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La méthanisation d'effluents de l'industrie papetière en réacteur Anaflux

30 juillet 1991 Paru dans le N°147 à la page 39 ( mots)
Rédigé par : Claude DELPORTE

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[Photo : Réacteur de méthanisation. Lit fluidisé Anaflux.]

Les usines de fabrication de papier pour carton ondulé produisent des papiers « cannelure » et « couverture » destinés ensuite à la fabrication dans d'autres unités de transformation de caisses en carton ondulé pour emballages. Ces usines utilisent comme matière première des papiers de récupération dont la qualité est de plus en plus médiocre et qui comportent dans leur composition de plus en plus de charges et d’adjuvants, ce qui conduit à une utilisation accrue d’amidon dans la fabrication, avec une répercussion directe sur la charge polluante de l'usine.

L'usine Allard d’Aubigné-Racan (Sarthe) produit ainsi, à partir de vieux papiers de récupération, du papier pour carton ondulé (couverture et cannelure), destiné à ses deux usines de transformation de Brive et de Compiègne. Avant la transformation de la station, les eaux résiduaires (6 000 m³/j) correspondant à une production de 250 t/j étaient traitées par floculation-décantation. Les boues retenues dans le décanteur étaient remises dans le circuit de fabrication ; il en était de même des effluents traités dans la limite de 75 %.

La charge polluante rejetée, objet du traitement (1 500 m³/j, soit 6 m³ à la tonne de papier) était de 2 250 kg/j, exprimée en DBO5, et de 4 500 kg/j exprimée en DCO, avec des pointes pouvant atteindre 6 à 7 000 kg/j.

Le clarifloculateur permettait alors de ramener aux normes fixées le taux de matières en suspension, mais ce traitement primaire se révélait insuffisant, les matières oxydables dépassant largement 1 500 mg/l pour la DBO5 et 3 000 mg/l en DCO ; de plus, une augmentation graduelle de la capacité — passant de 200 à 250, puis bientôt à 300 tonnes/jour — exigeait la mise en place d'un système plus performant.

Des solutions existaient, mais elles coûtaient très cher et n’étaient pas simples à mettre en œuvre, comportant, d’une part, la fermeture des circuits et, d’autre part, un traitement par voie biologique aérobie.

Le traitement par voie biologique anaérobie se présentait comme une troisième voie moins coûteuse que les précédentes, permettant à la fois de répondre aux contraintes de la réglementation antipollution, de présenter un coût d’exploitation beaucoup plus faible avec, en outre, un gain énergétique dû à la production de méthane, un dernier avantage (qui n’est pas le moindre) étant que le traitement biologique anaérobie génère beaucoup moins de boues qu'un traitement aérobie classique.

C’est le caractère économique du traitement anaérobie qui joua un rôle décisif dans le choix opéré par la papeterie Allard. À l’issue des essais pilotes, menés conjointement par le Ministère de l'Environnement, le CTP et l’IRCHA, montrant que l’épuration biologique était bien adaptée à ces rejets, le choix s’est en effet porté sur le procédé Anaflux conçu par la société Degrémont et dont le système de méthanisation utilise le principe du lit fluidisé sur matériau granulaire.

Le processus de méthanisation

La fermentation méthanique permet de réduire la pollution carbonée (DCO et

[Photo : Fig. 1 – Réactions biochimiques mises en jeu dans la méthanisation (d’après Thauer et coll., 1977).]

DBO5) des eaux résiduaires, tout en produisant de l’énergie sous forme de biogaz (CH₄ et CO₂). Les performances les plus intéressantes sont obtenues pour des températures voisines de 35 °C, correspondant à la température optimale à respecter pour favoriser le développement des bactéries méthanigènes en digestion anaérobie mésophile suivant les deux phases reportées sur la figure 1, qui correspondent aux réactions suivantes :

— en acétogenèse :

propionate + 3 H₂O → acétate + 3 H₂ + HCO₃⁻ + H⁺
butyrate + 2 H₂O → 2 acétate + 2 H₂ + H⁺
lactate + 2 H₂O → acétate + 2 H₂ + HCO₃⁻ + H⁺

— en méthanogenèse :

CH₃COO⁻ + H₂O → CH₄ + HCO₃⁻
HCO₃⁻ + 4 H₂ + H⁺ → CH₄ + 3 H₂O
4 CH₃OH → 3 CH₄ + HCO₃⁻ + H⁺ + H₂O

La mise en œuvre

La société Degrémont a été conduite à développer quatre procédés de méthanisation qui permettent d’optimiser le traitement de tout effluent méthanisable, en fonction de sa nature, soit en culture libre soit en culture fixée :

Culture libre :

  • « par contact : procédé Analift
  • « par lit de boues : procédé Anapulse

Culture fixée :

  • « par lit fixe : procédé Anafiz
  • « par lit fluidisé : procédé Anaflux

Leur choix et leurs modalités de mise en œuvre sont fonction des caractéristiques de l’effluent et des essais préalables de traitabilité.

Le procédé Anaflux

Ce procédé utilisant les cultures fixées sur support mobile convient particulièrement aux eaux résiduaires peu ou moyennement concentrées, comme celles de la papeterie Allard. Les fortes charges volumiques appliquées entraînent des temps de séjour relativement courts dans le réacteur.

Les avantages du procédé sont nombreux ; on relève notamment :

  • « l’absence de risques de colmatage du matériau support,
  • « la rapidité de démarrage,
  • « son faible encombrement,
  • « l’absence de risques de lessivage de la biomasse,
  • « les grandes possibilités de variation du débit (dans la limite de la vitesse de fluidisation).

