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La mesure en continu sur une station d'épuration: un virage à prendre

30 novembre 1998 Paru dans le N°216 à la page 36 ( mots)
Rédigé par : Marc VIANDON et Bruno WEISS

Deux grands types de mesures permettent de contrôler une station d'épuration: les mesures ponctuelles et le suivi en continu. Encore peu répandue en France, cette seconde voie se révèle pourtant essentielle pour parvenir à une amélioration du fonctionnement de la station d'épuration, c'est à dire une optimisation de paramètres opérationnels et une meilleure fiabilité du procédé de traitement.

[Photo : Marc Viandon, Dr LANGE France]
[Photo : Bruno Weiss, Dr LANGE France]

Deux grands types de mesures permettent de contrôler une station d’épuration : les mesures ponctuelles et le suivi en continu. Encore peu répandue en France, cette seconde voie se révèle pourtant essentielle pour parvenir à une amélioration du fonctionnement de la station d’épuration, c’est-à-dire une optimisation de paramètres opérationnels et une meilleure fiabilité du procédé de traitement.

La prise en considération de la directive CEE (91/271/CEE) relative au traitement des eaux résiduaires urbaines et transposée en droit français par la Loi sur l’Eau du 3 janvier 1992, dont les exigences portent sur le fonctionnement des stations d’épuration et sur la qualité de leurs rejets dans le milieu naturel, est en passe de changer radicalement l'approche française du dimensionnement, de la conception et de l'exploitation des stations d’épuration d'eaux usées.

En effet, cette directive ne se contente pas de modifier les concentrations admissibles dans les eaux traitées (concentration maximale en DBO5 de 25 mg/l au lieu de 30 mg/l jusqu’à maintenant, par exemple), mais elle introduit deux notions nouvelles qui ne figuraient pas dans les directives de 1980 :

- la fiabilité du traitement, car un objectif de conformité de 95 % du temps pour les paramètres de l'eau traitée doit être atteint ;

- la prise en compte dans la filière de traitement des eaux pluviales, « sauf événement pluviométrique exceptionnel ».

Ces deux notions vont nécessiter des études en amont approfondies pour acquérir une meilleure connaissance des flux à traiter mais aussi une importante reformulation des concepts de gestion d'une station d’épuration.

En outre, chacun doit prendre conscience

[Photo : Évolution de la valeur d'un paramètre V en fonction du temps ; représentativité d'une mesure instantanée et d’une mesure moyennée par rapport à l’évolution réelle du paramètre]

que les enjeux de la gestion de l'hydrosystème urbain (réseau d’assainissement ; station d’épuration ; milieu récepteur) dépassent la présentation juridique précédemment exposée : le milieu naturel est de plus en plus fragilisé par les rejets urbains qui ne cessent de s’accroître. Le traitement des eaux usées jusqu’aux stades de la dénitrification et de la déphosphoration s'impose. L'intégration de ces processus dans un système d’assainissement fait de celui-ci une usine très complexe, constituée par une ou plusieurs chaînes de dispositifs spécifiques qui comportent des appareils électromécaniques associés à des processus hydrauliques, physico-chimiques ou encore biologiques, ces derniers étant particulièrement difficiles à maîtriser et souvent sujets à des dysfonctionnements. Une station d’épuration de conception récente est comparable à une usine chimique complexe ; à cette complexité vient s’ajouter le fait que cette usine ne connaît jamais de régime permanent, ni quantitativement ni qualitativement : ce qui pénètre dans la filière de traitement évolue sans cesse. De quels instruments dispose-t-on à l'heure actuelle pour gérer cette complexité ?

L’instrumentation des stations d’épuration

Généralités

Deux grands types de mesures permettent de contrôler le fonctionnement d’une station d'épuration ou la teneur de ses rejets vers le milieu naturel. Il peut s’agir de mesures ponctuelles ou d'un suivi en continu. Dans le premier cas, ces analyses se font ponctuellement par échantillonnage manuel ou automatique par l’intermédiaire de préleveurs.

Dans le deuxième cas, des capteurs sont placés à ces mêmes endroits stratégiques et permettent un suivi en continu des flux de pollution pour la surveillance ou la régulation.

Ces deux approches ne sont pas antagonistes : il ne s'agit pas de substituer l’une par l’autre mais, bien au contraire, de renforcer les deux approches pour produire une information plus riche.

Le niveau d’instrumentation des stations d’épuration françaises en appareils de mesure en continu est très faible ; seules les plus grandes stations font appel à quelques capteurs pour le suivi en temps réel des débits principalement, de la concentration en oxygène dissous ou du potentiel redox au sein du bassin d’aération.

