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La microfiltration, moyen de désinfection d'un effluent après traitement biologique

30 septembre 1992 Paru dans le N°157 à la page 42 ( mots)
Rédigé par : Bruno LANGLAIS, Philippe DENIS et Michel FAIVRE

Les besoins de l’exploitation des coquillages et le développement des aires de loisir rendent de plus en plus nécessaire la désinfection des effluents avant leur rejet dans les zones littorales françaises [1] ; il en va de même pour les effluents déversés dans les rivières en cours de réhabilitation. Par ailleurs, les autorités sanitaires françaises recommandent que les effluents recyclés utilisés dans les cultures maraîchères (production de légumes consommés crus) contiennent au maximum un œuf d’helminthe et 10 000 coliformes thermotolérants par litre (Recommandation de la Santé Publique, 1991). Or, tous les désinfectants normalement employés présentent le désavantage d’être extrêmement sensibles à la qualité de l'effluent telle qu’elle existe en amont de la phase de désinfection et il n’est guère réaliste d’espérer réduire la contamination fécale de trois à quatre unités logarithmiques lors du traitement d’un effluent dont les caractéristiques sont inférieures à celles du « niveau e » selon la classification française [DCO = 90 mg O?/l, DBO? = 30 mg O?/l, matières en suspension = 30 mg/l (JO du 29 novembre 1980)].

C’est pour cette raison que nous avons procédé à des essais d'utilisation de la microfiltration, qui offre les avantages d’être une méthode de séparation par voie physique. La porosité de la membrane employée étant de 0,2 µm, les micro-organismes d’une taille supérieure sont retenus, quelles que soient les qualités physico-chimiques de l’effluent. Les résultats indiqués ici ont été obtenus pendant la phase initiale de notre étude, laquelle nous a permis d’examiner la faisabilité du procédé, premièrement dans des conditions de fonctionnement extrêmes (soit avec un effluent contenant un taux de contamination considérablement plus élevé qu’un effluent domestique secondaire en temps normal), puis ensuite avec un effluent secondaire de très bonne qualité.

[Photo : Principe de fonctionnement du procédé de microfiltration utilisé.]

Tableau I

Caractéristiques de l’effluent secondaire déterminées en amont de la microfiltration

Cycle I moy. : Turbidité 37 NTU ; MES 32 mg/l ; DCO 244 mg O₂/l ; DBOS 52 mg O₂/l ; Détergent anionique 2,9 mg/l de lauryl sulfate
min. : 7 ; 14 ; 141 ; 2 ; 0,7
max. : 69 ; 64 ; 405 ; 6 ; 5,8
nombre de mesures : (20) (20) (20) (26) (6) (6)
Cycle II moy. : 36 ; 43 ; 260 ; 54 ; 2,1 ; 15×10³ coliformes fécaux/100 ml ; 21×10⁵ streptocoques fécaux/100 ml
min. : 18 ; 17 ; 100 ; 36 ; 1,3 ; 2×10² ; 4×10⁴
max. : 50 ; 64 ; 341 ; 69 ; 3,0 ; 20×10⁵ ; 68×10⁵
nombre de mesures : (28) (18) (28) (18) (9) (28) (11)
Cycle III moy. : 37 ; 55 ; 275 ; 56 ; 7,8 ; 2,2×10⁶ ; 2,3×10⁵
min. : 18 ; 19 ; 103 ; 30 ; 1,4 ; 2×10⁵ ; 2×10⁴
max. : 65 ; 88 ; 296 ; 100 ; 15,6 ; 18×10⁵ ; 78×10⁵
nombre de mesures : (18) (18) (18) (15) (16) (12) (12)
Cycle IV moy. : 26 ; 38 ; 17×10³ ; 36×10²
min. : 14 ; 14 ; 21×10² ; 32×10²
max. : 51 ; 40 ; 14×10⁴ ; 36×10²
nombre de mesures : (46) (46) (32) (32)

* Coliformes totaux.

Matériaux et procédés

Le pilote Biocarbone®

Le pilote Biocarbone est constitué d’une colonne de 300 mm de diamètre, contenant 2 mètres de schiste, la taille des particules variant de 3 à 6 mm. Les conditions de fonctionnement de ce biofiltre ont été décrites antérieurement [2].

Le cycle de lavage consiste en un détassage du matériau à l’air (vitesse de l’air = 85 m/h), une phase de lavage eau/air (vitesse de l’air = 85 m/h, vitesse de l’eau = 55 m/h) et un rinçage à l’eau seule (vitesse de l’eau = 55 m/h). Les différentes étapes, que l’on peut renouveler plusieurs fois, sont déclenchées soit automatiquement lorsque la perte de charge atteint un niveau de consigne, soit systématiquement une fois par jour.

