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La production de nitrites lors de la dénitrification des eaux usées : un sujet sensible et complexe !

30 septembre 2011 Paru dans le N°344 à la page 80 ( mots)
Rédigé par : V ROCHER, E GARCIA-GONZALEZ, C PAFFONI et 1 autres personnes

Le problème posé par les nitrites dans les eaux de surface de l'agglomération parisienne est aujourd'hui reconnu par l'ensemble des acteurs de l'eau en Ile-de-France (Agence de l'Eau Seine Normandie, Service Public de l'Assainissement Francilien, etc.). Les stations d'épuration, et en particulier celles conçues pour assurer un traitement complet de l'azote par biofiltration (nitrification + dénitrification), ont été identifiées comme des sources potentielles de cette espèce azotée. Dans ce contexte, la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP a initié un projet de recherche visant à cerner précisément les mécanismes d'apparition des nitrites au cours de la dénitrification des eaux usées. L?objectif de ce projet est d'établir clairement les liens existant entre les conditions d'exploitation des ouvrages et l'apparition des nitrites dans les eaux traitées. Les résultats obtenus dans le cadre de ce projet sont synthétisés dans ce dossier composé de trois articles techniques respectivement consacrés à l'influence des trois leviers d'exploitation sur l'apparition des nitrites : (1) la charge appliquée en azote, (2) les apports en substrats carbonés et (3) les apports en phosphore. Cet article introductif de ce dossier vise à présenter le contexte technico-réglementaire de cette problématique « nitrites » ainsi qu'à décrire la démarche suivie dans le cadre de ce projet.

Ces 20 dernières années, la réglementation concernant le traitement des eaux usées et la qualité des eaux rejetées dans le milieu naturel a fortement évolué. Dès 1991, l'application de la Directive Européenne sur la collecte, le traitement et le rejet des eaux résiduaires urbaines, a conduit les États membres de l'Union Européenne à définir des zones sensibles à l’eutrophisation dans lesquelles les rejets de phosphore et d’azote devaient être réduits. Plus précisément, les stations d’épuration de moyenne et grande tailles, implantées dans ces zones, ont dû mettre en place des traitements permettant soit de ne pas dépasser des concentrations en azote (azote global) et phosphore (phosphore total) de 10 mg N·l⁻¹ et 1 mg P·l⁻¹ dans les eaux rejetées, soit d’éliminer respectivement 70 et 80 % des pollutions azotée et

phosphorée acceptées sur la station. Plus récemment, la Directive-cadre sur l’Eau (décembre 2000) a imposé aux États membres de l’Union Européenne de restaurer le bon état écologique (physico-chimique et biologique) et chimique (substances prioritaires) des masses d’eau superficielle dans un délai de 15 ans. Le bon état physico-chimique a été défini et des concentrations à ne pas dépasser dans les eaux superficielles ont été fixées pour les paramètres physiques (oxygène, température) et les nutriments (carbone, azote, phosphore). Dans le cas des composés azotés, les seuils à ne pas dépasser ont été fixés à 0,5 mg·l⁻¹, 0,3 mg·l⁻¹ et 50 mg·l⁻¹ respectivement pour l’azote ammoniacal (NH₄⁺), l’azote nitreux (NO₂) et l’azote nitrique (NO₃).

Cet accroissement des exigences réglementaires a conduit les collectivités en charge du traitement des eaux résiduaires urbaines à moderniser leurs usines afin de disposer de filières de traitement capables d’éliminer de manière efficace le carbone, l’azote et le phosphore des eaux usées. En particulier, des efforts importants ont été consentis afin d’intégrer dans les filières de traitement des eaux des unités de traitement biologique de l’azote permettant l’oxydation de l’azote ammoniacal en azote nitrique (étape de nitrification) puis sa réduction en azote gazeux (étape de dénitrification). Ainsi, en région parisienne, le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne, en charge du transport et du traitement des eaux usées générées par 8,5 millions de franciliens (Paris + départements limitrophes), traite aujourd’hui l’azote sur l’ensemble de ses usines. Les 2,5 millions de mètres cubes d’eau usée générés sur le bassin-versant du SIAAP sont acheminés vers des usines d’épuration qui disposent de filières de traitement biologique permettant la nitrification et la dénitrification des eaux usées.

