La mesure de la turbidité fournit un bon indice de pureté pour des liquides faiblement chargés en particules de petite taille et présente l’avantage d’être utilisable « on line ». C’est pour ces raisons qu’elle est utilisée pour contrôler la qualité de l'eau filtrée produite dans les usines de traitement des eaux destinées à la consommation humaine. La directive CEE concernant les eaux potables fixe le niveau guide à 1 mg/l SiO? (unités Jackson).
L’évaluation de la turbidité d’une suspension dans un liquide est obtenue en comparant la lumière diffusée (généralement à 90°) par la suspension à celle émanant d’une solution étalon de composition connue. L’intensité de cette lumière dépend de plusieurs facteurs (1), en particulier : la taille moyenne des particules, leur répartition granulaire et leur nature. Elle est importante à 90° pour des particules de taille inférieure au micron.
Pour des liquides chargés en matières en suspension (M.E.S. > 2 mg/l dans le cas d’eaux de rivières) plusieurs principes dérivés de la turbidité ont été mis en œuvre ; il peut s’agir de mesures effectuées par détection de la lumière diffusée en avant ou encore par rétro-diffusion. Dans le cas de solutions particulièrement encrassantes, le système de la cuve est abandonné au profit d’une mesure sur jet liquide. Compte tenu de ces divergences sur l’angle de mesure et sur le choix d’une solution étalon, la mesure de turbidité s’avère peu représentative de la charge en matières en suspension.
En laboratoire, la détermination des M.E.S. dans un liquide est effectuée par gravimétrie (norme AFNOR T.90.105) sur disques en fibres de verre. Cette mesure nécessite un temps de séchage de quatre heures environ à une température de 105 °C ; en conséquence, elle ne constitue qu’un paramètre de contrôle a posteriori des procédés de séparation liquide-solide difficilement utilisable pour un exploitant. Pour assurer la gestion de la clarification, ce dernier continue donc d’utiliser la turbidité tout en sachant que ce paramètre n’est pas adapté pour automatiser l’injection du taux de coagulant. Il y a là un besoin et nous avons été amenés à proposer une mesure en continu des M.E.S.
PRINCIPE DU GRAVITURBIDIMÈTRE
Certes, la turbidité, exprimée à partir de la lumière diffusée à 90°, constitue un indice intéressant pour le contrôle en continu de la présence de petites particules (taille inférieure au micron) contenues dans un liquide, mais elle n’est en aucun cas un paramètre représentatif de la concentration en M.E.S. En effet, on sait qu’à concentrations en particules égales, la diffusion varie avec la distribution granulaire des particules, leur indice de réfraction et celui du milieu dans lequel elles sont en suspension. En fait, une corrélation convenable n’existe entre la turbidité, telle qu’elle est mesurée couramment, et la concentration en particules, qu’à la condition que la répartition granulaire de celles-ci reste parfaitement stable, ce qui n’est pas souvent observé dans la pratique.
À la suite d’essais réalisés sur les granulomètres et compteurs de particules d’une part (2), sur les turbidimètres d’autre part (3), il a été imaginé d’associer une mesure classique de turbidité avec une évaluation de la quantité de M.E.S., dont le principe va être décrit. Le « graviturbidimètre » ainsi réalisé procure en temps réel deux critères complémentaires qui sont :
- la présence de particules colloïdales (taille inférieure au micron) ;
- la quantité globale de M.E.S.
La mesure de turbidité est assurée par détection à 90° (néphélométrie) de la lumière diffusée par l’échantillon ; elle est exprimée en FTU (étalon formazine).
La mesure des M.E.S. utilise le principe de la diffraction laser (4). Les particules de taille comprise entre 2 et 100 μm (taille limite des particules que l’on rencontre dans les eaux de rivière après un dégrillage fin) se comportent comme autant de sources ponctuelles lorsqu’elles sont éclairées par un rayon lumineux (dans notre cas il s’agit d’un laser He-Ne d’une puissance de 2 mW). La figure de diffraction de la lumière émise par chaque particule est fonction de la longueur d’onde du laser et de la taille de la particule. L’intensité de la lumière diffractée est maximale dans l’axe du rayon incident et s’étale d’autant plus de part et d’autre de cet axe que la particule diffractante est petite. Lors-
Lorsqu’on analyse la lumière diffractée par une suspension de particules monodimensionnelles, l'énergie totale diffractée est proportionnelle au nombre de particules diffractantes. Dans le cas de suspensions constituées de particules de tailles différentes, l'énergie diffractée, à une distance angulaire de l’axe du rayon incident, est la somme des énergies diffractées, à cette distance, pour chaque particule (rappelant que plus la particule est petite, plus elle diffracte loin de l’axe). Pour le graviturbidimètre prototype* (photo) la lumière diffractée est analysée dans deux zones angulaires dont les directions médianes sont situées respectivement à 1,5° et 12° environ de l’axe du rayon incident, ce qui correspond à une gamme de tailles de particules comprises entre 2 et 20 µm**.
La concentration en M.E.S. est une fonction complexe de ces deux mesures dont les coefficients sont fixés par étalonnage de l'appareil à l'aide de suspensions de composition granulaire connue (billes de latex, pollens, etc.).
Le graviturbidimètre s’adapte parfaitement à une mesure en continu de la turbidité et des M.E.S. ; pour le prototype, la fréquence de mesure a été fixée à deux secondes environ. L’appareil compense automatiquement l’éventuel salissement de la cuve de mesure.
