2° PARTIE *
Hydrologue, Ingénieur T.C.Ets PONSELLE - VERSAILLES.
I. DOMAINE D'APPLICATION
La régulation de l’apport d'oxygène dans l'épuration biologique des eaux usées ne présente d'intérêt que dans les procédés d’aération forcée et plus particulièrement dans les installations d'épuration par boues activées.
L’épuration par lits bactériens, disques biologiques, lagunage, et dans une certaine mesure par lagunage aéré, ne nécessite pas une aération forcée : l’effluent à très faible charge s'oxygène suffisamment au contact de l’air qu’assurent ces procédés.
Par contre, dès que l'on est au-delà de la très faible charge, c’est-à-dire en faible, moyenne ou forte charge, l'aération doit être contrôlée étroitement.
1.1.
La charge organique et bactérienne est telle qu'un déficit d’oxygène a très rapidement des conséquences graves sur le bon fonctionnement de la station. Il faut donc pouvoir vérifier constamment que la teneur en oxygène n'est pas trop faible ou nulle et compenser rapidement un déficit.
1.2.
Si au contraire, l'aération est excessive et maintient une teneur en oxygène trop élevée dans les boues, l'épuration se fait mal aussi (nitrification accélérée, mauvaise décantation, etc.) et la consommation d’énergie est abusive et nuisible.
1.3.
Pour maintenir une teneur en oxygène correcte entre ces limites anaérobiose et suroxygénation, le moyen le plus commode et le plus sûr est d’assurer un contrôle continu par un oxymètre qui asservit les aérateurs. Cet oxymètre régulateur permet de maintenir la teneur en oxygène dissous dans une « fourchette » d’aération optimale pour assurer une bonne épuration.
II. TAUX NORMAL D'OXYGÈNE DANS DES BOUES ACTIVÉES
La teneur en oxygène dissous doit être maintenue dans des limites étroites et précises pour assurer une épuration correcte :
2.1. Limite inférieure : zéro à 1 mg/l.
Si la teneur en oxygène dissous dans les boues est nulle, cela signifie que tout oxygène dissous est consommé par les bactéries. On risque leur asphyxie, le passage en anaérobiose et en milieu réducteur ainsi que le colmatage des boues.
Il faut plusieurs semaines d'interventions sur la station pour rétablir un fonctionnement normal. En fait, lorsque les boues décantées sont recyclées dans le bassin d'aération, il faut qu’elles soient encore actives. Pour que ces boues restent vivantes pendant la recirculation, elles doivent disposer d'une réserve d’oxygène. Il est donc préférable de maintenir une teneur en oxygène de l'ordre de 1 mg/l dans le bassin d'activation.
2.2. Limite supérieure.
Autant la limite inférieure est facile à établir, autant la limite supérieure est délicate à définir. Elle varie d'une station à l’autre en fonction du procédé d’épuration, du volume traité, de sa charge polluante. Pour une même station, elle varie en plus en fonction des variations de débit et de charge et des facteurs climatiques locaux (température et pression atmosphérique essentiellement). Les variations saisonnières des activités humaines doivent aussi être prises en compte (surtout dans le cas des industries agro-alimentaires).
* La 1re partie de cet article « La mesure de l'oxygène dissous par polarographique dite SONDE DE CLARK » est parue dans le n° 48 d'octobre 1960, page 99 et suivantes.
On tient en général le taux maximum d’oxygène dissous entre 2 et 4 mg/l. Dans les stations à faible charge, l'excès d'oxygène entraîne une nitrification trop rapide qui, outre ses conséquences biochimiques, perturbe la décantation, donc le recyclage et le rejet dans le milieu naturel. Dans les stations à moyenne ou forte charge, on peut largement dépasser 4 mg/l, mais la surconsommation d’énergie n'est pas justifiée par une nette amélioration de l’épuration.
III. INTÉRÊT DE LA MESURE CONTINUE ET ENREGISTRÉE DE LA TENEUR EN OXYGÈNE DISSOUS
La plupart des stations d'épuration sont munies de dispositifs de contrôle du débit d'entrée et d’automates assurant la mise en marche et l'arrêt des aérateurs.
Ces dispositifs sont sommaires car ils ne contrôlent que les variations du débit de l'effluent, sans prendre en compte sa charge polluante, elle aussi variable, indépendamment du débit.
Par ailleurs, ils assurent une régulation préréglée, à partir d'une appréciation des variations moyennes journalières du débit d'entrée.