Les principales réticences à l'acquisition de tels équipements sur une station d’épuration sont assez aisément identifiables : globalement, il apparaît que la démarche que constitue l’analyse continue vraie ou séquentielle n'est pas institutionnalisée, ce qui conduit à des approches très diversifiées. En outre, les analyseurs en ligne ne couvrent qu'une gamme de paramètres limitée et, jusqu’à présent, à tort ou à raison, la qualité des mesures ne jouit pas d’une réputation d'irréprochabilité, semblant en tous cas bien inférieure à celle résultant des analyses de laboratoire.

La complémentarité de deux approches

La bonne marche d'une station d’épuration des eaux usées exige une connaissance précise de la composition des eaux à l’entrée, à la sortie et en divers points “clés” de celle-ci. Pour ce faire, la définition rigoureuse d'une stratégie de mesure s'impose, dont l’objectif ultime est la réponse aux trois questions :

  • - Quels paramètres mesurer ?
  • - À quel endroit ?
  • - Avec quelle fréquence ?

Les analyses chimiques ponctuelles effectuées en laboratoire ont, jusqu’à présent, constitué l'unique réponse à cette nécessité de mesures car elles permettent une expression précise de la valeur recherchée et rendent accessible une large gamme de paramètres. Une analyse peut, de plus, être répétée en cas de doute.

Cependant, ces mesures ne sont pas exemptes de certaines sources d’erreur, comme l’échantillonnage ; la prise d'un échantillon représentatif pour l’analyse qui va suivre n’est pas forcément aisée : quelle parcelle élémentaire peut être considérée comme parfaitement représentative du milieu ? La réponse à cette question délicate est pourtant cruciale car aucune méthode d'analyse, aussi précise soit-elle, ne corrigera une erreur de prélèvement. En outre, l’échantillon peut subir des modifications lors de son acheminement, à la fois du paramètre recherché et d’éventuels paramètres interagissant. Il apparaît, enfin, que la mesure peut être affectée par la subjectivité de l’opérateur : des études intercomparatives ont mis cet effet en exergue, malgré la mise en œuvre des mêmes procédures normées.

Mais l'esprit même de ces mesures entraîne qu’elles n’offrent pas une bonne représentativité du système et se cantonnent à fournir une vue instantanée des phénomènes, c’est-à-dire figée dans le temps. La vision du système d'assainissement que l'on en tire sera donc tronquée ou affadie, les valeurs obtenues peuvent être observées par excès ou par défaut par rapport à la réalité du système. Là se situe probablement le principal point faible de l'analyse chimique ponctuelle.

Pour y remédier, il est impératif de procéder à la mesure de plusieurs échantillons prélevés simultanément en différents endroits du système — on a alors une bonne représentativité du système étudié — et de pratiquer un échantillonnage répété avec un pas de temps aussi court que possible, les variations discrètes du système sont alors prises en compte.

La mesure en continu tend à satisfaire ces deux impératifs.

Une analogie médicale permet une prise de

[Photo : Analyseur en continu d’orthophosphates]

conscience aisée de l’importance de considérer la dimension temporelle : un médecin peut émettre un diagnostic à partir d’observations cliniques de diverses natures (analyses de sang, radiographies, échographies, etc…). Mais n’a-t-on jamais vu un sujet “parfaitement sain” succomber à un arrêt cardiaque?

La complexité des êtres vivants implique un renoncement catégorique à la notion d’absolu. Or, dans le cas fréquent des stations d’épuration à boues activées, le point névralgique du traitement repose sur des phénomènes biologiques faisant intervenir bactéries, protozoaires, champignons, algues et levures.

Le diagnostic s’appuiera non seulement sur des examens pratiqués ponctuellement mais sur des résultats de suivis prolongés. C’est ce que permet la mesure en continu, qui saisit la variation des paramètres dans leur dynamique.

Mais la mesure en ligne possède d’autres atouts, qui correspondent sensiblement aux inconvénients de la mesure ponctuelle : l’analyse est réalisée sitôt après prélèvement, ce qui exclut le risque de mauvaise conservation de l’échantillon. De plus, la procédure d’analyse est réalisée de façon systématique sans intervention humaine, ce qui la rend parfaitement reproductible. Enfin, la mesure en continu conserve certains avantages de la mesure ponctuelle :

  • - Ce sont les procédures normalisées qui peuvent être appliquées, une analyse effectuée par un analyseur en continu n’étant en fait qu’une reproduction fidèle et automatique des opérations que mettrait en œuvre un technicien de laboratoire.
  • - Les mesures effectuées s’appuient sur des calibrations pratiquées régulièrement ou reposent sur des standards, ce qui permet des mesures fiables.

