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La réhabilitation des réseaux d'adduction d'eau par projection de mortier de ciment

30 novembre 1987 Paru dans le N°114 à la page 60 ( mots)
Rédigé par : P. GODICHAUD et M. DURANTE

Le revêtement intérieur au mortier de ciment constitue le moyen le plus pratique et le plus économique de rénovation des conduites en fonte ou en acier dans lesquelles s'est développée une croûte intérieure de tuberculation par corrosion. Ce procédé, permettant d’éviter d’importants terrassements, peut être appliqué avec succès à toutes les conduites de diamètre compris entre 100 et 6 000 mm.

Outre son efficacité au plan technique, ce procédé présente un intérêt économique certain, ainsi que l’a fait ressortir M. H. Holtschulte lors d’une conférence donnée au congrès de 1984 tenu à Monastir par l’Association internationale des distributeurs d’eau, à la suite d’une étude comparative des coûts de réhabilitation et de remplacement des tuyaux.

Comme nous le verrons par la suite, notre propre expérience de réhabilitation d’une conduite alimentant une microcentrale a permis d’évaluer à trois ans seulement la durée de retour des dépenses d’investissement correspondantes. Avant d’examiner le cas de cette usine, nous décrirons le processus de mise en œuvre du procédé, ses avantages sur le plan technique et ses incidences économiques.

DESCRIPTION DU PROCÉDÉ

Principe

Après nettoyage préalable de la conduite, un mortier de ciment spécialement constitué est appliqué contre la paroi de la tuyauterie par projection centrifuge à partir de la tête rotative de la machine.

L’épaisseur du revêtement est de 5 à 6 mm pour les conduites en fonte ; pour les conduites en acier, elle dépend de leur âge, de leur épaisseur de paroi, de leur état, le minimum étant de 6 mm. L’épaisseur du revêtement peut être augmentée dans les sections où la tuyauterie a été le plus attaquée.

Mise en œuvre

Elle s’opère suivant les dispositions indiquées sur le schéma (figure 1) et que nous détaillerons ci-après.

Puits d’intervention sur la conduite

Pour mettre en œuvre le procédé, il est nécessaire de prévoir un nombre minimum de puits de travail relativement petits et le plus espacés possible en tenant compte du tracé de la conduite (figure 2). Ils sont généralement dimensionnés pour permettre d’enlever une section de tuyau d’environ 1,50 m à 2 m, longueur pouvant varier en fonction du diamètre et des équipements utilisés pour le nettoyage et le revêtement.

Nettoyage

Avant de mettre en place le revêtement, l’intérieur de la conduite est nettoyé pour enlever les accumulations de rouille et les anciens revêtements (bitumineux ou autres) qui peuvent s’y trouver.

À cette fin, et pour les diamètres inférieurs à 900 mm, un treuil tire tout d’abord dans la conduite un outil muni de grattoirs, suivi de disques en caoutchouc.

Dans les réseaux qui admettent une certaine pression d’eau et quand il est possible de réaliser des bassins de décantation, l’outil de nettoyage est poussé hydrauliquement dans la conduite. Ce procédé est surtout utilisé pour de longs tronçons qui doivent être rénovés en une seule section et si l’on dispose d’eau en quantité suffisante (figure 3).

Revêtement de mortier de ciment

Pour appliquer à l’intérieur des conduites en place un revêtement de ciment homogène et d’une épaisseur constante, on utilise une série de machines de projection qui permettent de revêtir les conduites de 100 à 6 000 mm de diamètre. Le mortier est appliqué par force centrifuge et il est immédiatement lissé par un outil approprié qui permet d’obtenir un très bon fini de la surface du revêtement, ainsi que le meilleur coefficient d’écoulement hydraulique possible. L’épaisseur du revêtement dépend de la vitesse d’avancement de la machine (Spunline) et cette épaisseur est déterminée en fonction du diamètre et de l’état de la conduite. Dans certains cas, deux revêtements peuvent être appliqués consécutivement pour obtenir une épaisseur supérieure. Après avoir été revêtue, la conduite peut être remise en service dans les 48 heures (figure 4).

[Photo : légende : 1. Dérivation temporaire 2. Vanne d’arrêt 3. Treuil pour machine à revêtir 4. Conduite tuberculée 5. Groupe électrogène 6. Pompe à mortier 7. Source de mortier 8. Tuyaux pour véhiculer le mortier 9. Machine pour appliquer le mortier 10. Truelle conique 11. 100 m – 300 m (dépendant du diamètre du tuyau) 12. Conduite rénovée avec le revêtement intérieur Fig. 1 : Schéma de mise en place d’un revêtement intérieur en mortier de ciment pour conduite en place.]

Fig. 2. : Distance entre le puits de travail en fonction du diamètre des tuyaux.

