Des essais réalisés pendant environ un an (1984-85) sur un pilote industriel de 20 m³, implanté sur site, ont permis de prouver la faisabilité de la méthanisation de tels effluents. Au vu de ces résultats, une unité industrielle dimensionnée pour traiter 350 m³/jour d’effluent (soit une pollution globale de 16 tonnes/jour de DCO) a été réalisée à Cuise-la-Motte (Oise). Cette unité, qui fonctionne depuis deux ans et demi, a prouvé l’adéquation du procédé à ce type d’effluent.
Application de la méthanisation à l'industrie chimique
La figure 1 évoque les différentes phases du processus de méthanisation : elle fait ressortir que les acides carboxyliques à courte chaîne (acétate, propionate, butyrate) sont des substrats naturels des bactéries présentes dans les digesteurs. Ces composés peuvent donc être traités sans problèmes par méthanisation lorsqu’ils sont présents dans l’effluent. Il en est de même pour l'acide formique et d'autres acides organiques tels le glutamate et le fumarate ; certains alcools, en particulier le méthanol et l’éthanol, sont également des substrats de la biomasse des digesteurs. Des eaux résiduaires contenant du crotonaldéhyde, du formaldéhyde, des glycols, des phénols peuvent aussi être traitées par méthanisation.
* Procédé breveté SGN.
Les principales réactions biochimiques mises en jeu dans la méthanisation sont représentées sur la figure 1.
- • Phase I : Hydrolyse et acidogénèse par bactéries hydrolytiques et fermentatives.
- • Phase II : Acétogénèse par bactéries acétogènes.
- • Phase III : Méthanogénèse par bactéries méthanogènes acétoclastes (IIIa) et hydrogénophiles (IIIb).
Lorsque les eaux résiduaires contiennent essentiellement des composés organiques simples, l’étape cinétiquement limitante de l'ensemble du processus est constituée par la phase IIIa de dégradation de l'acide acétique en méthane du fait du faible taux de croissance des bactéries méthanogènes acétoclastes.
Minéralisation et toxicité des effluents chimiques
Minéralisation
Les eaux résiduaires industrielles de ces industries se distinguent des substrats « classiques » agricoles et alimentaires par leur absence souvent complète d'ions minéraux (condensats de pétrochimie, de carbochimie, eaux désionisées, etc.). Ce phénomène pose un double problème pour leur méthanisation :
- • les bactéries méthanogènes ont des exigences nutritionnelles précises en certains éléments minéraux (nickel, cobalt, fer, etc.). Les progrès récents dans la connaissance de la biochimie et de la microbiologie de la méthanisation permettent dorénavant de qualifier et de quantifier précisément ces besoins. Il convient donc, en plus des ajouts usuels d'azote et de phosphore, de complémenter l'effluent à traiter avec ces éléments indispensables ;
- • certains condensats acides concentrés doivent être complémentés en agents alcalins (chaux, soude, etc.) afin de permettre dans le bioréacteur le maintien d'une zone tampon autour du pH optimum voisin de la neutralité. Le recyclage assuré en continu dans le procédé permet d’ailleurs de minimiser cette alcalinisation de l’effluent par recirculation d’éléments tampons biologiques.
Toxicité des effluents
Il est rare de trouver des eaux résiduaires industrielles dépourvues d'éléments toxiques (désinfectants, métaux).
[Photo : Fig. 1 – Réactions biochimiques mises en jeu dans la méthanisation]
[Photo : Bactéries anaérobies (Méthanothrix et Méthanosarcina).]
[Photo : L’unité de méthanisation de Cuise-la-Motte (Oise).]
lourds, solvants, etc.), cependant, les bactéries méthanogènes sont capables de s’adapter à certains toxiques après un temps d’acclimatation, sans chute notable de leurs performances épuratoires. Dans le cas d’expositions temporaires à des doses élevées, la toxicité est souvent réversible dans un laps de temps allant de quelques heures à quelques jours.
Dans le cas des effluents de la SFH, la complémentation minérale et la toxicité ont été résolues à l’échelle du pilote et n’ont pas posé de problèmes majeurs depuis le démarrage de l’installation.
La méthanisation à biomasse fixée
Les procédés performants, à faible temps de séjour hydraulique nécessitent une rétention de cette biomasse dans les réacteurs. Celle-ci peut s’obtenir, par exemple, par fixation des bactéries actives sur support inerte, encore appelée technologie à biomasse fixée. Cette technologie développée à l’origine dans le domaine des effluents de distillerie a été adaptée pour le traitement des effluents d’origine chimique, solution qui permet de fonctionner à un pH proche de la neutralité, par suite de la consommation immédiate des acides gras par les méthanogènes.
[Photo : Schéma de principe.]
Le flux descendant présente de nombreux avantages, en particulier d’éviter au maximum la formation de mousse par arrosage continu de la surface. Par ailleurs, cette technique permet une répartition uniforme et facile de l’alimentation, ce qui conduit à une distribution bien répartie dans tout le volume du digesteur. Le recyclage liquide continu et l'expansion séquentielle du média plastique par un contrecourant de biogaz permettent un contrôle strict du développement de la biomasse dans le digesteur et conduisent ainsi à la maîtrise de l'activité biologique.
L’effluent traité est extrait du digesteur au travers d’un déversoir et d’une garde hydraulique. Cette opération permet de maintenir un niveau constant dans le digesteur et d’assurer l’étanchéité au gaz.
L’unité
L’unité de méthanisation (figure 3) est implantée sur le site de la Société Française Hoechst. Les effluents d’origine chimique ont les caractéristiques suivantes :
• pH : 1 à 2
• DCO soluble : 45 à 48 g/l (sous forme d’acides à courte chaîne)
• Salinité : 0
• MES : 0
• Température : 20 °C
L’unité industrielle est dimensionnée pour traiter 16 000 kg de DCO par jour, pour un volume d’effluent de 335 à 355 m³ par jour, soit 5 280 tonnes de DCO/an.
Les principales caractéristiques de l’unité sont les suivantes :
• Volume liquide du digesteur : 1 900 m³
• Rendement d’épuration : 90 % minimum sur la DCO soluble
• Production de méthane : 0,35 Nm³ par kg de DCO éliminée
Afin d’assurer la bonne marche de l’installation, il a été prévu :
• d’effectuer en continu une analyse par chromatographie des toxiques contenus dans les effluents avant méthanisation ;
• d’effectuer en continu une mesure de pH sur le recyclage des effluents.
Le biogaz est récupéré et utilisé directement, sans traitement, dans une chaudière existante. L’effluent méthanisé est envoyé dans la station existante de traitement aérobie.
Conclusion
Par sa simplicité d’exploitation, sa capacité, ses performances et son économie, le procédé de méthanisation à culture fixée représente une solution innovatrice pour le traitement de certains effluents de l’industrie chimique. Outre la production d’énergie (biogaz) et les économies de consommation énergétique, il permet une réduction significative de la production de boues ainsi que des coûts de traitement associés.
Cette technologie d’épuration particulièrement efficace semble donc promise à un bel avenir dans le traitement des effluents des industries chimiques et parachimiques.