Une forte complémentarité de ces deux grands types de mesures se dégage et il apparaît par conséquent sans ambiguïté que l’évolution vers une procédure d’autosurveillance de la station d’épuration, et plus généralement de l’ensemble du réseau, nécessite de développer une méthodologie associant analyses ponctuelles et suivi en ligne de certains paramètres.

Les appareils de mesure en continu ; exemples d’application

Encore peu répandues en France, les analyses en continu peuvent être classées en trois familles selon leur principe de mesure :

  • - Les mesures par méthodes chimiques. La plupart utilise des intensités électriques ou des variations de température qui, en présence de catalyseurs, provoquent ou accélèrent certaines réactions chimiques. Ces mesures peuvent être corrélées avec des analyses manuelles du pH, de certains métaux ou encore des paramètres globaux tels que la DCO, le COT ou la DBO.
  • - Les mesures par réactions biologiques. Elles sont basées sur la réaction de biomasse, éventuellement acclimatée et adaptée aux types de pollution que l’effluent est susceptible de transporter. Ces mesures sont corrélables à la DBO et renseignent sur une éventuelle toxicité.
  • - Les mesures par méthodes physiques : ces capteurs basés sur des mesures physiques liées aux propriétés optiques de l’effluent ont pour vocation de pouvoir fournir des informations corrélables avec les méthodes analytiques de détection des matières en suspension et de certains paramètres de pollutions azotées ou phosphatées.

Certaines utilisations potentielles, au sein d’une station d’épuration biologique ou physico-chimique, des analyseurs de la dernière famille susnommée seront relatées dans la suite de cet article. Elles s’appuient sur le fait que ces analyseurs ont la possibilité d’être couplés à des systèmes de télémesure ou de l’automatisation en vue de l’asservissement d’un processus.

Rappelons que les objectifs de protection du milieu naturel appellent des exigences croissantes de fiabilité des stations d’épuration qui s’expriment dans l’évolution de la réglementation, en particulier dans le contenu de la directive européenne du 21 mai 1991. Dans un avenir proche, il incombera aux exploitants de systèmes d’assainissement de respecter un taux statistique de conformité de l’eau traitée pendant 95 % du temps. Cet impératif signifie, dans le cas fréquent des stations d’épuration à boues activées, que le procédé biologique devra être parfaitement maîtrisé, et ce en toutes circonstances, en d’autres termes, qu’il devra faire preuve d’une fiabilité sans faille. Or, si la population microbienne présente dans la boue peut faire preuve de flexibilité en s’accommodant des fluctuations qualitatives et quantitatives de l’eau usée qui pénètre dans la filière de traitement, elle est cependant parfois la proie de phénomènes indésirables : empoisonnement lorsque la concentration en produits toxiques de l’eau usée dépasse un certain seuil, dépassement de la capacité épuratrice lors d’un afflux massif de pollution organique. La mesure traditionnelle des paramètres usuels ne permet de constater un tel incident que tardivement, plusieurs heures voire plusieurs jours après. Irrémédiablement, le mal est fait. Et, bien souvent, le préjudice subi par la boue activée, bien que ponctuel, entraîne un dysfonctionnement généralisé du processus et nécessite un temps considérable pour sa résorption, compromettant ainsi gravement l’objectif de conformité.

La mesure en continu de paramètres de pollution de l’eau en entrée et en sortie de station, qu’ils soient globaux — DCO, COT — ou spécifiques — nitrates, ammonium, phosphore — permet la détection rapide de l’imminence ou de l’occurrence d’un dysfonctionnement, selon que les mesures se font en entrée ou en sortie de traitement. Le cas échéant, une action corrective peut être entreprise sans délai : celle-ci pourra consister en un stockage de l’effluent incriminé, par exemple.

La mesure en continu peut ainsi contribuer à l’amélioration de la fiabilité d’une station d’épuration biologique, en permettant à l’opérateur de décider promptement de la traitabilité d’un effluent.

Si une tâche assignée à la mesure en continu peut être la détection rapide de dysfonction-

[Photo : Sonde de mesure de nitrates]

nements, un autre champ d’applications est envisageable, l’optimisation de certains paramètres opérationnels caractéristiques du processus. Les présentations de deux exemples illustrent ceci :

À présent, la méthode la plus répandue d’élimination du phosphore consiste en la précipitation des ions orthophosphates par des sels métalliques. L’agent précipitant est souvent ajouté à l’entrée du bassin d’aération et l’on parle de « précipitation simultanée » ; son dosage optimal peut être déterminé grâce à la mise en œuvre d’une mesure continue d’orthophosphates. Deux emplacements sont possibles pour pratiquer cette mesure :

  • - en entrée de station : connaissant le débit et la concentration, on a accès au flux d’orthophosphates à traiter et, partant, à la quantité de sel métallique à ajouter par considération de la stœchiométrie de la réaction.
  • - dans le bassin d’aération ou en sortie de station : une boucle de régulation par rétroaction est alors envisageable. Cette méthode présente l’avantage sur la première de tenir compte de la déphosphoration biologique. La quantité de sel métallique peut ainsi être optimisée au vu de l’efficacité de la déphosphoration, elle-même estimée par la mesure en ligne des ions orthophosphates en sortie de bassin.

