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La maîtrise des odeurs des stations d'épuration par traitement des boues

30 mai 1995 Paru dans le N°182 à la page 54 ( mots)
Rédigé par : Gérard VIDAL

Le procédé décrit dans le présent article, basé sur l'utilisation de lait de chaux, permet de maîtriser dans les stations d'épuration des odeurs produites par les boues. Après des essais menés dans le laboratoire de l'Ecole des Mines d'Alès, la société Balthazard et Cotte a mis au point un procédé qui permet l'élimination des odeurs avant épandage en agriculture. Il a été testé sur des boues de 3 g/l, 10 g/l et 60g/l de matière sèche avec le même succès. L'épandage a été réalisé par épandeurs munis de rampes à basse pression, mis au point par la société S.E.S.A.E.R. pour des boues à 20g/l de matière sèche.

Les odeurs émises par les boues de station d’épuration proviennent de réactions biochimiques complexes qui entraînent un dégagement de composés gazeux. La combinaison de ces émissions génère des nuisances olfactives à différents stades de la chaîne lors de la valorisation agricole : au stockage, en cours de transport, lors de l'épandage, et lors de la période qui précède l’enfouissement.

Le procédé décrit ci-après, basé sur l’incorporation de lait de chaux, permet de réaliser une maîtrise de la gêne olfactive.

Des essais préalables, qui ont permis de caractériser les dégagements gazeux lors d’un pré-traitement à la chaux, ont été réalisés en laboratoire à l'École des Mines d’Alès.

ETUDE DE LABORATOIRE

Les boues utilisées provenaient de la station d’épuration des eaux urbaines d’Alès. L’étude a porté sur des boues activées et sur des boues digérées issues de cette station.

Protocole d’étude

Trois échantillons de chaque type de boue ont respectivement été chaulés à pH 8,5, pH 12 et non chaulé (échantillon témoin).

L’émission des composés odorants a été suivie au cours de cinq périodes successives :

  • - période de chaulage (5 heures suivant l'ajout de chaux),
  • - première semaine,
  • - deuxième semaine,
  • - troisième semaine,
  • - période d’agitation finale (1,5 heure).

L’analyse des composés odorants a été effectuée sur des échantillons moyens constitués au cours de chacune des périodes considérées.

Matériels et méthodes

Les boues activées ont été prélevées dans le bassin d’aération de la station d’épuration d’eaux usées urbaines d’Alès. Leur teneur en matière sèche (MS) s’élevait à 1,3 g/l.

Les boues digérées ont été prélevées en sortie de digesteur après un séjour d'un mois à 35 °C comportant une teneur en matières sèches (MS) atteignant 24,6 g/l.

L’adjonction de chaux aux boues a été effectuée à l'aide d’un lait de chaux à 100 g/l réalisé à partir de chaux vive.

Lait de chaux

[Photo: Quantités de chaux utilisées rapportées à la matière sèche (pH 12).]

Dans le dispositif expérimental mis en œuvre, chaque stockage, d'un volume total de 20 litres, contenait 15 litres de boues à la température de 23 °C. Le prélèvement des gaz était assuré en continu par une pompe péristaltique reliée à une baudruche en Tedlar, à un débit de 10 ml/mn pour les périodes de chaulage et d'agitation finale, et de 5 ml/mn pour les échantillons moyens sur les trois semaines d'essai.

L'agitation quotidienne (2 fois par 30 mn) a été réalisée à l'aide d'un agitateur mécanique (300 tours/mn).

Analyses

L'hydrogène sulfuré et l'ammoniac ont été dosés sur les différents échantillons constitués.

Le dosage de l'hydrogène sulfuré a été réalisé à l'aide d'un chromatographe en phase gazeuse équipé d'un détecteur à photo-ionisation (HNU 311 GC).

Le dosage de l'ammoniac a été effectué par colorimétrie au réactif de Nessler (spectrophotomètre Shimadzu-160 A) après piégeage dans une solution acide chlorhydrique 0,1 N.

Les analyses ont donné les résultats suivants, en fonction des étapes mises en route au cours des essais.

