On est en droit de penser que l'année 1992 sera marquée par l'uniformisation des réglementations relatives à l'environnement et au traitement des déchets. Dès à présent, certains pays de la Communauté européenne ont adopté des règles draconiennes pour la destruction des produits toxiques. Là où les contraintes sont moins strictes fleurissent des trafics de déchets plus ou moins dangereux : la tentation est bien grande de dissimuler des déchets toxiques dans des ordures ménagères traitées à l'étranger et de faire ainsi disparaître des poisons à un coût bien moindre.
Dans un proche avenir, certains industriels et quelques exploitants de centres de traitement devront se remettre en question pour pouvoir maintenir leur activité.
Créé pour apporter une aide à la profession minière, le Cerchar a acquis des compétences qui lui ont permis de proposer ses services dans le domaine de la protection de l'environnement dès 1969. Ses connaissances sur la combustion du charbon ont été tout de suite mises à profit pour mieux comprendre la combustion des ordures ménagères, puis des déchets industriels parmi les plus toxiques. Depuis 1974, il s'est ainsi doté de plusieurs fours de recherche appliquée, mis à la disposition des services publics, des ministères et des industriels.
Avant 1969, la nécessité de réduire les volumes de résidus urbains avait induit le développement d'un marché des unités d'incinération, sans souci majeur de la protection de l'environnement. Jusqu'en 1973, la recherche s'orienta vers la réduction des émissions polluantes, puis le premier choc pétrolier mit l'accent sur la valorisation thermique ou autre de tous les déchets. En même temps, on assista à une prise de conscience de l'existence des déchets industriels toxiques. Enfin, après quelques regrettables catastrophes, on découvrit qu'il y avait aussi des produits redoutables dont l'élimination doit être assurée avec un soin tout particulier.
Nous examinerons ci-après les résultats des recherches qui ont été menées par le Cerchar dans ce domaine.
INCINÉRATION
Four-pilote d’incinération
Le four-pilote d'incinération est du type tournant avec circulation des matières combustibles et des gaz à co-courant. Il est capable de traiter des solides, des liquides et des produits pâteux. Le foyer tournant mesure 4 mètres de longueur et 0,7 mètre de diamètre ; un module de décentrage et une chambre de dépoussiérage complètent les parties chaudes du four.
L'ensemble est disposé sur un berceau inclinable grâce à des vérins hydrauliques. Il est ainsi possible de faire varier le temps de séjour des produits solides. L'entraînement du four est assuré par un moteur hydraulique ; la vitesse et le sens de rotation sont réglables à volonté. Un brûleur alimenté en propane, asservi à la température de sortie des gaz permet, le cas échéant, de maintenir constant le niveau thermique.
Les gaz de combustion sont prélevés en continu à fin d’analyse, et leur débit est également mesuré en continu. Des pyromètres à aspiration, fixes ou mobiles, complètent l'instrumentation de l'appareil. Toutes les grandeurs physico-chimiques sont saisies par un micro-ordinateur et traitées en temps réel.
Les divers volumes internes, garnis de réfractaires, résistent à une température limite de 1 500 °C. Les gaz de combustion à 1 200 °C peuvent y séjourner durant deux secondes.
La puissance thermique nominale est égale à 0,6 MW, ce qui représente un débit en résidus urbains d’environ 200 kg h-1. Cette capacité peut être assimilée à celle d'un pilote à l'échelle 1/10.
L'asservissement de la température du four à une valeur préétablie est un facteur de connaissance des conditions optimales de destruction. On est donc en mesure de définir les niveaux thermiques nécessaires et suffisants pour détruire un produit donné et d’éviter ainsi que des contraintes, parfois inutiles et coûteuses, soient imposées quant à la température et au temps de séjour.
Exemples d’études
Les études menées dans ce four ont été pour l'essentiel des recherches sur la combustion, en mélange avec des ordures ménagères, de déchets a priori non toxiques et sur la combustion de produits à l'état pur.
Dans la première catégorie, citons la destruction de boues de peinture de l'industrie automobile ou des résidus de pollutions accidentelles des eaux marines fixés sur des absorbants appropriés. Des bilans sont effectués pour rechercher soit les métaux lourds, les hydrocarbures ou les composés toxiques comme CN- dans les poussières, les gaz et les cendres. Les résultats des traitements expérimentaux sont parfois inattendus et montrent que d'autres difficultés apparaissent là où l'on ne pensait pas les rencontrer (fusibilité des cendres à température peu élevée, difficulté de manutention etc.).
