Utilisation du chlore et ses dérivés
Le chlore ou l’hypochlorite de sodium sont les agents oxydants les plus utilisés soit en préchloration (oxydation des ions ferreux et manganeux, de l’ammoniaque, des nitrites, des matières organiques oxydables, des micro-organismes) soit en désinfection (élimination des germes banals, pathogènes et des bactéries putrides). C’est un agent au pouvoir oxydant rémanent, favorable à la destruction des matières organiques ; son action bactéricide implique une série d’événements non encore complètement compris. Il détruirait les systèmes enzymatiques indispensables à la vie de la bactérie en pénétrant la paroi cellulaire de cette dernière. Quand du chlore gazeux est ajouté dans l’eau, il réagit avec son solvant suivant la réaction :
Cl₂ + H₂O ⟶ HOCl + HCl (1)
qui s’accompagne de la réaction secondaire :
HOCl ⟷ ClO⁻ + H⁺ (2).
La concentration en chlore dissous et le pH conditionnent les formes en présence dans l’eau :
- pH < 2,0 : l’équilibre (1) est complètement déplacé vers la gauche ;
- 2 < pH ≤ 5,6 : l’équilibre (1) se déplace vers la droite et à partir de pH = 5 un ε de chlore moléculaire reste en solution mais HOCl n’est pas dissocié ;
- 5,6 ≤ pH < 10 (cas usuel des eaux traitées avec du chlore) : le mélange HOCl/ClO⁻ se répartit suivant le graphe porté sur la figure 2 ;
- pH > 10 : l’ion ClO⁻ est à (100 − ε) % en solution.
L’acide hypochloreux HOCl est l’agent bactéricide le plus puissant. La somme Cl₂, HOCl, ClO⁻ constitue le chlore libre dans l’eau.
Le dioxyde de chlore ClO₂ qui est un gaz également — explosif à des taux supérieurs à 10 % (en volume) dans l’air mais totalement sans danger dissous dans l’eau — est également très oxydant, a haut pouvoir désodorisant et décolorant. Son action bacté-
[Photo : Analyser en continu de chlore, type 8877, comprenant son convertisseur de mesure type 8980.]
[Photo : Points de mesure dans une chaîne de traitement d’eau potable. A = turbidité.]
Son pouvoir bactéricide est comparable à celui du chlore, et il est utilisé de préférence à celui-ci pour éviter certains goûts désagréables de chlorophénol dans les cas particuliers où l’eau à traiter contient des traces de phénol. De même, suivant le pH, il oxyde les sels ferreux en hydrate ferrique insoluble et les sels de manganèse en dioxyde de manganèse. Il est toujours produit « in situ » à partir du chlore ou d’acide chlorhydrique.
Les chloramines minérales résultent de la réaction de l’acide hypochloreux/HOCl avec l’ammoniaque NH₃ :
HOCl + NH₃ → NH₂Cl + H₂O (monochloramine)
HOCl + NH₂Cl → NHCl₂ + H₂O (dichloramine)
HOCl + NHCl₂ → NCl₃ + H₂O (trichloramine)
Leur répartition dans l’eau dépend du pH :
pH < 4,5 | NCl₃ majoritaire |
pH = 4,5 | NHCl₂ majoritaire |
4,5 < pH < 8,5 | mélange NHCl₂/NH₂Cl |
pH > 8,5 | NH₂Cl majoritaire |
Elles constituent ce que l’on appelle le chlore combiné dans l’eau. De même, l’action du chlore sur certaines substances organiques (amines, acides aminés, protéines) conduit à la formation de chloramines organiques. Elles diminuent la quantité de chlore libre dans l’eau et ont un pouvoir bactéricide inférieur ; cependant, avec les techniques usuelles de traitement, la chloration s’effectue généralement au « break-point » ou au-delà : alors, il ne subsiste qu’une trace de chloramines, le goût de chlore y est le plus faible et la décoloration la plus totale (figure 3).