Une équipe de six à huit opérateurs est nécessaire pour mener un chantier sur les petites canalisations ; pour les diamètres plus importants, il faut utiliser une deuxième équipe de même importance. Dans ces conditions, on peut obtenir un rendement hebdomadaire de 400 à 500 m sur les petits diamètres et de 700 à 800 m pour les diamètres supérieurs à 600 mm (figure 5).

Fig. 5. : Utilisation des équipes (5 × 9 h par semaine).

Les avantages spécifiques d’un revêtement de mortier

Un revêtement au mortier de ciment possède plus particulièrement deux qualités essentielles physiques et chimiques dont l’intérêt n’est plus à démontrer :

Qualités physiques

Projeté par force centrifuge, il offre une grande compacité et, durci, il forme un chemisage très adhérent aux parois des conduites, résistant par son double effet de voûte.

Du fait de sa grande résistance à la compression, un revêtement en mortier de ciment durci subit une expansion lorsqu’il est immergé dans l’eau ; le tuyau agit comme un anneau en tension mettant le revêtement en compression, avantage majeur par rapport aux autres revêtements dont la tenue dépend entièrement des forces de liaison et d’adhérence qui les maintiennent en place. Il accepte de plus sans dégradation toutes les déformations des tuyaux, dans la limite élastique propre à ceux-ci. De ce fait, il résiste aussi aux déformations provoquées par les pressions internes.

Propriétés chimiques

Alors que les autres revêtements ne protègent l’acier que par leur effet de « cuirasse », le revêtement en mortier de ciment, par son alcalinité, opère, en outre, en passivant l’acier ; le tuyau est ainsi mis définitivement à l’abri de la corrosion et les problèmes de coloration de l’eau, notamment, sont éliminés. On peut d’ailleurs souligner qu’en raison des qualités physico-chimiques universellement reconnues des revêtements en mortier de ciment, ceux-ci sont de plus en plus largement employés par les fabricants de tubes de fonte ou d’acier.

[Photo : Nettoyage des tuyaux par poussée hydraulique (Mazamet).]
[Photo : Exécution du revêtement.]

INCIDENCE ÉCONOMIQUE

Nous reproduisons ici des éléments extraits de la conférence de M. Holtschulte.

Coûts comparés de la réhabilitation et du remplacement des tuyaux

Le tableau de la figure 6 donne la comparaison des coûts relatifs d’un revêtement de mortier par rapport au remplacement de la conduite. Ils comprennent le bi-passage éventuel ainsi que le remplacement d’appareillage défectueux. Il en ressort de très faibles périodes de retour d’investissement, comprises entre 2,3 et 6,6 années, en fonction du diamètre de la conduite traitée. Des calculs ont été établis dans les conditions suivantes, compte tenu de l’assimilation des capacités hydrauliques de la conduite, telles qu’elles résultent des travaux de réhabilitation.

Fig. 6. : Comparaison des coûts de réhabilitation et de remplacement des tuyaux en fonction du diamètre.

Calcul économique de la réhabilitation par mortier de ciment

Toute étude économique d’une méthode de rénovation s’exprime par la comparaison du montant de l’amortissement du capital investi pour la réhabilitation par rapport au coût du remplacement.

Autrement dit, si E est l’investissement demandé pour le remplacement d’un tuyau et S celui nécessaire pour le reconditionnement du même tuyau, alors le montant d’investissement économisé par le choix du procédé de réhabilitation est E − S ; par conséquent, la durée de vie minimale de l’opération de reconditionnement doit permettre, grâce au taux d’intérêt pratiqué sur le montant économisé, d’obtenir un capital égal à E qui permettra le remplacement des tuyaux.

Les équations mathématiques caractéristiques sont les suivantes :

E − S
(——– ) pⁿ S = E
E

pⁿ = (1 − S/E)⁻¹

n log p = log (1 − S/E)⁻¹

D’où : n = ——————————
           log p

avec :

n = durée de vie nécessaire d’un tuyau rénové que l’on pourra remplacer par la suite après amortissement, S = coût de la réhabilitation, E = coût du remplacement, p = 1 + i où i = taux d’intérêt (loyer de l’argent).

Si un tuyau réhabilité est encore en service après cette durée, on pourra considérer la technique de réhabilitation comme un succès économique. De plus, après la rénovation, les coûts de maintenance et de réparation décroissent, entraînant des besoins de main-d’œuvre moindres.

La longévité du revêtement in situ au mortier de ciment peut être prédite avec sûreté puisqu’il s’agit d’une méthode bien éprouvée, et de nombreuses canalisations sont en service depuis plus de quarante ans sans avoir subi de détérioration.