On constate pourtant que les effluents des petites agglomérations, ou les effluents mixtes urbains plus industriels, ont des variations de débit et de qualité aléatoires au cours de la journée (orages, curages de réseau, rejets industriels non routiniers, match nocturne ou programme T.V. à succès, etc.). Ces variations s’écartent parfois très largement des valeurs moyennes pour lesquelles est préréglé le fonctionnement de la station. Les réglages des automates n’assurent alors pas l’épuration correcte souhaitée.
Un enregistrement de la teneur en oxygène dissous montre alors des valeurs anormales de la teneur liées à l’inadaptation du système automatique (horloges, doseurs cycliques).
On constate des carences ou des excès d'oxygène et une consommation excessive d'énergie par rapport au volume d'eau traité et à la qualité du rejet.
La figure 1 donne un exemple de situation qui n'a rien d'exceptionnel. L'enregistrement a été fait sur une station alimentée par un réseau unitaire. Au cours de la période de mesure, un orage a perturbé la station et l’automatisme par horloges a accentué l’effet de l’orage au lieu de l’atténuer. L'aération s'est avérée nuisible et dispendieuse : suroxygénation, dispersion des boues entraînées à la rivière, dépense d'énergie en pure perte.
L'enregistrement de la teneur en oxygène dissous rend donc compte des variations aléatoires de l’effluent et des perturbations correspondantes de l’épuration. Un enregistrement d'une à plusieurs semaines peut, sur une station dépourvue d'oxymètre régulateur, améliorer sensiblement les réglages des horloges et doseurs cycliques qui commandent le cycle d'épuration. L'inconvénient du seul contrôle de l'oxygène dissous par un oxymètre enregistreur est d'apporter une information utilisable a posteriori. La commande directe du fonctionnement de la station par un oxymètre régulateur est une solution élégante qui assure le maintien en permanence d'un taux contrôlé d'oxygène dans les boues activées.
IV. ASSERVISSEMENT DE L'AÉRATION PAR OXYMÈTRE RÉGULATEUR
Au lieu de simplement enregistrer les variations de teneur de l'oxygène dissous dans le bassin d'activation, l'oxymètre, muni de points de consigne, peut commander l'aération pour maintenir la teneur d'oxygène dans une fourchette déterminée. Il suit ainsi les variations de la charge polluante apportée et réduit ou force l'aération en fonction de la consommation des bactéries liée aux variations de l'apport.
Un oxymètre régulateur est un oxymètre muni d'un circuit électronique complémentaire. Ce circuit comprend un, deux ou trois points de consigne réglables manuellement par l'utilisateur, et un, deux ou trois relais de commande arrêt-marche des aérateurs. On a ainsi un dispositif de régulation par « tout ou rien » ou « tout ou peu ».
Certains oxymètres régulateurs sophistiqués assurent une régulation proportionnelle qui accroît ou réduit l'aération constamment en fonction de la demande en oxygène. Mais ils ne peuvent asservir que des aérateurs à régime variable.
Si l'on reprend le cas présenté par la figure 1, une régulation par oxymètre donne l'enregistrement schématisé par la figure 2. On voit que, dès que l'eau pluviale de l'orage dilue l'effluent et les boues et apporte un excès d'oxygène, l'oxymètre stoppe l'aération forcée. Les boues décantent en l'absence de brassage et sont moins entraînées par le débit excessif. En fin de crue pluviale, un court temps de brassage automatique, commandé par l'oxymètre régulateur, les remet en suspension pour éviter le colmatage et l'asphyxie du fond de bassin. Après le ressuyage des eaux pluviales, la régulation reprend normalement. La station a été moins perturbée et on a économisé deux heures pleines de consommation électrique sur les sept heures de la phase pluvieuse (soit 28,5 % d'économie d'énergie sur ces sept heures).
L'exemple choisi est un cas beaucoup plus fréquent qu'on ne l'imagine, tout afflux brutal et aléatoire perturbant le milieu biologique. Sur une station ancienne, l'installation d'un oxymètre régulateur amène une économie de brassage de 10 à 50 % pour les cas qui ont été suivis attentivement.
On peut estimer qu'en fonction de la conception de la station d'épuration et de la quantité de pollution qu'elle traite, un oxymètre régulateur efficace peut être amorti de 6 à 30 mois, par l'économie d'énergie réalisée. Il est, à ce propos, regrettable qu'aucune étude approfondie sur la régulation d'oxygène n'ait encore été publiée.
