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La pose de l'émissaire de Pardigon

30 novembre 2002 Paru dans le N°256 à la page 39 ( mots)
Rédigé par : G. GAYRARD et B. KOCUPYR

La mise en ?uvre d'un nouvel émissaire doit souvent répondre à de nombreuses contraintes techniques et environnementales. La pose de l'émissaire de Pardigon n?a pas dérogé à la règle, et s'est montré très exigeant en terme d'environnement, de technique et d'organisation de chantier. Explications.

G. Gayrard et B. Kocupyr,

Bonna Sabla

[Photo : Émissaire de Pardigon]

Explications.

Le SIVOM du Littoral des Maures regroupant les quatre Communes du Rayol-Canadel, de Cavalaire sur Mer, de la Croix-Valmer et de Ramatuelle, Maître d'Ouvrage, a lancé un appel d’offres sur performances concernant l’achèvement des études du projet et réalisation d'un deuxième émissaire incluant chambre de raccordement et diffuseur. La création de ce nouvel émissaire de rejet en mer s’inscrit dans le programme d’extension futur de la station d’épuration de Pardigon, traitant à terme les eaux usées de 90 000 Eq/hab. pour un débit de pointe estimé à 1 700 m³/h. Ce nouvel émissaire sera ainsi capable d’absorber le nouveau débit de pointe.

La procédure d’appel d’offres sur performances, rarement employée dans le domaine des canalisations, a permis de retenir la solution d'une conduite en béton armé à âme en tôle qui répondait précisément à l'ensemble des critères demandés : la garantie du débit, l’étanchéité, la résistance aux agressions physiques et chimiques, la stabilité aux effets de la houle, la résistance aux chocs des ancres, la résistance à l’abrasion et à la corrosion, enfin la solution apportant le degré de pérennité le plus élevé.

La mise en œuvre de ce nouvel émissaire devait cependant répondre à de nombreuses contraintes techniques et environnementales : travaux réalisés en site protégé qui ont nécessité la mise en place de mesures particulières (entretien des véhicules, prélève-

ments de sables pour analyse avant et après travaux, émissaire traversant un herbier de posidonies).

Pour éviter toute dégradation des fonds marins, le choix retenu pour la mise en œuvre a été d’amener les tuyaux en tronçons de grande longueur au-dessus de la souille, par flottaison, puis d'immerger ces tronçons selon des séquences de largage de flotteurs bien précises, pour poser l’émissaire à sa place.

Le choix en faveur d’un tuyau âme tôle

Sur l'ensemble d’un tracé de 1400 m, l’émissaire est ensouillé, posé sur le fond avec ancrage et posé sur le fond sans ancrage. La canalisation doit donc être prévue pour résister, outre la pression intérieure, à la pression du remblai, au soulèvement lié à la houle, et aux chocs liés au mouillage accidentel d'une ancre.

De plus, elle ne doit pas présenter d’organes en saillie (arts traînants) et offrir des garanties de durabilités en rapport avec la durée d'amortissement de tels projets (plusieurs décennies). De plus, pour satisfaire le critère technico-économique, sa mise en œuvre doit être la plus simple possible afin de minimiser les sujétions liées aux travaux en mer lors de la pose. En effet, lors de travaux de pose en présence de plongeurs, les aléas météorologiques sont d’autant plus réduits que la « fenêtre » nécessaire à la pose et à la mise en sécurité de la conduite est courte. Toute solution qui minimise le temps de pose est donc bénéfique, surtout que ces travaux, effectués dans une zone à forte fréquentation touristique, ne peuvent se faire qu'en hiver, donc quand la météo est la plus mauvaise et la plus aléatoire.

Sujétions de pose

Pour un tel projet en mer Méditerranée, plusieurs solutions de pose peuvent être envisagées :

  • - Pose par tirage depuis le littoral Il faut, pour cela, disposer d’une aire d’assemblage dans l’axe de pose, et pouvoir tenir une souille ouverte pendant une durée assez grande. Ce n’était pas faisable sur ce chantier, à la fois pour des raisons de place et pour des raisons de durée nécessaire à l’ouverture totale de la souille.
  • - Pose par immersion sans déformation de tronçons relativement courts assemblés sous l'eau par plongeurs. Cette technique mobilise d'importants moyens maritimes et augmente le travail à fournir par les plongeurs.
  • - Assemblage et mise à l'eau de la totalité de l’émissaire, remorquage et immersion sur le site de pose. Cette technique mobilise d’importants moyens maritimes et demande une « fenêtre » de beau temps suffisamment longue.
  • - Pose par immersion contrôlée séquentielle par flotteurs de tronçons longs de type courbe en S. Ce type de pose minimise les moyens maritimes à mettre en œuvre pour la pose de la canalisation. La « fenêtre » de beau temps nécessaire est réduite (< 1 journée par tronçon seulement dans le cas de Pardigon) donc les aléas météorologiques sont faibles. Elle nécessite cependant une préparation à terre précise et une bonne connaissance préalable du comportement en flexion longitudinale de la canalisation ainsi qu'une bonne caractérisation de l’interaction flotteurs/conduite en phase de pose.

