La pollution mesurée par la DBO5 est essentiellement constituée de carbone organique. Jusqu’ici, la réduction de cette pollution s’est faite principalement en détruisant ce carbone par voie aérobie, opération qui consomme de l’énergie alors que le carbone constitue une source d’énergie. Quelques tentatives ont été faites pour récupérer cette énergie par concentration thermique et incinération, mais le bilan reste le plus souvent très déficitaire.
La méthanisation apporte aujourd’hui une solution particulièrement intéressante à ce problème en permettant tout à la fois de dépolluer à des taux élevés et de produire de l’énergie. Elle a été appliquée avec succès depuis des décennies à la stabilisation des boues biologiques et plus récemment au traitement des fumiers et lisiers animaux. Ces substrats, par leur forte concentration en matières, permettent d’utiliser des fermenteurs homogènes, en un ou deux étages, avec une bonne efficacité, mais avec un temps de séjour supérieur à 15 jours, ce qui conduit à des installations très volumineuses.
En effet, le faible taux de croissance des micro-organismes anaérobies présente l’avantage d’une production de boues quatre à cinq fois inférieure à celle de l’épuration aérobie, mais il a l’inconvénient de ne conduire qu’à une faible concentration de biomasse. Pour réduire ce temps de séjour, il est nécessaire de disposer, dans le fermenteur, d’une concentration importante de biomasse. Certaines améliorations ont permis une augmentation de cette concentration, soit en recyclant dans le fermenteur les boues séparées dans un décanteur situé en aval (procédé contact-méthanisation), soit en décantant la biomasse dans le fermenteur lui-même (procédé up-flow). Mais d’une part, la séparation de ces boues chargées de gaz n’est pas aisée et d’autre part, la décantation dans le fermenteur, nécessairement lente, est incompatible avec l’agitation indispensable à une bonne efficacité.
LA TECHNOLOGIE SGN
Aussi, l’idée de maintenir la matière active dans le fermenteur par fixation sur un support a-t-elle germé il y a quelques années, et conduisit la société — qui avait acquis plus de dix années d’expérience dans ces technologies utilisées en aérobie — à s’intéresser de très près au fermenteur à film fixé.
Sa technologie, brevetée, utilise un média plastique en PVC, matériau dont elle a l’expérience depuis de nombreuses années dans les filtres bactériens. Ce matériau en vrac, maintenu en suspension, évite tout risque de bouchage même avec des produits relativement chargés et présente une grande surface spécifique (230 m²/m³).
Le procédé mono-étage à flot tombant utilisé présente de nombreux avantages :
- — simplicité de fonctionnement et d’exploitation,
- — agitation maximum due au contre-courant gaz-liquide,
- — recyclage permanent des boues libres avec la possibilité d’extraire à volonté celles qui sont en excès,
- — répartition homogène du flux permettant d’utiliser tout le volume du fermenteur,
- — élimination des risques de croûtage et de moussage.
Dès 1979, une expérimentation a été conduite en collaboration avec la station de biologie végétale de l’INRA à Narbonne. Les performances obtenues (6 m³ de biogaz/m³ de fermenteur et par jour avec une épuration de plus de 90 % de la DCO sur effluents de distillerie de vin blanc) nous ont conduits, dès 1980, à envisager la construction d’une unité de démonstration industrielle, de manière à confirmer les résultats de l’expérimentation, à définir les conditions optimales d’exploitation, la fiabilité du système ainsi que les coûts d’investissement de fonctionnement.
DOMAINES D’APPLICATION
Distilleries vinicoles
La première unité industrielle de démonstration a été installée à la Société Interprofessionnelle de l’Armagnac à Condom (S.I.A.), avec le soutien financier de l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Énergie (A.F.M.E.). La S.I.A. traitait auparavant par évaporation 50 000 m³/an de vinasses de vin blanc détartrées présentant une DCO moyenne de 25 000 mg/l, provenant de plusieurs distilleries d’armagnac.
L'installation comprenait les équipements suivants :
- cuve de mise en température et régulation de pH,
- fermenteur calorifugé de 20 m³,
- décanteur,
- lit bactérien,
- traitement du biogaz,
- stockage de gaz de 5 m³,
- groupe électrogène fonctionnant au biogaz (avec récupération de calories),
- automate programmable pour la régulation et l'enregistrement des données (150 000 données sur une campagne),
- échantillonnage automatique et mesure en continu des débits, pH, volumes de gaz et pourcentages CH₄ et CO₂.
Mise en service en janvier 1982, l'unité a fonctionné durant deux campagnes de distilleries, ce qui a permis de tester le redémarrage après plusieurs mois d'arrêt.