Dans la seconde catégorie, on trouve des essais de destruction de produits tels que des isocyanates, des résidus liquides de la chimie, des polymères à haut pouvoir calorifique pour lesquels les risques de formation de noir de carbone sont considérables, ou encore des résidus de l’industrie agroalimentaire. Certains de ces produits peuvent présenter des dangers pour le four lui-même. C’est le cas des liquides fortement chargés en ions alcalins (K⁺, Na⁺) qui agissent comme des fondants sur les parties réfractaires, en les endommageant irrémédiablement. Il est donc important pour un exploitant de centre de traitement de connaître à l’avance les seuils de concentration à ne pas dépasser, ou les associations de déchets permettant de minimiser ces dégâts.
Four polycombustible
Ce four-pilote se compose de deux parties distinctes : une chambre de combustion verticale d’un diamètre intérieur de 1,37 mètre et d’une hauteur de 4 mètres et une chaudière verticale à tubes de fumées.
La chambre de combustion est partiellement garnie de réfractaires dans sa partie haute et formée d’une chemise d’eau sur toute sa hauteur. La façade supérieure supporte le brûleur polycombustible (gaz et/ou solide pulvérisé et/ou produit liquide ou visqueux) à haute turbulence (le nombre de rotation pouvant atteindre 5,4).
Un court carneau relie la chambre de combustion à la chaudière verticale, disposée en « U » inversé : les gaz entrent à la base de la première branche du « U » et ressortent à la base de la seconde branche. La façade supérieure, amovible, permet un ramonage aisé des tubes et la récupération séparée des particules dans les parties du faisceau (l’expérience montrant que la nature chimique des dépôts n’est pas la même dans les deux parties de l’échangeur, en raison de la différence de température des gaz au début et en fin de la zone d’échange).
Des installations annexes permettent la préparation des combustibles (stockage [fuel lourd et charbon] séchage, broyage, dosage, transport pneumatique, pompage, etc.), l’épuration des gaz de combustion et les mesurages divers en vue d’établir les bilans massiques et thermiques.
La puissance nominale du four est de 1 MW thermique. Les gaz de combustion séjournent dans le foyer à une température supérieure à 1 000 °C durant 4 secondes environ.
Exemples d’études
Les études menées dans ce four ont surtout concerné la caractérisation de la combustion de charbons étrangers (Mexique, Chili, etc.), la cocombustion de charbon et d’hydrocarbures, la combustion des mélanges charbon-eau (dès 1979), ou des mélanges charbon-fuel en collaboration avec les principaux partenaires pétroliers français.
Actuellement, cet appareil est essentiellement utilisé pour les études de valorisation thermique des déchets liquides, peu toxiques ou solides pulvérisables. La séparation de la zone radiative du foyer et de la zone convective de la chaudière permet une évaluation des échanges et donc du détarage éventuel que devra subir la chaudière destinée à détruire ces déchets, si ceux-ci viennent en remplacement total ou partiel d’un combustible « noble ».
Pilote à lit fluidisé
Description
Le pilote à lit fluidisé (figure 3) a une surface de grille de 0,3 m² pour un diamètre interne de 0,6 m et une hauteur de 5 mètres environ. La vitesse de fluidisation peut varier entre 1 et 6 m/s.
Le foyer briqueté est chaud, c’est-à-dire qu’il n’est pas refroidi en permanence. Toutefois, des épingles amovibles peuvent être introduites dans le lit, disposées à sa surface ou encore placées dans la zone diluée. Ces épingles permettent de mesurer le flux d’échange thermique en diverses zones de l’appareil en vue d’établir un bilan thermique.
Les dispositifs d’allumage sont de deux sortes :
— sous la grille, par réchauffage de l’air de fluidisation ;
— à la surface du lit, au contact de la flamme d’un brûleur.
Les déchets sont introduits soit par une vis simple, soit par une vis double ; ces deux vis sont indépendantes.
Les gaz de combustion traversent d’abord un cyclone où la plupart des cendres volantes sont arrêtées. Elles sont alors recyclées ou éliminées. Les gaz passent dans un filtre à manche avant rejet à l’atmosphère. On possède alors les informations nécessaires pour dresser un bilan massique complet.
Lors de la mise en fonctionnement, le lit est constitué par des matériaux inertes. Il est progressivement remplacé par les cendres, s’il y en a, sinon il faut introduire en continu des inertes pour compenser la perte par envol et attrition.
L’instrumentation comprend, outre les épingles de refroidissement que nous avons évoquées, des prises de pression et de température qui permettent de tracer un profil thermique et aéraulique durant la combustion.
Les gaz de combustion sont analysés (CO, CO₂, O₂, SO₂, NOx) et l’on détermine l’indice pondéral à l’aide d’une sonde isocinétique.