Description de la pose en « S » de Pardigon

Sur le site de Pardigon, une aire d’assemblage à terre était disponible et située à une centaine de mètres de l’axe de pose de l’émissaire. Ce parking a été mis à profit pour assembler à terre des tronçons de 100 à 150 m sur longrines à partir de tuyaux préfabriqués en usine de 6,15 m de longueur unitaire. Une rampe de lancement munie de chariots sur rails et de berceaux à rouleaux permettait de lancer à la mer les tronçons assemblés. Les assemblages de tronçons en phase de lancement étaient ainsi réduits à 3 ou 4 assemblages, le travail s’effectuant à terre. Les tronçons lancés (typiquement 450 m de canalisation) étaient obturés aux extrémités par bride + plaque pleine et étaient munis de flotteurs. L’ensemble des paramètres de la pose sont alors les suivants : longueur totale du tronçon en mer, poids fendrier au mètre linéaire en mer de la canalisation vide, géométrie et traction utile des flotteurs, espacement des flotteurs, « raideur » en flexion longitudinale de la canalisation.

Phase d’étude

Les études préalables permettent, en partenariat avec l'entreprise de travaux maritimes, de définir le tuyau en fonction des moyens de pose envisagés et réciproquement si nécessaire. Durant cette phase, nous avons constamment recherché la plus grande simplicité possible pour le travail en mer, notamment au niveau du travail des plongeurs. L’objectif ultime était que les plongeurs puissent effectuer le largage de flotteurs dans l'ordre chronologique sans avoir besoin de faire des ajustements ou des interprétations en fonction d'informations fournies depuis la surface. Il n’était pas non plus question d’effectuer sur place des calculs complexes devant déterminer des choix techniques lors de la phase d’immersion. Bonna Sabla bénéficiait d’un retour d’expérience de plusieurs décennies sur ce type de pose et sur le comportement de ses canalisa-

[Photo : Vue éclatée de la composition d’un tuyau âme tôle]
[Photo : Schéma de principe de la canalisation Ame tôle]

tôles fines. C’est cette expérience que nous avons mise à profit pour aboutir à une simplicité extrême du pilotage de la descente de la canalisation.

Rappel historique

Une pose similaire avait été déjà mise en œuvre lors de la réalisation de l’émissaire de Sanary-Bandol. Cependant, les moyens de calcul disponibles à cette époque laissaient de grandes incertitudes. Le tronçon (la totalité du linéaire) avait été assemblé et taré en mer en ajustant l’espacement des flotteurs de manière à obtenir une flottaison quasi horizontale. La pose et le largage de flotteurs se faisaient sous contrôle d’un calcul de déformée en temps réel en fonction de relevés de position effectués à chaque largage de flotteurs. Cette opération, bien que menée avec succès, avait demandé des moyens lourds et présentait des incertitudes.

Nous allons examiner de quelle manière nous nous sommes affranchis de ces contraintes pour aboutir à une solution d'une grande simplicité.

La canalisation âme tôle

La “raideur” EI (E = module de Young ; I = inertie) est un paramètre parfaitement maîtrisé et prévisible avec une très grande précision pour le tuyau âme tôle. En effet, Bonna Sabla bénéficie de nombreuses applications de ses canalisations en ponte ou en émissaires.

Le poids de la canalisation : le poids de la canalisation résulte de l'intégration précise de la géométrie du tuyau. La préfabrication permet une grande reproductibilité de ces paramètres. L’automatisme des centrales à béton, la mise en œuvre dans les moules avec vibration contrôlée, la précision des moules nous ont permis d’obtenir un poids fondrier en eau de mer conduite vide de 19 kg/ml précis à 2 kg près.

Enfin, le revêtement extérieur est un véritable béton armé. Les armatures circulaires ont pour rôle, dans ce cas précis, de faire en sorte que les sections circulaires restent circulaires sous l’effet de la flexion longitudinale. Elles s’opposent à l’écrasement du tuyau.

