Your browser does not support JavaScript!

La méthanisation des eaux résiduaires

30 mai 1985 Paru dans le N°92 à la page 49 ( mots)
Rédigé par : A. HASENBÖHLER

Les industries agro-alimentaires et celles qui leur sont apparentées produisent des eaux résiduaires fortement chargées en matières organiques, lesquelles, en raison de leur contenu facilement dégradable, exigent une stabilisation, c’est-à-dire un traitement biologique. Ces eaux sont, encore aujourd’hui, souvent traitées dans des installations aérobies à boues activées nécessitant des frais d’énergie importants. La part de ceux-ci, en augmentation croissante dans les coûts d’exploitation des entreprises, dont les besoins en énergie sont déjà très élevés, et d’autre part l’intervention de taxes sur l’évacuation et le traitement des eaux usées, ont amené à repenser le traitement de ces eaux résiduaires et à adopter l’épuration anaérobie. Plutôt que de subir un traitement aérobie très coûteux, elles peuvent ainsi être prétraitées de façon économique, soit en récupérant de l’énergie sous forme de biogaz, soit en produisant du méthane dans des installations adaptées à la nature propre des entreprises intéressées.

Les avantages du traitement anaérobie, comparés au système aérobie activé, sont les suivants, outre la production de gaz :

  • — haut degré de stabilisation des substances organiques contenues dans des effluents fortement chargés ;
  • — faible volume et bonne déshydratation des boues stabilisées résiduelles ;
  • — faible demande de substances nutritives (notamment azote et phosphore) ;
  • — faible consommation d’énergie primaire ;
  • — maintien en activité des boues aérobies pendant plusieurs semaines, sans adjonction de substrat ;
  • — fonctionnement en installation fermée sans mauvaises odeurs.

Il faut noter que les systèmes anaérobies constituent en fait un prétraitement et que, pour atteindre des valeurs de rejet admissibles, une épuration finale aérobie est néanmoins indispensable. Ils sont particulièrement indiqués pour traiter les effluents fortement chargés en matières organiques tels que ceux provenant de la production industrielle de nombreuses denrées alimentaires, de leur utilisation ou de la mise en œuvre de divers procédés techniques.

Les études poussées, menées ces dernières années, ont conduit au développement de nouveaux traitements par voie anaérobie dans l’industrie de l’épuration des eaux. De même, l’état des connaissances sur les procédés de base biologiques utilisés dans la technique anaérobie a connu un élargissement remarquable pendant la même période, en rapport avec une technique améliorée de retenue des boues, ce qui a entraîné une forte augmentation de rendement d’un processus très stable. Les réacteurs peuvent ainsi être simplifiés et leur volume fortement diminué, ce qui conduit à une réduction importante des investissements (figure 1).

[Photo : Méthanisation des eaux résiduaires d’une sucrerie]

Biologie anaérobie

Dans ces conditions anaérobies, la teneur des eaux usées en matières organiques sera transformée par différents groupes de bactéries en biogaz riche en énergie, et cela avec apport d’une quantité peu importante de boues excédentaires (figure 2).

Dans la pratique, les réactions d’hydrolyse et d’acidification se produisent simultanément dans le même réacteur avec des acétogènes méthanogènes. La conduite des opérations se base surtout sur des données empiriques, et la surveillance se limite en général au contrôle du pH et de la production de méthane. Les perturbations sont en majeure partie dues à la méconnaissance de la théorie du mécanisme de fermentation et sont en outre attribuables au fait que celui-ci se passe dans un réacteur. Il en résulte nécessairement plusieurs désavantages :

  • - les différentes actions biochimiques se déroulent dans des conditions d’exploitation identiques, de telle façon que tôt ou tard une dissemblance apparaît entre les réactions isolées. La phase la plus déli-
[Photo : Fig. 2. – Schéma du processus de transformation anaérobie de substrat de polymères (avec représentation hypothétique de la syntropie et de son interaction).]

Cette étape, celle conduisant à la production de méthane, est ainsi soumise aux résultats incontrôlables et rapidement évolutifs de la phase précédente, ce qui peut conduire à l’enrichissement de métabolites intermédiaires, tels que acides gras volatiles, ammonium, etc., amenant la production de méthane à s’interrompre à partir d’une concentration suffisamment élevée, soit par inhibition indirecte des bactéries productrices de méthane, soit par changement d’autres conditions de culture, et en particulier du pH ;

— il est difficile de protéger le processus contre de possibles attaques toxiques de l’eau brute affluente : un tel choc peut arrêter toute l’opération dont le redémarrage demande alors plusieurs semaines ;

— le traitement peut subir des surcharges et des fluctuations organiques et hydrauliques, ce qui conduit à une perte d’efficacité trop importante.

Des études récentes ont montré que le développement régulier du traitement d’effluents fortement chargés n’est possible que si la réaction globale, effectuée dans des réacteurs séparés, est répartie sur deux phases (figure 3).

La première étape fait alors fonction de réservoir de conditionnement et de contrôle biologique (biological conditioning/control vessel, appelé en abrégé BCCV) et sert de façon optimale et constante à l’alimentation de l’étape de méthanisation.

La conception de notre système biphasique consiste en une phase d’hydrolyse et d’acidification dirigée vers des produits intermédiaires déterminés, de façon à ce que la deuxième phase (ou phase méthanogène) puisse s’effectuer de façon optimale avec un maximum de production de gaz.

