Le stockage de déchets en Installation de stockage de déchets ultimes non dangereux (ISDUND) est un maillon indispensable de la gestion de nos flux de déchets. Dans ces déchets, bien que les filières de valorisation de la matière organique et les filières de recyclage se développent, il reste toujours une part importante de déchets biodégradables. Les ISDUND bioactives, également appelées bioréacteurs, sont une alternative aux ISDUND « classiques ». Dans ces installations, les lixiviats récupérés en fond de casier sont généralement réinjectés en haut du massif de déchets pour percoler par gravité. L’augmentation de l’humidité ainsi obtenue a pour objectif d’accélérer la dégradation des déchets qui reste en ISDUND un des paramètres clés pour l’obtention d'une biodégradation anaérobie optimale de la matière organique des déchets. L’effet recherché par les exploitants est à la fois d’augmenter la quantité de biogaz produite et de concentrer sa production sur une période plus courte afin de permettre une valorisation plus aisée de ce dernier. Ces objectifs conduisent également à un enjeu d'importance qui est la stabilisation plus rapide et plus homogène du massif de déchets. Cependant, à l'heure actuelle, peu d'outils de diagnostics permettent de renseigner sur la présence éventuelle, dans le massif de déchet, de zones plus ou moins dégradées. L’utilisation de ces outils s'intègre également dans la problématique de fin de suivi post-exploitation fixée réglementairement à 30 ans minimum.
Le manque de paramètres ou de données quantitatives sur ces systèmes est un frein à l'optimisation de ce mode de gestion. Dans le cadre d’un projet de recherche multipartenarial, un ensemble de méthodes de mesure physique renseignant sur les variations de teneur en eau et de température est déployé sur des casiers d’ISDUND bioactive et combiné à des essais en laboratoire pour optimiser les cycles des séquences de réinjection envisagés in situ. Débuté fin 2014, l'instrumentation est à ce jour en phase finale d’implantation sur le site. Cet article propose d’illustrer les méthodes et la démarche mise en place ainsi que de présenter les premiers résultats obtenus lors des mesures sur site, notamment en ce qui concerne l’évolution de la température et les mesures de résistivité électrique.
Mots clés : Déchet Non Dangereux (DND), Bioréacteur, Résistivité électrique, Recirculation de lixiviat, Température
Le stockage des déchets en Installation de Stockage des Déchets Ultimes Non dangereux (ISDUND) reste, à ce jour, une filière importante dans la gestion de nos flux de déchets avec 44,4 % des Déchets Non Dangereux (DND) qui y sont dirigés (Ademe, ITOM 2008). Par ailleurs, cette filière reste indispensable à l’élimination des déchets des autres filières. Associée à une image négative, le stockage a pourtant beaucoup évolué au cours des dernières décennies avec une amélioration des dispositifs de protection de l'environnement et des méthodes de gestion.
En effet, les Installations de Stockage de Déchets Ultimes Non Dangereux (ISDUND) (classe 2) sont devenues de véritables sites industriels soumis à une réglementation stricte. De ce fait, elles font l'objet de règles rigoureuses de concep-
tion, d’exploitation et de surveillance. La mise en œuvre d’un système entraînant une étanchéité complète (couverture, fond et flancs) dans les ISDND « classiques », a pour but de limiter l’infiltration d’eau dans le massif de déchets. De ce fait, un assèchement rapide de la matière organique peut avoir lieu avec pour conséquence, une augmentation du temps de stabilisation des déchets, temps pouvant alors atteindre plusieurs siècles du fait du déficit d’humidité. Une humidité comprise entre 40 % et 70 % de saturation est considérée comme optimale pour assurer une bonne biodégradation de la matière organique des déchets.
Pour répondre à cette problématique, le concept d'ISDND bioactive (ou de bioréacteur anaérobie) par recirculation de lixiviat a été développé. Le principe repose sur l'utilisation de l'ISDND et de ses infrastructures d’étanchéité, notamment la barrière de protection active généralement constituée de géomembranes. Les lixiviats, après transfert dans les bassins de stockage, sont pompés et réinjectés dans la partie supérieure du massif de déchets grâce à des dispositifs de réinjection. Un exemple de système de réinjection utilisant un tube perforé posé à l’horizontal est schématisé sur la figure 1.