L’ozone est un désinfectant de choix, de mise en œuvre certainement plus délicate que le chlore et de prix de revient plus élevé, mais d’un pouvoir oxydant nettement plus fort. Il a d’une part une action d’oxydation directe sur le composé M (figure 4), réactions sélectives et relativement lentes ; d’autre part une action indirecte par des produits de décomposition : radicaux libres OH° ou R°, le radical OH° étant l’oxydant le plus puissant dans l’eau. La décomposition dépend du pH (les ions OH⁻ la catalysent), ainsi qu’une série de radicaux secondaires R°, mais une autre voie est possible (ex. : réaction des ions bicarbonates sur R° conduisant à des espèces inefficaces agissant comme inhibiteurs de la décomposition (figure 4).
Les objectifs visés par l’utilisation de l’ozone sont la désinfection (avec une action bactéricide et virulicide très poussée), l’amélioration des qualités organoleptiques de l’eau (goût, couleur) ou plus simplement l’utilisation de son pouvoir oxydant (déferrisation, démanganisation).
Les analyseurs en continu industriels
Les analyseurs en continu de chlore ou d’ozone résiduel — comme les Chloromat 8877 et Ozonmat 8880 — sont conçus spécialement pour s’adapter aux exigences du milieu industriel et sont le fruit d’une longue coopération avec les traiteurs d’eau ; ils délivrent un signal utilisable en mesure simple (contrôle sur une chloration finale par exemple) ou en régulation d’un processus de traitement de désinfection par l’ozone ou le chlore (pilotage d’un ozoneur ou d’une pompe d’ajout d’eau de Javel par exemple).
Principe de la mesure
Il s’agit de l’ampérométrie, méthode de mesure la plus sensible puisqu’il s’agit d’un dénombrement d’électrons, pratiquée avec trois électrodes — électrode dite de travail, en or, contre-électrode en inox et électrode de référence du type Ag/AgCl/KCl (ou KCl 0,1 M). Le système à trois électrodes présente l’énorme avantage de s’affranchir, dans une large limite, de la conductivité du milieu (100 µS < λ < 5 mS) puisque le potentiostat régule le potentiel de travail par rapport à la référence en permanence, assurant ainsi sa constance, paramètre fondamental d’une bonne ampérométrie. Cependant, dans les eaux ultra-pures on peut proposer un modèle un peu plus sophistiqué que le modèle de base, avec une pompe péristaltique ajoutant un électrolyte indifférent électrochimiquement (KCl, KNO₃, K₂SO₄, …) et en continu, de façon à obtenir une conductivité suffisante (ex. : détection d’ozone dans l’industrie pharmaceutique). Mais bien évidemment, dans l’application classique des eaux potables le problème ne se pose pas.
[Photo : Équilibre de dissociation HOCl/ClO⁻.]
[Photo : Chloration de « break-point ».
1. Destruction du chlore par les composés organiques.
2. Formation de composés organiques et de chloramines.
3. Destruction des organiques et des chloramines.
4. Production du chlore libre actif (m : minimum correspondant au « break-point »).]
[Photo : Fig. 4 : Voies de réactivité de l’ozone dans l’eau.]
[Photo : Fig. 6 : Courbe Ib = F(U) du système HOCl/ClO⁻.]
[Photo : Fig. 7 : Courbe Ib = F(U) du système O₂/O₃.]
[Photo : Fig. 8 : Mesure par le Chloromat 8877 et mesure comparative à la DPD.]
Avec des potentiels U < +400 mV on se trouve sur le palier de diffusion de HOCl et on mesure un courant Ib (limite de diffusion) de réduction de HOCl en Cl⁻, proportionnel à la concentration de HOCl dans l’eau. À un tel potentiel à l’électrode de travail, HOCl se réduit suivant la réaction :
HOCl + H⁺ + 2 e⁻ ⇌ Cl⁻ + H₂O.
[Photo : Cellule de mesure d’un Chloromat 8877 ou d’un Ozonmat 8880 – 1 Réservoir d’électrolyte ; 2 Électrode de référence ; 3 Électrode de mesure en or ; 4 Contre-électrode Inox ; 5 Diaphragme de l’électrode de référence ; 6 Bille teflon ; 7 Corps de mesure plexiglass ; 8 Branchements électriques ; 9 Arrivée échantillon ; 10 Rejet échantillon.]
E° = +2,07 V/ENH à 25 °C.
Avec des potentiels U < +700 mV on se trouve sur le palier de diffusion de O₂.
