La méthanisation des effluents industriels poursuit son développement. Ses atouts sont les suivants : peu de boues produites, un bilan énergétique largement positif, des capacités de traitement impressionnantes, aucune nuisance et une surface d'implantation très réduite.
La digestion anaérobie (ou méthanisation) est la transformation de la matière organique en biogaz, composé principalement de méthane et de gaz carbonique. Elle est réalisée en anaérobiose par une communauté microbienne complexe. Elle se produit naturellement dans les marais, les lacs, les intestins des animaux et de l'homme et de manière générale dans tous les écosystèmes où la matière organique se trouve en condition anaérobie. Le flux de la matière est représenté sur la figure 1.
Le processus de digestion anaérobie a été utilisé pour produire de l’énergie (gaz de fumier pendant la seconde guerre mondiale). Aujourd’hui, il s'est principalement implanté dans notre société comme un outil de dépollution extrêmement intéressant. Le fait que cela soit couplé à une production d'énergie (le méthane) en a augmenté son intérêt. Les conditions de cette réaction biologique sont généralement les suivantes :
• pH de 6,5 à 9 ;• températures : - psychrophiles (5 à 20 °C), - mésophiles (25 à 45 °C), - thermophiles (45 à 65 °C),• potentiel d’oxydoréduction de −300 à −400 mV.
L’optimum pour la mise en œuvre mésophile est 35 °C et 55 °C en thermophile.
La digestion anaérobie génère une croissance lente des micro-organismes. C’est une conséquence de l’anaérobiose, avec une production réduite de boues. Cette méthode a donc été utilisée pour traiter les rejets (les effluents et les déchets) dans les domaines industriels, municipaux et agricoles. De manière générale, la digestion anaérobie s'applique à la matière organique d'origine naturelle (non ligneuse) ou chimique (hors polymères plastiques, résines...). Elle est particulièrement bien adaptée pour traiter des effluents ou des déchets des industries agro-alimentaires. En effet, la matière organique présente est facilement biodégradable, les effluents sont très souvent suffisamment
Tableau 1 : Répartition des digesteurs anaérobie industriel en Europe (Chiffres 2002)
Productions alimentaires : | 371 |
Brasseries, industries de la boisson : | 304 |
Distilleries, fermentations : | 206 |
Papeteries : | 130 |
Industries chimiques : | 61 |
Lixiviats de décharges : | 20 |
Autres : | 70 |
chauds, (ou alors on a souvent des calories disponibles sur l'usine)
Traitement des effluents
L’application de la digestion anaérobie au traitement des effluents s'est fortement développée dans les années 70 et de nombreuses applications industrielles ont vu le jour. Elle a été appliquée aux effluents des industries agro-alimentaires, chimiques, pétrolières, agricoles, et urbaines dans les pays chauds comme le Mexique et le Brésil. La répartition des digesteurs anaérobies traitant des effluents industriels en Europe est reportée sur le tableau 1 (Fruteau et Membrez 2004).
Le traitement anaérobie est donc particulièrement bien adapté aux effluents chargés, et ceux qui contiennent une forte proportion de carbone par rapport à l'azote et au phosphore. Le rapport DCO/N/P se situe dans la gamme des 700/5/1. Parfois, il est nécessaire d’ajouter des compléments nutritionnels pour faire face aux carences des effluents. La digestion anaérobie est souvent complétée par un post-traitement aérobie lorsque l’on veut atteindre des valeurs compatibles avec les rejets en milieu naturel.
Les technologies anaérobies de traitement des effluents
La technologie anaérobie de traitement des effluents est d’une grande diversité. Elle peut mettre en œuvre des systèmes à deux étapes (réacteur d’acidogénèse et de méthanogénèse) ou à une seule étape (toutes les réactions biologiques se font dans un même réacteur).
Elle a été principalement axée sur le maintien de la biomasse dans le digesteur, ce qui lui permet d’atteindre des concentrations en micro-organismes de plusieurs dizaines de grammes.
Cette stratégie a été réalisée par des opérations de recyclage (décanteurs, membranes), ou de rétention via la formation de flocs ou de biofilms (granules, biofilms sur supports fixes ou mobiles). Des exemples de technologies utilisées sont reportés sur les figures 2a, 2b et 2c.
Les technologies mettant en œuvre des boues sous forme de flocs sont représentées sur la figure 2a. Le contact anaérobie est un digesteur agité mécaniquement ou par recirculation du biogaz couplé à un décanteur qui recycle les boues. C'est un digesteur qui peut traiter des effluents chargés en matière en suspension.
La lagune anaérobie est un système extensif couvert par une bâche flottante qui permet de récupérer le biogaz.
