Dans une raffinerie de pétrole, on rencontre un grand nombre de circuits d'eau qui, selon leur nature et leur provenance, nécessitent des traitements spécifiques avant tout rejet ou recyclage. En effet qu'elles soient propres, huileuses ou de procédés, il est indispensable de contrôler en continu les agents polluants de ces eaux. Dans cet article, nous allons suivre le cas des effluents de procédés, et plus particulièrement nous attacher à leur désulfuration et au contrôle en continu des sulfures.
Classification des eaux
Une raffinerie de pétrole est une grande utilisatrice d’eau, et sa consommation peut dans certains cas atteindre le m³ par tonne de brut traité. Celle-ci est utilisée de multiples façons et ceci, pratiquement dans chaque unité et dans chaque étape du traitement du brut.
Les effluents des raffineries peuvent être classés en trois grandes catégories, qui selon la nature de leurs agents polluants nécessiteront différents traitements :
- • Les « Eaux propres », qui ne contiennent pas de produits polluants, car elles proviennent essentiellement du ruissellement des eaux de pluie, des stations de déminéralisation et des réfrigérants.
- • Les « Eaux huileuses », qui proviennent de la contamination des eaux propres.
- • Les « Eaux de procédé », qui résultent de l'utilisation de l'eau dans les différents procédés de synthèse, de séparation et de purification. Celles-ci étant directement en contact avec les produits, elles contiendront donc des hydrocarbures, mais aussi des sulfures, de l’ammoniaque, des mercaptans, de la soude... qu’il conviendra de suivre et d’éliminer.
Les procédés usuels
Nous avons vu que les eaux de procédés ayant été en contact avec les produits, elles seront fortement chargées en divers agents polluants. Un rapide survol des procédés les plus courants utilisés en raffinerie permet de dire quels seront les polluants et leurs teneurs.
- • Le stripping : il s’agit d’une distillation avec entraînement à la vapeur d’eau permettant de séparer les parties légères, ce qui s’effectue tout d’abord sous pression atmosphérique, puis sous vide. Les impuretés qui sont contenues dans les eaux récupérées sont essentiellement constituées de produits soufrés, d’ammoniaque et d’huiles.
- • Le craquage : il s’agit de décompositions thermiques ou catalytiques d’hydrocarbures permettant d’en obtenir de plus légers par cassage des molécules. Dans ces procédés, il est très souvent fait usage de stripping et d’injection de vapeur d’eau. Les eaux de condensation que l'on récupère contiennent des sulfures et de l’ammoniaque, souvent en très grandes quantités (jusqu’à plusieurs grammes par litre).
- • L’hydrodésulfuration : cette opération a pour but d’éliminer le maximum de composés soufrés des produits pétroliers par réaction catalytique avec de l’hydrogène, ce qui aboutit à la formation d’hydrogène sulfuré. Pendant cette étape, les dérivés azotés sont, quant à eux, transformés en ammoniaque.
Les traitements des effluents
Trois grands procédés sont classiquement utilisés en série pour le traitement final des effluents des raffineries de pétrole.
- • La séparation gravitaire, qui a pour but la décantation des hydrocarbures non dispersés, les huiles surnageant et les boues décantant dans des bassins appropriés.
- • La floculation, qui permet l’élimina
Tableau I
Quelques applications classiques du titrateur industriel 8810.
pH | TA et/ou TACAciditéCarbonates |
---|---|
ORP | Dureté calcique ou totaleZincChromeFerPeroxyde d’hydrogèneCyanureHypochloriteNitriteSulfure |
ISE | AmmoniaqueNitrateCyanureSulfureChlorure |
• Coagulation-floculation, qui permet la séparation des hydrocarbures dispersés et des suspensions colloïdales par ajout de sels ferreux, ferriques ou d’aluminium. Cette opération est soit suivie d’une nouvelle décantation qui permet l’élimination des flocons sous forme de boues, soit suivie d’un passage dans un flottateur à air, où l’injection de celui-ci sous forme de fines bulles entraînera vers la surface les flocons, la couche huileuse résultante étant éliminée par raclage.
• L’oxydation biologique, qui permet d’éliminer des produits dissous (matières organiques, hydrocarbures solubles, …).
Souvent, les circuits d’eaux propres, huileuses ou de procédés restent séparés et suivent une suite de traitements propres.
Pour les eaux propres, une simple séparation gravitaire est suffisante. Pour les eaux huileuses, la séparation gravitaire sera suivie d’une floculation. Pour les eaux de procédés, il sera nécessaire d’effectuer successivement une séparation gravitaire, une floculation et un traitement biologique.
Lorsque les teneurs en sulfures et ammoniaque des eaux de procédés sont très élevées, il est souvent d’abord effectué un stripping de celles-ci à la vapeur d’eau, de manière à ramener ces produits dans des gammes de concentration « normales » pour les traitements ultérieurs.
Dans le cas de la floculation et de l’oxydation biologique, ces techniques perdent de leur efficacité lorsque les sulfures se retrouvent en quantités trop importantes à ces stades.
Le sulfure d’hydrogène est extrait par stripping à la vapeur d’eau, puis la phase récupérée est soit incinérée, soit dirigée vers une unité de conversion en soufre commercialisable (unité Claus).
La mesure des sulfures
Nous avons vu qu’il était nécessaire de mesurer en continu la teneur en sulfures des eaux dans les raffineries, afin de contrôler leur épuration.
À cette fin, en qualité de spécialiste du contrôle chimique de l’environnement et des procédés, nous avons mis au point une méthode de mesure utilisant comme support notre titrateur industriel, le 8810.
