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La recherche de fuites au gaz traceur

30 octobre 2012 Paru dans le N°355 à la page 83 ( mots)
Rédigé par : Jean-paul GUILLAUME

La recherche de fuite au gaz traceur permet de localiser les fuites qui ne sont pas décelables avec la méthode acoustique utilisée traditionnellement. Plus délicate à mettre en ?uvre, cette méthode permet de faire une cartographie à l'instant « t » de toutes les fuites et de hiérarchiser leur réparation quel que soit le débit des fuites, la nature de la canalisation. Le gaz est l'hélium, inodore, sans saveur, et sans impact sur la qualité de l'eau. Il est injecté à de très faibles doses dans une canalisation en service sans aucune perturbation ni dans la distribution, ni dans l'usage de l'eau. La précision de la localisation est inférieure au mètre.

La réduction des pertes en eau dans les réseaux d'eau potable est un enjeu majeur, pour les exploitants, tant environnemental qu’économique. Sur le plan réglementaire, la loi « Grenelle 2 » de 2010 et son décret d’application du 27 janvier 2012 viennent renforcer cet enjeu en fixant des objectifs de rendement à atteindre, c’est-à-dire un niveau maximum de pertes en eau.

Une des principales actions menées pour lutter contre ces pertes est la recherche de fuite qui consiste à détecter et localiser les fuites sur les canalisations d’eau potable. Parmi les différentes techniques et méthodes existantes, l’acoustique est la plus utilisée actuellement. Simple à mettre en œuvre, elle donne de très bons résultats dans son domaine d'application avec des utilisateurs qualifiés.

La méthode acoustique repose sur le principe de la mesure de l’énergie de vibration de la canalisation. Au passage de l'eau à travers l’orifice de la fuite, l’énergie de pression de l’eau dans la canalisation se transforme en énergie de vitesse au niveau de l’orifice, générant des vibrations sur la paroi de la canalisation et dans l’eau (bruit de la fuite).

L’énergie de vibration est proportionnelle à la pression dans la canalisation et à la vitesse de l’eau lors de son passage à travers l’orifice de la fuite, et inversement proportionnelle au débit de l’eau dans la canalisation et à la distance entre la position de la fuite et son point de mesure. Cela se traduit par une détection aisée de fuites très énergétiques, et une impossibilité de détecter les fuites très faiblement énergétiques (casse franche…) sur des canalisations en matériaux synthétiques de surcroît.

C’est pour sélectionner des équipements de recherche de fuites capables de détecter la présence de fuite de faible énergie que Veolia Eau a créé une plateforme d’essais et a éliminé les appareils ne répondant pas à cette exigence (entre autres), soit la moitié des prélocalisateurs sur le marché depuis 7 ans.

Les limites de cette méthode apparaissent clairement :

  • - faible pression dans la canalisation, voire absence d’eau certains jours dans les pays déficitaires ;
  • - fuite de grande section de passage ;
  • - canalisation ne transmettant pas les vibrations (PVC, PE).
  • points d'accès à la canalisation trop distants ou absents ;
  • masquage d'une fuite de faible énergie par une fuite de très forte énergie ;
  • environnement très bruyant (voie de circulation intense, milieu industriel) ;
  • hétérogénéité des équipements disponibles actuellement sur le marché en termes de fiabilité.

Ainsi, pour tous les réseaux d’eau potable de régions à habitat dispersé, en France comme dans les pays étrangers, l’usage de la méthode acoustique n’est possible que sur 20 à 40 % du linéaire.

Afin de localiser les fuites situées au-delà des limites de l’acoustique, il est nécessaire d’utiliser une méthode qui ne repose pas sur la capture de l’énergie de vibration. La méthode au gaz traceur consiste à introduire un traceur dans l’eau, qui va se propager dans la canalisation pour en ressortir par les fuites.

La recherche de fuites revient à détecter la présence du traceur dans le sol au-dessus de la canalisation. Ce traceur doit satisfaire aux conditions suivantes :

  • être plus léger que l’air, inerte et compatible avec la qualité de l’eau sans la dégrader ;
  • pouvoir être introduit dans l’eau et s’y mélanger de manière homogène ;
  • ne pas perturber le fonctionnement du réseau d’eau potable ni causer de dommages chez l’abonné ;
  • être facile à mettre en œuvre et aisément détectable depuis la surface du sol.