V. PROBLÈMES D'UTILISATION D'UN OXYMÈTRE RÉGULATEUR
5.1. Rappels : Pour qu'une sonde d'oxygène fonctionne convenablement, il faut :
- • que l'eau contrôlée circule devant la sonde à une vitesse suffisante (30 à 40 cm/s) pour que la sonde indique la teneur réelle. Quand la vitesse est trop faible, la teneur est sous-estimée.
5.3.
- ● que par une forte vitesse d’écoulement ou par un dispositif de nettoyage automatique la membrane de la sonde reste propre pour conserver sa porosité initiale, sinon la mesure dérive par colmatage de la membrane.
5.2.
La sonde doit être placée en un point du bassin d’activation où l’écoulement est permanent, ou alors, elle doit être munie d’un dispositif d’agitation de l’eau. Le problème de la majorité des oxymètres régulateurs est que le support de sonde et le dispositif d’agitation accrochent les fibres et filasses en suspension dans l’eau. L’accumulation rapide de ces déchets fibreux perturbe plus ou moins la mesure et l’entretien de la sonde devient très fastidieux.
Il existe maintenant des sondes d’oxygène sûres et dont le dispositif d’agitation fonctionne très bien, même dans des eaux chargées de fibres.
On peut donc étendre l’équipement d’oxymètres régulateurs à un beaucoup plus grand nombre de stations d’épuration (globalement, à toutes les stations de plus de 5 000 Eq.-hab.).
Remarquons aussi que l’aspect, la position et l’orientation de la sonde et de son dispositif d’agitation jouent aussi un rôle important dans l’efficacité de l’installation de régulation.
5.3.
L’hétérogénéité des boues activées dans un bassin d’aération est un argument souvent avancé par les techniciens de l’épuration : la mesure de l’oxygène dissous en un seul point n’a pas de signification disent-ils. Il faudrait un oxymètre à plusieurs sondes donnant une teneur moyenne du bassin. Le coût prohibitif d’un tel engin écarte alors toute idée de régulation.
Contre cet a priori on peut répondre deux choses :
- ● Un bassin d’activation est conçu pour que toute l’eau qu’il contient soit brassée. Cette eau n’est donc pas hétérogène, au point que l’on ne trouve pas un emplacement pour que la sonde d’oxygène, tel qu’elle fournisse une indication représentative de la teneur moyenne du bassin.
- ● Un oxymètre régulateur est muni de deux points de consigne réglables. On peut donc raisonner en valeurs relatives et le réglage n’est pas fait nécessairement en fonction de la teneur réelle du bassin d’activation, mais en fonction de la qualité de l’eau et des boues que l’on veut à la sortie.
En raisonnant ainsi de façon pratique, on peut parfaitement réguler une aération, avec un seul point de mesure d’oxygène. Nombre de stations convenablement gérées fonctionnent très bien avec une seule sonde d’oxygène. Dans certains cas de figure, l’aération est régulée par la mesure d’oxygène dans le décanteur, faute de pouvoir la faire commodément dans le bassin d’aération.
5.4.
Un autre point paraît par contre négligé par beaucoup de gérants de stations. C’est la profondeur d’immersion de la sonde d’oxygène. Dans une majorité d’installations, la sonde est placée trop près de la surface pour pouvoir la sortir facilement à l’occasion des nettoyages et étalonnages.
Or, l’hétérogénéité est beaucoup plus réelle dans le plan vertical que dans le plan horizontal. Les dispositifs de brassage de surface ne mobilisent pas toujours parfaitement les boues du fond. La forme du bassin et la puissance des aérateurs n’assurent pas toujours un tourbillon très efficace.
Dans ce cas il est prudent d’immerger davantage la sonde d’oxygène. Placer la sonde à un mètre de fond assure alors le gérant que la mesure fournie par la sonde correspond à la teneur la plus basse de l’ensemble du bassin. On peut ainsi éviter des anaérobioses partielles et des colmatages de fond.
VI. AUTRES INTÉRÊTS DE LA RÉGULATION D’OXYGÈNE
Dans la majorité des cas, une installation d’oxymètre régulateur est destinée à maintenir un taux d’oxygène optimal dans les bassins d’activation (et à réduire économiquement les temps de fonctionnement des aérateurs).
6.1.
