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La mesure en continu de la toxicité des eaux

30 mars 1994 Paru dans le N°171 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Marc LE PENNEC et Jean-yves OLLIVIER

La mesure en continu de la toxicité par bactéries bio-luminescentes est une technique récente présentant de nombreux avantages. Tout d'abord le test est global et permet ainsi d'appréhender, contrairement aux analyseurs spécifiques, toute pollution provenant de la synergie de plusieurs composés chimiques. Par ailleurs, le procédé utilisé a permis de fiabiliser le bio-test par l'obtention de résultats précis, rapides et simples à analyser. Enfin, l'appareil, entièrement automatisé, permet le suivi permanent du milieu naturel ou d'effluents, afin d'éviter toute pollution accidentelle grave, non mesurable par un autre moyen.

Si la qualité des grandes rivières tend à s’améliorer, au moins en France, il n’en est pas de même de la majorité des cours d’eau. Ceci s’explique par un assainissement encore insuffisant, tant au niveau urbain qu’industriel. Parallèlement, le nombre de pollutions accidentelles augmente régulièrement, entraînant une irrégularité importante de la qualité de cette ressource vitale.

Pour remédier à ces problèmes, les collectivités locales, les distributeurs d’eau et les industriels ont installé des stations automatiques de surveillance, permettant le contrôle permanent des eaux. Les paramètres principaux mesurés à l’heure actuelle sont le pH, la conductivité, la température, l’oxygène dissous, l’ammonium, les nitrates, le COT, les hydrocarbures, les métaux lourds...

Quels que soient les avantages et l’intérêt non remis en cause de l’obtention de ces mesures en continu, chacune d’entre elles reste spécifique et ne permet pas d’envisager les effets d’antagonisme ou de synergie de plusieurs polluants. En fait, la toxicité globale est importante, bien que chaque paramètre mesuré séparément reste bien en deçà des normes admises ; parallèlement, on ne peut imaginer la mesure automatique de tous les composés chimiques existants, aussi bien techniquement que financièrement. D’où l’idée de se tourner vers un test de toxicité globale permettant d’appréhender l’effet global de plusieurs composés chimiques dans un effluent.

Sur ce constat, pour le compte du Syndicat des Eaux d’Île-de-France et de la Société des Eaux de Marseille, la Compagnie Générale des Eaux, Hydro-Environnement et la société Microbics ont allié leurs compétences pour la réalisation d’un instrument de mesure automatique de toxicité, l’Auto-Microtox, basé sur l’utilisation des bactéries bioluminescentes, dont nous décrirons le fonctionnement et les premiers résultats acquis en phase d’exploitation. Nous nous attacherons parallèlement à le comparer à d’autres bio-tests pour en analyser les différences.

Principe de la mesure

Par définition, la toxicité est la capacité d’un ou plusieurs composés chimiques à désorganiser ou inhiber un processus biochimique pour un système vivant. Bien qu’une bonne corrélation existe entre les réponses des êtres vivants utilisés dans les principaux tests de toxicité (bactéries, daphnies, poissons), l’estimation d’une toxicité reste fonction du type que l’on a retenu.

Le test Microtox emploie des bactéries bioluminescentes, du type Photobacterium phosphoreum, émettant naturellement des photons. Son principe consiste à comparer en parallèle la luminescence des bactéries respectivement sur un échantillon d’eau à analyser et sur une eau de référence (eau déminéralisée ou eau d’Évian). Ce test, qui existe en laboratoire depuis de nombreuses années et qui est normalisé, a été automatisé pour permettre le suivi, 24 h sur 24 et sur site, de la qualité globale d’un cours d’eau (figure 1).

Métabolisme producteur de la bioluminescence de la bactérie Photobacterium phosphoreum

La bactérie Photobacterium phosphoreum est une bactérie anaérobie facultative, non pathogène, de la famille des vibrionacées, pourvue d'une flagelle polaire. Le mécanisme de sa luminescence, qui est complexe et dont certains points sont encore inexpliqués, peut cependant être résumé de la façon suivante.

