l'augmentation de la capacité de transport du Canal de Marseille, peuvent être résumées comme suit :

Sur le plan technique, les travaux à réaliser pour accroître le débit du canal de Marseille se seraient heurtés à des difficultés considérables résultant du fait que ce canal devait être constamment maintenu en eau, la ville de Marseille ne pouvant admettre sur cet ouvrage, pour les réparations et travaux d’entretien indispensables, de chômages d'une durée supérieure à 48 heures. Les travaux sur les tronçons à ciel ouvert n’eussent pu être menés qu’à grands frais et dans des conditions souvent défectueuses ; d’autre part, on aurait été amené à doubler les galeries et la majorité des ouvrages d'art.

Par ailleurs, les eaux du Verdon, amenées à Marseille par le canal de Provence dans un aqueduc constitué, sur la plus grande partie de son parcours, par des galeries, pouvaient garder leur pureté et leur limpidité. Leur filtration et leur stérilisation devaient ainsi entraîner des frais beaucoup moins élevés que ceux impliqués par le traitement des eaux de la Durance plus limoneuses et moins protégées contre les pollutions.

Du point de vue de la sécurité, le projet du canal de Provence apportait à la ville de Marseille une seconde alimentation supprimant la menace permanente que constituait pour elle l'éventualité d'une avarie mettant hors service le canal de Marseille.

Sur le plan de l'aménagement régional des eaux enfin, cette alimentation à partir du Verdon présentait un intérêt majeur : le transit par le Canal de Provence d'une partie des débits concédés à Marseille permettait de disposer de la capacité de transport ainsi libérée sur le canal de Marseille, pour la desserte en eau de la zone agro-industrielle de l’étang de Berre.

Le poids de ces divers avantages amenait ainsi à prévoir l'alimentation définitive de la ville de Marseille par la succession d'ouvrages que constituent, en premier lieu, le canal maître I, le canal maître II réalisé avant 1974 dans le cadre de la deuxième tranche des travaux du canal de Provence, en second lieu, à partir du Verdon, le canal mixte, le canal maître, réalisés dans le cadre des première et deuxième tranches des travaux du canal de Provence, enfin la branche de Marseille-Est dont la construction, prévue à la troisième tranche des travaux, s'achèvera en 1982 permettant ainsi à Marseille de disposer, en 1983, de sa seconde alimentation principale.

Le délai relativement long restant à courir jusqu’à cette date a conduit la S.C.P. à réaliser au cours de la première tranche des travaux du canal de Provence, menée à bien avec le concours financier de la Banque Européenne d’Investissement, une seconde adduction d’eau, partielle sans doute, mais offrant pourtant de réels avantages pour la ville de Marseille.

Cette solution d’attente a consisté en la construction de la branche de Marseille-Nord, reliant la branche de Gardanne au Vallon Dol qui domine les quartiers Nord de l’agglomération marseillaise.

Outre son rôle d'adduction de secours, cette branche permettait de fournir à la ville un débit continu de 3,5 m³/s assurant ainsi le remboursement des débits dérivés du canal de Marseille au bénéfice des régions de Berre et de Martigues.

RÔLE DE LA RÉSERVE DU VALLON DOL

Malgré les possibilités offertes par la branche de Marseille-Nord, il était du plus grand intérêt pour la ville de Marseille d'une part, pour la S.C.P. d'autre part, d’établir au plus tôt, au débouché de la galerie de l'Étoile, dans le Vallon Dol, la réserve prévue dans le projet général du Canal de Provence, à l'extrémité commune des branches de Marseille-Nord et de Marseille-Est.

Cette réserve de trois millions de mètres cubes qui s'inscrivait parfaitement dans l’aménagement hydraulique constitué par ces ouvrages devait en effet remplir une double mission.

Jusqu’à la mise en eau de la branche de Marseille-Est, la ville de Marseille ne pouvait compter, en cas d'incident amenant une coupure de longue durée sur le Canal de Marseille, que sur les eaux provenant, d'une part d'une galerie reliant les mines de Gardanne au Cap Pinède dite « galerie à la mer » et pouvant fournir à titre exceptionnel et par pompage un débit de 1,5 m³/s et, d'autre part, de la branche de Marseille-Nord, sous un débit maximum de 4 m³/s.