Chaulage des boues – suivi du pH :

Sur l'échantillon témoin, non chaulé, on a observé une nette augmentation du pH des deux types de boues : – de 7 à 7,8 pour les boues activées, – de 7,4 à 7,8 pour les boues digérées.

Ce phénomène est dû au relargage d'hydrogène sulfuré par les boues activées non traitées, occasionnant une élévation du pH. Ce dégagement a été confirmé par les analyses effectuées pendant la première semaine. Pendant cette même période, leur pH passe de 7 à 7,4.

Sur les échantillons chaulés à pH 8,5 on a observé une stabilisation rapide du pH des boues digérées (8 jours), alors que cette stabilisation nécessite 3 semaines dans le cas des boues activées (figure 1).

Cette différence de comportement peut être expliquée par les teneurs en matières sèches des deux boues (B.A. : 1,3 g/l et B.D. : 24,6 g/l) qui confèrent un effet-tampon beaucoup plus important aux boues digérées qu'aux boues activées : les boues activées constituent en effet un réacteur biologique dont les constituants organiques représentent des substrats pour diverses réactions enzymatiques, neutralisé en permanence par l'adjonction de chaux ; les boues digérées ont été appauvries en substrat et en bactéries (notamment aérobies actives) au cours de la digestion.

Sur les échantillons chaulés à pH 12 les boues digérées se stabilisent plus vite que lors de l'essai à pH 8,5 (figure 2). Ce phénomène peut s'expliquer par le fait que l'H₂S est successivement transformé en HS⁻ (ions hydrogénosulfures) puis en S²⁻ (ions sulfures). Les ions hydrogénosulfures, qui présentent un caractère acide, consomment de la chaux jusqu'à leur disparition. L'obtention du soufre sous l’unique forme d'ions sulfures correspond alors à la stabilisation du pH. À pH 12, le réacteur biologique des boues activées est neutralisé en huit jours. Les réactions enzymatiques sont inhibées et les cinétiques fortement ralenties.

[Photo: Concentrations en NH₃]

L'évolution des concentrations en NH₃ est portée sur la figure 2 : en ce qui concerne l'hydrogène sulfuré, et d'une manière générale, l'émission de H₂S est faible en raison du pH des boues.

Les observations concernant l’ammoniac ont montré qu’au cours de la première semaine un dégagement pH dépendant a eu lieu. L'émission décroît en deuxième semaine pour être similaire sur chaque échantillon en troisième semaine.

Les résultats obtenus lors de la brève agitation finale confirment par la libération de NH₃ résiduel que l'émission de NH₃ n’est pas totale au cours de trois semaines.

LA MAÎTRISE DES ÉMISSIONS ODORANTES. LE PROCÉDÉ BALCO-ODOR®

L'essentiel de la gêne olfactive due aux boues de stations d'épuration provient du dégagement de composés soufrés et ammoniacaux, ce qui est maîtrisé par l'emploi du procédé Balco-Odor® mis au point par la Société Balthazard et Cotte à la suite des essais précités.

Ce procédé consiste à mélanger les boues liquides avec du lait de chaux pour supprimer les mauvaises odeurs. Son originalité est de réduire à douze heures des réactions qui, sans intervention technologique, se produiraient en plusieurs semaines.

Ses performances sont liées : – à la forme d'incorporation de la chaux sous forme de lait de chaux, – au niveau du pH retenu, – au temps de contact boues-lait de chaux, – au mode d'homogénisation.

Les diagrammes de séparation de phases H₂S et NH₃ (figure 3) obtenus confirment les résultats expérimentaux présentés précédemment : – disparition de H₂S à pH 8,5, – transformation des ions ammonium en ammoniac NH₃ à pH 12.

[Photo: Diagramme de séparation de phases. Composés soufrés en fonction du pH.]

Les étapes à respecter

Préparer un lait de chaux dosé à 100 (voire 150) g/l de chaux éteinte (Ca(OH)₂) par litre d’eau.

