Il était de ce fait indispensable d'intégrer l'un des éléments essentiels du traité de Maastricht : le principe de subsidiarité.
Pour le domaine de l'eau potable, cela se traduit par une prise de décision à l'échelon le mieux adapté pour une plus grande efficacité, c'est-à-dire identifier avec lucidité ce qui peut et doit rester au niveau européen et conserver à l'échelon des États, voire régional ou local ce qui peut y être valablement résolu.
L'application concrète de ce principe fondamental devrait atténuer l'excès de centralisme souvent relevé lors des débats sur la construction européenne. Ce sera vraiment le cas lorsque les directives européennes aboutiront à des objectifs de résultats et non à une définition des moyens.
Ainsi, le Conseil Européen de 1993 a-t-il souhaité une redéfinition et une simplification de la législation en matière d'eau potable et un nouveau projet a-t-il été publié en janvier 1995 afin d'être examiné par le Parlement Européen, le Comité Économique et Social Européen et les États membres, puis enfin transformé en nouvelle directive.
Ce projet de directive comporte des évolutions positives, mais aussi des sujets d'inquiétude et des difficultés d'application pour certains paramètres.
Le projet
L'objectif essentiel est toujours de garantir, en Europe, un haut niveau de protection de la santé, tenant compte notamment des nouvelles recommandations de l'Office Mondial de la Santé (O.M.S.) publiées en 1993. Cependant, ce niveau de protection peut s'obtenir en faisant preuve d'un plus grand pragmatisme, par une diminution du nombre des paramètres (44 au lieu de 150, dont huit réellement nouveaux), mais en les focalisant sur les plus significatifs au plan sanitaire et en abaissant certains seuils.
Les nouveaux paramètres à prendre en compte concernent :
- - pour les eaux brutes : benzène, chloroéthanes,
- - pour les produits liés au traitement : acrylamide, épichlorhydrine, chlorure de vinyle et bromates.
L'abaissement des seuils porte sur le plomb, le cuivre, le nickel, le bore, l'antimoine et l'arsenic, en harmonie avec les recommandations de l'O.M.S. mais avec un niveau de sécurité dix fois plus élevé.
Enfin, cette directive insiste sur le fait qu'une eau potable doit non seulement être saine, c’est-à-dire consommée sans risque, mais aussi agréable à boire. Il s'agit d'une nouvelle approche à laquelle devrait être sensible le consommateur.
Les évolutions positives
D'abord une clarification des objectifs : le nouveau texte a pour unique finalité la santé du consommateur, reportant sur d'autres directives les aspects liés à l'environnement et au milieu naturel.
Ainsi les acteurs concernés sont les garants de la ressource et on peut espérer que l'application du principe de subsidiarité aboutira à des décisions suffisamment décentralisées pour que les réponses apportées soient au mieux adaptées à la nature du problème.
Ensuite, un réalisme délibérément affiché : les objectifs sont sévères mais
susceptibles d’être respectés, en ajoutant aux considérations techniques une évaluation économique des contraintes introduites.
On peut citer deux exemples au plan technique :
- la norme pour les THM où les seuils de 40 µg/l pour les chloroformes et de 15 µg/l pour le bromodichlorométhane sont conformes aux niveaux pouvant être atteints par des filières classiques de traitement ;
- la norme pour les bromates où le recours systématique à la limite de détection a été abandonné au profit d’une valeur cinq fois supérieure, autorisant des mesures régulières plus nombreuses, aboutissant à une garantie facilement vérifiable.
Au plan de la biologie, le pragmatisme semble l’emporter également, puisque la notion de « dépassement trivial » est admise. Ainsi un résultat défectueux isolé et rapidement corrigé sera considéré comme bon ; l’alarme ne devenant sérieuse que s’il y a récidive et répétition malgré l’intervention. La marge de manœuvre introduite quant au choix des méthodes d’analyses et au contenu des programmes de contrôle permettra localement d’adapter les moyens pour obtenir les meilleurs résultats.