Phase de préfabrication

Lors de la préfabrication, les tuyaux ont été pesés un par un afin de vérifier la bonne reproduction du paramètre principal : le poids au mètre linéaire. Compte tenu de la précision obtenue, il n’a pas été nécessaire, comme par le passé, de réaliser un appareillage précis des tuyaux pour obtenir un poids moyen par tronçon. Le paramètre de la raideur “EI” a également été vérifié sur un assemblage de tuyaux.

Phase de lancement quelle que soit la profondeur d’immersion

Pour le lancement, la canalisation était équipée de flotteurs métalliques rigides espacés de 20 m ou de 17 m suivant les tronçons.

L’avantage d’un flotteur métallique rigide est que sa traction verticale utile est constante quelle que soit sa profondeur. Quand il flotte, il se comporte comme un “appui” élastique de raideur connue. Quand il est immergé, il procure une force de traction verticale constante. Grâce à ces propriétés, le comportement du tronçon devient prévisible avec une grande finesse.

Méthode d’immersion

L'immersion des différents tronçons a été simulée par le calcul au préalable. Le travail d'immersion proprement dit ne consistait qu’à reproduire les dispositions du calcul. À ce titre, l’immersion du deuxième tronçon entre les profondeurs de 12,50 et 22,50 m est représentative de la méthode.

Phase 1 : le tronçon complet #450 m équipé de flotteurs en position couchée est amené au-dessus de la souille après lancement en mer.

Phase 2 : les flotteurs sont basculés en position verticale.

Cette opération ne présente aucune difficulté et est effectuée dans l’ordre des flotteurs.

La canalisation est complètement immergée. Le flotteur dépasse de la surface de 30 cm environ.

[Photo : Vue aérienne de l'installation]
[Photo : Méthode d’immersion : phase 1]
[Photo : Le tronçon complet #450 m équipé de flotteurs en position couchée est amené au-dessus de la souille après lancement en mer]

Les caractéristiques techniques de cette situation sont alors les suivantes :

Pour la modélisation, les flotteurs sont considérés de deux manières différentes successivement.

– Appui élastique de raideur « k » kN/m tant qu'ils ne sont pas totalement immergés. – Force de traction verticale fixe de 4,00 kN quand ils sont totalement immergés.

[Photo : Méthode d’immersion : phase 2]

Calcul de la raideur « k »

En pratique, on ne calculera que la raideur k en position « crayon ». En effet, le basculement de la position couchée à la position crayon ne sollicite pas le tuyau et aucune vérification n’a été effectuée dans ce cas.

En position crayon et sous le seul effet de son poids propre, le flotteur s’enfonce d'une valeur calculable, ici 1,00 m. Puisque le flotteur a une longueur de 2,40 m, la course élastique est donc de 1,40 m.

Lors de cette course élastique, la traction développée par le flotteur passe de 0 à 4,00 kN ; la raideur élastique est donc : k = 4,00 / 1,40 = 2,86 kN/m.

Au-delà de cette course élastique, le flotteur est complètement immergé et développe une traction fixe de 4,00 kN. On peut, si on le souhaite, tracer une courbe de tarage du flotteur.

[Photo : En position crayon et sous le seul effet de son poids propre, le flotteur s’enfonce d’une valeur calculable, ici 1,00 m. Puisque le flotteur a une longueur de 2,40 m, la course élastique est donc de 1,40 m.]
[Encart : Paramètre « Fond Marin » La position du fond est connue sous forme de profil en long. Le tuyau ne peut donc pas se déformer au-delà du fond dès qu’il y trouve un appui. Dans ce cas, le nœud considéré devient un « déplacement imposé » au sens du calcul éléments finis. À noter que le fond réel doit être corrigé par une constante correspondant à la profondeur initiale de la génératrice inférieure du tuyau, qui dépend de l’enfoncement du flotteur sous son poids propre, l’enfoncement additionnel correspondant au poids du tuyau ramené à l’espacement des flotteurs, la longueur de l’élingue d’attache du flotteur en position crayon sur le tuyau.]

Les flotteurs sont ensuite largués suivant l'ordre prévu par le calcul. Tant que la profondeur d’immersion n'est pas trop grande, les flotteurs sont largués dans l’ordre, depuis le côté plage vers le large. On voit, sur la photo en haut à gauche de la page suivante, la situation de la conduite après le largage de deux flotteurs. Le calcul préalable de ces situations permet de s’assurer que le moment de flexion maximum admissible n'est pas dépassé.

Quand la profondeur d’immersion devient plus importante, certains flotteurs sont laissés en place et resteront attachés à la canalisation jusqu’à ce qu'elle soit totalement immergée. Les flotteurs concernés sont fixés à la canalisation par des chaînes afin d'éviter les risques d'erreur.