Le pilote de microfiltration

Le pilote de microfiltration se présente sous la forme d’un module mesurant 57 cm de long et 6 cm de diamètre. Il abrite un faisceau d’environ 3 000 fibres creuses ayant un diamètre interne de 300 µm et une longueur de 40 cm. Ce faisceau correspond à une surface développée d’environ 1 m². La porosité de la membrane en polypropylène est de 0,2 µ. Le procédé de microfiltration utilisé est représenté en figure 1.

L’effluent provenant du filtre Biocarbone alimente par gravité un bac-tampon de 40 litres. L’arrivée de l’effluent dans ce bac est contrôlée par un contacteur de niveau situé à l’intérieur de celui-ci. Le pilote est utilisable en filtration à flux frontal ou tangentiel. Dans le deuxième cas, l’effluent non filtré est recyclé par l’intermédiaire du bac-tampon. Dans ces deux modes de filtration, l’effluent s’écoule sur la face extérieure de chacune des fibres et le perméat est repris à l’intérieur de celles-ci. La membrane est nettoyée, à une fréquence que l’on peut faire varier, selon une technique brevetée par Memcor. Chaque cycle de nettoyage est composé de plusieurs phases : la membrane est nettoyée à l’air comprimé, la matière colmatante est évacuée et la membrane est reconditionnée. Un micro-ordinateur gère les différentes phases, ainsi que la fréquence des nettoyages. Quand, après une certaine période de fonctionnement, cette façon de décolmater la membrane ne permet plus de retrouver un débit de perméat suffisant, celle-ci doit subir un nettoyage chimique, lequel est également effectué après chaque cycle d’essai. La séquence de lavage chimique comporte trois phases : dans un premier temps, on fait circuler une solution de « Memclean » (2 % en poids — produit par le fabricant) à travers la membrane, puis une solution d’acide phosphorique (0,5 % en poids). Pour terminer, on procède à une décontamination bactéricide à l’eau oxygénée (0,5 % en poids).

L’effluent secondaire utilisé

L’eau usée est prélevée près du Centre de Recherche et traitée sur un décanteur lamellaire. L’effluent primaire est ensuite traité :

— soit à une charge organique très élevée (cycles I, II et III) : 13–15 kg de DCO/m² de matériaux/jour ; vitesse de filtration : 1,7 m³/m² de section/heure ; — soit à une charge organique plus faible (cycle IV) : 5 kg DCO/m² de matériaux/jour ; vitesse de filtration : 2,5 m³/m² de section/heure.

Le tableau I donne les caractéristiques de l’effluent secondaire prélevé en amont de la microfiltration pendant ces différents cycles. Le tableau II liste les paramètres que l’on a fait varier lors des quatre cycles réalisés.

[Photo : Variations du débit en fonction de la durée de filtration.]
[Photo : Cycle IV : variations de débit et de pression en fonction de la durée de filtration.]
[Photo : Variations de la DCO en amont et en aval de la microfiltration en fonction du temps.]
[Photo : Variations de la DBOS en amont et en aval de la microfiltration en fonction du temps.]

Tableau II

Conditions de fonctionnement de la microfiltration.

CyclesMode de filtrationFréquence de décolmatageDébit initial
Cycle IFlux frontal4/h117 l/h·m²
Cycle IIFlux tangentiel4/h117 l/h·m²
Débit de recirculation : 1 m³/h
Cycle IIIFlux frontal4/h157 l/h·m²
Cycle IVFlux frontal4/h110 l/h·m²

Tableau III

Germes de contamination fécale dénombrés en amont et en aval de la microfiltration. Cycle III.

Coliformes totaux /100 mlColiformes fécaux /100 mlStreptocoques fécaux /100 mlDurée de filtration (h)
AmontAvalAmontAvalAmontAval
9,3 10³07,1 10²04,6 10¹00,5
26 10³01,5 10³07,8 10²01,5
26 10³01,6 10³01,8 10²024,0
34 10²01,0 10²06,0 10²025,0
4,7 10²02,0 10³08,0 10²026,0
95 10¹06,0 10²07,1 10²048,0
1,5 10²08,0 10²02,8 10²049,0
1,7 10³01,2 10²03,4 10¹050,0
2,0 10³01,8 10²03,0 10²172,0
1,19 10²01,0 10²04,8 10¹073,0
1,0 10²09,0 10¹07,0 10²074,0
1,4 10²03,4 10²06,8 10¹096,0

Tableau IV

Coliformes totaux dénombrés en amont et en aval de la microfiltration. Cycle IV.