Réaction à la cathode : O₂ + 2 H⁺ + 2 e⁻ ⇌ O₂ + H₂O
Réaction à l’anode : 2 H₂O ⇌ O₂ + 4 H⁺ + 4 e⁻
De la même manière, E_eq du couple O₂/O₃ est donné par la loi de Nernst :
E_eq = E₀ + (RT / 2F) ln ([O₃]·[H⁺]² / [O₂]·[H₂O]).
Précision, fiabilité et reproductibilité de la mesure
Intrinsèquement, l’ampérométrie, mesure d’un courant limite de diffusion, constitue une mesure qui est la plus précise possible puisqu’il s’agit d’un dénombrement d’électrons échangés à l’interface solution/métal noble de l’électrode de travail dans la couche de diffusion. Cependant, ce signal « brut » est inexploitable pour le traiteur d’eau, lequel doit le rattacher à une concentration de l’espèce oxydante (chlore et dérivés, ozone…) avec étalonnage par rapport à une méthode comparative de laboratoire (titrage, colorimétrie). En conséquence, on ne peut parler de précision et de fiabilité de la mesure ampérométrique des analyseurs en continu que par rapport à des mesures comparatives effectuées par ces méthodes.
Néanmoins, on peut signaler d’ores et déjà deux avantages inhérents aux analyseurs industriels Chloromat 8877 ou Ozonmat 8880 : aucune dérive du point zéro et adaptabilité de la surface de l’électrode de travail en fonction de l’échelle de mesure. En effet, le signal est également proportionnel à la surface de l’électrode de travail (par exemple, pour une échelle 0 – 200 ppb en chlore on proposera une électrode dont la surface est un disque d’or ; pour l’échelle classique du traitement d’eau, soit 0 – 1 ppm, l’électrode aura une surface
[Photo : Fig. 9 & 10 : Mesure par l’Ozonmat 8880 et mesure comparative au Trisulfone-indigo.]
constituée d’un anneau en or et enfin pour une échelle > 1 ppm, jusqu’à 20 ppm, l’électrode sera à 4 picots en or).
La figure 8 rend compte d’essais comparatifs réalisés aux eaux de Zurich en 1984 dans deux gammes de mesure : 0-200 ppb et 0-20 ppm de chlore dans l’eau potable. En ordonnées figurent les mesures de laboratoire au DPD (Diphénylénediamine) et en abscisse les mesures données par le Chloromat 8877, dont la sensibilité a été précédemment réglée par rapport à une mesure comparative au DPD (méthode colorimétrique : le chlore forme un complexe rose avec la DPD, d’intensité croissante suivant la concentration).
Les figures 9 et 10 donnent le résultat des essais effectués en laboratoire en 1986 sur deux gammes de mesure : 0-200 et 0-1 000 ppb d’ozone dissous dans l’eau. En ordonnées, les valeurs données par l’Ozonmat 8880 et en abscisse celles données par la méthode comparative colorimétrique au trisulfonate indigo, l’étalonnage de la sensibilité de l’analyseur ayant été réglé de la même manière. Un autre paramètre est à prendre en compte pour la mesure de l’ozone résiduel ; il s’agit du pH, car la décomposition de l’ozone dans l’eau est catalysée par les ions OH⁻ ; en conséquence le signal de l’Ozonmat décroît naturellement à mesure que le pH augmente comme le montre la figure 11, mais le problème ne se pose pas dans le cas usuel du traitement des eaux potables, puisque le pH est généralement inférieur à 8,5.
[Photo : Fig. 11 : Dépendance de la mesure d’ozone par l’Ozonmat 8880 en fonction du pH.]
Comme tous les appareils de mesure, la reproductibilité de la mesure est excellente si l’on ne change pas les paramètres physico-chimiques de l’analyse (débit d’échantillon, pH…) et si les électrodes ne s’encrassent pas. La température influe bien évidemment sur la mesure, mais il existe un capteur de température dans l’électrode de travail et une correction automatique linéaire de 2,5 % de la mesure à 25 °C par degré est appliquée.
