La nanofiltration est la plus récente application des membranes. En tant que système de pression contrôlé, elle se situe entre l'osmose inverse et l'ultrafiltration. La nanofiltration se caractérise par une faible rejection d'anions monovalents et par de grandes rejections de matières organiques, de poids moléculaire autour de 200. Les applications les plus fréquentes en sont la séparation de la couleur, le contrôle des THM (trihalométhanes) et l'adoucissement des eaux profondes ou de surface. Outre la production d'eau potable, les applications de la nanofiltration comprennent la séparation des sulfates de l'eau de mer et les séparations industrielles.
Deux facteurs jouent un rôle important dans l’histoire du traitement de l’eau : la croissance rapide du nombre d’utilisateurs des services de distribution et la dégradation de la qualité de l’eau de consommation. D’autres sources, notamment l’eau de mer, ont dû être développées pour servir comme eau d’appoint.
C’est le traitement de l’eau de mer qui a engendré la recherche dans le domaine des membranes d’osmose inverse (OI), le but étant de trouver une membrane capable de produire de l’eau potable en partant des eaux extrêmement salines. Le résultat : des membranes de composition chimique très différente, capables de produire une eau avec moins de 500 mg/l de matières dissoutes, en traitant des eaux de mer aussi différentes que celles de la mer du Nord jusqu’à la mer Rouge. Le rejet du chlorure de sodium, qui sert de référence, est supérieur à 99,4 %, les installations opérant à des pressions qui voisinent 70 bars. La même technologie est appliquée dans le traitement des eaux saumâtres, avec des taux de rejet supérieurs à 98 % et des pressions entre 17 et 22 bars.
Dessalement des eaux saumâtres. Traitement par osmose inverse
Nous connaissons une intrusion d’eau fortement chargée en sel dans des aquifères situés près de la mer, un peu partout en Europe. Cette intrusion est due à une forte demande, soit par l’agriculture soit par une croissance de la population, parfois saisonnière, comme dans le cas des stations touristiques. La teneur des matières en solution monte parfois jusque 800 à 1000 mg/l, donnant une eau qui ne correspond plus aux normes de l’eau potable.
La solution la plus simple en matière de traitement membranaire a été au début de traiter la totalité des eaux de consommation par des membranes d’osmose inverse. Si le traitement par membranes d’acétate de cellulose, avec un taux de rejet relativement faible, produit une eau d’une qualité acceptable, même marginalement, l’arrivée des membranes dites composites à couche mince avec un taux de rejet supérieur à 98 % rend cette technique impraticable. La teneur en matières dissoutes du perméat d’une installation d’osmose inverse qui est alimenté avec 800-1000 mg/l dépasse rarement les 75 mg/l. Cela constitue évidemment un désavantage du traitement par osmose inverse des eaux d’une salinité moyenne : le perméat ne contient plus assez de sels et devient agressif. Une correction par réminéralisation devient nécessaire. Puisque le perméat contient une quantité importante de CO₂, l’addition d’hydroxyde de sodium suffit pour éliminer l’agressivité. Le désavantage est une augmentation de la concentration en sodium dans le perméat ainsi traité.
Enfin, afin d’obtenir une eau conforme aux normes, il suffit de traiter partiellement par osmose inverse, et de mélanger le perméat avec de l’eau brute filtrée. Le procédé présente l’avantage d’utiliser moins de membranes pour la chaîne d’osmose, nécessitant ainsi un investissement inférieur par rapport au traitement complet (tableau I).
Malheureusement, le procédé a aussi certains désavantages. Une quantité importante de l’eau à traiter ne traverse pas les membranes. Si l’eau d’alimentation a été contaminée, par exemple par des métaux lourds ou par des produits organiques (herbicides, pesticides), cette contamination va se retrouver en concentration peu diluée dans l’eau de distribution finale. Pour remédier à cet inconvénient, une filière additionnelle doit être incorporée dans la chaîne de traitement. Cette filière sera constituée probablement d’un traitement physico-chimique (absorption sur charbon actif, oxydation par chlore ou ozone, floculation-coagulation-filtration), mais ne saura jamais garantir une élimination totale des contaminants. Les difficultés résident soit dans les caractéristiques d’absorption des différents produits, soit dans...