Cet analyseur standard produit par Zellweger Analytics (figure 1) permet de mesurer des concentrations, soit par titration en mode pH ou en mode Redox (ORP), soit par mesure directe en utilisant des électrodes spécifiques à certains ions (ISE : ion selective electrode) (tableau I).
L’échantillon est admis dans la cellule par une vanne pneumatique, ce qui supprime le problème de la filtration de l’échantillon. Un système de siphon permet d’obtenir un volume d’échantillon toujours constant et reproductible (figure 2).
Selon l’application, une ou deux pompes de conditionnement permettent d’ajouter les réactifs nécessaires à la mesure (acidification, alcalinisation, ajustage des forces ioniques, …).
Si l’analyse s’effectue par titration, celle-ci est alors effectuée par introduction du réactif approprié jusqu’à l’obtention d’un point équivalent. Par exemple, pour une mesure de TAC, le titrage sera effectué par une solution d’acide sulfurique. Il sera suivi potentiométriquement avec une électrode de pH et le point équivalent sera pH 4,2.
Si l’analyse s’effectue en mode ISE, le potentiel de l’électrode spécifique à l’ion à mesurer est relevé. La concentration peut alors être calculée en fonction de ce potentiel, de la température (mesurée automatiquement dans la cellule) et des paramètres de calibration.
À la fin de la mesure, la cellule est vidée automatiquement et un rinçage à l’eau s’effectue de manière tout aussi automatique. Selon l’application et l’échantillon, un nettoyage chimique automatisé pourra alors être effectué, puis suivra un rinçage à l’eau, avant l’admission d’un nouveau volume d’échantillon.
Cette méthode de dosage des sulfures consiste à effectuer le titrage avec un réactif qui réagira avec les sulfures, et ceci après un conditionnement alcalin, pour amener le pH à une valeur supérieure à 12. À cette valeur de pH tous les sulfures seront déplacés vers leur forme libre S²⁻, ce qui permet de les stabiliser et d’éviter tout problème stœchiométrique avec la forme HS⁻ lors de la titration.
La réaction est de la forme
S²⁻ + X²⁺ → XS
Celle-ci est suivie par potentiométrie avec une électrode d’argent, sensible aux ions sulfures libres présents en solution dans l’échantillon.
L’électrode d’argent plongée dans une solution de sulfures se recouvre d’une très fine couche de sulfure d’argent. Cette couche étant peu soluble, l’électrode deviendra une électrode de deuxième ordre, sensible aux ions sulfures. Au cours de la titration, la concentration en ions sulfures libres diminuant, le potentiel de l’électrode d’argent variera selon une loi en -RT/F ln (as-), où « as- » est l’activité de l’ion sulfure.
Les courbes de titrages montrent que le point final de titration se situe à - 550 mV (figures 3 et 4).
La limite de détection de la mesure est de l’ordre du ppm et l’échelle de mesure peut atteindre 500 ppm, bien que celle fréquemment utilisée pour le contrôle des eaux résiduaires des raffineries de pétrole soit 0-50 ppm.
Une ancienne méthode consistait à titrer les sulfures avec une solution de nitrate d’argent selon l’équation :
S²⁻ + 2 Ag⁺ ———> Ag₂S
Avantages et intérêts de la méthode
La méthode de dosage des sulfures présente des avantages et intérêts non négligeables.
Le premier avantage, le plus évident, est bien sûr l’économie sur les réactifs. En effet, les sels d’argent ont la réputation d’être très chers. Pour un analyseur fonctionnant en continu pendant un an et sur une échelle 0-50 ppm, on peut estimer les coûts en réactifs de titrage :
• Méthode au nitrate d’argent : Nitrate d’argent : 35 000 Fr/an
• Nouvelle méthode : Nouveau réactif : 600 Fr/an
Le réactif de conditionnement reste le même dans les deux méthodes, à savoir une solution de soude à 10 %.
Dans le cas de la titration au nitrate d’argent, tous les ions susceptibles d’interférer, par exemple les chlorures, peuvent gêner la mesure. Avec le nouveau réactif, des concentrations jusqu’à 2 g/l de chlorures n’ont posé aucun problème.
Les sels d’argent étant très peu solubles, ils sont donc difficilement nettoyables, ce qui nécessitait des entretiens beaucoup plus fréquents. De plus, ils sont très photosensibles, obligeant à laisser la cellule de mesure et le réservoir de réactif de titrage à l’abri de la lumière. Autre avantage de la méthode est qu’elle n’entraîne pas d’encrassement de la cellule de mesure, le nouveau réactif étant très soluble et pas du tout sensible à la lumière.
Conclusion
En conclusion, nous avons vu qu’avant tout rejet, recyclage ou traitements, les eaux résiduaires des raffineries de pétrole nécessitent un contrôle en continu de la teneur des agents polluants, entre autres, celle des sulfures.
Nous avons développé une méthode utilisant comme support un titrateur industriel standard, le 8810. Grâce à ses différentes fonctions, cet analyseur peut fonctionner de manière totalement automatique en ce qui concerne le prélèvement et le conditionnement de l’échantillon, la mesure et le rinçage de la cellule.
Cette nouvelle méthode s’est révélée peu onéreuse, moins encrassante vis-à-vis de la cellule de mesure et ne souffrant pas d’interférences avec cette application.
Zellweger Analytics a donc répondu à un besoin des raffineries de pétrole, imposé à la fois par les pouvoirs publics en ce qui concerne les normes de rejets des eaux résiduaires, et par les raffineries de pétrole elles-mêmes, soucieuses du bon fonctionnement de leurs procédés de traitement de ces eaux.