Grâce à l'oxygène, l'énergie transportée par la flavine (FMNH₂) est transformée en énergie lumineuse. La réaction est catalysée par une enzyme, la luciférase :

O₂ + FMNH₂ + RCHO  —luciférase→  FMN + RCOOH + H₂O + hν/476 nm

À chaque cycle de transformation de l'aldéhyde en acide gras, une molécule de FMNH₂ et une molécule de NADH₂ (qui provient de la chaîne de transfert des électrons) sont consommées et il y a production d’un dérivé excité de la flavine, qui donne naissance au phénomène de bioluminescence. La luciférase, qui catalyse la réaction, est une enzyme hétérodimérique, dont la localisation est imprécise et qui serait liée au système membranaire.

Application à la mesure automatique

Les bactéries étant conservées lyophilisées et congelées, elles sont tout d’abord régénérées par ajout d'eau et chlorure de sodium. L’analyseur prépare ensuite deux échantillons, le premier sur l’eau brute à analyser, le deuxième sur l’eau de référence (figure 2).

[Photo : Fig. 1 : La station automatique de surveillance de la toxicité.]

Après avoir introduit ces deux échantillons dans une cellule photomultiplicatrice, l'analyseur mesure minute par minute la nouvelle toxicité respectivement sur les deux échantillons. Le pourcentage d’inhibition bactérienne est calculé de la façon suivante :

Ei * (Tt/Ti) – Et
—————————— × 100
Ei * (Tt/Ti)

où :

  • Ei : luminescence initiale (t = 0) des bactéries, pour l’eau brute
  • Ti : luminescence initiale (t = 0) des bactéries, pour l’eau de référence
  • Et : luminescence des bactéries dans l'eau brute au temps t de la mesure
  • Tt : luminescence des bactéries dans l'eau de référence au temps t de la mesure

Pendant trente minutes l’analyseur compare les luminescences instantanées des deux échantillons et calcule minute par minute le pourcentage d’inhibition. La valeur finale (t = 30 minutes) est conservée (figure 3). Les portoirs, flacons, etc. sont rincés. L’analyseur prend alors un nouvel échantillon de bactéries et le test recommence. L'ensemble de ces opérations est entièrement automatisé grâce à une unité de commande.

Comparaison entre les bio-tests

Les tests de toxicité sont aujourd’hui couramment utilisés en laboratoire pour assurer le contrôle d’effluents et d’eaux de surface, de même que dans le suivi des filières de traitements des stations d’épuration. Ces tests sont basés sur l’observation, dans des conditions bien définies, du comportement d’organismes vivants placés dans l’eau analysée.

Les critères biologiques pris en compte sont généralement la mort ou toute autre modification évidente du métabolisme pendant un temps de contact minimal de 24 heures. Les deux autres bio-essais les plus employés dans le contrôle de la pollution aquatique sont les tests Daphnies et Poissons. D'une façon générale, la corrélation entre les réponses de ces différents tests est excellente. Par contre, la nature et les caractéristiques de ces tests sont assez variables, comme on le voit sur le tableau I.

Exemples d’essais sur sites

Nous résumerons ci-après quelques réponses-types d’analyseurs automatiques installés sur les principales rivières françaises, dont le but est de surveiller en continu la qualité de l’eau.

[Photo : Fig. 2 : Principe du test de toxicité Microtox.]
[Photo : Fig. 3 : Courbes de luminescence des bactéries.]
[Photo : Fig. 4 : Influence du pH sur l’eau de rivière.]
[Photo : Fig. 5 : Influence du pH sur l’eau de rivière.]
[Photo : Fig. 6 : Influence du pH sur l’eau de rivière.]
[Photo : Fig. 7 : Influence de l’ion ammonium sur la toxicité.]
[Photo : Fig. 8 : Influence de l’ion ammonium sur la toxicité.]
[Photo : Fig. 9 : Influence de l’ion ammonium sur la toxicité.]

et toute pollution accidentelle pouvant intervenir subitement.

Influence du pHsur l’eau de la rivière

L’eau est lentement amenée de pH 7 à pH 9, par pas d’une unité pH, l’environnement général restant sensiblement similaire. Les résultats sont présentés sur les figures 4 à 6.

La mesure complète dure 30 minutes, avec toutes les minutes une nouvelle mesure de luminescence. On enregistre donc sur une échelle en ordonnées de 0 à 100 % la luminescence émise par les bactéries, respectivement sur l’échantillon de référence (eau déminéralisée) et sur l’échantillon d’eau brute (rivière). La différence entre les deux permet l’obtention de la courbe d’inhibition, donnant en 30 minutes la valeur finale de la toxicité. Un seuil paramétrable, (ici 20 %), permet de transmettre une alerte dès que la toxicité (ou inhibition) est supérieure au seuil.