Amélioration des caractéristiques hydrauliques

Les incrustations sont la cause d'une chute de la capacité de l’écoulement dans les canalisations. Un tuyau revêtu, en dépit d'une réduction de sa section, retrouve non seulement sa pleine efficacité, mais, avec une valeur de coefficient hydraulique Cₘᵥ = 140,7, voit son rendement hydraulique augmenté par rapport au tuyau neuf, le revêtement permettant de réaliser une surface interne continue, sans la perte de charge due aux joints (figure 7).

[Photo : Fig. 7 : Variation des débits en fonction du diamètre interne et de la valeur du coefficient hydraulique.]

La comparaison de la capacité de transport d'un vieux tuyau incrusté et d'un tuyau revêtu (DN 100) montre qu'il est possible, en fonction de la rugosité initiale, d’obtenir une augmentation de capacité hydraulique atteignant 178 % pour un diamètre de 94 mm, avec un revêtement de 3 mm (figure 8).

[Photo : Fig. 8 : Augmentation de la capacité hydraulique d'une conduite DN 100 revêtue d'un revêtement en mortier de ciment.]

L’épaisseur du revêtement n’a d’ailleurs, en raison de l’amélioration de l’état de surface, que peu d’influence sur l’efficacité hydraulique de la conduite revêtue, même pour les faibles diamètres. C'est ainsi qu’avec une épaisseur de 4,5 mm et un diamètre interne de 91 mm l’augmentation de la capacité hydraulique atteint encore, comme on l’a constaté sur diverses canalisations, 70 %, 120 % ou 155 %...

Dans ses conclusions, le conférencier affirme que les propriétés des revêtements à base de goudron, bitume ou résine époxy ne peuvent être comparées aux avantages présentés par les revêtements en mortier de ciment. Son étude comparative de toutes les méthodes de réhabilitation des conduites d’adduction d’eau lui fait conclure en effet, compte tenu de l’expérience acquise et en tablant sur une bonne tenue structurelle du tuyau à rénover, que c'est la seule méthode à retenir, aussi bien sur le plan technique qu’économique.

EXEMPLE TYPE D'UNE MICROCENTRALE HYDRO-ELECTRIQUE

Nous sommes intervenus sur une microcentrale située dans la région de Mazamet (figure 8) conçue pour alimenter un générateur d’une puissance de 2 000 kW. Le projet initial était basé sur un débit de 0,7 m³/s à la turbine avec une hauteur de charge effective de 360 m.

Les exploitants avaient constaté une perte de production de l’ordre de 8 à 10 % en 3 ans, due aux attaques des oxydes de fer sur la paroi interne de la canalisation d’alimentation des turbines. L’augmentation de la rugosité s'était traduite par une chute du coefficient de Strickler (K = 60).

Calculs hydrauliques

Après exécution d'un revêtement au mortier de ciment, le coefficient de Strickler des tuyaux de la conduite forcée est passé à K = 95. Cette valeur, couramment mesurée sur les revêtements de mortier lissé, s'établit mathématiquement comme suit.

La formule de Strickler pour les écoulements en charge s’écrit :

V = K R²/₃ J¹/²
où :
V = vitesse de l’écoulement en m/s
R = rayon hydraulique de la conduite (1/4 du diamètre)
J = perte de charge linéaire par unité de longueur
K = coefficient de Strickler

Nous tiendrons compte de la réduction de diamètre due au revêtement de mortier, à savoir une épaisseur de 6 mm pour un diamètre des conduites de 600 mm.

Calcul des pertes de charges linéaires (figure 9) :

[Photo : Fig. 9 : Cas d'une micro-centrale hydro-électrique. Exemple type de Mazamet. Graphique des pertes de charge et de puissance en fonction du débit.]
Q = 0,7 m³/s
K = 95
D = 588 mm
V = 2,58 m/s
J = 9,5 m/km

D'où une perte de charge sur le tronçon de 2,5 km :

Hg = 54,4 m
H₅ = 21,7 m

La hauteur de charge totale aux turbines est donc, pour un coefficient de Strickler K = 60 :

H₀ = H₉₅ — (H₅₄₄ − H₅₉₅) = 327,3 m

La puissance disponible ressort à :

P = 9,81 × 0,7 × 327,3 × 0,81 = 1 820 kW

En conclusion, malgré la diminution de section, un nettoyage suivi d’un revêtement de mortier lissé a permis dans ce cas un gain de 9 % en puissance.

Calculs économiques

Prix de vente du kWh : 38,36 en hiver (5 mois) et 11,64 en été (7 mois), soit en moyenne un prix de vente sur l’année de 22,77. Production annuelle moyenne (sur 5 000 heures) : 10 GWh.

Gain annuel : 204 960 F, soit 82 F par mètre de conduite.

Le prix de vente du revêtement s’élevant à 250 F par mètre, les travaux ont été remboursés en trois ans.

Les conclusions de l’étude de M. Holtschulte se trouvent ainsi vérifiées par une application concrète.

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