Durée de filtration (h)Coliformes totaux /100 mlStreptocoques fécaux /100 ml
AmontAvalAmontAval
330 10³02500
1915 10³09900
255 10²012 10²0
2749 10²012 10²0
4355 10²012 10²0
4511 10¹10036 10⁸0
4713 10⁸030 10³0
649 10³08 10²0
13922 10⁸07000
14238 10²04 10¹0
1459 10³029 10²0
16323 10³04000
16676 10²03 10²0
16955 10²03 10¹0
18745 10⁸13200
189,544 10²012 10⁸0
192,560 10²022 10²0
210,530 10²03800
216,557 10²09100
235,555 10²05800
239,527 10²03800
307,541 10²306 10²0
313,526 10²09500
331,526 10²07200
337,527 10²01 0500
355,512 10²04 10²0

Fonctionnement hydraulique d'une installation pilote de microfiltration

En mode de filtration non régulée (débit décroissant et pression croissante), les courbes de débit diminuent dans le temps et le décolmatage restitue partiellement le débit initial d’une séquence (période de filtration entre deux décolmatages). La figure 2 représente la décroissance du débit en fonction du temps. Il faut préciser que les débits ont été mesurés tout de suite après le décolmatage. Or, la variation du débit entre deux décolmatages n'est pas négligeable [2]. Donc, les courbes de débit que l'on voit en figure 2 indiquent des valeurs maximales qui surestiment le débit moyen pendant la séquence de filtration (on pourrait aussi calculer cette moyenne selon le ratio : perméat total/temps de filtration).

Pour une même qualité d’effluent (cycles I, II, III), la perte de débit est d’autant plus forte pendant le cycle que le débit initial est élevé (cycle III : 157 l/h·m²).

Dans le cas d’un effluent de meilleure qualité (DCO = 35 mg O₂/l en cycle IV), la courbe du débit prend la forme d’un plateau. On peut alors prolonger les intervalles entre les décolmatages (ex. : plus de trois semaines avant le lavage chimique) (figure 3).

Une comparaison entre la filtration à flux frontal et celle à flux tangentiel fait ressortir une légère différence dans les courbes de débit (figure 2). Après 70 heures de fonctionnement, une filtration en flux tangentiel produit une quantité de perméat de 9 % supérieure au rendement en régime frontal (cycle I).

Les débits moyens étaient de 75 l/h·m² pendant le cycle I (flux frontal) et de 82 l/h·m² pendant le cycle II (flux tangentiel). Le taux de recyclage a été fixé à 1 m³/h ; néanmoins cette tendance reste à confirmer. D'autres essais sur différentes qualités d’effluent et à différents taux de recyclage doivent être mis en œuvre.

Performance de la microfiltration vis-à-vis de la désinfection

Les résultats présentés dans les tableaux III et IV confirment que la microfiltration à 0,2 µm est une barrière parfaitement efficace vis-à-vis des germes de contamination fécale. Pendant ces cycles, nous avons également examiné le rendement de la microfiltration vis-à-vis de l’élimination des kystes d’amibes libres (protozoaires pathogènes ou pathogènes opportunistes, selon les espèces [3]) ; enfin, quelques détections d'œufs d'helminthe ont été réalisées. En effet, dans nos régions, ceux-ci représentent le plus grand risque pour la santé lorsque les eaux sont employées à fin d’irrigation (tableaux V et VI).

Environ 65 % seulement des kystes d’amibes libres ont été éliminés pendant le cycle I. Par contre, le taux d’élimination atteint 99,8 % en cycle II, ce qui semble être raisonnable, étant donné la taille de la plupart des kystes (15-20 µm). Très peu d'œufs d’helminthes étant présents à la sortie du filtre Biocarbone, les analyses ultérieures seront effectuées sur un plus grand volume d’effluent. Cependant, il semblerait que la microfiltration à 0,2 µm constitue une excellente barrière, ce qui n’a rien d’étonnant puisque la taille des œufs d’ascaris est d’environ 30 µm, pour 40 à 60 µm dans le cas du ténia.

Performance de la microfiltration vis-à-vis de quelques paramètres physicochimiques

Parallèlement à ces essais de désinfection, nous avons également étudié les

Tableau V

Numération des kystes d’amibes libres en amont et en aval de la microfiltration.

Numération de kystes d’amibes libres (NPP)/l

CyclesAmontAval
Cycle I7 5002 300*
7 5002 300*
Cycle II4 3002 300*
240 000900
Cycle III110 000< 100**
240 000< 100**
240 000< 100**

* Très petits kystes. Taille < 3 µm. ** Limite de détection de la table NPP.

Tableau VI

Numérotation des œufs de Ténia et d’Ascaris en amont et en aval de la microfiltration. Cycle III.

Numération des œufs de Ténia et d’Ascaris/500 ml

ObjetAmontAval
Ténia10
10
Ascaris20
20
20

variations de turbidité, couleur, DCO, DBO₅ et surfactants anioniques.