L’humidité des déchets étant un des facteurs limitant le bon déroulement des processus de biodégradation de la matière organique, son optimisation via les réinjections de lixiviat a des objectifs multiples. Premièrement, accélérer la vitesse de stabilisation mécanique du massif de déchets afin de solliciter les systèmes de protection pendant que leur efficacité est optimale et deuxièmement, augmenter la production de biogaz, qui contient une part importante de méthane, pour permettre sa valorisation à travers la production de chaleur, d’électricité ou de biocarburant notamment. Pour atteindre ces objectifs, il est essentiel que l'ensemble du massif soit sollicité dans le but d’éviter des dysfonctionnements et donc des hétérogénéités de l’état de biodégradation du milieu. Ce critère d’homogénéité revêt une importance particulière afin d’éviter la formation de zones contenant des déchets moins dégradés qui pourraient aussi poser problème pour la période de fin de suivi post-exploitation.
L’évaluation des performances des dispositifs de réinjection reste donc une phase indispensable durant laquelle des outils de mesure vont permettre de localiser les volumes de déchets humidifiés. La SAS « Les Champs Jouault », la société Acome, l’Équipe de Recherche en Physico-Chimie et Biotechnologies de l'Université de Caen Basse Normandie (UCBN) et l’unité Hydrosystèmes et Bioprocédés d’Antony (HBAN) d'Irstea se sont associés afin d’élaborer en commun différentes stratégies expérimentales. L’objectif du projet de recherche né de cette association, est de vérifier in situ le dimensionnement des réseaux de réinjection de lixiviat, et d’élaborer par des tests au laboratoire des stratégies de réinjection pour améliorer la production de biogaz et tout particulièrement de méthane. Le suivi in situ de la répartition, de la quantité et de la nature des lixiviats et des biogaz produits sera un des indicateurs observés. Enfin, le couplage de méthodes de mesure pour représenter et comprendre l’évolution de la température et de la teneur en eau (paramètres clés de la biodégradation) est un enjeu fort de ce projet.
Dispositif et stratégies expérimentales
Le site expérimental
La SAS « Les Champs Jouault » assure la collecte, le transport, le tri, la valorisation, le traitement et l’élimination des déchets non dangereux. Elle est autorisée à traiter un tonnage annuel de 75 000 tonnes (http://www.champs-jouault.com).
Ainsi, la SAS « Les Champs Jouault » exploite depuis avril 2009 l'ISDUND de Cuves (France, 50) et a choisi de mettre en œuvre une gestion de l'ensemble de son installation selon le mode bioréacteur par recirculation de lixiviat. Avec l’augmenta-
tion de la production de biogaz, les responsables de la SAS « Les Champs Jouault » ont souhaité mener une réflexion sur le suivi et l'optimisation de leurs installations et notamment évaluer l’efficacité des dispositifs de recirculation de lixiviat mis en place.
Les casiers de stockage étanches (environ 50 mètres de large pour 100 mètres de long) contiennent entre 10 et 15 mètres de hauteur de déchets. Actuellement, les déchets stockés sont composés d’environ 60 % d'ordures ménagères/tout venant et de 40 % de déchets industriels banals.
Les casiers n° 3 et 4 du site industriel de la SAS « Les Champs Jouault » (cf. figure 2) sont ainsi mobilisés pour être équipés de divers capteurs, sondes et appareils de mesure afin d’en étudier le fonctionnement. Sur ces casiers, des tranchées mixtes de captage du biogaz et de réinjection des lixiviats sont implantées. Ce dispositif correspond à un système de réinjection utilisant un tube perforé horizontal comme celui schématisé sur la figure 1.
Présentation des méthodes de mesure
À ce jour, acquérir une meilleure compréhension des phénomènes bio-physico-chimiques qui surviennent à l’échelle du massif de déchet est une nécessité pour optimiser les processus de biodégradation anaérobie de la MO des déchets et, in fine, pouvoir proposer des méthodes de gestion applicables par les exploitants.