Seuls deux gaz remplissent ces conditions : l’hydrogène et l’hélium. Leur utilisation permet de localiser les fuites :

  • quel que soit le type de canalisation (matériau synthétique ou métallique) ;
  • quel que soit l’environnement de la canalisation (dans un sol recouvert d’enrobé en zone habitée, en terrain nu le long d’une route ou à travers champs) ;
  • quel que soit le débit de la fuite.

Principe et mise en œuvre de la recherche de fuite au gaz traceur

Bien que certains mettent en œuvre cette technique sur canalisation vidangée, Veolia Eau met en œuvre cette technique sur conduite en service et sans arrêt d’eau. Le gaz est introduit directement dans l’eau, s’y dissout et se diffuse dans l’ensemble du réseau. Cette méthodologie limite par ailleurs le besoin en gaz.

La recherche de fuite au gaz traceur se décompose en deux phases :

  • dissolution du gaz dans l’eau et diffusion de celui-ci dans le réseau ;
  • détection du gaz en surface.

L’introduction du gaz dans l’eau se fait à partir d’une bouteille de gaz équipée d’un régulateur de pression et d’une mesure de débit de gaz injecté. Cette injection se fait de préférence au moment où la consommation est la plus importante, ce qui permet une meilleure dispersion du gaz sur le réseau. La durée d’injection ne dépasse pas quelques heures et le temps de présence du gaz dans l’eau du réseau est de l’ordre d’un jour selon les caractéristiques du réseau.

Une fois injecté, le gaz se dissout de lui-même sous l’effet de la pression du réseau. Différents systèmes permettent d’optimiser le mélange et de limiter la linéarité de canalisations pour lequel on aura un écoulement diphasique (présence de bulles de gaz non dissout dans l’eau).

[Photo : Situation : 2 heures après le début de l’injection : l’eau marquée avec le gaz dissous avance dans le réseau et diffuse dans le sol à la première fuite.]
[Photo : Situation : 5 heures après le début de l’injection : l’injection est terminée. L’eau marquée avance dans le réseau avec les consommations.]
[Photo : Situation : après 12 heures environ après le début de l’injection : il n’y a plus d’eau marquée au gaz traceur dans le réseau, le gaz reste quelques temps dans le sol.]

Les schémas ci-dessus permettent de visualiser l’avancement du gaz dans le réseau. L’avancement du gaz dissous est calculé à partir de la vitesse de l’eau dans la canalisation. Sa présence réelle en extrémité du réseau peut être vérifiée si besoin.

Le gaz dissous s’échappe ensuite de la canalisation par les fuites, reprend sa forme gazeuse et, étant plus léger que l’air, il chemine dans les porosités du sol pour remon-

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[Photo : Aspiration du gaz du sol au droit de la canalisation.]

localisation.

L'opération de recherche du gaz traceur reste possible tant que le gaz se trouve dans le sol. La durée de rémanence dans le sol dépend :

  • du gaz lui-même (l'hydrogène restera moins longtemps que l'hélium) ;
  • de la quantité de gaz traceur répandue dans le sol (liée au type de sol et à la taille de la fuite).

D'une manière générale, l'hélium reste présent dans le sol pendant 3 à 4 jours après son injection.

La zone de détection suit généralement le tracé de la canalisation et peut avoir plusieurs mètres de long. Selon le type de gaz et les modalités d'injection, cette zone persistera de quelques heures à plusieurs jours.

La détection du gaz se fait en aspirant puis en analysant l'air du sol : l’opérateur chemine au droit de la canalisation et aspire le gaz tous les 3 à 5 mètres environ. L'air aspiré est analysé, la présence du gaz traceur est connue par un affichage de la concentration dans l’échantillon et signalée par un avertisseur sonore. Cette concentration est maximale au droit de la fuite et diminue lorsque l'on s’en éloigne. La position de la fuite est décelée avec une précision inférieure au mètre.

Le marquage au sol des valeurs lues facilite cette opération de marquage sur la chaussée des concentrations de gaz lues. La fuite est estimée être à la croix, près des endroits où la concentration est maximale.