Tableau I
Comparaison traitement total - traitement partiel par osmose inverse.
Paramètres | Traitement total | Traitement partiel |
---|---|---|
N° de membranes | 234 | 60 |
capacité de l'unité OI | 5000 m³/j | 1250 m³/j |
débit de mitigeage | — | 3750 m³/j |
débit net d'alimentation | 5880 m³/j | 5220 m³/j |
dureté de l'eau traitée | 2,2 °F | 35 °F |
qualité permeat | 60 mg/l | 300 mg/l |
Données de départ : eau de forage, salinité 1100 mg/l, dureté 46 °F, température 25 °C, éléments Filmtec** BW30-8040, pression d’opération 15 bars.
Tableau II
Performance à 43 l·m²·h de perméat des membranes d’osmose inverse et de nanofiltration.
Membrane | NDP (MPa) | Rejection (%) | |||
---|---|---|---|---|---|
NaCl | MgCl₂ | NaNO₃ | MgSO₄ | ||
BW30 | 1,55 | 98 | 99,5 | 90 | 99,5 |
NF70 | 0,5 | 75 | 70 | 50 | 97,5 |
NF45 | 0,9 | 50 | 83 | 20 | 97,5 |
les problèmes de dosage stoechiométrique des réactifs, et sont documentées dans de nombreuses références.
Nanofiltration
Principes de la Nanofiltration
Les membranes de nanofiltration (NF) ont été développées pour remplir le vide qui existe dans la région entre l’ultrafiltration et l'osmose inverse. Dans ce domaine, des particules de l’ordre de grandeur d’un nanomètre sont rejetées, d'où le terme « nanofiltration ». C’est une technique membranaire relativement nouvelle datant de la fin des années quatre-vingt et qui, malgré le nombre croissant de publications, vient seulement d’être découverte par les constructeurs européens. Les principes de la nanofiltration sont similaires à ceux des autres techniques membranaires, comme l’osmose inverse, l'ultrafiltration et la microfiltration. Pour toutes les membranes de NF le rejet de sulfate de magnésium est relativement important (90-98 %), tandis que celui de NaCl est d’environ 50 %. Les membranes sont chargées négativement, et c’est la répulsion de l’anion qui détermine le rejet des sels. Par exemple, le rejet du CaCl₂ est presque le même (ou souvent plus bas) que celui du NaCl, tandis que le rejet de Na₂SO₄ est équivalent à celui du CaSO₄.
Si nous examinons deux membranes NF Filmtec, la NF45 et la NF70, nous voyons comment la concentration des sels influence le rejet. À débit constant, le rejet du NaCl est quasiment constant pour la NF70, même pour des concentrations de NaCl assez élevées. Pour la NF45, le rejet du NaCl décroît avec des concentrations plus élevées. Cela peut être expliqué par le modèle d’exclusion de Donnan. À une haute concentration de Na⁺, des ions sont disponibles pour masquer la charge négative de la membrane permettant aux ions Cl⁻ de traverser la membrane avec moins de résistance. L'ion sulfate a une densité de charge superficielle plus haute et est presque complètement rejeté par la membrane, même dans des solutions à forte charge ionique, comme de l'eau de mer, ou des solutions de sulfate de magnésium à 4 % (figure 1).
Les autres caractéristiques des membranes NF sont rassemblées dans le tableau II, la membrane d’osmose inverse BW30 étant utilisée comme référence.
La prédiction de passage des ions individuels est compliquée par le fait que celui-ci est influencé par le passage du co-ion. Cela veut dire que, par exemple, la teneur en calcium du perméat est déterminée par la concentration en sulfate de l'eau d’alimentation. Une prédiction rigoureuse comme dans le cas de l’osmose inverse n’est pas encore possible, du fait de l’absence d’un modèle mathématique valable.