[Photo : Le laboratoire de contrôle en usine …]
Les sujets d’inquiétudeet les difficultés d’application
Malgré les progrès sus-visés, cette nouvelle directive comporte des imperfections préjudiciables du fait d’une sous-estimation du poids économique et de son impact sur le prix de l’eau.
En effet, il est certainement déraisonnable de ne pas prendre en compte le cumul sur la facture des effets liés aux deux directives Eau et Assainissement. Même si l’on peut espérer quelques synergies au sein des bassins hydrographiques définis par la loi sur l’eau et pris en compte dans les SDAGE et les SAGE, le doublement rapide de la facture d’eau contribue à indisposer le consommateur avec des effets pervers sur la consommation.
Au-delà des craintes que l’on peut avoir sur l’évolution du prix de l’eau pour le strict respect des nouvelles exigences en matière de THM, de bore, de pesticides, d’arsenic ou de bromates, l’exemple le plus préoccupant est certainement celui du plomb.
[Photo : … une garantie suivie de la qualité de l’eau.]
En effet, cette nouvelle directive intègre la recommandation de l’O.M.S. et vise une norme de 10 µg/l, avec cependant des délais : 25 µg/l dans cinq ans et 10 µg/l dans 15 ans. Cette souplesse ne soulage qu’incomplètement les charges financières inhérentes à un seuil fixé aussi bas, et ce d’autant que ces conséquences économiques intéressent non seulement les distributeurs d’eau qui devront adapter leurs filières de traitement (rééquilibrage, ajout de polyphosphates), et remplacer leurs branchements, mais aussi les particuliers, quand on sait qu’ils sont desservis à 80 – 90 % par des canalisations intérieures en plomb (impact sur le budget d’un ménage).
À noter, en outre, que l’État membre qui introduit des délais de mise en œuvre pour une meilleure acceptation de l’impact économique sera confronté à un problème de communication très délicat, compte tenu de la signification sanitaire du seuil donné par l’O.M.S., (incidence notamment sur la santé mentale des jeunes enfants).
Des difficultés d’application apparaîtront également :
- pour les THM et plus généralement les sous-produits de la chloration. Il conviendra d’être vigilant et d’opérer les filières de traitement pour tenir compte des eaux brutes chargées en matières organiques, et des conditions climatiques pouvant engendrer des développements d’algues. Là encore les incidences sur le prix de l’eau peuvent ne pas être négligeables (recours aux techniques membranaires, par exemple).
- pour les pesticides, qui continuent de représenter un thème délicat.
Il est clair que très peu de distributeurs respectent la norme de 0,10 µg/l. On peut cependant espérer que la directive « mise sur le marché des produits phytosanitaires » aboutisse à la mise en œuvre de programmes d’actions visant à une amélioration de ces produits. La souplesse introduite conduisant à l’acceptation de certains dépassements est, dans les faits, inopérante du fait du caractère avéré toxicologique de ces produits. À noter que la Commission Européenne s’est démarquée de l’O.M.S., qui fixe des valeurs différentes pour chacun des pesticides, en fonction des études de toxicité disponibles.
[Photo : Vue aérienne de l’usine de Choisy-le-Roi (1986).]
Conclusion
Cette nouvelle directive a introduit des concepts intéressants et parfois novateurs. Le travail de révision effectué avec sérieux a gommé quelques difficultés induites par l’ancien texte.
Cependant, il reste encore des aspects techniques et économiques à approfondir, et cela ne pourra s’envisager sans des efforts importants de communication avec les différents acteurs du domaine de l’eau, ne serait-ce qu’en raison des enjeux économiques.
La transparence, tant du point de vue sanitaire que sur les choix stratégiques retenus devra être de rigueur, car rien ne se fera sans l’adhésion des principaux concernés : les consommateurs.