En effet, une proportion du signal (turbidité et M.E.S.) est réservée à la compensation de l’encrassement.
(*) COMBI 48, brevet européen n° 0013 247 B1.
(**) Il a auparavant été vérifié que, dans le cas des eaux de rivière (Marne, Seine), le volume total de particules de taille comprise entre 2 et 20 µm est proportionnel au volume total de particules en suspension et, par conséquent (à masse volumique constante), à la masse totale de solides en suspension.
Cette compensation (figure 1) s’effectue par passage périodique d'un fluide de référence dans la cuve de mesure (dans notre cas il s’agit d’eau du réseau de distribution).
PREMIERS RÉSULTATS D’EXPÉRIMENTATION
Un appareil prototype a été placé à l’aval d’un décanteur couloir de l'usine de traitement des eaux de Neuilly-sur-Marne.
L’eau de Marne décantée après coagulation au WAC présente une turbidité comprise entre 1 et 3 mg/l de silice et une teneur en M.E.S. de 0,5 à 2,5 mg/l (les eaux brutes de Marne pouvant atteindre 300 mg/l après un simple dégrillage).
MESURE DE LA TURBIDITÉ
La réponse du COMBI 48 varie linéairement avec le taux de dilution d’une eau brute dans la gamme de mesures étudiée.
turbidité testée (figure 2). De plus, cette réponse donnée en FTU par le graviturbidimètre est corrélée linéairement aux mesures effectuées en laboratoire sur un appareil de type SIGRIST (modèle KTL 65).
MESURE DES M.E.S.
La mesure en continu des M.E.S. constitue le point le plus original de cet appareil. Deux tests bien distincts ont été entrepris successivement. L’objectif du premier a été de contrôler en circuit fermé la stabilité de la mesure. Pour ce qui concerne le second, le but a été de comparer la mesure de l’appareil au résultat d’une analyse de M.E.S. en laboratoire effectuée conformément à la norme AFNOR T.90.105. Avant de présenter les résultats de ces deux tests, il convient de souligner que l’appareil a été préalablement étalonné dans une gamme de mesure limitée à 10 mg/l pleine échelle, au moyen d’une eau de concentration et de composition granulaires connues de même type que celle à analyser.
Le premier test a consisté à faire circuler une eau de Marne dans une boucle fermée dans laquelle des comptages de particules ont été effectués au cours du temps à l’aide d’un compteur de particules HIAC type PC 320 équipé d’un capteur CMH 150 (5). Les résultats ont montré que :
- — la mesure fournie par le COMBI 48 présente une dérive décroissante lorsque la circulation de l’eau est assurée par une pompe péristaltique placée en amont de la cellule de mesure. Cette dérive a été expliquée par un déplacement de la répartition granulaire des particules vers des tailles plus petites, déplacement dû à un cisaillement des particules au cours des passages successifs dans la pompe. En fait cette dérive est normale car la taille de certaines particules tombant en dessous de 2 μm, celles-ci ne sont plus prises en compte dans la mesure effectuée par l’appareil ;
- — la mesure est majorée dans le cas où la pompe péristaltique se trouve placée à l’aval immédiat de l’appareil, cette majoration étant due à l’apparition de micro-bulles dans la cuve de mesure ;
- — la mesure reste parfaitement stable lorsque l’appareil est alimenté par une pompe volumétrique ou encore par gravité.
C’est donc cette dernière configuration d’alimentation de l’appareil qui a été retenue pour le second test, lequel a trait à la mesure en circuit ouvert des M.E.S. contenues dans des eaux brutes et des eaux décantées de l’usine de Neuilly-sur-Marne, présentant des teneurs en M.E.S. variables. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus en laboratoire suivant la norme AFNOR précitée. La figure 3 met en évidence une corrélation linéaire entre ces deux séries de mesures.
On peut en conclure que l’appareil prototype est bien dimensionné, et que dans la gamme de concentration limitée à 10 mg/l, la détermination de la masse totale des particules en suspension est satisfaisante d’un point de vue industriel. En ce sens, il peut contribuer à assurer un fonctionnement optimal de la clarification (coagulation + décantation) en limitant les variations de la charge massique de l’eau à filtrer. Comme chacun sait, la filtration, qui constitue souvent la dernière barrière aux M.E.S. avant distribution de l’eau dans le réseau, est extrêmement sensible à ce phénomène.
Enfin, compte tenu de son principe, le prix de revient de l’appareil est sensiblement équivalent à celui d’un turbidimètre industriel de bonne qualité, avec l’avantage de fournir à la fois une mesure de turbidité satisfaisante et une évaluation bien représentative des M.E.S.
BIBLIOGRAPHIE
(1) « Measurement of colour and turbidity » Notes on Water Research (22) août 1979, 4 p.
(2) Granulométrie et compteurs de particules, rapport de l’Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives, 1982.
(3) Turbidité et appareils de mesure globale de la concentration en matières en suspension, rapport de l’Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives, 1983.
(4) J. Corillault Particle size analyser, Applied Optics (11) n° 2, February 1972, pp. 265-268.
(5) J-L. Colin, G. Bablon, J. Fauchere. « Le comptage des particules appliqué au traitement des eaux de surface » Trib. Cebedeau (35) n° 458, 1982, pp. 11-22.