Dessalement partiel par nanofiltration
Le traitement d’une eau légèrement chargée en sels avec une pollution supplémentaire peut se faire en une étape, grâce aux membranes de nanofiltration. L'unité est évidemment plus large qu'une chaîne de traitement partielle, mais il faut considérer les avantages :
- • qualité supérieure d’eau délivrée,
- • élimination du COT (carbone orga-
**Marque – FilmTec Corporation, une filiale à part entière de The Dow Chemical Company.
Tableau III
Paramètres d’une chaîne de nanofiltration.
Paramètres | Traitement total par NF |
---|---|
N° de membranes | 234 |
capacité de l'unité NF | 5 000 m³/j |
débit de mitigeage | — |
débit net d'alimentation | 5 880 m³/j |
dureté de l'eau traitée | 12,2 °F |
qualité permeat | 380 mg/l |
pression d'opération | 9 bar |
Données de départ : eau de forage, salinité 1 100 mg/l, dureté 46 °F, température 25 °C, éléments Filmtec NF70-8040.
● traitement total sur la totalité du débit,
● consommation réduite des agents stérilisants,
● eau biologiquement stable, due au manque de nutrients,
● risque de production des THM très réduit,
● indépendance de la chaîne vis-à-vis des changements dans la qualité d’eau d’appoint,
● élimination élevée de pesticides,
● taux supérieurs à 92 % observés sur installation semi-industrielle,
● adoucissement complémentaire,
● pas d’addition de produits chimiques,
● expansion modulaire possible,
● pas de génération de boues,
● pas de chaînes de traitement complémentaires (charbon actif, floculation, etc.).
Les caractéristiques d’une installation de nanofiltration sont rassemblées dans le tableau III.
Les expériences, surtout en Floride, ont démontré que la membrane NF70 peut délivrer une eau de consommation excellente, à partir des nappes dégradées par intrusion de matières organiques, de couleur et de dureté élevée. La NF45 possède des caractéristiques qui sont plus favorables pour le traitement des eaux de surface, notamment un rejet inférieur des sels inorganiques et une résistance chimique plus élevée.
Afin de valider le traitement par nanofiltration, il est indispensable que les membranes NF ne soient plus considérées comme des « adoucisseurs » mais comme de véritables agents de séparation multivalents.
Séparations spécialisées
La membrane NF45 a été mise en œuvre dans des applications aussi diverses que le traitement des eaux de lixiviat, la récupération des sels de métaux précieux, la purification des antibiotiques et la production de fromage.
Considérations pour le prétraitement
Puisque les membranes de nanofiltration suivent les mêmes lois que celles d’osmose inverse, les mêmes contraintes sont applicables. Le produit de solubilité des sels peu solubles (surtout sulfates de calcium, baryum et strontium et carbonates de calcium) ne doit pas être dépassé. Tout constructeur ayant de l’expérience dans l’application des membranes d’osmose inverse n’aura pas de difficulté à réaliser des projets en NF. Seulement, puisqu’on travaille à des pressions basses, le concept hydraulique doit être étudié plus soigneusement que d’habitude.
Considérations économiques
Les aspects économiques du traitement par nanofiltration ont été étudiés à l'occasion des grands projets en Floride, notamment par le professeur Taylor. Il en résulte que le coût d’une installation de nanofiltration est comparable à celui d’une chaîne classique d’adoucissement. Ce facteur montre les limites actuelles pour une application économique du procédé. Il est néanmoins à espérer que le nombre croissant des installations permettra de faire descendre les frais d’installation.
Conclusion
La nanofiltration avec des membranes chargées ioniquement ouvre des perspectives nouvelles pour le traitement membranaire. Les applications possibles vont de l'eau potable jusqu’à l'eau usée, en passant par des séparations industrielles. La nanofiltration est une alternative à basse consommation d'énergie, pouvant remplacer l’osmose inverse. En France, trois installations de 3 000 m³/j chacune sont déjà en opération sur les réseaux. Les applications vont de l’abattement des sulfates jusqu’à l’élimination des pesticides et des matières organiques. En prenant soin de ne pas promouvoir la NF comme la solution miracle applicable dans tous les cas, nous sommes convaincus qu’elle constitue un outil supérieur à la disposition des constructeurs.
Références bibliographiques
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