Incorporer ce lait de chaux dans la boue maintenue en agitation dans une cuve ou un silo brassé par des agitateurs du type Flygt pour assurer l’homogénéisation du mélange jusqu’à obtention d’un pH d’une valeur de 13,2 à 13,5. Cette valeur est obtenue en général avec un dosage en chaux éteinte équivalent à 30/35 % de la teneur en matière sèche des boues.

Maintenir cette agitation au minimum pendant deux heures; au-delà de ces deux heures, assurer un transfert des boues traitées par pompage à travers une buse d’homogénéisation dans un bac ou une citerne. Le pH baisse alors à 12,5 environ.

Stocker ces boues une douzaine d’heures, avec ou sans agitation; il est possible d’alterner les périodes d’agitation et de calme par programmation automatique. Lors du transport en citerne avant épandage, un nouveau passage en buse d’homogénéisation est effectué. On obtient ainsi une boue stabilisée sans odeur, dont le pH final se situe aux environs de 12 à 12,5, sans jamais dépasser cette valeur (fixée comme limite par l’arrêté du 1ᵉʳ mars 1993, art. 36, relatif aux installations classées).

Il faut noter que toute variation intervenant soit dans les valeurs de pH, soit dans les temps de contact ou la non-réalisation de l’une des opérations peut amener à un insuccès.

Les avantages du procédé

Les avantages offerts par le procédé sont nombreux :

• Réduction considérable du délai d’inertage olfactif : 12 h maximum au lieu de plusieurs semaines.

• Simplicité de mise en œuvre même dans les petites stations (figure 4), en utilisant les installations existantes ou des citernes de transport.

• Insertion aisée dans les procédés traditionnels : contrôle de l’addition de lait de chaux par pH-mètre classique; agitation avec le matériel existant dans les bassins.

• Les boues stabilisées présentent les propriétés traditionnelles des boues traitées à la chaux : apport optimum de la chaux dans les sols, qui représente pour des boues à 50 g/l de MS, 150 kg par hectare pour 10 tonnes de boues (cette valeur ne couvre pas les exportations par les plantes et le lessivage); hygiénisation des boues par destruction massive des germes pathogènes, réduction sur les coliformes fécaux, de 6 unités logarithmiques en 24 heures, 6 à 8 en sept jours et, sur les streptocoques fécaux, de 2 à 3 unités logarithmiques en 24 heures, 5 en 7 jours. Ces chiffres sont les résultats de recherches effectuées par le professeur G. Lee Cristensen de l’Université de Villanova et communiqués au congrès mondial de la chaux qui s’est tenu en 1982 à Paris.

• Abattement des métaux lourds par précipitation sous forme d’hydroxydes insolubles (1).

[Photo : Fig. 4]

Tableau I

Nature de l’azote Sans emploi de chaux Avec emploi de chaux
Azote Kjeldahl 128 20,40
Azote ammoniacal 39,50 3,53
Azote nitrique 0,012 0,007

Application aux lisiers

L’application de cette technique aux lisiers de porcs a donné un résultat identique, mais en adaptant le temps de contact aux besoins de la transformation de l’azote ammoniacal en ammoniac. C’est ainsi qu’un lisier de porcs, prélevé dans une fosse de stockage et n’ayant subi aucun traitement préalable, a été traité au lait de chaux à raison de 40 cm³ de lait de chaux au dosage de 100 g/l, soit 4 g de Ca(OH)₂ par litre de lisier. Les résultats obtenus concernant l’élimination de l’azote, facteur limitant l’épandage dans les zones rurales grosses productrices de porcs, figurent dans le tableau I (en g/kg de MS).

La réduction importante des quantités d’azote que l’on constate consacre le lait de chaux comme étant un réactif efficace et économique face aux diverses techniques proposées aux agriculteurs : l’emploi de 4 g de chaux par litre correspond en effet à 4 kg par m³, soit 3 F 50 par tonne de lisier, hors investissements, ou 15 F par m³ investissements compris, à comparer aux autres techniques dont le coût au m³ atteint pour certains 50 voire 100 F par m³.

Des matériels spécifiques pour effectuer l’homogénéisation des lisiers et s’adapter aux exploitations agricoles ont été mis au point.