Le débit total, soit 5,5 m³/s, n’atteignait pas la moitié du débit actuellement nécessaire à la grande cité phocéenne.

Le premier rôle de la réserve du Vallon Dol était donc de constituer, au voisinage immédiat de l’agglomération, une réserve importante d’eau immédiatement disponible en cas d'avarie interrompant l’adduction des eaux de la Durance.

Dans un deuxième rôle, le Vallon Dol constituait une réserve de modulation à fonctions multiples. Il formait d’autre part un réservoir d’extrémité permettant de simplifier la régulation hydraulique des canaux qui, issus du barrage de Bimont, desservaient la zone de Gardanne avant de traverser, sous le nom de branche de Marseille-Nord, la chaîne de l'Étoile et d'aboutir au Vallon Dol.

D’autre part, sa capacité rendait possible la modulation des débits dérivés du canal de Marseille, à Coudoux et aux Giraudets, par les ouvrages construits par la S.C.P. pour la desserte de la région de l'étang de Berre.

En effet, la réserve du Vallon Dol permettait de restituer au canal de Marseille sous un même débit et au moment opportun, les prélèvements que la S.C.P. effectuait sur ce canal au bénéfice de cette région.

Il autorisait enfin, de par sa présence à l'extrémité de la branche de Marseille-Est, une modulation des débits transportés par cette branche, permettant ainsi d’optimiser, au moyen de la régulation dynamique, les conditions de son fonctionnement hydraulique.

Ces rôles auront évidemment, au cours des années, des importances relatives variables. Ainsi la sécurité de l’alimentation de la ville de Marseille sera la mission principale jusqu’à ce que soit réalisée la branche de Marseille-Est. Pour la S.C.P., la souplesse que confère la réserve dans l’exploitation de ses ouvrages présente un intérêt immédiat et définitif.

À partir de 1980, la sécurité d'approvisionnement de la ville de Marseille ne sera plus basée normalement sur la seule réserve du Vallon Dol, les débits complémentaires nécessaires pour l'alimentation de la ville à cette époque étant apportés par la branche Marseille-Est.

DESCRIPTION DES OUVRAGES

La situation géographique du Vallon Dol se prêtait remarquablement à l’implantation d'une réserve. Il se situait en effet au point de rencontre prévu pour les branches de Marseille-Nord et Marseille-Est et surplombait de près de 100 m le canal de Marseille, les bassins du Merlan et la station de filtration de Sainte-Marthe, origine de l’alimentation en eau de la ville.

Toutefois, sur le plan géographique, les terrains sur lesquels la réserve devait être réalisée sont constitués en majeure partie de calcaires assez karstifiés : le barrage est en fait fondé en totalité sur le calcaire urgonien dont l’étanchement devait poser des problèmes qui ne pouvaient être résolus que par la mise en place d'un revêtement.

L'ensemble des ouvrages comprend un barrage principal et des ouvrages annexes qui seront successivement étudiés dans les lignes qui suivent.

1 — CONCEPTION DU BARRAGE

a) Génie civil :

La forme évasée du vallon à barrer et la nécessité de retailler l’intérieur de la cuvette rocheuse pour assurer la capacité minimale requise ainsi qu'une forme adaptée au revêtement d’étanchéité superficiel ont conduit naturellement à opter pour une digue en enrochements.

La situation particulière du barrage au-dessus de la ville de Marseille a entraîné, d'autre part, une recherche accrue de la stabilité du massif. Cette recherche s'est traduite dans les faits par les quatre mesures de sécurité qui attestent les précautions spéciales qui ont été prises.