[Photo : Le fond réel doit être corrigé par une constante correspondant à la profondeur initiale de la génératrice inférieure du tuyau, qui dépend de l’enfoncement du flotteur sous son poids propre, l’enfoncement additionnel correspondant au poids du tuyau ramené à l’espacement des flotteurs, la longueur de l’élingue d’attache du flotteur en position crayon sur le tuyau.]

Dernier tronçon

Il s'agit du tronçon dont la profondeur d'immersion varie de 23 à 38 m. Pour ce tronçon, il n’était pas possible d’effectuer une immersion directe depuis la surface jusqu’au fond. En effet, les rayons de courbure nécessaires auraient conduit à réaliser un tuyau spécialement renforcé, ce qui n’allait pas dans le sens de la standardisation, de la simplicité, donc de l'économie. C'est pourquoi ce tronçon a été immergé en deux temps. Les flotteurs étaient retenus par deux élingues : une courte et une longue de 10 m environ. Dans un premier temps, seule l’élingue courte était larguée afin d’amener la canalisation

[Photo : Extrémité légèrement relevée car flotteurs surdimensionnés]
[Photo : Le calcul préalable de ces situations permet de s'assurer que le moment de flexion maximum admissible n'est pas dépassé.]
[Photo : Les flotteurs concernés sont fixés à la canalisation par des chaînes afin d'éviter les risques d'erreur.]

Ensuite, l'immersion de -11 m jusqu'au fond était une reproduction de la séquence du tronçon n° 2.

Raccordement des tronçons entre eux

Afin de faciliter l'immersion, il n'était pas prévu de rabouter les tronçons entre eux directement lors de la pose. Les extrémités de tronçon étaient simplement approchées dans l'axe à proximité du tronçon précédent. Une fois les tronçons en place, un mannequin réglable était descendu et fixé aux brides des tronçons, de manière à prendre une « empreinte » de la forme à reproduire. Une pièce de raccord était ensuite fabriquée aux dimensions du mannequin à partir d'éléments spécialement préfabriqués et munis de brides tournantes. La pièce était ensuite descendue et montée en position. L'ensemble était ensuite bétonné.

Conclusion

Un émissaire marin présente des contraintes techniques particulières, dues au milieu dans lequel il est implanté. Ce chantier ne dérogeant pas à la règle, s'est montré très exigeant en termes d'environnement, de technique et d'organisation de chantier. Les différents intervenants, Maître d'Ouvrage, Maître d'Œuvre et les Entreprises ont tous contribué à la pleine réussite de cet émissaire en béton armé à âme en tôle, prouvant une fois de plus que le matériau choisi répondait parfaitement aux objectifs de ce Projet.

[Encart : Émissaire de Pardigon à la Croix Valmer Réalisation d'un 2e Émissaire de Rejet en Mer MAÎTRE DE L'OUVRAGE : SIVOM du LITTORAL des MAURES OBJET DU MARCHÉ : Achèvement des études du projet et réalisation d'un deuxième Émissaire incluant chambre de raccordement et diffuseur TYPE DU MARCHÉ : Appel d'Offres Restreint sur Performances MONTANT DU MARCHÉ : Environ 10 Millions de Francs TTC (soit 1,5 Millions d'€ TTC) TITULAIRE DU MARCHÉ : Groupement d'Entreprises STCM / SERRA Maritimes, VERNA SCS CARACTÉRISTIQUES DE L'ÉMISSAIRE MARIN : * Diamètre intérieur de l'Émissaire marin : 600 mm * Longueur totale de l'Émissaire marin : 1 500 m * Nature de l'Émissaire marin : Tuyaux BONNA âme en tôle * Type de Pose : Pose en 4 tronçons (118 m / 300 m / 474 m / 488 m) * Profondeur du Diffuseur : -40 m]
[Photo : Une fois les tronçons en place, un mannequin réglable était descendu et fixé aux brides des tronçons, de manière à prendre une « empreinte » de la forme à reproduire. Une pièce de raccord était ensuite fabriquée aux dimensions du mannequin à partir d'éléments spécialement préfabriqués et munis de brides tournantes. La pièce était ensuite descendue et montée en position. L'ensemble était ensuite bétonné.]

Progressivement, une immersion horizontale de -11 m environ a été atteinte. Cette opération ne présentait aucune difficulté technique de justification de la résistance du tuyau, et les élingues courtes ont été larguées dans l'ordre des flotteurs sans contrôle particulier.

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