Parmi les technologies disponibles pour traiter biologiquement l’azote, la technologie « biofiltration » a été largement déployée dans nos stations d’épuration urbaines. Cette technologie, inspirée des filtres de production d’eau potable, combine les processus d’épuration physique et biologique par l’utilisation d’un matériau filtrant immergé. Les avantages de ces systèmes biologiques immergés résident dans leur compacité (faible emprise au sol) et leur caractère intensif (faible temps de séjour) ; avantages précieux dans le contexte très urbanisé du bassin-versant SIAAP. Dans le cas d’une filière « biofiltration », le traitement de l’azote se fait généralement en associant successivement les étapes de pré-dénitrification, nitrification et post-dénitrification sur méthanol. Dans cette configuration type, les nitrates formés lors de la nitrification sont quasiment totalement éliminés lors de la dénitrification ; les étapes de pré et de post-dénitrification éliminant environ chacune la moitié des nitrates formés. La part de nitrates éliminée lors de la post-dénitrification peut difficilement être réduite dans la mesure où une sollicitation plus importante de la pré-dénitrification nécessite une forte augmentation de la re-circulation des eaux au sein de la filière de traitement des eaux (sortie de nitrification vers pré-dénitrification) et, par conséquent, une augmentation considérable des coûts de pompage. Ainsi, aujourd’hui, les eaux nitrifiées sur les installations du SIAAP sont en grande partie dénitrifiées sur des biofiltres post-dénitrifiants avec ajout de méthanol (figure 1). Plus précisément, sur les 2,1 millions de m³ d’eau usée nitrifiés quotidiennement sur biofiltres, environ 750 000 m³ sont dénitrifiés sur des biofiltres post-dénitrifiants.

[Photo : Figure 1 : capacités épuratoires et volumes post-dénitrifiés sur biofiltres (usines du SIAAP). *Traitement de l’azote sur l’usine SAV : nitrification complète + post-dénitrification partielle (un tiers des eaux dénitrifiées).]

Le développement de la post-dénitrification sur les usines de traitement a permis de limiter significativement les flux d’azote nitrique rejetés dans les eaux de surface. Mais, le développement de la post-dénitrification a également induit une augmentation des flux de nitrites introduits dans le milieu naturel dans la mesure où, comme nous le verrons dans la suite de ce dossier technique, les concentrations résiduelles en nitrites dans les eaux post-dénitrifiées peuvent être, dans certaines conditions d’exploitation, assez importantes.

Émergence de la problématique environnementale « nitrites »

La politique d’aménagement et de modernisation des filières de traitement des eaux engagée ces dernières années a permis d’améliorer significativement la qualité de la Seine, notamment vis-à-vis des paramètres azotés. Cette amélioration est illustrée par la figure 2a qui présente l’évolution des concentrations en ammonium mesurées ces 6 dernières années au niveau du site de Poissy (carré vert sur la figure 1). Ce point géographique a été sélectionné dans la mesure où il intègre les principaux rejets du SIAAP et, en particulier, le rejet de la principale station du SIAAP, l’usine SAV. On note que, suite à la mise en service de l’unité de nitrification de la station SAV, les concentrations en azote ammoniacal dans le milieu naturel ont significativement diminué. En 2005, les concentrations en NH₄⁺ étaient de l’ordre de 2-5 mg·l⁻¹ et sont quasi systématiquement inférieures à 2 mg·l⁻¹ depuis début 2007. Les pics de concentrations encore observés de manière erratique résultent des rejets urbains de temps de pluie susceptibles d’introduire ponctuellement dans le milieu des flux impor-

[Photo : Figure 2 : évolution de la qualité de la Seine vis-à-vis des paramètres NH₄⁺ et NOx en aval de l'agglomération parisienne (site de Poissy) entre 2005 et 2011. Traitement de l'eau sur l'usine SAV : nitrification complète + post-dénitrification partielle (un tiers des eaux dénitrifiées).]

Cette réduction des concentrations en azote ammoniacal s’est traduite par une diminution significative du taux d’azote ammoniacal. D’un point de vue strictement réglementaire, cette diminution des concentrations en azote ammoniacal dans le milieu s’est traduite par une amélioration de la qualité de cette masse d’eau, de l’état « médiocre » à l’état « passable ».

Si le développement des unités de traitement de l’azote a significativement amélioré la qualité des eaux de surface vis-à-vis de l’azote ammoniacal, il a conjointement fait émerger la problématique du nitrite. La figure 2b, qui présente l’évolution des concentrations en nitrites mesurées ces six dernières années au niveau du site de Poissy (carré vert sur la figure 1), montre en effet que la mise en place de l’unité de post-dénitrification sur le site SAV a engendré une augmentation des concentrations en nitrites en Seine. Avant 2007, les niveaux de concentration en nitrites étaient de l’ordre de 0,3-0,4 mg·L⁻¹. La présence de ces nitrites résultait principalement du processus de nitrification qui s’opérait dans le fleuve et, dans une moindre mesure, des apports des stations d’épuration déjà équipées de post-dénitrification (Seine Centre, Colombes).