Sélectivité de la mesure
L’ampérométrie utilisant un analyseur en continu de base n’est pas une méthode sélective. En effet, au potentiel de travail usuel d’analyse du chlore, soit + 100 mV, on mesure toujours le mélange de Cl₂/HOCI/ClO⁻ dans l’eau suivant le pH (usuellement HOCI/ClO⁻) ; mais si le traitement s’effectue par combinaison de chlore et d’ozone ou de dioxyde de chlore et d’ozone, aux potentiels de + 100 mV ou + 200 mV, on analysera la somme des oxydants dans l’eau. Mais dans les méthodes habituelles de traitement de l’eau (ex : désinfection à l’ozone puis chloration finale), l’ozone est souvent éliminé sur charbon actif avant la chloration finale, de sorte qu’il n’interfère plus sur la mesure du chlore résiduel. Et le plus souvent un seul agent oxydant est utilisé, de sorte qu’il n’y a plus de problèmes d’interférences. Néanmoins, la mesure du chlore libre en présence d’ozone reste possible avec un analyseur un peu plus sophistiqué que le modèle de base, en détruisant l’ozone au niveau de la cellule de mesure avec du glycocolle par exemple, ou avec deux analyseurs en pratiquant une mesure différentielle.
En effet, au potentiel d’analyse de + 500 mV de l’ozone on se trouve quasiment « sélectif » de cette espèce, à savoir que les interférences au chlore ou au dioxyde de chlore peuvent être chiffrées respectivement à 2 % et à 6,4 % de la valeur en ozone. Une autre possibilité, avec ces analyseurs en continu, est de donner la valeur du chlore total (chlore libre plus chlore combiné) ou du total oxydant (chlore libre + combiné + ozone) en utilisant en amont de la cellule une réaction chimique préalable avec l’iodure de potassium (KI), tamponnée en milieu pH = 4,7 par l’acide acétique/acetate de sodium (CH₃COOH/CH₃COONa) ; on libère ainsi l’iode proportionnelle à l’oxydant qu’on analyse ensuite par ampérométrie au potentiel de + 250 mV.
Utilisation du signal de mesure
Ces analyseurs délivrent en général des signaux analogiques proportionnels à la concentration en oxydant, utilisable en mesure simple (contrôle de la chloration finale), ou pouvant servir à la régulation d’un procédé de traitement (désinfection, préchloration) ; et à la température de l’échantillon. Ils possèdent généralement des seuils d’alarme permettant de signaler à l’exploitant des problèmes dans le traitement, et une liaison série du type RS 232, 242 ou 422 permettant de recevoir des données de l’analyseur ou de commander des opérations à distance (type étalonnage) via un PC.
Installation et maintenance
Ces analyseurs se montent de façon simple directement au niveau des chaînes de traitement de l’eau potable sur un piquage dans les canalisations (figure 12) et le convertisseur de mesure peut être installé à distance (jusqu’à 50 mètres), dans une armoire ou une salle de contrôle. Il est néanmoins conseillé d’adjoindre un pot à niveau constant afin d’obtenir un débit stable. La maintenance de ces analyseurs est très minime dans le cas d’un modèle de base : vérification de la propreté de la cellule et de l’électrode de travail, du niveau de remplissage de l’électrolyte de l’électrode de référence, remise à niveau éventuelle, et bien sûr étalonnage du système.
[Photo : Fig. 12 : Schéma hydraulique de montage d’un analyseur en ligne du type Chloromat 8877 ou Ozonmat 8880.]
Pour les modèles dérivés (du type analyseur de chlore total), elle est un peu plus complète mais reste tout à fait élémentaire.
Conclusion
Alors que les normes sur les eaux destinées à la consommation deviennent de plus en plus strictes et que les traitements deviennent en conséquence de plus en plus performants, nécessitant des contrôles à des fréquences élevées, l’exploitant trouve alors une solution adaptée à ces exigences avec l’emploi des analyseurs en continu des résiduels d’oxydants, utilisés dans les procédés tels que la désinfection des eaux potables, ou l’élimination des matières minérales indésirables. En effet, ceux-ci s’imposent par leur adaptabilité au milieu industriel, leur facilité de mise en œuvre et d’installation, leur fiabilité sur la mesure délivrée, leur coût d’exploitation réduit, comme étant une alternative de choix s’offrant à l’exploitant pour suivre et piloter sa chaîne de traitement d’eau potable.