Dans ce cas précis on observe nettement l’augmentation de la toxicité, qui intervient lorsque le pH augmente. On passe ainsi de 0 % d’inhibition à pH 7 à 19,42 % à pH 9, ce qui s’explique notamment par la transformation d’espèces chimiques sous influence du pH, couple acide-base (ex NH4+ ↔ NH3), l’une des formes étant souvent beaucoup plus toxique que l’autre pour les organismes vivants.

Influence de l’ion ammoniumsur la toxicité

Nous avons pris un échantillon d’eau, puis avons fait varier la concentration en ion ammonium de 0,05 à 1 mg/l. Les résultats sont présentés sur les figures 7 à 10.

On y remarque que la toxicité croit très rapidement et « proportionnellement » à la concentration en ammonium. À 0,05 mg/l la toxicité est déjà supérieure à 20 %, valeur considérée comme critique, correspondant à une pollution importante, sur une eau de surface.

Il est utile de noter qu’il s’agit là d’un test global, et que pour analyser ces résultats de façon précise, il est nécessaire de bien connaître l’environnement général. Par exemple :

dans le cas n° 1, la concentration en ammonium est de 0,1 mg/l et la toxicité voisine de 60 % : le pH est de 7 ;

dans le cas n° 2, la concentration en ammonium est de 0,05 mg/l et la toxicité voisine de 20 % : le pH est de 7.

À pH 9,5 et malgré la faible teneur en ammonium, la toxicité serait de 100 % car l’ion ammonium se trouve à ce pH.

[Photo : Influence de l’ion ammonium sur la toxicité.]
[Photo : Suivi d’un cas de pollution en rivière.]
[Photo : Figure 12.]
[Photo : Tableau I – Caractéristiques des tests de toxicité.]

sous la forme NH₃, beaucoup plus toxique que NH₄⁺. C’est ce qui fait l’intérêt de cet analyseur, qui est capable de tenir compte et d’enregistrer l’action combinée de tous les facteurs et éléments chimiques présents dans l’eau au temps t.

Analyse d’un cas de pollution sur rivière

La figure 11 présente des archives graphiques d’un analyseur installé en région parisienne, qui suit en permanence et en temps réel les pollutions et les variations de la qualité de la rivière. Comme indiqué ci-dessus, l’analyseur donne, toutes les heures environ (durée du cycle), une mesure de toxicité, ce qui permet ensuite le suivi heure par heure et l’évolution journalière d’une pollution (figure 12). C’est ce qu’indique le graphique : à 15 h 38 la toxicité constatée est nulle, puis, entre 16 h 32 et 20 h 08, elle augmente rapidement à 25 %, puis elle redescend lentement pour revenir à 0 % vers 2 h du matin : la nappe de pollution est alors passée.

Cette pollution doit être parallèlement identifiée : si aucun des analyseurs spécifiques n’a décelé de pollution, les échantillons stockés par le préleveur échantillonneur (échantillonnage automatique et permanent), pendant le passage de la nappe, permettent de le faire rapidement.

En l’occurrence, une toxicité de 25 % signifie que la lumière émise par les bactéries contenues dans l’échantillon a baissé de 25 % par rapport à la lumière émise par les bactéries dans l’eau de référence. Autrement dit environ 25 % des bactéries sont mortes, ce qui représente sur plus de 1 million une quantité non négligeable. Il est alors grand temps de réagir !

La mesure de toxicité est un élément fort utile pour permettre l’appréhension de phénomènes globaux de pollution, ce qu’aucune analyse spécifique ne peut réaliser. Par son automatisation et par la fiabilisation du procédé employé par rapport à tous les bio-tests existants jusqu’alors, l’Auto-Microtox permet le suivi précis de la qualité de la ressource, ce qui constitue une avancée technologique française. Cette technique est actuellement mise en œuvre sur toutes les plus grandes rivières françaises, en assurant notamment la sécurisation de la ressource des usines d’eau potable exploitées par la Compagnie Générale des Eaux, ainsi que le suivi environnemental et général de la qualité des cours d’eau.

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