On conviendra que de telles définitions déjà centenaires ne reflètent plus que très imparfaitement les concepts modernes d’hydrologie et d’hydrologue. En effet la « science de l’eau » fait désormais appel à des connaissances pluridisciplinaires qui ne sont plus simplement descriptives comme à l'époque de LITTRE.
De nos jours la seule définition de toutes les hypothèses à prendre en considération pour poser, étudier, puis résoudre un problème d'eau requiert des connaissances spécifiques non seulement au domaine des sciences exactes mais encore à celui des sciences humaines ; en outre les solutions à choisir doivent concilier des exigences multiples et souvent contradictoires.
Trois impératifs fondamentaux s’imposent dorénavant :
— satisfaire une demande en eau toujours plus importante au plan de la quantité et plus exigeante au plan de la qualité,
— proscrire la dégradation du milieu naturel à partir duquel cette demande peut et doit être satisfaite,
— décider du sort des résidus inévitables de l’activité humaine qui vont se retrouver plus ou moins intimement mêlés à l'eau après son utilisation.
Partant de là, les solutions à dégager ne pourront plus jamais présenter le caractère d’évidente simplicité qu’elles revêtaient naguère, on l’a déjà ressenti.
En premier lieu ces solutions continueront bien entendu à faire appel sur le plan strictement scientifique à des notions diverses de plus en plus complexes de la science de l'eau proprement dite, intervenant en phases successives d'un processus logique :
— analyse théorique,
— synthèse d’application,
— conception technique,
— réalisation matérielle.
À ces données de caractère objectif viendront obligatoirement s’ajouter, ou même se superposer :
— des critères d’ordre économique, administratif et juridique,
— des aspects humains et sociaux.
Tous ces facteurs doivent intervenir à leurs justes place et valeur dans l’analyse d'un problème. Ce mode de saisie peut seul permettre de dégager « à coup sûr » la meilleure solution pratique.
Or, il faut bien le constater — hélas après coup — les réalisations mises en œuvre jusqu’alors ne sont pas toujours les bonnes et très rarement les meilleures, et cela tout simplement parce que le problème d’eau a été ressenti et posé d’une façon globale et confuse.
HYDROLOGIE : « Partie de l'histoire naturelle qui traite des eaux et de leurs différentes espèces ». (« Dictionnaire de la langue française », Émile LITTRE, 1874)
On a voulu d’abord passer à la phase de conception technique en éludant les autres et en négligeant des facteurs qui se révèlent par la suite déterminants, car on a cherché à « faire coller » le problème aux techniques et technologies existantes et commercialisables, ensuite les critères administratifs, juridiques et surtout économiques ont pris la priorité sur tous les autres, enfin les aspects humains et sociaux ont été tout bonnement ignorés.
Il faut donc pour bien résoudre nos problèmes d'eau instituer une démarche nouvelle procédant d'une part de cette volonté d’analyse théorique complète et systématique et d’autre part de cette nécessité de synthèse d’application finale décidant du choix de la bonne solution.
On conçoit qu'une tâche aussi complexe assortie d’une telle prise de responsabilité ne puisse être confiée qu’à des hydrologues « généralistes » hautement qualifiés et expérimentés.
Leur intervention s’arrêtera d’ailleurs avant les étapes de conception technique et de réalisation matérielle proprement dites, lesquelles resteront, par essence même, du domaine des grands organismes techniques, des bureaux d’études et des entreprises commerciales spécialisées.
Quelles seront donc les voies de cette conception nouvelle d'une telle approche des problèmes de l’eau ?