La puissance nominale de ce foyer est de 0,5 MW et la gamme de températures à laquelle on opère se situe entre 800 ° et 1 000 °C.
Exemples d’études
Les études menées depuis de nombreuses années ont concerné des produits aussi variés que les suivants :
- — schistes houillers,
- — déchets de tannerie, en vue de la récupération du chrome,
- — liqueurs noires de papeterie,
- — boues urbaines,
- — boues industrielles,
- — résidus urbains en granulés,
- — déchets carbonés de sidérurgie,
- — déchets de biomasse,
- — déchets de l'industrie agroalimentaire.
DE NOUVELLES TECHNIQUES
DE DESTRUCTION
Bains de sels fondus
Les premières recherches du Cerchar dans le domaine des bains fondus ont été menées aux alentours de 1978. Le but de ces travaux était de produire un gaz utilisable par des moteurs thermiques dans la production d’énergie électrique. Ce savoir-faire a par la suite été étendu au charbon. Des sels alcalins et des métaux fondus ont été utilisés.
La gazéification des charbons, et tout particulièrement des charbons sulfureux en bains de sels alcalins, permet une épuration du gaz produit en le débarrassant d’H2S. Le choix des sels est en mesure d’accroître les rendements de gazéification et la nature du gaz produit par effet catalytique. L’excellent échange entre le solide et le bain fondu, qui sert de thermophore, favorise une rapide élévation de la température et la production d’une plus grande quantité de pyrolysat gazeux, au détriment du résidu solide.
Dans le domaine des déchets, on est en droit de penser que ces avantages peuvent avoir leur importance. On augmente la vitesse de pyrolyse et de gazéification et on épure, jusqu’à un certain degré, le gaz sortant du réacteur.
Exemples d’études
Les études menées jusqu’à présent étaient axées sur la valorisation de déchets non toxiques par la production de gaz riche ou pauvre. Ces produits étaient constitués par des déchets de biomasse (coques de café, bourre de coco, etc.), abondants dans certains pays en voie de développement.
Actuellement le Cerchar mène une étude sur le traitement de déchets organohalogénés. Le but de cette recherche, aidée par la CEE, est de trouver une méthode de traitement produisant un gaz concentré en substances à éliminer, nécessitant donc des moyens d’épuration plus réduits que ceux utilisés pour épurer des gaz de combustion. On espère également pouvoir retenir une fraction aussi importante que possible des halogènes dans le bain pour améliorer encore la quantité de polluant retenu. On peut aussi envisager de valoriser certains halogénures de cette manière.
Nous savons par ailleurs que des expériences de destruction de PCB en bain fondu ont été menées à bien aux USA.
Vapocraquage
Des incidents qui ont fait la une des journaux ces dernières années ont mis en évidence les risques présentés par les PCB lors d’incendies de transformateurs ou de combustion dans des conditions défavorables. Il a été démontré, entre autres, qu’une combustion, à un niveau thermique insuffisant, permettait à des molécules très stables de dioxines et dibenzofuranes de se former.
Associé à la Société des Techniques en Milieu Ionisant (STMI, filiale du CEA), le Cerchar a mis au point une technique de vapocraquage. La molécule de PCB est détruite à haute température en milieu réducteur, donc sans possibilité de recombinaisons avec l’oxygène. Le gaz résultant est composé uniquement d’HCl et d’hydrocarbures légers. Un lavage du gaz et la combustion des hydrocarbures s’opèrent ensuite de manière conventionnelle.
Exemples d’études
Mise au point tout d’abord avec des composés halogénés non cycliques, cette technique est actuellement validée pour les PCB. Une recherche complémentaire est menée parallèlement pour réduire les coûts d’exploitation.
CONCLUSION
Nous ne sommes plus au cours des années 1970, et les recherches que l’on menait à cette époque sur des déchets non toxiques ne présentent plus beaucoup d’intérêt aujourd’hui. S’il s’agit de brûler des produits liquides ne présentant aucun caractère de danger, les études et modèles réalisés sur des combustibles pétroliers conviennent parfaitement.
En revanche, la recherche doit apporter des réponses aux conditions de sécurité qui doivent être appliquées à tout traitement thermique (formation de dioxines et furanes par exemple). Les procédés non oxydants ou à oxydation contrôlée apporteraient un surcroît de sécurité dans bien des cas.
La pyrolyse et la gazéification, qui ont été considérées entre 1974 et 1980 comme des moyens de valoriser les résidus urbains, ont été abandonnées parce qu’elles concernaient des produits à faible valeur ajoutée. Ces procédés, appliqués à des déchets pour lesquels il est admis d’utiliser un traitement coûteux, pourront certainement sortir de l’oubli.