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La nouvelle station d'épuration de Troyes : approche de l'optimisation du transfert d'oxygène en chenaux d'oxydation

30 novembre 1991 Paru dans le N°150 à la page 86 ( mots)
Rédigé par : Christian RAMEL

C’est dès 1911 que la municipalité de Troyes prit des mesures de protection des eaux, en érigeant au bord de la Seine l’une des premières installations de traitement des eaux usées en France. Au fil des années, cette épuration rustique fut améliorée par étapes pour atteindre une épuration biologique satisfaisante, ainsi qu’un traitement des boues. Cependant, face à l’augmentation des raccordements domestiques et industriels et à l’évolution de la législation européenne en matière de rejets, le Syndicat Intercommunal de l’Agglomération Troyenne (Sivomat) prit en 1988 la décision de porter la capacité de traitement à 300 000 eq/h, avec un rejet en Seine conforme au niveau européen e.NK2.

Après un appel d’offres européen sur concours prenant en compte la réutilisation des ouvrages existants, l’optimisation énergétique et la souplesse d’exploitation en fonction de la variation des flux de pollution, les travaux furent confiés à la société Sogea (sous la maîtrise d’œuvre du Cabinet Merlin). La nouvelle station est maintenant en service ; ses caractéristiques sont portées au tableau I.

Nous examinerons ci-après les dispositions qui ont été prises pour réaliser l’équipement de deux chenaux d’oxydation qui ont été construits lors de cette extension de la station.

Une étude récente réalisée par l’École Nationale de la Santé Publique sur des installations d’épuration de petites et moyennes tailles a fait apparaître une grande diversité des consommations électriques par poste et par filière de traitement. Dans le cas d’une installation à boues activées, le poste aération représente en moyenne 50 à 60 % de la consommation électrique totale de la station. C’est à partir de telles données que la réflexion s’est faite pour rechercher des équipements performants destinés aux nouveaux chenaux d’oxydation de la station.

Le traitement biologique proprement dit est assuré par une aération en cascade pour 50 % du flux entrant (2 350 m³/h) dans les quatre bassins réhabilités, d’une capacité totale de 10 500 m³, avant de rejoindre les 50 % restants dans les deux chenaux d’oxydation qui ont été construits lors de l’extension de la station d’épuration (figure 1).

Nous examinerons principalement l’équipement de ces chenaux dont l’objectif était de réaliser dans le même ouvrage une nitrification et une dénitrification satisfaisantes, tout en assurant la réduction de la pollution aux normes requises pour une consommation d’énergie optimale.

Chaque chenal, oblong, d’une capacité de 5 400 m³, présente une longueur développée moyenne de 130 m, pour une surface de 1 350 m², et offre un bon rapport entre les zones aérées et non aérées (figure 2).

L’équipement d’aération est constitué de 1 904 disques « fines bulles » à membrane souple construite en élastomère, alors que la circulation des boues activées est réalisée par quatre agitateurs Flygt à pales de type banane.

Dans ce type de chenal où l’équipement d’aération n’occupe qu’une surface partielle du plancher de l’ouvrage, tel que décrit dans le tableau II, la circulation des boues activées est absolument indispensable pour plusieurs raisons : éviter la décantation dans les zones non aérées,

Tableau I

Fiche technique de la station

Superficie d'implantation :15 hectares
Nature des eaux :@ domestiques 55 %@ industrielles 45 %
Débit moyen journalier :60 000 m³
Débit de pointe en traitement primaire :6 000 m³/h
Débit de pointe en traitement biologique :4 700 m³/h
Demande biochimique en oxygène (DBO₅) :12 500 kg/j
Demande chimique en oxygène (DCO) :32 000 kg/j
Matières en suspension totale (MES) :17 000 kg/j
Azote total Kjeldhal (NTK) :2 700 kg/j
Filière de traitement :boues activées à faible charge et digestion anaérobie des boues primaires et biologiques
Volume total des ouvrages :54 000 m³
Équipement d’aération :aération de fond par diffuseurs fines bulles à membrane en élastomère
Nombre de diffuseurs :9 900
Capacité de production d’air surpressé :35 000 m³/h
Production de boues digérées :@ sous forme liquide : 30 000 m³/an@ sous forme déshydratée : 6 000 tonnes/an
Traitement des odeurspar lavages des gaz
Limitation des bruits :40/50 dB
Pilotage de la station :gestion centralisée par automates programmables et superviseur.