Sans vouloir préconiser de méthode infaillible, on peut penser à un cheminement logique vers le choix d'une solution :
Analyse théorique
À ce premier stade il s’agira exclusivement de s’exprimer en termes de sciences exactes, après avoir « disséqué » le problème sur des bases physiques, chimiques, géologiques, biologiques, etc., avec une précision et une rigueur toutes scientifiques. Nous le savons par expérience, il faudra souvent avoir recours aux moyens de la statistique et de la modélisation pour obtenir la représentation précise et fidèle du problème tel qu'il se pose réellement. Dans la plupart des cas une seule image ponctuelle est insuffisante, car il est nécessaire de prévoir les tendances évolutives des diverses variables.
La prise en compte de ces éléments exige en outre la maîtrise des connaissances pluridisciplinaires très spécifiques qui se situent souvent, quant au fond et à la forme, à la limite des dernières connaissances scientifiques acquises.
On n’insistera jamais trop sur les soins qui doivent être apportés à cette analyse initiale du problème : en effet c'est de la précision et de la rigueur d'une telle démarche que dépendra en grande partie l'évolution du raisonnement logique qui doit conduire vers la bonne solution.
Synthèse d’application
Les éléments résultants de l’analyse théorique permettront par synthèse de déterminer plusieurs conceptions techniques ouvrant la voie à plusieurs réalisations matérielles.
[Schéma : déroulement chronologique des démarches intellectuelles nécessaires à la résolution d’un problème d’eau]
En un mot, on se trouve ici en plein domaine de l’appréciation subjective, et l’on remarque à nouveau que seule une grande expérience des problèmes hydrologiques considérés dans leur environnement social — dans la définition la plus large du terme — peut permettre d’approcher une certaine vérité qui constituera un des multiples éléments participant à la solution recherchée.
Un graphe tend à schématiser le déroulement chronologique des démarches intellectuelles — au niveau de l’analyse théorique et de la synthèse d’application — nécessaires pour bien poser et par conséquent avoir la possibilité de bien résoudre un problème d’eau quelconque.
RÉSUMÉ
Les problèmes d’eau prennent, en même temps qu’un aspect de plus en plus complexe, une importance telle dans notre vie quotidienne que les solutions traditionnelles sont devenues impropres à les résoudre efficacement. La méthode permettant d’aboutir à la bonne solution d’un problème d’eau doit mettre en relation des données scientifiques, des données sociologiques avec des critères administratifs, juridiques et économiques.
Cette méthode rationnelle n’est que pratiquement très rarement mise en œuvre — peut-être parce qu’un problème d’eau étant globalement saisi il n’apparaît pas indispensable d’y superposer des problèmes d’analyse et de synthèse de tous les éléments le constituant.
À ce stade du travail de l’hydrologue les éléments humains, sociaux, juridiques, administratifs et économiques doivent être mis en relation avec les divers schémas de solutions scientifiques et techniques dégagés au niveau de l’analyse fondamentale.
Une fois encore le problème devra être examiné sous tous ses aspects ; ici plus qu’au niveau purement scientifique, les procédés d’analyse statistiques et probabilistiques prendront toute leur importance.
Très souvent la résultante des composantes humaine, sociale, juridique, administrative et économique sera difficile à cerner. Les études sont délicates et présentent un particularisme propre aux régions, aux activités sociales, aux organismes tutélaires, aux habitudes prises etc., dans certains cas des éléments psycho-sociologiques devront être pris en compte.
C’est précisément le rôle des hydrologues « généralistes » :
— de dégager analytiquement les hypothèses essentielles permettant de situer scientifiquement et rationnellement le problème dans son véritable contexte,— de choisir les solutions propres à satisfaire ces hypothèses en leur intégrant les aspects sociaux, humains, économiques… et en effectuant une synthèse de l’ensemble,— d’établir un plan d’action pratique permettant de jeter un pont entre les solutions synthétiques ainsi dégagées et les possibilités concrètes de leur mise en œuvre technique et commerciale.
Alors il restera aux bureaux d’étude à travailler sur ces bases, puis aux spécialistes à passer à la réalisation pratique, mais ceci est — sinon une autre histoire — du moins un autre problème.
C. VALIN.
[Publicité : Technova France]