Le nombre de stations d’épuration dotées d’un traitement spécifique de l’azote – nitrification/dénitrification – ne cesse de croître. Rappelons que la nitrification (oxydation de l’ammonium en nitrates) se déroule dans un bassin aérobie, la dénitrification (réduction des nitrates en azote gazeux) dans une zone anoxique, c’est-à-dire sans oxygène libre. Si l’élimination de l’azote par phases successives aérées et non aérées est envisageable, l’idée de séparer les zones anoxiques et aérobies dans des bassins différents prédomine : fréquemment, le bassin d’anoxie est placé en aval du bassin de nitrification (« post-dénitrification »). Un paramètre important pour le bon déroulement de la réaction de nitrification est le rapport carbone organique/azote de l’eau brute, ce rapport devant atteindre 8 à 9 g de DCO par gramme de nitrates. Bien souvent, l’abattement de la pollution carbonée dans les décanteurs primaires est si efficace qu’il est impératif de recourir à une source carbonée externe, de l’acide acétique ou de l’éthanol. Le dosage de ces produits onéreux peut être asservi à la concentration résiduelle de nitrates en sortie de bassin, qui reflète le rendement de la dénitrification.

Mais une station d’épuration de type physico-chimique peut également bénéficier de l’implantation d’analyseurs en ligne. Le bon fonctionnement d’une telle station repose en effet sur l’hypothèse que les flux de pollution sont proportionnels aux débits, hypothèse qui peut s’avérer fausse : en cas d’afflux d’eaux pluviales ou d’eaux très chargées.

La quantité de floculant minéral (chlorure ferrique ou sulfate d’alumine) étant elle-même proportionnelle au débit, il y aura, dans le premier cas, sur-dosage de réactif et, au contraire, dans le second cas, sous-dosage.

Dans les deux cas, une détérioration de la qualité de l’eau traitée sera à déplorer. Le dosage adéquat du réactif minéral, ie en fonction de la qualité de l’eau usée et non plus du débit, nécessite la mesure fiable, reproductible et surtout continue d’un paramètre de pollution tel que la DCO.

Des études en vue d’asservir la floculation à une courbe de rendement d’élimination de la DCO ont, en effet, été couronnées de succès (Marchandise, 1978).

Or, la DCO peut désormais être estimée en ligne, par corrélation avec l’absorption de la lumière ultraviolette (Matsché et Stumwohrer, 1996). La majorité des polluants organiques possèdent, en effet, des liaisons chimiques insaturées ou des groupes chromophores qui absorbent dans le domaine spectral entre 200 et 350 nm. Cette méthode ne nécessite aucune préparation de l’échantillon et ne requiert pas de réactif chimique.

Conclusion

Le contrôle automatisé des stations de traitement des eaux usées est une tâche ardue, mais passionnante. En effet, la grande distribution spatiale d’une station, les temps de séjour dans les différents ouvrages composant la station relativement longs et, dans le cas du traitement par boues activées, les cinétiques complexes des processus biochimiques mis en jeu rendent la maîtrise de son fonctionnement, et donc son contrôle, très difficiles.

Il est néanmoins possible d’établir des stratégies de contrôle (Ganczarczyk, 1983) dont l’application nécessite de pouvoir mesurer en ligne des variables caractéristiques du processus. La société Dr Lange propose une gamme complète d’analyseurs en ligne pour DCO, COT, nitrates, ammonium, orthophosphates, phosphore total.

Leur principe de mesure est soit la colorimétrie – spectrophotométrie après mise en œuvre d’une réaction chimique – , soit la spectrophotométrie directe pour les nitrates et la DCO. Uniques en Europe par leur présentation sous forme de sonde, ces deux derniers analyseurs, submersibles dans une canalisation ou un bassin, sont d’une mise en œuvre particulièrement aisée et ne nécessitent qu’un entretien extrêmement limité (voir photo).

Références bibliographiques

  • • Ganczarczyk J.J. (1983) Activated sludge process. Theory and practice. Marcel Dekker, New-York
  • • Marchandise P., Legendre J-P., Lafont R. (1978) Méthode de mesure en continu de la pollution des eaux usées. La Technique de l’Eau et de l’Assainissement 383 11-18
  • • Matsché N., Stumwohrer K. (1996) UV absorption as control parameter for biological treatment plants. Wat. Sci. Tech. 33 12 211-218
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