La réduction moyenne de la turbidité au cours des cycles I, II et III est de 99 % alors que la couleur reste comprise entre 50 et 150 mg Pt/Co/l. Le cycle IV abat la turbidité à 78 %, mais dans tous les cas la turbidité résiduelle est inférieure à 1 NTU.

Les taux de réduction de la DCO sont respectivement de 62,7 %, 72 %, 6,3 % et 31 % pour les cycles I, II, III et IV. Lors du cycle IV, la concentration résiduelle en DCO descend à 24 mg O₂/l. Quant aux cycles I et III, cette valeur résiduelle reste relativement élevée (80 à 100 mg O₂/l en moyenne). La concentration résiduelle suit apparemment les variations de ce paramètre à l’amont de la membrane, cette dernière exerçant un certain effet d’amortissement.

La DBO₅ se trouve réduite de 72,3 %, 76,7 % et 70,0 % pendant les cycles I, II et III respectivement. La concentration résiduelle en DBO est de 21 mg O₂/l (cycles I et III). Cette valeur résiduelle semble également être tributaire de la DBO₅ en amont de la microfiltration.

Les concentrations en surfactants anioniques mesurées dans l’effluent secondaire varient largement (tableau I). Celles-ci sont respectivement réduites de 63,4 %, 40,3 % et 39 % durant les cycles de microfiltration I, II et III, et les concentrations résiduelles restent élevées (respectivement 1,0 – 1,2 et 4,7 mg LAS/l), comme pour la DBO et la DCO, dépendant des concentrations en amont de la membrane.

Conclusion

La microfiltration frontale, avec des cycles excédant 72 heures et un débit de perméat maintenu à environ 80 l/h par m², utilisée derrière une filtration biologique tout à fait inefficace (effluent secondaire : DCO entre 140 et 400 mg O₂/l, DBO₅ entre 30 et 150 mg O₂/l), permet d’obtenir un effluent tertiaire sans germes de contamination fécale ni œufs de ténias ou d’ascaris. Sous réserve de confirmation, la microfiltration permet également l’élimination des kystes d’amibes libres. De plus, l’effluent obtenu est parfaitement limpide ; la couleur n’est pas éliminée. L’élimination de 60 % de la DCO et de 70 % de la DBO₅ permet d’obtenir une qualité d’effluent de « niveau e ».

Ces résultats permettent de penser que la microfiltration est capable de supporter sans problèmes des à-coups de pollution sur des périodes relativement longues.

Trois semaines d’essais de microfiltration frontale d’un effluent secondaire de très bonne qualité confirment que le procédé peut fonctionner sur une longue période sans exiger de nettoyage chimique de la membrane. Les performances relatives à l’amélioration de la qualité physicochimique de l’effluent sont également intéressantes.

Une comparaison de la microfiltration frontale et de la microfiltration tangentielle indique que cette dernière permet d’obtenir un débit de perméat sensiblement plus important. Cependant, des essais complémentaires sont nécessaires pour confirmer cette tendance.

BIBLIOGRAPHIE

[1] LANGLAIS B., La désinfection des effluents rejetés en zone littorale. Procédés de substitution à la chloration, L’EAU L’INDUSTRIE, LES NUISANCES, n° 118, avril 1988, pp. 31-32.

[2] LANGLAIS B., DENIS Ph., TRIBALLEAU S., FAIVRE M., BOURBIGOT M.M., Test on microfiltration as a tertiary treatment downstream of fixed bed bacteria filtration, présenté à la conférence IAWPRC « Membrane Technology in Wastewater Management », Cape Town, 2-5 mars 1992.

[3] LANGLAIS B., PERRINE D., Action of ozone on trophozoites and free amoeba cysts, whether pathogenic or not, Ozone Science and Engineering, vol. 8, n° 3, pp. 187-198.

[4] Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France, Recommandations sanitaires concernant l’utilisation, après épuration, des eaux résiduaires urbaines pour l’irrigation des cultures et des espaces verts. Circulaire DGS/SD1.D/91 n° 51, 22 juillet 1991.

[5] Circulaire du 4 novembre 1980 relative aux conditions de détermination de la qualité minimale d’un rejet d’effluents urbains, prise en application de l’article 12 de l’arrêté du 20 novembre 1979 fixant les conditions techniques générales auxquelles sont subordonnées les autorisations délivrées en application du décret n° 73-218 du 23 février 1973 (Journal Officiel du 29 novembre 1980, pp. 10390-10395).

REMERCIEMENTS

Nous remercions le Professeur Perrin du Laboratoire de Zoologie et Parasitologie de la Faculté de Pharmacie de Caen, qui a réalisé les dénombrements de kystes d’amibes libres et d’œufs d’helminthe.

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