  • — zonage de la digue en massifs à granulométrie croissante de l’amont vers l’aval pour éviter les risques de destruction par renard et limiter les fuites dans tous les cas ;
  • — pentes de talus relativement douces (2 h/1 v à l'amont et 1,7 h/1 v à l'aval) ;
[Photo : Figure 1. — Barrage principal. Coupe type. — R Revêtement d’étanchéité en enrobés bitumineux — E Alluvions sableuses — E2 Enrochements 0/100 mm — E3 Enrochements 100/800 mm — 4 Butée de pied en enrochements 500/2000 mm — CF Contreflèche — Z1 Niveau maximum normal — Z2 Niveau maximum exceptionnel.]

— revanche importante (5 m) du couronnement par rapport au plan d'eau normal maximum.

La figure 1 présente la coupe type du barrage et fait apparaître la superposition des différents types de matériaux.

— massif de pied aval en très gros enrochements (jusqu'à 4 m) pour pallier les risques de mise en instabilité dans l'hypothèse, très improbable, d'un débourrage de karsts sous l'ouvrage.

Caractéristiques générales de la retenue :

Il est intéressant de mentionner ici les caractéristiques de la réserve du Vallon Dol dont la forme « en cœur » imposée par le relief est tout à fait caractéristique.

[Photo : Figure 2.]

Tableau 1 : Caractéristiques principales des digues.

Hauteur maximale
– Digue principale : 48 m
– Digues secondaires Ouest : 13 m ; Nord : 18 m ; Est : 15 m
Longueur en crête
– Digue principale : 270 m
– Digues secondaires Ouest : 250 m ; Nord : 300 m ; Est : 140 m
Largeur en crête
– Digue principale : 9 m
– Digues secondaires Ouest : 10 m ; Nord : 10 m ; Est : 10 m
Cote de la crête
– Digue principale : 255 m
– Digues secondaires Ouest : 253 m ; Nord : 253 m ; Est : 253 m
Volume des remblais
– Digue principale : 480 000 m³
– Digues secondaires Ouest : 55 000 m³ ; Nord : 120 000 m³ ; Est : 40 000 m³

Le tableau II ci-après précise les caractéristiques principales du réservoir.

250 NGFCote du plan d'eau normal
252 NGFCote du plan d'eau exceptionnel
17 haSurface du plan d'eau
3 127 000 m³Capacité totale de la retenue (250 NGF)
1 720 mPérimètre développé en crête
253 NGFCote de la plate-forme périphérique
3,5 %Pente des talus revêtus
6,6 %Pente du radier
4 000 000 m³Volume des déblais
700 000 m³Volume des remblais
195 000 m²Surface du revêtement
115 000 tEnrobés bitumineux

Un plan général du barrage est présenté précédemment dans la figure 2.

b — Revêtement intérieur de la réserve.

Une particularité intéressante de la réserve du Vallon Dol est le revêtement intérieur de la cuvette, qui en fait un ouvrage unique en son genre, eu égard à sa dimension.

En effet, un revêtement superficiel bitumineux est réalisé sur toute la cuvette. Il comporte :— une couche filtrante en alluvions de Durance d'une épaisseur de 30 cm ;— une couche de base en enrobés poreux d'une épaisseur de 10 cm ;— deux couches d’enrobés étanches d'une épaisseur de 12 cm (2 fois 6 cm).

Le choix du bitume a fait l'objet d'essais en laboratoire au service de contrôle des eaux de la ville de Paris.

Le prix élevé de ce revêtement et les conditions de sa mise en œuvre ont imposé un remodelage complet du site (obturation des vallons secondaires par trois digues, reprofilage des talus et du radier).

L’élimination des sous-pressions a nécessité la mise en place d'un très important réseau de drainage qui permettra en outre la détection et la localisation de fuites éventuelles.

[Photo : Figure 3]

2 — LES OUVRAGES ANNEXES DU BARRAGE PRINCIPAL

Des ouvrages annexes relativement importants et complexes sont nécessaires pour assurer les diverses fonctions du réservoir.