Le digesteur à lit de boues est rustique et simple à mettre en œuvre. La production de biogaz et le débit d’alimentation permettent une extension du lit de boues qui est bien séparé avant la sortie du digesteur.
Le digesteur à compartiment est un système à caractère « piston » où l'acidogénèse se réalise dans le premier compartiment. L’alimentation peut être répartie en différents points du digesteur.
Les technologies à biofilms peuvent utiliser des supports fixes ou mobiles.
Les filtres anaérobies ont un garnissage vrac ou orienté qui leur permet de servir de supports pour les biofilms. Les surfaces spécifiques vont environ de 200 à 600 m²/m³. Le flux liquide peut être ascendant ou descendant. Une recirculation permet une homogénéisation et confère un caractère mélangé à ce type de digesteur. Le digesteur hybride est un lit de boues surmonté d'un filtre anaérobie.
Le lit fluidisé a souvent comme support des petites particules minérales ou plastiques, ce qui lui confère des surfaces spécifiques très importantes de plusieurs centaines (voire quelques milliers) de m²/m³ de support. Les lits fluidisés industriels sont à flux ascendant, car les supports utilisés ont des densités supérieures à un.
La propriété des micro-organismes de former des granules est utilisée dans des digesteurs de type Upflow Anaerobic Sludge Blanket (UASB). L’UASB utilise un lit de granules mis en suspension par l'alimentation, le biogaz et par la recirculation si nécessaire. En haut du digesteur, un collecteur de biogaz permet de créer une décantation des particules : des granules qui auraient tendance à partir avec l’effluent.
Le digesteur à recirculation interne utilise la production de biogaz pour créer l'agitation. Le biogaz est collecté (1) et entraîne les granules et le liquide vers un séparateur (3) qui se trouve en haut du digesteur. Le gaz est récupéré et le liquide redescend avec les granules. La sortie du liquide se fait par une seconde chambre (2) puis en (4).
Les charges organiques appliquées aux digesteurs sont extrêmement élevées (de 1 à 40 kg de DCO/m³ de réacteur/jour ou 0,2 à 1 kg de DCO/kg de boues, exprimée en matière sèche). Elles dépendent de la technologie utilisée, de la nature de l’effluent (biodégradabilité), de sa concentration en DCO, de la température de fonctionnement…
Les rendements d’épuration sont aussi importants (70 à 98 % sur la DCO). La production théorique de biogaz à 25 °C est de 760 litres (50 % CH₄ et 50 % CO₂) par kg de DCO éliminée, ce qui se traduit par des valeurs réelles entre 500 et 600 litres de biogaz par kg de DCO éliminée. Le biogaz produit a alors des concentrations allant de 55 à 80 % en méthane. Il peut contenir de l’H₂S, de l'hydrogène… en fonction des conditions de mise en œuvre et de la composition de l’effluent à traiter.
Valorisation du biogaz
Le traitement des eaux industrielles permet non seulement de produire de l’énergie sous forme de méthane, mais aussi d’en économiser en supprimant le transfert d’oxygène du traditionnel système à boues activées. Les équivalences énergétiques de 1 m³ de méthane sont représentées figure 3.
Le devenir du biogaz formé sur site industriel a plusieurs utilisations possibles. Combustion directe dans des chaudières pour faire des calories sous forme d’eau chaude ou de vapeur, ou consommation dans des moteurs à explosion couplés à des générateurs d’électricité. Ceci implique qu'il ne contienne pas de molécules indésirables comme l’H₂S, par exemple, car cela nécessiterait souvent un lavage du biogaz.
Cet aspect énergétique (comme la faible quantité de boues produites) devient un atout de plus en plus important pour le choix de la digestion anaérobie. Il est courant de voir que le biogaz produit par le traitement des effluents d’une industrie agro-alimentaire couvre 10 à 30 % de la totalité des besoins énergétiques de l'usine.
Production de boues
Dans la technique aérobie, le processus biologique qui réalise l’élimination de la pollution organique soluble consiste à utiliser la pollution comme substrat de croissance, et donc à la transformer en micro-organismes (boues). Cette technique produit donc en principe beaucoup de boues.
Dans la digestion anaérobie, le processus biologique consiste à transformer cette matière organique en méthane et gaz carbonique principalement, donc en gaz qui quitte le milieu aqueux. La quantité de micro-organismes issue de la croissance est faible et seule une petite quantité de boues est produite. On peut considérer que l'on produit environ 5 % de la DCO consommée en boues biologiques (à titre de comparaison, les boues activées représentent 20 à 50 % de la DCO consommée).
Exemple d’application dans une petite I.A.A.
La fromagerie d’Entremont le Vieux (Savoie) est située dans le massif de Chartreuse. Cette zone de montagne est riche d'une faune et d'une flore protégées par un Parc Régional.