L’appareil, basé sur le principe du lit fluidisé, est constitué d’une zone réactionnelle dans laquelle l’eau à épurer traverse une masse de matériau granulaire mis en expansion par le courant ascendant du liquide à traiter.

Le matériau minéral utilisé, appelé Biolite, a été choisi pour ses caractéristiques propres :

  • « structure poreuse à très forte surface spécifique,
  • « faible masse volumique,
  • « résistance à l’attrition,
  • « conditions de fabrication strictement contrôlées.

Les bactéries s’y développent en formant un biofilm de 50 à 150 microns d’épaisseur, ce qui est facilité par le fait que ce type de réacteur permet de concentrer de fortes populations bactériennes actives et d’accepter les charges volumiques les plus élevées (30 à 60 kg DCO/m³ de masse active/j).

La concentration de la biomasse fixée peut atteindre 40 à 50 kg de matières sèches par m³ de matériau expansé ; la faible épaisseur du biofilm implique que la quasi-totalité de la biomasse participe à l’épuration biologique et permet ainsi de réduire fortement la charge massique appliquée (kg DCO/kg de matières sèches/j) et d’obtenir des rendements d’élimination élevés (70 à 85 % sur la DCO).

La colonisation progressive du matériau est contrôlée pour éviter un allégement excessif et permettre l’extraction des boues en excès. La fluidisation du matériau impose généralement un recyclage de l’effluent. Un séparateur triphasique permet de récupérer la Biolite qui pourrait être entraînée et de la recycler par l’intermédiaire d’une pompe (figure 2).

La station industrielle

L’installation réalisée à l’usine d’Aubigné-Racan comporte (figure 3) :

  • « une zone-tampon annulaire d’acidification d’un volume de 1500 m³, obtenue par modification du décanteur existant ;
  • « une zone de neutralisation permettant de réguler le pH et d’ajouter l’azote et le phosphore indispensables pour la biologie ;
  • « un dispositif de chauffage, comprenant un échangeur primaire permettant de récupérer les calories disponibles dans l’eau traitée, et un échangeur secondaire alimenté par la vapeur produite dans une chaudière par le biogaz provenant de l’Anaflux ;
  • « le réacteur de méthanisation, constitué par une enceinte calorifugée d’un diamètre de 4 m et d’une hauteur totale …

Tableau I

Résultats d’analyses (mg/l)

Points de prélèvements DCO MeS
Entrée station 5 970 1 350
Entrée Anaflux 3 250 200
Sortie station 585 50
[Photo : Schéma du réacteur Anaflux. 1. Eau brute. 2. Eau traitée. 3. Pompe de fluidisation. 4. Recirculation de Biolite. 5. Sortie du gaz.]
[Photo : Schéma de principe de l’installation.]

de 17,2 m, chargé de biolite. La charge volumique appliquée est de 35 kg DCO/m³ de masse active/j (représentant une charge de 22 kg DCO par rapport au volume liquide total), pour obtenir un rendement d’élimination de la DCO de 75 % à 80 % ;

• un clarificateur final de 10 m de diamètre, précédé d’une zone de dégazage, permettant d’assurer une concentration en matières en suspension dans l’eau épurée inférieure à 80 mg/l.

L’ensemble du circuit comporte, outre les organes de sécurité (arrêt-flamme, soupapes, dévésiculeur), une chaudière de production de vapeur à 13 bars, un stockage de gaz de 40 m³, ainsi qu'une torchère de sécurité.

La faible quantité de boues produite est déshydratée sur une unité GD-presse qui permet l’obtention d’une boue pelletable.

La supervision et la conduite de la station sont assurées par un système monoposte installé sur un micro-ordinateur Zenith (compatible IBM).

L’Anaflux et ses performances

L’installation, dimensionnée pour traiter 4 500 kg de DCO par jour pour un volume de 1 500 m³, reçoit des pointes de pollution pouvant atteindre 6 000 à 7 000 kg de DCO sur des périodes de plusieurs jours.

Les fluctuations perturbent relativement peu les rendements d’élimination de la DCO qui restent supérieurs à 75 % (tableau I) ; lors de ces pointes de pollution, la production de biogaz dépasse largement les 1 350 m³/j prévus, pour atteindre plus de 2 000 m³/j.

Conclusion

Particulièrement économique par rapport aux traitements aérobies classiques, le procédé Anaflux de cultures fixées par lit fluidisé se distingue par sa compacité, sa souplesse d’utilisation et sa capacité d’assurer des performances d’épuration élevées, en DBO et DCO. Il est également adapté aux effluents des industries agro-alimentaires (brasseries, sucreries, laiteries, etc.), ainsi qu’aux effluents des industries chimiques ou pharmaceutiques.

Cette technologie a maintenant fait ses preuves, comme en témoignent les réalisations suivantes :

• brasserie d’El Aguila (5 réacteurs) (Espagne) ;

• boissons gazeuses Coca Cola (1 réacteur) (Zone industrielle de Bergues — 59) ;

• amidonnerie glucoserie Céréstar (2 réacteurs) Haubourdin (59) ;

• cave coopérative de Canet (1 réacteur) sur les effluents de fabrication de sucre de raisin à partir des moûts (34).

La Société Allard, qui fait figure de précurseur en matière d’environnement, a reçu le 24 avril 1990 le premier prix au concours national « Entreprise et Environnement », pour la réalisation de cette station d’épuration biologique.

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