Actuellement, plusieurs méthodes de mesure pour suivre les variations de paramètres tels que l’humidité et la température ont été développées avec succès pour l'étude des ISDUND. Les méthodes de mesures telles que la tomographie de résistivité électrique (ERT pour Electrical Resistivity Tomography en anglais) et les mesures de température par fibre optique en font partie. Toutefois, à ce jour, les exploitants manquent de retour d’expérience et aucune étude de R&D n’avait couplé l'utilisation de plusieurs méthodes à l’échelle du casier afin d’en maximiser les enseignements. Le déploiement des dispositifs d’instrumentation à l’échelle du casier d’ISDUND est présenté ci-dessous (figure 3, 4, 5 et 6) :
L’ensemble des dispositifs installés sur le terrain sont présentés dans la figure 3. Trois niveaux d’installation d’équipement en partant du fond du casier peuvent y être retrouvés :
– 1ᵉʳ niveau : 4 m de déchets stockés, câble de fibre optique Acome ; – 2ᵉ niveau : 9 m de déchets stockés, capteur de température, câble de fibre optique et capteurs TDT ; – 3ᵉ niveau : au sommet des déchets stockés.
Mesure de Tomographie de Résistivité Électrique 3D
Méthode d'investigation géophysique dont le principe réside dans la mesure d'une intensité de courant et d'une différence de potentiel entre différentes électrodes réparties en surface du casier de déchet. Cet outil permet une caractérisation 3D de la distribution de la résistivité électrique. L'injection de lixiviat beaucoup plus conducteur que le déchet moyen génère des contrastes de résistivité électrique qui peuvent être détectés par l’ERT permettant ainsi de localiser les infiltrations.
Il s'agit principalement d’implanter, à la surface du massif de déchets, un réseau de lignes d’électrodes dont l'écartement conditionnera les profondeurs à investiguer. Les électrodes doivent être en contact direct avec un milieu conducteur : les déchets ou la couverture naturelle du site. La seule limite vient de la géomembrane, neutre électriquement, qui s'oppose à la propagation du courant dans le milieu étudié. Dans ce cas, il faut que les électrodes soient implantées sous cette interface ou qu’elles la traversent.
Le suivi à court terme des mesures de résistivité électrique renseigne sur la propagation des lixiviats dans le massif de déchet au cours d'épisodes de réinjection.
Mesure de permittivité diélectrique
Des sondes de mesure (Aquaflex, Nouvelle-Zélande) utilisent la méthode de mesure TDT (Time Domain Transmission) pour relier les variations de la permittivité diélectrique autour de guides d'onde implantés dans le massif de déchets aux variations de la teneur en eau.
Application sur site expérimental
Ces sondes sont localisées à des endroits stratégiques sous les futurs brins de réinjection des lixiviats. Ces capteurs d'une longueur de 3 mètres linéaires sont disposés dans le même lit de sable que les câbles de fibres optiques et les thermistances et reliés à une centrale d'acquisition (Almeno, France) pour permettre une acquisition en continu.
Objectifs
L'implantation de ces sondes a pour but d'envisager, grâce au couplage avec les autres méthodes de mesures, un pilotage des séquences de recirculation des lixiviats. Ce couplage a été étudié à Irstea (test in situ des sondes, essai en laboratoire pour l’étalonnage de ces capteurs) et sera conduit pour la première fois sur un site industriel.
Résultats
Les premiers tests de mesure ERT ont été réalisés courant du mois de mars 2012 et sont présentés dans la figure 7. L'originalité de l'utilisation de ces outils pour cette étude repose sur la complexité à intégrer, dans l'algorithme d’inversion des mesures de la résistivité électrique en éléments finis, la structure complexe du casier de déchet en 3D, avec une topographie de surface et la forme du casier (notamment la position des géomembranes électriquement neutres en fond de casier). Cette approche nécessite une bonne connaissance de la structure du casier. Les premiers résultats montrent une résistivité du casier qui varie entre 1 ohm·m et 250 ohm·m (figure 7) avec :
• un déchet dont la résistivité varie entre 1 et 30 ohm·m, valeur classiquement observée pour les déchets sur site ;
• des zones marquées par un rectangle noir dont la résistivité varie entre 30 et 250 ohm·m qui correspondent au système d'injection de lixiviat très résistif, composé d'une tranchée drainante (granite concassé) et d'un drain perforé (figure 7.2 et 7.3).
La résistivité électrique du déchet est fortement conditionnée par la variation de la teneur en lixiviat. En effet, l’ajout de lixiviat dans le massif de déchet peut faire diminuer de manière significative la valeur de la résistivité électrique de l’ordre de 10 à 40 %. Cet outil nous permettra d’évaluer la propagation du lixiviat dans le massif de déchets lors des futures injections en étudiant la variation de résistivité électrique avant et après une injection de lixiviat. L'analyse de ces résultats permettra de valider et, si nécessaire, de modifier le dimensionnement des prochains systèmes d’injection qui seront installés sur le site.