Depuis 2007, année de la mise en place de l'unité de post-dénitrification sur SAV, les concentrations en nitrites fluctuent entre 0,3 et 0,9 mg·L⁻¹. Il convient par ailleurs de souligner que cette augmentation des nitrites en Seine observée à l’aval des stations du SIAAP ne constitue pas une problématique locale puisque les concentrations en nitrites dans les eaux de Seine restent élevées plus de 100 km après le rejet de SAV. Le caractère régional de la problématique « nitrites » est illustré par la figure 3 qui présente l’évolution des concentrations en nitrites en Seine de Choisy, à l’amont de Paris, jusqu’à Oissel, site localisé à plus de 150 km de l’usine de SAV. On note que le pic de concentrations en nitrites observé après les principaux apports urbains (Poissy/Triel) s’estompe très lentement et les concentrations en nitrites mesurées à Poses et Oissel, respectivement à 125 et 154 km de l'usine SAV, sont encore de l’ordre de 0,3-0,4 mg·L⁻¹.

Complexité des mécanismes d’apparition des nitrites lors du traitement des eaux usées

Le niveau de concentration en nitrites dans les eaux de surface est régi, d’une part, par

[Photo : Figure 3 : évolution des concentrations en nitrites en Seine de Choisy (amont de Paris) à Oissel (Base de données 2009 [SIAAP – SNS], n = 50 sauf pour Oissel où n = 10). Représentation sous forme de boîte à moustaches : (1) la boîte est construite à partir des quartiles et médianes (Q25 / médiane / Q75), (2) la taille des moustaches est calculée selon : Q25 – 1,5 × (Q75 – Q25) et Q75 + 1,5 × (Q75 – Q25) et (3) les points atypiques, non encadrés par les moustaches, sont signalés par des ronds.]

les flux introduits par les rejets de stations d'épuration et, d'autre part, par la production de nitrites liée à l'installation de processus biologiques de transformation de l'azote au sein même de l'écosystème. La Seine constitue, en effet, un réacteur biologique capable de transformer l'azote : nitrification dans la colonne d'eau, dénitrification benthique, etc.

Ces processus biologiques susceptibles de contribuer de manière significative à la contamination du milieu sont largement étudiés par les équipes du programme de recherche PIREN-Seine (Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l'Environnement de la Seine - http://www.sisyphe.upmc.fr/piren). Néanmoins, dans le contexte urbain du bassin-versant SIAAP, les rejets de station d'épuration constituent une source majeure de nitrites, en particulier lorsqu'elles sont équipées d'étape de post-dénitrification par biofiltres. Le contrôle de l'apparition des nitrites au cours de cette étape de traitement des eaux usées est donc devenu un enjeu technique et environnemental majeur.

Dans ce contexte, la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP a initié un projet de recherche visant à cerner précisément les mécanismes d'apparition des nitrites au cours de la dénitrification des eaux usées. Ce projet de recherche appliquée, mené à l'échelle du laboratoire (tests en réacteur) et à l'échelle industrielle (expérimentations sur les usines de traitement), a été structuré autour des trois principaux leviers d'exploitation utilisés pour le pilotage des unités de post-dénitrification : (1) la gestion des charges en azote appliquées sur les biofiltres, (2) la gestion des apports en substrats carbonés (nature de substrats utilisés/régulation employée) et (3) la gestion des apports en phosphore.

L'objectif est d'établir clairement les liens existant entre ces leviers d'exploitation et l'apparition des nitrites dans les eaux traitées. Comprendre ces liens permettra, à terme, d'optimiser le pilotage des unités de post-dénitrification de manière à maintenir des concentrations en nitrites nulles ou très faibles dans les eaux traitées.

Le dossier technique proposé dans ce numéro comporte 3 articles intitulés :

Article 1. Conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification des eaux usées.

1. Importance de la charge appliquée en azote.

Article 2. Conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification des eaux usées.

2. Importance des apports en substrat carboné.

Article 3. Conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification des eaux usées.

3. Importance des apports en phosphore.

Ces trois articles abordent des sujets complémentaires mais ont été rédigés de manière à pouvoir être lus de manière indépendante. Ce choix, fait pour faciliter la lecture et l'utilisation de ce document, conduit logiquement à quelques répétitions et redondances entre les articles, notamment dans les parties consacrées à la présentation des dispositifs techniques. Nous vous souhaitons une bonne lecture...

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