Tableau II

Fiche technique de l’ouvrage et des équipements

Chenal d’oxydation

Nombre :2
Forme :oblongue
Longueur :65,30 m
Largeur :2 x 10,65 m
Surface totale :1 350 m²
Hauteur (niveau du liquide) :4 m
Volume :5 400 m³

Équipement d’aération

– Diffuseurs fines bulles à membrane souple en élastomère

Quantité :1 904
Répartition :4 maillages de 16,60 m x 9,80 m
Surface d’aération :650 m²
Densité :2,93 diffuseurs/m²
Débit d’air maximum :7 000 m³/h
soit 3,67 m³/h/diffuseur et 10,77 m³/h/m²

– Surpresseurs

Nombre :2
Débit d’air maximum :7 000 m³/h
Puissance nominale 1 :135/85 kW
Puissance nominale 2 :135/90 kW

Équipement d’agitation

– Agitateurs électrosubmersibles SR 4430 à pales banane

Nombre :4
Puissance nominale :3,1 kW
Nombre de pales :2
Diamètre de l’hélice :250 mm
Vitesse de rotation :35 tr/min
Débit de pompage :14 400 m³/h
Vitesse axiale du liquide :0,81 m/s
Puissance absorbée aux bornes :3,4 kW
Puissance absorbée sur arbre :3 kW
Puissance spécifique brute d’agitation :2,5 W/m³
Puissance spécifique nette d’agitation :2,2 W/m³

assurer une homogénéisation parfaite des boues biologiques pouvant favoriser les réactions de nitrification-dénitrification.

Outre ces deux effets principaux, la circulation des boues dans le chenal d’oxydation améliore le transfert d’oxygène en augmentant le contact de l’air avec les boues et peut, dans certains types d’effluent, favoriser la décantation de celles-ci dans le clarificateur, par un effet inhibiteur sur la croissance des bactéries filamenteuses (figure 3).

Pour remplir ces différentes fonctions, et pour obtenir un bon rendement épuratoire, il est impératif que les agitateurs soient conçus, sélectionnés et positionnés correctement. Il est vérifié aujourd’hui qu’il est nécessaire d’obtenir une vitesse moyenne d’écoulement à 20 cm au-dessus du radier de 0,25 m/s si l'on veut éviter la décantation des boues. Si l'on souhaite, de plus, obtenir un résultat positif sur le transfert d’oxygène, il faut maintenir des vitesses de circulation supérieures ; en effet, une fine bulle d’air (ø 2 mm environ), prise isolément dans de l'eau pure et au niveau de la mer, possède une vitesse ascensionnelle normale de 0,30 m/s.

Lorsqu’un volume d’air de plusieurs mètres cubes est insufflé à travers un diffuseur, il se produit des courants de convection verticaux qui empêchent la décantation de boues entre les diffuseurs. Ces perturbations d’écoulement favorisent la coalescence des bulles d’air et, par conséquent, augmentent les vitesses ascensionnelles en diminuant dans le même rapport le temps de contact de l’air (donc de l’oxygène) avec les boues (figure 4). Il faut donc compenser ces variations de vitesse ascensionnelle en créant une vitesse horizontale homogène et suffisante pour rétablir l’équilibre initial de surface d’échange entre l’air et les boues.

L’importance de la vitesse de circulation du liquide avait été clairement démontrée par les études de A. Pasveer et S. Sweeris ; ces études ont été, au cours de ces dernières années, poursuivies sur des pilotes mais aussi en grandeur nature. Elles font ressortir que la vitesse de circulation doit atteindre au moins 0,35 m/s pour obtenir un résultat positif sur le transfert d’oxygène.

D’autre part, ces essais ont démontré que l'effet de la vitesse de circulation pouvait être négatif si l'on se situait dans une plage de vitesses comprise entre 0,20 m/s et 0,30 m/s, ce qui se traduit par une diminution du transfert d’oxygène par rapport aux valeurs nominales du système d’aération en l'absence de circulation horizontale (figure 5). Nous devons également cette amélioration du transfert d’oxygène à une excellente homogénéisation des boues, laquelle favorise le renouvelle-

[Photo : Figure 1 (document Sogea).]

ment du film liquide sur la surface des bulles d’air et procure un meilleur coefficient d’absorption de l’oxygène. Compte tenu de ces résultats, la vitesse de circulation prise en compte pour le dimensionnement des équipements des chenaux d’oxydation de la station de Troyes a été de 0,35 m/s.