Nous citerons seulement pour mémoire le partiteur (repère 5 de la figure 2), installé en rive gauche de la retenue, dont le rôle est d'assurer la répartition et le comptage des eaux des trois adductions ainsi que le remplissage de la réserve ; les ouvrages aval (repère 7 de la figure 2) assurent les liaisons nécessaires avec les usines de traitement, le Canal de Marseille, l'exutoire des débits de vidange et des eaux de surface.

Les autres ouvrages annexes, plus particulièrement liés au barrage principal, sont :

a) La tour de prise, d’évacuation des trop-pleins et de vidange (voir figure 4).

Cette tour de 49 m de haut comprend :— la vidange pour 15 m³/s commandée par deux vannes à glissement de 950 × 1100 mm en pertuis blindé ;— un puits de prise de Ø 3 m, dans lequel débitent une prise haute et une prise basse pour 17 m³/s, équipées de vannes-wagons et de grilles, ainsi que deux prises secondaires intermédiaires permettant éventuellement d’améliorer la qualité de l'eau livrée aux usines de traitement ;— un évacuateur de surface relié à un puits, calculé pour 15 m³/s, pouvant entrer en service en cas de fausse manœuvre sur les adductions à retenue pleine. En effet, aucun ruissellement naturel ne peut arriver dans la retenue, du fait qu’elle est ceinturée par un caniveau périphérique très largement calculé.

La tour est reliée à la berge par une passerelle de 106 m de long et de 3 t de charge utile en acier Corten habillé d’aluminium.

b) La galerie de prise et de vidange.

Cette galerie, haute de 4,90 m et large de 4,40 m, contient :

  • — une conduite de prise de Ø 2,60 m en tuyau préfabriqué enrobé de béton (tuyau Bonna à âme tôle) ;
  • — un chenal d’évacuation recueillant les eaux de la vidange, de l’évacuateur de surface et des ovoïdes de drainage ;
  • — un quai d'accès au pied de la tour et au réseau de drainage.

La bonne qualité du rocher (urgonien), la possibilité d’implanter un ouvrage rectiligne malgré la faible couverture (4 à 5 m), et la possibilité de mener de front la construction de cet ouvrage et la montée des remblais, due à l'absence de rivière à dériver provisoirement, ont finalement fait opter pour une galerie sous la rive droite du barrage. Elle est entièrement revêtue en béton armé et sa stabilité ainsi que celle de sa couverture rocheuse sous la charge des remblais a fait l'objet de vérifications par la méthode des éléments finis.

Deux galeries de reconnaissance exécutées avant les travaux ont été conservées pour le contrôle du rocher sous le barrage ; l'une en rive droite est raccordée à la grande galerie de prise, l'autre en rive gauche débouche à l'aval du barrage à la cote 200.

Les travaux de la construction du Vallon Dol ont débuté en 1969 pour s'achever à la fin de 1972.

L'inauguration de cet ensemble a eu lieu le 3 février 1973.

Depuis cette date, la Société des Eaux de Marseille, concessionnaire de la ville, prélève sur la réserve du Vallon Dol les débits d'appoint qui lui sont nécessaires. Elle a en outre construit en aval du barrage une importante station de traitement des eaux destinée aux quartiers hauts de la ville.

CONCLUSION

Bien que deuxième ville de France, la métropole marseillaise se trouvait jusqu'à il y a peu de temps encore dans une situation très vulnérable du fait de la précarité et de la fragilité de son approvisionnement en eau.

Les travaux du Canal de Provence et la création de la réserve du Vallon Dol ont mis un terme à cette situation.

À notre époque, il faut voir vaste et loin. Les problèmes qui se posent dans le domaine de l’eau ne peuvent être valablement résolus que par une politique assurant, à l’échelon régional, la mobilisation des ressources, le transport et le stockage des eaux et faisant ainsi face aux besoins considérables d'une région en plein essor.

La réserve du Vallon Dol constitue une première réalisation apportant provisoirement une certaine sécurité dans l'approvisionnement en eau de Marseille. Il ne saurait être le dernier puisque la grande métropole régionale ne sera définitivement à l'abri de la pénurie que lorsque sera achevée la branche de Marseille-Est du Canal de Provence.

R. CLEMENT.

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