Le charbon actif a été employé tout d'abord pour le traitement de l'eau de distribution en raison de ses propriétés adsorbantes des substances organiques toxiques dissoutes dans l'eau. Dans de telles installations, l'apparition de bactéries devait être forcément indésirable car l’hygiène publique ordonne l’observation des lois de distribution qui prescrivent, comme valeur directive, 100 colonies par millilitre d'eau potable non désinfectée. En général cette valeur n’était pas dépassée car les écoulements des filtres à charbon actif étaient analysés suivant les normes de la « Deutschen Einheitsverfahren » (méthode standard allemande).
Il y a quelque temps encore, on a essayé, avec plus ou moins de succès, de filtrer stérilement sur charbon actif (stérile) (Bernhardt, 1970), mais il se forme toujours et inévitablement des populations microbiennes dans le filtre lors du traitement de l'eau de distribution par filtration sur charbon actif.
Weber (1970) a décrit la participation bactérienne dans les filtres à charbon actif lors de l'épuration des eaux usées communales. Aussi au cours des dernières années, un changement d'orientation de la recherche sur la filtration a pris naissance. Lors de longues recherches à l'usine de Brême, Eberhardt, Madsen et Sontheimer (1974) remarquaient que les filtres à charbon actif éliminaient plus de substances organiques que le charbon ne pouvait en adsorber effectivement. On ne pouvait expliquer cette différence que par un processus microbien de dégradation.
Ces expériences permettaient de conclure qu’un filtre, dont le charbon actif est colonisé par des micro-organismes et présentant ainsi une activité microbienne, a une durée d’activité plus longue qu’un filtre où seul un processus d’adsorption se déroule.
Sontheimer et Jekel (1979) ont réussi, grâce à d'autres études, à mieux définir la puissance de dégradation des micro-organismes dans les filtres à charbon actif employés pour le traitement d’eaux de surface. Les connaissances acquises ont permis de réaliser dans les usines d’eau de Mülheim (Rheinisch-Westfälische-Wasserwerke) des installations de grande dimension utilisant du charbon actif biologique.
Ainsi, Topalian (1982) a étudié des filtres à charbon actif utilisés pour le traitement d’eaux souterraines contenant des acides humiques et à composition constante. On a alors défini dans ce cas la part de la biodégradation. De plus il s’est avéré, dans l’étude citée ci-dessus, une amélioration de la dégradabilité des substances organiques dissoutes dans l’eau sous l’influence de l’ozone. Les mesures du carbone organique dissous (COD) et le calcul de la part éliminée par adsorption ont montré qu’environ 50 % de l’abattement de carbone est dû aux bactéries. Il a également été possible de distinguer les substances organiques qui sont dégradées dans la phase liquide lors du passage dans le filtre et celles qui le sont seulement après adsorption sur charbon actif.
Benedek (1980), Tien (1980), Ying et Weber (1979) ont tenté de décrire par un modèle mathématique le système complexe de l’interaction – processus de dégradation microbienne et adsorption. Mais afin d’appliquer au traitement de l’eau les méthodes combinées d’adsorption et d’activité bactérienne et de les maîtriser, il est indispensable de mener une recherche fondamentale sur la microbiologie de la filtration sur charbon actif. Tout d’abord on effectue un dénombrement de la biocénose dans les filtres à charbon actif biologique, ceci étant la seule possibilité de décrire et de comprendre leur écosystème. De plus, on travaille au développement d’une méthode qui permet de définir les propriétés de substrats organiques dissous dans l’eau. Ceux-ci déterminent la vitesse de prolifération des bactéries.
DÉNOMBREMENT DES MICRO-ORGANISMES SUR FILTRES À CHARBON ACTIF
Afin de comprendre exactement les processus se déroulant dans les filtres à charbon actif, on a défini les paramètres biologiques de l’eau des filtres : le nombre de germes totaux, de germes actifs et de colonies ainsi que la teneur en A.T.P. Les germes totaux recouvrent la somme de toutes les bactéries actives et inactives dans une eau et sont dénombrés à l’aide d’un microscope après enrichissement sur membrane, coloration à l’orange d’acridine et observation sous épifluorescence. La combinaison d’une méthode enzymatique et d’une méthode microscopique permet de compter les bactéries actives. L’A.T.P. est mesuré par la.
méthode connue et courante de la bioluminescence.
Le nombre de colonies est déterminé non seulement par la méthode dictée par la « Deutschen Einheitsverfahren » mais encore par une méthode modifiée utilisant un autre milieu nutritif et appliquant un temps d’incubation beaucoup plus long.
On peut lire une description plus détaillée de cette méthode dans une publication de Werner (1982).