[Photo : Marquage sur la chaussée des concentrations de gaz lues. La fuite est estimée être à la croix, près des endroits où la concentration est maximale.]

Résultats de la recherche de fuite

Cette méthode a fait ses preuves sur de très nombreux réseaux et se développe rapidement aussi bien en France qu'à l’étranger. À titre d'exemple, Veolia Eau a réalisé une campagne de recherche de fuite à l'hélium — gain de 40 % sur le contrat de Riyadh en Arabie Saoudite. Le secteur retenu compte 10 km de canalisation de distribution en PVC, avec une pression de 0,5 bar (à Riyadh, l’eau est délivrée dans des citernes enterrées au pied des habitations). Les branchements n'ont pas de bouche à clef. Toute recherche avec la méthode acoustique est donc vouée à l’échec, ainsi une seule fuite avait été localisée sur ce secteur.

Nous avons injecté 3 m³ d'hélium et, après 3 jours de travail, nous avons détecté de l'hélium en 18 endroits différents.

[Photo : Courbes des volumes journaliers distribués sur le secteur d'Arqah à Riyadh.]

concentrations allant de 5 ppm à 40 000 ppm dont 9 inférieures à 14 ppm. Neuf fuites ont été réparées en une seule opération.

Nous avons gagné 40 % de rendement dans cette opération en passant d’un volume journalier de 1 000 m³ à environ 600 m³.

Avantages et inconvénients

Les intérêts de la méthode du gaz traceur sont nombreux, cette méthode permet ainsi :

  • • d’aller bien au-delà de la méthode acoustique et ainsi de localiser des fuites sur des portions de réseau à travers champs, le long de routes, qui ne pouvaient pas être détectées même en écoute directe sur le sol ;
  • • de pouvoir travailler plusieurs jours après l'injection de gaz traceur et donc de rechercher la présence de fuite sur plusieurs kilomètres de canalisation ;
  • • d'évaluer le débit des fuites (en effet, celui-ci étant directement lié à la valeur de la concentration de gaz détecté, plus cette valeur est importante plus le débit l’est) ;
  • • d’avoir une cartographie de toutes les fuites présentes sur le réseau étudié de la plus faible (un suintement au niveau d'un collage de PVC), à la plus importante (plusieurs dizaines de m³/h s’écoulant sans bruit dans un terrain très filtrant) ;
  • • de hiérarchiser la réparation des fuites à partir de leur connaissance ;
  • • de travailler aussi bien sur des réseaux de distribution que sur des réseaux de transport d'eau généralement sans point d'accès et situés à des profondeurs plus importantes ;
  • • de rechercher des fuites dans des zones et/ou sur des réseaux forts bruyants ;
  • • enfin, elle est simple d'usage même si l’injection demande une bonne expertise hydraulique.

Comme toute technique, cette méthode a également ses contraintes et ses limites :

  • - le tracé de la canalisation doit être connu et repéré au sol dans une distance de plus ou moins 1 m de part et d’autre de son axe ;
  • - la circulation de l'eau dans un réseau maillé doit être maîtrisée pour l’orienter si besoin dans les zones de faibles consommations en réalisant un tirage important (par exemple via l’ouverture d’un poteau incendie) ;
  • - la surface du sol doit être perméable à l’air pour aspirer le gaz dans le sol (dans le cas contraire, le seul moyen d’accéder au gaz est le percement de la couche superficielle du sol).

En milieu urbain, le cheminement du gaz peut être perturbé par la présence d'autres concessionnaires (réseaux d'assainissement, pluvial, fourreaux de communication...). Le gaz suivra ces réseaux et sera détecté loin de la position de la fuite réelle.

Le gaz traceur doit avoir une autorisation d'utilisation dans l’eau potable délivrée par le Comité Supérieur de l’Hygiène Publique de France dépendant de la Direction Générale de la Santé. L'hélium dispose d’une telle autorisation.

Conclusion

La méthode de recherche de fuite au gaz traceur est complémentaire à la méthode acoustique, elle en repousse les limites. Pour donner pleinement sa performance, elle doit être précédée d'un ilotage des réseaux pour déterminer les tronçons « fuyards », seuls susceptibles d'investigations poussées avec cette méthode.

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