Le choix des équipements s’est porté sur les agitateurs à pales banane spécialement conçus pour la circulation de boues activées dans les bassins d’aération. L’hélice, qui en est l’élément primordial, résulte de plusieurs années de recherches et de modélisation par CAO (Conception Assistée par Ordinateur). Constituée de deux pales au profil hydraulique optimisé, cette hélice brevetée par Flygt est très connue sous le qualificatif de pales « banane ». Le rapport du coefficient de portance sur le coefficient de traînée (Cz/Cx) caractérisant sa finesse aérodynamique est excellent. Ce résultat est obtenu par la qualité de son profil géométrique. On peut remarquer à ce sujet (figure 6) :

  • • la forme effilée de la pale et du moyeu à son extrémité, ce qui permet de réduire le couple résistant ;
  • • le bord d’attaque arrondi vers l’arrière, qui limite au maximum les courants parasites et favorise un écoulement régulier du liquide sur pale ;
  • • la cambrure régulière de la pale (obtenue par moulage), qui contribue également à l’amélioration de l’écoulement du liquide au travers du mobile d’agitation ;
  • • le pas variable de l’axe à son extrémité, qui compense les différences de vitesses linéaires en tout point de la pale et la rend autonettoyante en présence de fibres ou de filasses.

Par sa poussée uniforme sur le liquide, cette hélice génère un minimum de

[Photo : Fig. 2 : Chenaux d’oxydation alimentés en leur centre par 4 vis d’Archimède Flygt (3 + 1 en secours) d’une capacité totale de 2,7 m³/s.]
[Photo : Fig. 3 : Quatre agitateurs à pales banane du type SR 4430-460 (3,1 kW) assurent une vitesse de circulation moyenne de 0,35 m/s dans la section du chenal.]
[Photo : Figure 4.]

Tableau III

Essais Conditions des mesures Immersion (m) Puissance absorbée (kW) Puissance spécifique (W/m³) Apport horaire brut (kg O₂/h) Apport spécifique brut (kg O₂/kWh) Vitesse moy. de l’eau (cm/s) Vm²
N° 1 Surpress. A – G.V. + 4 agitat. 3,55 136 26,5 468 3,44 35,2 480
N° 2 Surpress. D – P.V. + 4 agitat. 3,55 86,1 16,8 338 3,93 36,55 495
N° 3 Surpress. A – P.V. + 4 agitat. 3,55 68,1 13,3 256 3,76 35,2 482

Cisaillement (en particulier en bout de pale) et une excellente répartition du champ de vitesses du courant dans la section du chenal, autant de facteurs très favorables à une bonne cohésion des boues. La forme hydraulique du chenal et son état de surface sont également très importants puisqu’ils génèrent directement des contraintes d’écoulement du liquide, qui se traduisent par des pertes de charges singulières et linéaires. C’est pour ces raisons que la forme des chenaux de Troyes est très allongée et qu’ils comportent à leurs extrémités des guides du flux, centrés et prolongés, sur lesquels on a particulièrement soigné l’état de surface.

Il est aisé de démontrer par un calcul d’écoulement hydraulique que l’absence de guide flux génère une puissance spécifique d’agitation supérieure de l’ordre de 50 %.

Pour atteindre des résultats précis dans le dimensionnement d’un équipement d’agitation, Flygt a spécialement développé un programme expert appelé MIDS® (Mixing Design System), qui permet de déterminer rapidement, dans les règles de l’art, un système d’agitation prenant en compte toutes les données nécessaires à l’optimisation d’un chenal.

Parmi les plus importantes nous trouvons :

  • • la vitesse de circulation des boues,
  • • la surface de diffuseurs,
  • • le débit d’air insufflé,
  • • la densité des diffuseurs par m²,
  • • la forme et les dimensions de l’ouvrage,
  • • les caractéristiques des boues.