La figure 1 montre quelques résultats typiques d’analyses effectuées sur le charbon actif des filtres de l'installation pilote de l’usine de Fuhrberg près d’Hanovre.
Il s'agit là d'un filtre à charbon actif de 5 m de hauteur traitant après ozonation une eau riche en acides humiques (0,5 mgO₂/mg COD) (Topalian, 1982). Dans l’affluent les valeurs numériques des colonies et la teneur en A.T.P. étaient nulles, comme prévu après ozonation. Le nombre des germes totaux se situait toujours autour de 10³–10⁴/ml. Ceci montre que l’ozonation inactive les micro-organismes mais ne provoque pas une autolyse ou destruction de la structure morphologique. Les mesures effectuées sur les différentes couches filtrantes (figure 1) montrent que les 4 paramètres qui décrivent la teneur en micro-organismes croissent d’une valeur infime de l’entrée du filtre jusqu’à un maximum dans les premiers 50 cm, pour décroître enfin jusqu’à la sortie du filtre.
Le nombre de germes totaux et celui des bactéries actives ne peuvent être déterminés que très approximativement dans les échantillons de 50 cm à cause de la quantité importante de détritus.
Les courbes des paramètres : germes totaux, germes actifs et teneur en A.T.P., sont presque parallèles tandis que celle du nombre de colonies présente une pente beaucoup plus forte vers l’écoulement.
Il faut ajouter que le nombre de colonies mesuré suivant la méthode standard ne dépassait jamais 10 colonies/ml.
Par conséquent, l'eau de l’écoulement des filtres à charbon actif, analysée suivant cette méthode, pouvait être classée irréprochable hygiéniquement et bactériologiquement.
D’autres analyses montrent que ces données microbiologiques diffèrent d’une installation de traitement à l'autre et qu’aucun des paramètres étudiés ne donne de renseignements suffisants sur l'écosystème du filtre à charbon actif.
Les calculs effectués d’après des expériences de longue durée ont permis de déterminer comme suit les rapports qui existent entre les différentes données microbiologiques : si l'on pose 100 % pour les germes totaux, le pourcentage de germes actifs se situe entre 30 et 80 % ; la méthode modifiée de la détermination du nombre de colonies donne des valeurs situées entre 0,5 et 10 %, la méthode standard des valeurs toujours inférieures à 1 % (en général 0 % du nombre de germes totaux).
Ces rapports diffèrent d’une installation à l'autre (souvent de façon considérable) mais ils restent constants pour une installation à fonctionnement régulier et continu.
Cela signifie que les caractéristiques microbiologiques dépendent principalement de la composition de l’eau brute et ainsi des propriétés des substrats formés par les substances organiques dissoutes dans l'eau.
Ceci est prouvé clairement par les valeurs obtenues avec ou sans ozone en maintenant les autres conditions de fonctionnement.
La figure 2 représente les résultats des analyses microbiologiques, avant et après ozonation, de l’effluent de deux colonnes de charbon actif (2,5 m) filtrant des substances humiques.
L'installation avec pré-ozonation, dans laquelle aussi bien la teneur en substances organiques (mesurée en COD) que l’adsorbabilité diminuent, donne des valeurs microbiologiques beaucoup plus élevées que l’installation sans
Pré-ozonation.
On peut ainsi remarquer que non seulement la concentration des substances organiques mais aussi leur qualité, c’est-à-dire leur possibilité d'utilisation par les bactéries, influent sur l’état bactériologique des filtres à charbon actif.
À l'aide des mesures de COD, de la demande en oxygène et de la production de gaz carbonique pendant la filtration, Topalian (1982) a montré qu'un filtre à charbon actif de 2,5 m, après la phase d’adsorption, élimine 1,6 mg COD/l après pré-ozonation d’eau brute contenant des acides humiques, ceci grâce à la seule activité microbienne. Parallèlement, une filtration sur charbon actif, sans pré-ozonation, n’élimine que 1 mg COD/l.
On ne peut toutefois établir de tels bilans que pour des installations dont la composition de l’eau brute reste constante.
On a pu remarquer dans toutes les installations qu'indépendamment du pré-traitement de l’eau, le nombre des bactéries diminuait plus ou moins tout au long du filtre. On peut comparer ce phénomène, qui s’explique par la mort et la prédation des micro-organismes, à celui observé dans les filtres à sable lents (Schmidt, 1963, Uhlmann, 1975).
Une chaîne alimentaire a été mise en évidence dans les filtres à charbon actif biologique : dans une installation fonctionnant avec pré-ozonation, on a compté jusqu’à 450 organismes zooplanctoniques par centimètre cube de matériau filtrant. Les filtres à charbon actif sont manifestement des écosystèmes très complexes, que l'on ne peut décrire que par le dénombrement des bactéries et les observations montrent que le nombre de bactéries diminue tout au long du filtre. Une évaluation des transformations métaboliques d'une biocénose si complexe n’est pas possible avec les connaissances actuelles.