La coopérative laitière d’Entremont le Vieux traite environ 8 000 litres de lait par jour et produit du fromage. Tous les effluents, lactosérum compris, sont traités dans le digesteur. La répartition des
Tableau 2 : Composition moyenne des effluents de la laiterie d’Entremont le Vieux
Paramètre | Concentration (mg/l) | Charge journalière (kg/j) |
---|---|---|
Débit (m³/j) | — | 34 |
DBO | 11 880 | 404 |
MEST | 550 | 19 |
NTK | 25 | 9 |
Pt | 120 | 4 |
- Poste de relèvement
- dégrillage
- dégraissage
- Stockage et acidogénèse
- Lagunage de finition
- Hydrolyse des graisses (aérobie)
- méthanisation
- effluent
- biogaz
- décantation
- Boues activées
- torchère ou chaudière
Les volumes sont de 20 % de lactosérum et de 80 % d’eaux blanches. C’est l’inverse pour les flux de DCO. La composition moyenne de l’effluent est reportée sur le tableau 2.
Sur la base de 60 g DBO₅/j par E.H., c’est une station qui fait 6 700 EH. Elle est donc soumise à déclaration.
C’est la technique UASB qui a été choisie pour traiter les effluents. Le schéma de l’installation est représenté sur la figure 4. L’effluent subit un pré-traitement qui consiste en un dégrillage fin, un dégraissage (1,3 m³), une hydrolyse des graisses (2 m³) et un stockage qui sert aussi de bassin d’acidification (50 m³).
Le méthaniseur a un volume utile de 40 m³ et fonctionne à une charge volumique de 8 à 10 kg DCO/m³/j pour une température de 20 à 25 °C et un rendement prévu de 80 % sur la DCO. Après mise en route, les performances ont été validées dans ces conditions avec un rendement légèrement supérieur (90 % sur la DCO).
En sortie de méthaniseur, un étage de finition de type boues activées en moyenne charge (5 m³) est suivi d’un décanteur de diamètre 1,6 m et de 2 m de hauteur utile. Cette installation permet d’atteindre un rendement global minimal de 95 % sur la DCO. L’effluent va dans une lagune pour une finition avant rejet dans le milieu naturel.
La quantité nominale de biogaz est de 300 m³/j, ce qui donne 1 500 000 kcal/j de disponible.
Il s’agit d’un simple réacteur mono-étage en inox calorifugé. Le volume de boues granuleuses occupe un peu plus d’un tiers du volume utile total à la base du réacteur, le second tiers est réservé à la zone de décantation des boues lors du flux ascendant et la partie haute est occupée par le séparateur triphasique de forme conique.
Le réacteur est équipé d’une régulation hydraulique indépendante du débit traversier de façon à maintenir une charge hydraulique stable et donc une bonne décantation et formation des granules. Un ajout régulé de nutriments (principalement azote) est possible et un appoint de soude permet si besoin de réguler le pH.
La température n’étant pas régulée, tout le biogaz est récupéré dans une chaudière spécifique de 40 kW destinée au chauffage d’appoint des locaux industriels.
L’intérêt de cette installation est :
- • Une forte compacité, donc faible surface occupée au sol.
- • Aucun impact environnemental (le biogaz est brûlé et toutes les autres sources d’odeurs sont traitées par filtre à charbon actif).
- • Aucun sous-produit d’épuration : les boues sont épandues, les graisses hydrolysées et dégradées dans l’étage de finition aérobie, et le refus de dégrillage (morceaux de fromage) est renvoyé en filière alimentation animale (il est prévu de récupérer le biogaz pour faire de l’eau chaude).
- • Cette technologie anaérobie présente une fiabilité de rendement du double étage biologique (anaérobie + aérobie) face aux fluctuations de charges possibles en sortie d’usine.
- • Elle a un faible coût d’exploitation (en comparaison à une filière uniquement aérobie).
- • On a une valorisation du biogaz.
- • La très faible production de boues (0,05 kg MVS/kg DCO éliminé) est un atout important.
À ce stade, c’est une station évolutive. En cas d’augmentation de l’activité de production industrielle, une simple montée en température du réacteur anaérobie à 37 °C permettrait de doubler la capacité de l’installation sans toucher au volume biologique.
Références bibliographiques
- • Fruteau H., Membrez Y. (2004), Énergie à partir de petit-lait : comparaison des filières biogaz et bioéthanol. Rapport de EREP SA, Chemin du Coteau 28, 1123 Aclens, Suisse.
- • Moletta R. (2002), Gestion des problèmes environnementaux dans les industries agroalimentaires. R. Moletta (éd.). Tec & Doc Lavoisier.