Les résultats obtenus à partir de vinasses de vin, seules ou en mélange avec des vinasses de lies peuvent être résumés ainsi :
- charge volumique appliquée : 13 à 18 kg DCO/m³/j
Épuration :
- sur la DCO soluble : 85 à 92 % avec épuration complémentaire : 98 %
- sur la DBO₅ soluble : > 92 % avec épuration complémentaire : 98 %
Production de biogaz :
- en moyenne : 8 m³/m³ de fermenteur/jour
- contenant : 60 à 70 % de méthane soit 0,35 m³ de méthane par kg de DCO éliminée
- teneur en H₂S après traitement : négligeable
- production de boues : 0,05 kg DCO éliminée
L'unité de Revico
Revico traite les effluents d’environ 180 distilleries de la région de Cognac. Construite en 1972, l’usine utilisait un procédé de distillation multi-effets avec production et vente de tartrates de calcium, et récupération de calories par incinération des résidus. Particulièrement économique en 1972 avec les techniques de l'époque, l’usine ne l’est plus aujourd’hui après l’augmentation des prix de l’énergie et l'avènement de la technologie moderne de méthanisation. Convaincu par les résultats de l’unité de démonstration de Condom, le regroupement Revico qui réunit entre autres les sociétés Martell, Hennessy, Courvoisier, etc., a donc décidé de remplacer l’actuelle évaporation par une unité de méthanisation SGN.
L'unité en cours de construction permettra le traitement de 80 tonnes/jour de DCO brute dont plus de 66 tonnes de DCO soluble, composées de vinasses de vin et de lies.
L'unité comprend :
- un fermenteur de 6 000 m³ utiles pour le traitement des vinasses,
- un fermenteur de 4 000 m³ pour le traitement des lies,
- le traitement secondaire aérobie existant qui permettra d’atteindre un rendement total en DCO de 99 %.
Bilan :
- coût d’exploitation énergétique de l'ancienne installation d’évaporation : fuel lourd : 2 850 TEP/campagne électricité : 2 250 000 kWh/campagne
Caractéristiques de la nouvelle installation :
- production de méthane : 1 700 000 m³/campagne soit 1 450 TEP
- auto-consommation thermique : 240 TEP électrique : 86 400 kWh
L’unité de Tomelloso (Espagne)
En cours de construction par notre licencié espagnol (Proser), l’unité de Tomelloso doit traiter 1 400 m³/j de vinasses de distillation de vin et de divers produits vinicoles représentant une DCO journalière de 45 tonnes.
L'installation, qui comprendra deux fermenteurs de 1 400 m³ utiles, devrait permettre de produire 12 000 m³ de méthane par jour, soit 10 TEP.
Distilleries de mélasse de canne à sucre
Une deuxième unité de démonstration industrielle a été installée à la Société Industrielle de Sucrerie, située à La Boucan en Guadeloupe, pour le traitement des
L'unité était constituée des équipements suivants : stockage avec aéro-réfrigérant, cuve tampon et pré-neutralisation, fermenteur de 10 m³, traitement de gaz, stockage de gaz de 5 m³, groupe électrogène fonctionnant au biogaz avec récupération de calories.
L'unité a obtenu le soutien financier de l'AFME, du ministère de l'Environnement, ainsi que du ministère de l'Industrie et du Conseil général de la Guadeloupe.
Les analyses ont été conduites aux laboratoires de l'INRA de la Guadeloupe, équipés des matériels de mesures les plus modernes (analyseur COT, calorimètres, chromatographie en phase gazeuse...).
L'unité a fonctionné du mois de mai au mois de janvier 84 avec des vinasses titrant 45 000 à 65 000 mg/l de DCO.
Les résultats obtenus peuvent se résumer ainsi :
- charge volumique appliquée : jusqu'à 20 kg DCO/m³/j de fermenteur - épuration sur la DCO : 60 % à 75 % sur la DBO : 90 % à 95 % - production de biogaz : 20 à 22 m³/m³ de vinasses à 55 % à 65 % de CH₄, soit environ 0,35 m³ par kg de DCO éliminée.
Sucreries de betteraves
Mise en service en automne 1983, l'unité de Thumeries traite les effluents de la sucrerie Beghin-Say qui reçoit journellement 8 000 tonnes de betteraves et produit 2 300 à 2 900 m³ d'effluent, représentant une charge de 16 t/j de DCO.
Le traitement existant consistait en une lagune de 30 000 m³ équipée de 6 aérateurs de 20 CV.
L'unité de méthanisation comporte les équipements suivants : échangeur de température, fermenteur de 1 300 m³, torchère de sécurité. Le biogaz produit alimente une chaudière.
La campagne 1983, exceptionnellement courte, n'ayant duré que 50 jours, la capacité maximum traitée a été de 9 t/j. À cette charge, la réduction de la DCO soluble a été de plus de 90 % et la production de biogaz de 3 000 m³/j à 80 % de CH₄. Le redémarrage a été effectué sans difficulté pour la campagne « sirop » qui permettra d'atteindre rapidement les performances nominales, soit :
— charge 16 t/j, représentant 14,5 kg DCO/m³/j, — épuration sur la DCO 90 %, — production de biogaz 5 300 m³/j à 80 % de CH₄, soit 4,5 TEP/j, — auto-consommation nulle, le réchauffage des substrats étant effectué par les eaux chaudes non utilisées, — consommation électrique 44 kW, — le gaz est utilisé en chaudière.