MÉTHODE MICROBIOLOGIQUE POUR LA QUALIFICATION ET LA QUANTIFICATION DES SUBSTANCES ORGANIQUES DISSOUTES DANS L’EAU
Afin de pouvoir juger la qualité des substances dissoutes dans l’eau en tant que substrats pour l’anabolisme et le catabolisme des bactéries, il est nécessaire d'effectuer des expériences physiologiques bien définies. Une méthode habituelle consiste à mesurer la production de la biomasse et la vitesse de division des bactéries en fonction de la qualité de substrat.
INFLUENCE DU TRAITEMENT DE L’EAU SUR LA PROLIFÉRATION DES BACTÉRIES
On a mesuré l’augmentation du nombre de bactéries dans les affluents et les effluents des filtres à charbon actif de l’installation pilote de l’usine d’eau de Fuhrberg avant et après ozonation.
Les résultats du dénombrement des germes totaux sont reportés sur la figure 3. Les courbes montrent que l’ozonation des substances humiques entraîne une prolifération plus rapide et plus forte des bactéries que dans les échantillons non ozonés. Les composés résiduels après filtration sur charbon actif ne permettent qu'une très faible croissance cellulaire. Les valeurs des filtres dont les affluents n’ont pas été traités par l’ozone sont presque identiques avant et après filtration sur charbon actif.
Les études faites sur la croissance cellulaire dans d'autres usines d’eau montrent aussi que l’ozonation provoque une croissance accélérée des bactéries et que la filtration sur charbon actif la diminue. Ces observations ne sont pas suffisantes pour évaluer les propriétés des substances organiques dissoutes dans l’eau en tant que substrats.
VITESSE DE PROLIFÉRATION DES BACTÉRIES, PARAMÈTRE DE DÉTERMINATION DES PROPRIÉTÉS DE SUBSTRATS ORGANIQUES DISSOUS DANS L’EAU
Les résultats précédents montrent que la croissance bactérienne dans l'eau, sous des conditions constantes, dépend qualitativement et quantitativement de l’origine de l'eau et/ou de la méthode de traitement. De plus, il est prouvé que les filtres à charbon actif sont des écosystèmes microbiens dynamiques dont l’état de la biomasse est le produit de l'interaction de sa vitesse de croissance d’une part, et de sa perte de l’autre.
On peut déduire de ce bilan que la vitesse de prolifération bactérienne, et non la population bactérienne après un certain temps d’incubation, représente un paramètre descriptif des propriétés nutritives d'une eau, c’est-à-dire de la teneur en substances organiques biodégradables. Une expérience fondamentale montre l'exactitude de cette réflexion : on a mesuré l’augmentation de la densité bactérienne dans un bouillon de culture (standard) en fonction du temps d’incubation (température 20 °C). L’inoculum était extrait d'une population bactérienne d’un filtre à charbon actif. Le nombre des bactéries a été déterminé par mesure de la turbidité (Werner, 1982) et les résultats
sont reportés sur les figures 4 a et 4 b. Les courbes sont conformes aux courbes classiques de croissance de souches bactériennes pures et présentent les domaines typiques : la phase de latence, la phase de croissance exponentielle et le passage à une densité maximale des germes. Cette même observation, faite avec une biocénose complexe de filtres à charbon actif, joue un rôle important. Elle prouve qu’une population hétérogène représente une unité statistique pour laquelle les règles fondamentales de vitesse de croissance sont les mêmes que celles d'une souche pure.
Pour la phase logarithmique on pose :
dx — = μ·x (1) dt
x : ensemble de toutes les bactéries proliférant dans le système, indépendamment de leur genre et mesuré avec un paramètre global (par ex. : turbidité) ;
μ : constante de vitesse de croissance de la biomasse ;
t : temps.
La grandeur importante pour la description d'une eau dans la pratique est la valeur μ (temps⁻¹).
Cette considération statistique a déjà fait ses preuves depuis longtemps pour d'autres biocénoses hétérogènes telles que des boues activées ou des biocénoses benthiques des eaux courantes.
L'autre question importante concerne le rapport entre la grandeur μ et les propriétés des substrats organiques dissous dans l'eau. On a remarqué par exemple que, pour les biocénoses complexes telles que les boues activées, on peut aussi appliquer des calculs statistiques à la régulation de la vitesse de croissance par les substrats.