Le rôle évident de l’oxymètre régulateur induit dans la plupart des esprits qu’il ne peut être efficace que lorsqu’on a atteint la charge normale de fonctionnement de la station.
Quelques expériences pratiques montrent que la régulation d’oxygène est intéressante dès la mise en eau de la station.
La figure 3 montre les résultats obtenus par une régulation d’oxygène précoce (débutée au cours de la période de latence du développement de la microfaune d’une station neuve).
L’habitude veut que, lorsque l’on ensemence une station neuve avec des boues actives, l’aération est continue. Il paraît évident qu’une faible population bactérienne a besoin de beaucoup d’oxygène pour, à la fois se multiplier rapidement et assurer l’épuration de l’effluent qui arrive dans la station neuve.
En fait, les phénomènes qui interviennent dans le développement de la microfaune et l’amorce de l’épuration correcte de l’effluent sont nombreux, complexes et interactifs.
On oublie fréquemment que des boues activées sont un écosystème comme les autres milieux
vivants, que son équilibre est fragile et que la variation d'un seul facteur, apparemment mineur, peut complètement le perturber.
Au-delà de cette remarque essentielle, il n'est pas question de développer ici les aspects biologiques et chimiques de la mise en marche d'une station neuve. Notre propos est de présenter une opération dont le résultat est particulièrement intéressant et mérite que des études plus étendues soient menées.
La courbe en trait plein de la figure 3 représente le développement de la microfaune dans le cas général de mise en route d'une station avec aération forcée continue jusqu'à l'optimum de population. On constate que la courbe atteint l'optimum puis repasse rapidement en dessous pour lui rester à peu près parallèle. Avant examen biologique plus approfondi du processus, on peut penser que le fort apport d'oxygène, outre l'eutrophisation excessive du milieu, entraîne une prolifération des prédateurs des bactéries qui abaisse le niveau de population de ces dernières. Leur multiplication ne peut alors compenser cette prédation que grâce à l'apport nutritif continu de l'effluent et à une aération plus réduite.
La courbe en trait discontinu représente le développement de la microfaune observé quand, sur une station neuve, on commence à réguler l'aération vers le milieu de la phase de latence qui précède la multiplication exponentielle des bactéries. On constate que l'on gagne plusieurs jours pour atteindre le seuil de développement optimal et il semble que la population se stabilise mieux ensuite.
Tout porte à croire que, si l'on avance encore la régulation de l'aération, la croissance de la population bactérienne sera favorisée et le résultat meilleur que celui de l'expérience précédente.
Compte tenu de cette expérience, on peut aussi espérer que le contrôle étroit de l'aération donne des résultats insoupçonnés dans des cas de mauvais fonctionnement qui perturbent l'épuration. Nombre d'exemples de régulation d'oxygène installée a posteriori sur des stations « à problèmes » montrent que l'on obtient des résultats excellents.
La régulation de l'apport d'oxygène ne réduit pas seulement une aération excessive (ou n'augmente pas seulement une aération insuffisante), elle modifie profondément la microfaune, et particulièrement, la faune bactérienne. Ces modifications favorisent le développement des bactéries les plus adaptées au type d'effluent que l'on traite.
Il n'y a pas seulement compensation des déficits et excès d'oxygène. Il y a développement d'une population bactérienne stable et efficace. Cette conséquence heureuse a, entre autres effets, de réduire plus que prévu, la consommation d'énergie. Sur des cas particulièrement difficiles, une conduite efficace de la régulation a amené des économies de 40 à 55 % de la consommation des aérateurs. Contrairement à ce que l'on pense, ces cas sont loin d'être exceptionnels.
VII. EN CONCLUSION
Tout comme la mesure de l’oxygène est nécessaire et utile, mais délicate et requérant une bonne formation des utilisateurs, la régulation de l'aération par oxymètre régulateur n'est qu'un investissement valable que dans les mains d’un utilisateur averti et méticuleux.
Dans ce cas, les résultats obtenus, tant en qualité de l'épuration qu'en économie d’énergie, sont très appréciables et justifient largement la dépense d'équipement. Cette dépense n'est d’ailleurs pas prohibitive. Un oxymètre régulateur muni d'une sonde sûre, facile à entretenir et d'un dispositif d'agitation-nettoyage efficace, coûte moins de dix mille francs. L'essentiel est de prendre le temps de rechercher le matériel le plus adapté en faisant des essais sur la station à équiper et que le constructeur instruise bien l'utilisateur.