Grâce à l'implantation des câbles de fibre optique (Acome, France) dans le massif de déchets, il est également possible d’obtenir un très grand nombre de mesures de température sur les deux niveaux d’implantation (4 et 9 mètres de déchets environ). La figure 8 représente ainsi une spatialisation de la température à partir de l'ensemble des points pour lesquels cette dernière a pu être mesurée au niveau 1 (4 mètres de déchets) pendant le mois de juin 2012. À ce niveau la température est :
• comprise entre 40 °C et 57 °C ;
• plus élevée au cœur du casier de stockage de déchets que sur les bords de celui-ci.
Ces informations mettent en évidence des différences de température pouvant dépasser les dix degrés. Ces données sont essentielles pour la compréhension des processus bio-physico-chimiques intervenant pendant la biodégradation des déchets. Par exemple, la croissance de populations microbiennes différentes peut être favorisée en fonction des conditions de température. Deux grandes plages de température sont ainsi considérées comme optimales : conditions dites mésophiles (proches de 37 °C) ou dites thermophiles (proches de 55 °C).
En complément des informations de température spatialisées mesurées par la fibre optique lors du suivi mensuel, les thermistances ponctuelles permettent de suivre l’évolution de la température en continu depuis leurs installations grâce à une centrale d’acquisition restant sur le site. Ainsi, après la fermeture des tranchées dans lesquelles les capteurs ont été installés, il est
Résistivité (Ohm.m)
Il est possible d’observer (cf. figure 9) la phase de montée en température. Lors des dernières mesures, la température atteinte était proche de 56 °C, en parfaite cohérence avec la valeur de température mesurée par la fibre optique à cette abscisse. Cette température relativement élevée traduit l’intensité des processus de biodégradation de la matière organique des déchets. Notamment, lors des premières étapes de la méthanisation en ISDUND, la présence d’oxygène dans le milieu favorise les réactions hydrolytiques fortement exothermiques d’où une rapide montée en température.
Conclusion
Ces premiers résultats obtenus illustrent le succès de l’installation des différents capteurs. En effet, l’une des difficultés majeures de ce projet résidait dans l’installation des capteurs de façon à ce qu’ils puissent résister de manière pérenne aux contraintes mécaniques et chimiques au sein même du massif de déchets (tassements importants, présence de lixiviat et de biogaz, températures élevées, …).
La tomographie de résistivité électrique a montré sa capacité à détecter les brins d’injection et devrait être utilisée dans les mois prochains pour évaluer le système d’injection mis en place.
L’implantation de 1400 mètres de fibres optiques fonctionnelles pour mesurer la température au cœur d’un casier de stockage de déchet est le premier résultat majeur du projet. De plus, les premières mesures de température par fibre optique et par thermistance sont en accord avec un phénomène de biodégradation exothermique d’un déchet lors de son stockage en ISDUND. Cet outil devrait servir dans les mois prochains à évaluer à court terme la propagation du lixiviat au cours d’une injection et à plus long terme permettre de caractériser l’évolution de la température, qui est une résultante des phénomènes de biodégradation. À ce jour, l’instrumentation prévue dans le cadre de ce projet de recherche sur le casier n° 3 est terminée et celle du casier n° 4 sera finalisée avec l’implantation des lignes de résistivité électrique qui est prévue avant la fin de l’année 2012.
À l’heure actuelle, les installations de stockage sont le contributeur majeur à la production de biogaz en France : 71 % de l’énergie primaire produite en France à partir de biogaz est issu des 68 ISD sur 243 qui le valorisent (Ademe 2011). Malgré un contenu des matières entrantes qui s’appauvrit progressivement en matières organiques (Directive Décharge, 1999 et Directive Déchet 2008, Loi Grenelle I et II), les installations actuelles contiennent encore beaucoup de matière organique, ce qui justifie l’intérêt qui leur est porté pour maximiser et valoriser au mieux la production de biogaz au cours des premières années de stockage. Ce projet de recherche cherche ainsi à répondre aux enjeux de la méthanisation en installation de stockage qui visent :
- À l’optimisation de la production de biogaz pour sa valorisation,
- À atteindre un état stabilisé de manière homogène à l’échelle du massif de déchet, afin de limiter les impacts environnementaux et sanitaires et de permettre, à terme, la fin du suivi post-exploitation.
Remerciements : Nous remercions la région Basse-Normandie pour sa participation financière à ce projet de recherche.