Par analogie aux souches pures, on peut écrire pour les biocénoses hétérogènes :
μ = μmax · S / (Ks + S) (temps⁻¹) (2)
μ : constante de vitesse de croissance de la biomasse ;
μmax : constante maximale de vitesse quand la biomasse est saturée par un excès de substrat ;
S : concentration de toutes les substances organiques qui forment une limite de croissance dans le système ;
Ks : concentration de demi-vie de S.
La considération précédente répond à la théorie de Monod (1942) mais n’est qu’empirique et ne doit en aucun cas être comparée avec des mécanismes biochimiques. Malgré ces restrictions fondamentales, elle s'applique bien dans de nombreux cas à la description du phénomène de liaison entre la concentration en substrat et la vitesse de croissance dans des systèmes microbiens complexes et fournit des valeurs numériques appropriées (par ex. les grandeurs μmax et Ks). Dans cet exemple, avec des substances organiques facilement dégradables, la valeur μmax atteint 0,63 h⁻¹ et Ks 5,6 mg de COD/l.
Dans la recherche d'une méthode de détermination de la densité bactérienne, on a remarqué que la mesure de la turbidité (dispersion de la lumière observée sous un angle inférieur à 45°) est suffisamment précise pour déterminer une concentration en bactéries (germes totaux) comprise entre 5·10⁴ et 10⁷/ml.
La mesure dans ce domaine de concentration est nécessaire pour déterminer la vitesse de croissance des bactéries dans les eaux étudiées ; seule la mesure de la turbidité permet d’obtenir suffisamment de données pour décrire la phase de croissance exponentielle.
EXPÉRIENCE ACTUELLE
On a mesuré la vitesse de changement de concentration des bactéries dans des eaux humiques non pré-traitées, de l'usine d’eau de Fuhrberg.
La figure 6 montre la relation entre la vitesse de division et la concentration en substrat.
On a calculé à l’ordinateur µmax et Ks à l'aide d'un programme d’adaptation non linéaire de l'équation 2 qui minimise la somme des carrés des écarts. On obtint pour µmax une valeur de 0,12 h⁻¹ et pour Ks : 13,3 mg COD/l.
Au cours d'une autre expérience, on a mesuré l'augmentation de la turbidité d'une biocénose pendant le temps d'incubation, les bactéries croissant sur un milieu humique ozoné (0,3 mg ozone/mg COD).
La vitesse de division est reportée sur la figure 7 en fonction de la concentration en substrat.
À l'aide du programme mathématique d’adaptation cité ci-dessus, on obtient une valeur de 0,42 h⁻¹ pour µmax et de 3,0 mg COD/l pour Ks. On voit ici que l’ozone améliore nettement les propriétés des substrats organiques dissous dans l'eau.
PERSPECTIVES
On attend de ces expériences des indications quant au choix du traitement à appliquer par les différentes usines d’eau. Ainsi la détermination de la vitesse de croissance des bactéries doit renseigner sur la dose optimale d’ozone nécessaire pour la biodégradation des substances organiques de l'eau.
Cependant lors de l’emploi de filtres à charbon actif biologique, il faut considérer qu’une fonction importante s’ajoute à celle de l’adsorption : on sait par exemple qu’une ozonation trop poussée peut réduire l’adsorbabilité des substances organiques sur le charbon actif (ceci s’explique par l’augmentation de la polarité des molécules) (Topalian, 1981). Topalian a également montré que la biodégradation de substances déjà adsorbées était considérable.
Si les substances organiques ozonées traversent le filtre sans être retenues par adsorption, le temps de contact de l'eau dans le filtre n'est pas toujours suffisant pour permettre une biodégradation. Il existe donc une dose optimale d’ozone pour les filtres à charbon actif biologique ; celle-ci n’est pas forcément la même pour toutes les usines d'eau. Il faut donc vérifier pour chaque cas l'ajout d’ozone optimum et pour cela mesurer si nécessaire la vitesse de croissance des bactéries suivant la méthode décrite ci-dessus.
Dans l'avenir, cette méthode devrait pouvoir permettre de contrôler l'efficacité des procédés de traitement biologique pour la production d’eau de distribution. Il faut s’assurer pour l'eau potable que la quantité et la nature des substances organiques, qui favorisent la prolifération des bactéries dans le système de distribution, sont portées au minimum. C’est la seule façon d’éviter une regermination dans les canalisations sans emploi excessif de désinfectant (Wuhrmann, 1977). La biodégradation doit se dérouler entièrement dans l'usine d'eau.
Le but des recherches futures sera d’adapter la méthode décrite aux problèmes de la production d'eau potable et en particulier d’améliorer la technologie de la méthode.
Des recherches appliquées seront nécessaires ainsi que la caractérisation chimique des composés organiques qui pourraient servir de substrat aux micro-organismes.
Nota : L’auteur se tient à la disposition des intéressés pour leur fournir la bibliographie.