LA TECHNIQUE D’ÉPANDAGE PAR RAMPE À BASSE PRESSION

L’épandage sur terrains agricoles des effluents liquides peu chargés est réalisé depuis fort longtemps par la technique d’aspersion. Les effluents chargés, quant à eux, sont épandus traditionnellement par tonne à lisier ou matériels similaires.

Les inconvénients majeurs de l’épandage par des tonnes à lisier sont de deux ordres :

• volume limité des citernes, ce qui implique un coût de transport très important,

• nécessité d’un ressuyage suffisant des sols, ce qui implique la réalisation de stockages importants afin d’attendre les périodes climatiques favorables. Cet inconvénient a pour corollaire l’impossibilité d’épandage à l’époque où les besoins en azote des plantes doivent être satisfaits.

Ces inconvénients majeurs ont amené quelques industriels et éleveurs de porcs, producteurs de quantités très importantes d’effluents liquides, à adapter les matériels d’aspersion existants. Des effluents à texture homogène ont pu ainsi être épandus avec succès par enrouleurs d’irrigation et canons haute pression. Cette technique, qui diminue considérablement le coût de l’épandage (transport par canalisation, possibilité d’épandre en toutes conditions climatiques et de portance de sols), se heurte désormais à un problème majeur, celui de la nuisance créée par la propagation des embruns; l’utilisation de plus en plus importante de l’espace agricole par la société de loisirs et l’obligation de res-

(1) Article paru dans le n° 174 de la revue « L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES ».

pect de la protection sanitaire des populations la condamne à terme.

Confrontés quotidiennement à ces problèmes, des professionnels de l’environnement et de l’épandage, le bureau d'études Sesaer et la société SP Promotion se sont associés avec un constructeur de matériels d’irrigation, la SARL Casseron, et ont mis au point une rampe d’aspersion basse pression (figure 5 et 6).

[Photo : Fig. 5 – La technique d’épandage pour rampe basse tension.]
[Photo : Fig. 6 – La technique d’épandage par rampe basse tension.]

La première étape de cette opération consiste à réaliser une buse d’aspersion adaptée aux effluents très chargés, comme les boues de station d’épuration des collectivités. Cette buse, fonctionnant à une pression de service de 1,5 kg et d’un diamètre intérieur de 24 mm, est désormais protégée par un brevet.

La deuxième étape a conduit à mettre au point un outil adapté à une exploitation intensive, dont les caractéristiques sont remarquables : réalisation tout inox, grande largeur d’épandage (48 m, 60 m à l’étude), amortisseurs de suspension de rampes gonflés à l’azote, repliage rapide par une seule personne, faible encombrement au repliage, transport assuré par l’enrouleur.

Ce matériel permet d’effectuer l’épandage des effluents les plus chargés dans les meilleures conditions agronomiques, techniques et de respect de l’environnement avec les effets suivants :

• suppression des embruns ; • suppression de la propagation des odeurs (dans le cas d’effluents particulièrement malodorants avec addition de chaux par le procédé Balco-odor®) ; • régularité et précision de l’épandage ; • rapidité d’épandage (jusqu’à 60 m³/h) ; • modulation instantanée de la dose d’épandage, à partir de 20 m³ par hectare ; • possibilité d’épandage sur cultures en place (blé ou autres) en utilisant les passages de traitements phytosanitaires ; • approvisionnement soit par canalisation, soit par transport gros porteur ; • diminution des coûts énergétiques par la faible pression de service (inférieure à 6 kg à l’entrée de l’enrouleur).

L’épandage « à la carte », à un faible coût, réalisé par cette technique, donne son véritable sens à la valorisation agricole des effluents liquides.

CONCLUSION

La valorisation agricole des boues liquides et des lisiers se heurte à deux obstacles importants : les nuisances olfactives qu’ils apportent ainsi que les limitations réglementaires de la teneur en azote pour les lisiers, et le risque sanitaire entraîné par la production et le transport des boues liquides.

Le traitement au lait de chaux apporte des solutions pour réaliser une valorisation contrôlée de ces effluents. Sa mise en œuvre très aisée permet de le recommander dans les stations d’épuration et les exploitations agricoles.

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