L’implantation et le positionnement des agitateurs, dans chacun des deux chenaux, sont tout aussi importants par rapport à la forme hydraulique de l’ouvrage mais aussi par rapport aux diffuseurs. Dans chaque chenal, les agitateurs sont implantés de part et d’autre de la cloison centrale et en début de chaque 1/2 profil rectiligne du bassin.

D’autre part, ils sont situés à plus de 10 m des diffuseurs, afin d’éviter les perturbations entre les écoulements d’air turbulents verticaux et l’écoulement horizontal des boues activées.

Ces perturbations pourraient entraîner des phénomènes vibratoires sur les agitateurs, liés principalement à des phénomènes de cavitation.

Enfin, l’installation de chaque agitateur a été réalisée sur le système de guidage Para-Lock® qui a fait ses preuves depuis plus de cinq ans en Allemagne et aux États-Unis. Ce dispositif est constitué de deux barres de guidage parallèles et verticales sur lesquelles l’agitateur coulisse très facilement grâce à des manchons téflonisés et repose en fonctionnement sur un amortisseur équipé de silentblocs en caoutchouc (figure 7).

Ces dispositions offrent les meilleures garanties de fonctionnement en maintenant l’agitateur dans une position fixe et pré-déterminée protégeant ainsi les pièces mécaniques tournantes contre une fatigue prématurée qui serait due aux vibrations. Elles permettent également de sortir ou d’installer l’agitateur sans aucune vidange du bassin.

Compte tenu du niveau des investissements réalisés et des normes de rejets imposées, des garanties de performances ont été exigées avant toute prise de décision. Ces performances se situaient entre autres, au niveau des chenaux sur les vitesses de circulation

[Photo : Mise en évidence de l’influence de la vitesse de circulation par rapport au transfert d’oxygène (allure générale de la courbe).]
[Photo : La forme des pales banane est le fruit de plusieurs années de recherche et de modélisation par CAO.]
[Photo : Le système d’installation Para-Lock est simple et très efficace.]

et sur l’apport spécifique brut d’oxygène. Le maître d’œuvre fit appel à la cellule « traitement des eaux » du Cemagref, organisme public compétent pour réaliser de telles mesures.

La méthode utilisée fut celle de la réoxygénation en eau claire pour la mesure de l’apport spécifique en oxygène et de l’utilisation d'un micro-moulinet pour explorer le champ de vitesses dans la section du chenal, à raison de 20 points de mesure par section ; il faut signaler que l'utilisation d’un micro-moulinet pour effectuer les mesures de faibles vitesses ne prend pas en compte les vitesses maximales instantanées qui ne sont pas toujours dans l’axe général de l’écoulement et que l’utilisation d’un théomètre à induction magnétique devrait améliorer la précision des mesures.

Par ailleurs, le Cemagref utilise un paramètre supplémentaire pour mesurer l’efficacité du couple agitateur-bassin : il s’agit du ratio Vm²/Ps où Vm représente la vitesse moyenne d’écoulement sur la section du chenal (en cm/s) et Ps la puissance dissipée par unité de volume (puissance spécifique d’agitation, pour caractériser la rugosité globale du bassin) en W/m³.

*

Le tableau III récapitule les principaux résultats des essais effectués à la station de Troyes.

Il apparaît que le couple « aération de fond par diffuseurs fines bulles et agitation par pales banane » a donné les meilleurs résultats jamais enregistrés par le Cemagref à ce jour, en partie grâce aux vitesses de courant très bien optimisées. Cette station d’épuration de taille moyenne est donc exemplaire pour les résultats obtenus quant au choix des équipements des chenaux d’oxydation. Cependant, il faut observer que ces résultats ne sont pas le fruit du hasard, mais d'une étroite collaboration, engagée tout au long du projet entre le concepteur de la station et les constructeurs d’ouvrages et d’équipements.

Le résultat, c’est un ensemble qui présente un bon compromis entre investissements et performances épuratoires.

Nota. L'auteur remercie la société Sogea des éléments qu’elle lui a fournis pour la rédaction de cet article.

[Encart : A partir du Numéro 152 (janvier-février 1992), la revue L'EAU, L'INDUSTRIE, LES NUISANCES change de format et adopte les dimensions normalisées européennes de 21 × 29,7 cm.]
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