Le réacteur de conditionnement et de contrôle biologique

La méthode utilisée dans la première étape se résume succinctement de la façon suivante :

Conditionnement :

  • Liquéfaction et hydrolyse dans des conditions optimales.
  • Production d’acides gras, d’acide lactique, d’éthanol, sous des conditions spécifiques de processus, en vue de maximaliser la production de métabolites désirée.
  • Utilisation de l’eau brute aussi bien comme tampon hydraulique que comme moyen de concentration.
  • Addition éventuelle de matières nutritives.
  • Élimination de H₂S, NO₂, NO₃ et ammonium.

Régulation

  • pH, température, HRT et régulation des matières en suspension.

Selon la qualité de l’eau usée, un ou plusieurs de ces procédés sont nécessaires. Du point de vue de la conception, un BCCV se compose d’un réacteur fermé avec agitateur, qui peut être complété à sa sortie par un précipitateur de boue (séparateur lamellaire) pour le recyclage partiel ou complet des boues.

Réacteur à méthane

La phase de méthanisation se compose d’un réacteur et d’un système extérieur de retenue des boues ou du système de recirculation. Le modèle de base est établi sur le principe UASB (Upflow anaerobic sludge blanket). Pour la séparation des boues, nous utilisons notre filtre à boules flottantes.

[Photo : Fig. 3. – Schéma d’une installation anaérobie biphasique Sulzer. 1. Entrée de l’eau brute. – 2. Échangeur de chaleur. – 3. BCCV. – 4. Séparateur de matières solides. – 5. Réacteur à méthane. – 6. Filtre à boules flottantes. – 7. Écoulement. – 8. Unité de dosage. – 9. Unité pH. – 10. Boue excédentaire. – 11. Pompe. – 12. Agitateur. – 13. Gaz libre de CH₄. – 14. Épuration du gaz. – 15. Torche. – 16. Gazomètre. – 17. Biogaz.]

L'écoulement conditionné du BCCV est conduit par un système de distribution intégré dans le réacteur à méthane à travers le lit de boues. Le biogaz qui se forme dans celui-ci produit le long de son trajet jusqu'à la surface liquide un effet de mélange très efficace, en rendant inutile l'emploi d'un agitateur ou l'appel à de l'énergie extérieure.

Variantes du processus

En principe, le traitement s'effectue en une ou deux phases, deux possibilités s'offrant pour le mode biphasique :

  • — la première phase d'hydrolyse et d'acidification s'opère dans un BCCV sous des conditions contrôlées ;
  • — la deuxième est utilisée lorsque les matières organiques, déjà acidifiées dans une large mesure, doivent être soumises à une acidification complémentaire qui s'effectue alors spontanément dans un bassin-tampon de gros volume ou dans une lagune.

Types de réacteurs

Le type de réacteur le plus indiqué est du modèle UASB comportant un filtre à boules flottantes pour la retenue des boues. Avec des eaux usées déterminées on a ainsi pu constater l'intérêt qu'offre l'utilisation d'un réacteur à méthane agité, suivi d'un séparateur lamellaire et/ou d'un filtre à boules flottantes.

En fonction de la nature des eaux usées à traiter, il est nécessaire en tout état de cause de procéder à des études approfondies, afin de choisir le processus optimum à adopter et le type de réacteur à utiliser. Des essais-pilotes sur place sont souvent indispensables (figure 4).

Pour traiter des eaux acidifiées, un BCCV n'est pas nécessaire, car la première phase est déjà accomplie. Il s'agira tout de même d'un processus à deux phases, avec la différence que la première phase se déroulera de façon non contrôlée.

Utilisation de l'énergie

Il est souhaitable sur le plan économique que le biogaz, riche en énergie, puisse être utilisé sur le lieu même de sa production ou comme substitution dans des chaufferies, moteurs à gaz, ou turbines pour couplage chaleur-force, le choix étant largement dépendant des données spécifiques de l'exploitation. La consommation du gaz devrait être égale à sa production, afin d'en limiter les frais de stockage.

[Photo : Installation pilote pour l'expérimentation de la récupération des eaux résiduaires d'une distillerie de whisky en Écosse.]

Ce sont donc les eaux résiduaires provenant d'industries agro-alimentaires qui sont surtout utilisables dans les installations anaérobies, en particulier dans celles qui résultent de la fabrication et du traitement des produits ci-après : sucre, saccharine, amidon, pommes de terre, pectine, légumes, conserves, graisse, margarine, huiles comestibles, viande, poisson, malt, bière, vin, spiritueux, boissons non alcoolisées, lait, produits laitiers, produits de fermentation (alcool, SCP, enzymes, antibiotiques, acide acétique, acide glucolique, acide citrique, acides aminés, vitamines, constituants pharmaceutiques), cellulose et autres produits naturels.

* * *

Une nouvelle voie est donc ouverte dans le domaine du traitement des effluents produits par ces industries particulièrement polluantes qui posent encore de nombreux problèmes pour leur évacuation dans le milieu naturel. Procédé économique et adaptable de façon souple, la méthanisation devrait permettre, après études et essais approfondis, de les résoudre dans de nombreux cas.

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements