Soulignons que les dépôts pouvant provoquer des corrosions locales, il est important de les éviter, quelle que soit leur nature.
Sans entrer ici dans les mécanismes précis, on fait une distinction selon le type d’attaque. On peut en citer quelques-unes parmi les plus courantes :
- — une perte de métal généralisée (attaque uniforme) est due à une attaque à faible pH ;
- — des piqûres sont dues, en général, à la présence d’oxygène, celui-ci agissant comme dépolarisant cathodique. Les corrosions de ce type sont des plus dévastatrices et peuvent induire d’autres problèmes de corrosions et de dépôts ;
- — d’autres corrosions peuvent apparaître, mais plus rarement : on notera entre autres les corrosions sous contraintes et les corrosions caustiques. Ces dernières sont souvent dues à la présence de dépôts poreux mettant en jeu des mécanismes électrolytiques complexes ; elles sont liées à de très fortes concentrations locales en OH libre.
Éviter les corrosions constitue de ce fait l’un des objectifs moteurs d’un exploitant et c’est donc un volet fondamental du traitement à entreprendre dans ce but. Pour réduire la corrosion généralisée on cherche à se placer dans des conditions optima en maintenant un pH et une alcalinité suffisants et en favorisant la formation d’un film protecteur de magnétite sur le métal. Il est, en effet, important de maintenir un pH correct car s’il est trop faible, il diminue la résistance du film protecteur ; celle-ci est également réduite en présence d’oxygène qui tend à transformer la magnétite (Fe₃O₄) en hématite (Fe₂O₃).
Nous examinerons ci-après les effets des divers réducteurs employés dans le traitement des eaux de chaudières.
ELIMINATION DE L’OXYGÈNE
L’oxygène constitue donc un danger pour les chaudières, tout comme dans l’ensemble du réseau, et il convient de l’éliminer. À cet effet, on utilise des moyens physiques et/ou chimiques.
La solubilité de l’oxygène dans l’eau est inversement proportionnelle à la température, ce qui, dans un dégazeur thermique, permet d’en éliminer une grande partie : c’est ainsi que dans un dégazeur fonctionnant correctement (à 105-106 °C) on peut abaisser la teneur en oxygène de l’eau à moins de 10 ppb (0,01 ppm).
Le dégazage de l’eau en sortie est alors complété par un « dégazeur chimique » ou réducteur qui réagit avec les dernières traces de O₂ dissous. L’oxygène est donc « consommé » par le réactif avant son entrée en chaudière. Traditionnellement, depuis des années, deux produits sont utilisés à cette fin : les sulfites et l’hydrazine, par lesquels on obtient les réactions suivantes :
Les vitesses de réaction sont dépendantes de plusieurs paramètres, dont la température ; les réactions sont plus lentes à froid, ce qui est particulièrement notable pour l’hydrazine. Pour pallier cet inconvénient, des catalyseurs ont été ajoutés ; pour l’hydrazine ce fut un progrès très sensible qui lui donna beaucoup d’avantages par rapport aux sulfites. En effet, si les sulfites sont très réactifs avec l’oxygène, ils présentent, par contre, certains inconvénients : leur emploi est limité par la pression (ils se décomposent en acide au-dessus de 40 bars), ils augmentent la salinité de l’eau, ne sont ni volatils ni passivants.
Comme on le voit sur le tableau 1, l’hydrazine présente des caractéristiques beaucoup plus intéressantes que les sulfites :
- — volatilité, qui permet une protection des réseaux vapeur et retour ;
- — propriétés réductrices, qui permettent la formation d’oxydes protecteurs (Fe₃O₄ et Cu₂O) dans l’ensemble du système et de réduire Fe³⁺ en Fe²⁺ et Cu²⁺ en Cu⁺ solubles ;
- — non augmentation de la salinité en chaudière.
Les limitations et les contraintes liées à ces produits ont conduit au développement de programmes de recherches pour trouver des alternatives.
Tableau 1
Caractéristiques |
| Sulfites |
| Hydrazine |
Vitesse de réaction avec l’oxygène |
| excellente |
| dépend des pH et températures |
Volatilité – Traitement des condensats |
| nulle |
| bonne |
Salinité apportée par le produit |
| importante |
| néant |
Passivation des métaux |
| non |
| bonne |
Réduction de Fe³⁺ en Fe²⁺ et Cu²⁺ en Cu⁺ |
| non |
| bonne |
Dosage résiduel |
| lourd |
| faible |
Produits de décomposition |
| H₂S, SO₂ |
| NH₃, N₂ |
Coût d’exploitation |
| modéré* |
| modéré |
L’utilisation de l’hydrazine est plus particulièrement remise en cause du fait que depuis quelques années, dans différents pays, on la suspecte d’être carcinogène ; elle figure ainsi maintenant sur beaucoup de listes « noires » et son utilisation est soumise à des limites et à des contrôles. En France, depuis 1985, une liste de produits suspectés d’être carcinogènes a été fixée par arrêté ministériel et l’attention des utilisateurs a été attirée sur les risques encourus par leur utilisation. L’hydrazine y est incluse et de nombreuses industries sont concernées.
Or, le recours aux sulfites, souvent aléatoire, ne permet pas de bénéficier de tous les avantages de l’hydrazine… C’est pourquoi les techniciens, depuis quelques années, en laboratoire et sur le terrain, ont cherché à développer de nouvelles solutions.
Divers substituts sont maintenant utilisables mais ils présentent souvent des inconvénients. On peut en citer quelques-uns :
- — les dérivés de l’acide ascorbique ou érythorbique : ils sont de bons réducteurs, mais chers à l’emploi, non volatils, et augmentent la salinité de l’eau ;
- — les « synthétiseurs » d’hydrazine qui réagissent dans l’eau en formant de l’hydrazine ; ils sont de mise en œuvre délicate ;
- — les produits à base d’hydroquinone.
Un autre substitut, apparu depuis quelques années aux U.S.A., a montré des capacités particulièrement intéressantes : le Meko ou Mekor™ (1). Réducteur passivant, ses propriétés rappellent celles de l’hydrazine catalysée. Résultat de plusieurs années de recherches, il est plus sûr à manipuler et maintenant largement apprécié.
LE MEKOR
Le Mekor est à base de méthyl éthyl cétoxime que l’on peut écrire en formule simplifiée R = N—O—H et dont la formule développée est la suivante :
CH₃\
>C = N—OH
C₂H₅/
Réaction avec l’oxygène
Globalement on peut écrire :
R = N—OH + O₂ → R = O + N₂O + H₂O,
soit : MEKOR + O₂ → MEK + N₂O + H₂O
où MEK désigne le méthyl éthyl cétone.
Les études de laboratoire et les essais in situ ont confirmé cette hypothèse de réaction. Comme avec l’hydrazine, les vitesses de réaction avec l’oxygène croissent avec la température : faibles à température ambiante, elles augmentent ensuite pour devenir très rapides aux températures habituelles des dégazeurs. La figure 1 donne quelques chiffres comparant divers réducteurs et montre la bonne réactivité du Mekor. (Il faut noter que plus K₂ est grand, plus la réactivité est élevée).
Ces données, difficiles à obtenir au laboratoire, ont été confirmées par de nombreuses mesures in situ qui ont démontré qu’à l’inverse de ce que l’on constate avec l’hydrazine, la vitesse de réaction est indépendante du pH.
Mécanismes de passivation
Comme l’hydrazine, le Mekor, réducteur fort, permet la formation de films protecteurs de magnétite (Fe₃O₄) et d’oxyde cupreux (Cu₂O), ce que l’on écrit en simplifiant :
2 MEKOR + 6 Fe₂O₃ → 2 MEK + 4 Fe₃O₄ + H₂O + N₂O
2 MEKOR + 4 CuO → 2 MEK + 2 Cu₂O + H₂O + N₂O
Le Mekor permet de réduire également Fe³⁺ en Fe²⁺ et Cu²⁺ en Cu⁺, ce qui limite la formation d’hydroxyde ferrique Fe(OH)₃ (à l’origine de dépôts en chaudière) les ions Fe²⁺ étant plus solubles :
2 MEKOR + 4 Fe³⁺ + 4 OH⁻ → 2 MEK + 4 Fe²⁺ + 3 H₂O + N₂O
2 MEKOR + 4 Cu²⁺ + 4 OH⁻ → 2 MEK + 4 Cu⁺ + H₂O + N₂O
Volatilité
La volatilité d’un réducteur est un paramètre très important : non volatil, il ne protège pas le réseau « condensats » et n’est guère plus intéressant qu’un sulfite. Le Mekor est très volatil et passe en phase vapeur pour protéger l’ensemble du réseau post-chaudière, ce qui est important car non seulement il élimine l’oxygène pouvant y pénétrer, mais il protège également le métal par ses fonctions réductrices, en formant de la magnétite. Cette propriété est particulièrement appréciable en présence de cuivre ou d’alliages.
La figure 2 donne les rapports de distribution (DR) entre phases vapeur et liquide pour quelques produits.
à 190 °C, DR = 7,7 m³/kg
Salinité
Ce paramètre trouve son importance dans les chaudières hautes et moyennes pressions où il modifie le taux de purge. Comme l’hydrazine, le Mekor n’augmente pas la salinité de l’eau et peut être injecté dans la vapeur.
Toxicité
Le Mekor est considéré comme non toxique ainsi qu’on peut le voir au tableau 2 ; il est toutefois nécessaire de prendre certaines précautions simples pour le manipuler.
Tableau 2
Dose létale orale sur rats (DL₅₀ en mg/kg)
Mekor : | 2 400 – 3 700 | — Considéré comme sûr |
Hydroquinone : | 320 | — Suspect d’être mutagène (étude en cours) |
Carbohydrazide : | 167 | — Forme d’hydrazine |
Hydrazine : | 60 | — Suspect de cancérogénicité |
DEHA : | 2 180 | — Sûr |
Acide érythorbique : | 518 | — Sûr |
* intrapéritonéale sur souris
** orale sur souris
Décomposition
Les mécanismes spécifiques de décomposition sont mal connus. Dans des conditions de températures très élevées on peut obtenir une décomposition partielle en azote, N₂O, MEK et, dans une moindre mesure, en ammoniac, ce qui ne pose pas de problèmes. La vitesse de décomposition est inférieure à celle de l’hydrazine : ainsi à 240/250 °C, alors que l’on décompose 50 % de l’hydrazine présente en 6,5 secondes, la durée correspondante est de 45 minutes pour le Mekor.
CONCLUSION
Le remplacement de l’hydrazine, dont l’emploi est largement répandu comme inhibiteur de corrosion dans les générateurs de vapeur haute et moyenne pressions, posait jusqu’à présent des problèmes. En effet, si ses propriétés le rendent particulièrement attractif (élimination de l’oxygène, passivation, volatilité…) sa toxicité limitera inéluctablement son emploi…
Comme nous venons de le voir, le Mekor* a montré, tant au laboratoire qu’au travers de nombreuses applications industrielles, qu’il peut offrir dans ce domaine une alternative de choix aux exploitants de chaudières à vapeur.
* Mekor est une marque déposée de Drew Chemical Corporation. Son utilisation est couverte par des brevets internationaux.
[Photo : Fig. 1 : Vitesses comparées de réaction avec l’oxygène.]
[Photo : Fig. 2 : Volatilité des traitements (1) avant décomposition.]