Porcheries
Notre technologie est avantageusement applicable au traitement des sécrétions animales liquides que sont les lisiers. Ceux-ci sont en effet particulièrement polluants, bien qu'ils constituent une source importante d'engrais naturels.
L'avantage de la méthanisation est de réduire de manière importante la pollution carbonée et la nuisance d'odeur sans diminuer la valeur fertilisante du liquide.
L'unité de démonstration industrielle de Soria (Espagne)
Mise en service en juin 83, l'unité possède une capacité de traitement des lisiers de 2 500 porcs/an.
Elle comprend les installations suivantes : tamisage, stockage tampon, fermenteur de 28 m³, décanteur, lit de séchage, gazomètre de 25 m³ et chaudière mixte fuel-gaz.
Pour une charge de 18 kg DCO/m³/j, les rendements obtenus sont de 55 % sur la DCO totale et la production de CH₄ (80 % du biogaz) de 8,5 m³ par m³ de lisier.
L'unité industrielle de Tolède (Espagne)
Mise en service en octobre 83, l'unité présente une capacité de traitement du lisier de 12 000 porcs par an.
La chaîne de traitement comporte : tamis, stockage, fermenteur de 100 m³, lagune de décantation, gazomètre de 25 m³ et chaudière fuel-gaz.
Les charges et rendements sont identiques à ceux de l'unité de Soria. Les deux unités ont été construites par la société Proser.
Conserveries
L'usine de conserverie de légumes La Semeuse, installée près de Lille, rejette journellement 1 200 m³ d’eaux résiduaires contenant 6 tonnes de DCO.
L'unité de méthanisation (en cours de construction), d'un volume de 450 m³, permettra une réduction de 85 % de cette pollution et une production de 1 470 m³ de méthane par jour, soit 1,2 TEP.
Autres domaines d'application
— Le lactosérum de fromagerie, s'il ne trouve pas d’autres applications plus intéressantes, — les effluents des brasseries, levureries, féculeries, — certains effluents des industries chimiques, — certains effluents de papeteries, ainsi que les eaux de lavage de laine.
La limite d'application de la méthanisation est en fait donnée par la température des effluents et leur concentration qui conditionnent l’équilibre entre la production de méthane et la consommation nécessaire au chauffage et au maintien en température des fermenteurs.
On fixe la limite inférieure en DCO à 3 800 pour un substrat d'une température d’environ 15 °C, mais bien souvent des calories basse température sont disponibles et peuvent servir au réchauffage de l’effluent, le biogaz étant alors disponible. Un échangeur de calories permet d’abaisser encore la limite, de sorte que presque tous les effluents des industries agro-alimentaires peuvent être traités avantageusement par la méthanisation.
Notre technologie, avec un volume nettement plus faible et par conséquent moins de surface de perte thermique, est dans ce cas encore avantagée.
UTILISATION DU BIOGAZ
Nous avons vu que la production de biogaz pouvait atteindre des valeurs de 0,57 à 0,66 m³/kg de DCO appliquée, soit en moyenne 0,35 m³ de méthane/kg DCO éliminée. Le biogaz contient de 55 à 80 % de méthane, du gaz carbonique mais peut contenir également de l’hydrogène sulfuré ou de l’ammoniac suivant que le substrat contient des ions soufre ou un excès d’azote non consommé par la synthèse de la biomasse.
Le stockage du biogaz n’est en général pas à envisager car très coûteux, compte tenu des volumes à mettre en œuvre et des problèmes de traitement posés par le stockage sous pression.
Les seules solutions raisonnables sont l'utilisation en chaudière ou la production d’énergie électrique. L’une et l'autre de ces solutions nécessitent une torchère pour brûler les surplus éventuels, ou pour pallier les incidents de fonctionnement.
Les modalités du traitement doivent être évaluées cas par cas en fonction de la composition du gaz et de son utilisation. L’utilisation en chaudière ne requiert, le plus souvent, pas de traitement du biogaz, mais par contre celui-ci devient parfois nécessaire pour alimenter un moteur à gaz ou une turbine. Il faut également noter que le biogaz est saturé d'eau, ce qui impose des purges sur les lignes « gaz », notamment dès que la pression de celui-ci est augmentée ou que la température extérieure est basse.
CONCLUSION
La technologie SGN de méthanisation à biomasse fixée, bien que récente, possède déjà une expérience industrielle importante dans plusieurs domaines. Elle présente de solides arguments qui bouleversent l’aspect économique du traitement des effluents :
— charge volumique élevée et temps de séjour faible, — forte productivité en biogaz, — 90 % et plus d’abattement de pollution, — stabilité bio-chimique, — souplesse de fonctionnement, — facilité de conduite, — fiabilité, — temps de retour en général court.
La méthanisation est applicable au traitement de presque tous les effluents biodégradables.