La valorisation agricole des boues a bénéficié depuis de nombreuses années de l’aide répétée des pouvoirs publics, tant sur les plans technique que financier, pour encourager les collectivités et les industriels à mettre en place des organisations qui satisfassent le milieu agricole et qui respectent les contraintes de l’environnement.
La connaissance des principaux paramètres agronomiques relatifs à l’utilisation des boues s’affine de plus en plus et bien que l’on ait toujours affaire à des cas particuliers, il est possible de garantir aujourd’hui à l’agriculture le respect de ses contraintes agricoles (pédologie, culture, assolement, fertilisation, aseptisation,…) après une étude de terrain de ces principales contraintes. Un des paramètres qui reste déterminant, pour ne pas dire le plus important, est le choix de l’organisation d’épandage en fonction de ces contraintes, de la taille de la station d’épuration et de la nature des boues (liquide ou solide). Ceci passe par le choix de matériels spécifiques et par leur dimensionnement, pour réduire au maximum les coûts d’exploitation.
Le tableau présenté ici montre les principaux cas de figure qui peuvent exister, en détaillant les coûts correspondant à chaque filière et les possibilités d’économie d’échelle qui peuvent être trouvées.
Les industriels comme les collectivités locales ont pris conscience de la spécialisation de ce type d’activité et de la nécessité de pouvoir faire intervenir des entreprises qui acceptent d’assurer la gestion et l’exploitation de tels chantiers, celles-ci devant être à même de garantir une qualité de prestations qui assure :
- aux agriculteurs, le respect de leurs contraintes agricoles,
- aux maîtres d’ouvrages, une organisation parfaite des chantiers, garantie par le sérieux et la compétence apportés dans leur mise en œuvre.
Malheureusement on a souvent vu utiliser des matériels hétéroclites qui, dans la quasi-totalité des cas, ne donnaient satisfaction ni aux agriculteurs ni même aux exploitants de stations :
- engins mal adaptés, dimensionnement insuffisant, rendement trop faible au niveau des cadences d’épandage ;
- matériels d’épandage utilisés non adaptables à la qualité physique des boues ;
- distance incompatible avec la vitesse du véhicule sur la route et sa capacité de transport.
L’erreur généralement commise consiste à rechercher un matériel multifonctionnel capable de répondre à toutes les contraintes imposées, sans décomposer les tâches en phases ou chantiers d’exécution. Ainsi, lorsque la distance dépasse 5 km, il convient en général de dissocier la fonction de transport de celle de l’épandage.
Comparaison des coûts d’épandage en fonction de l’éloignement de la station
Le tableau qui est présenté révèle plusieurs aspects :
- degré d’investissement en fonction de la nature des équipements retenus,
- analyse de 5 cas de figure différents en fonction de l’éloignement de la station (2 km, 5, 10, 15, 20 km),
- coûts comparatifs entre le coût journalier et la capacité d’épandage (exprimée en mètres cubes de boue épandue par jour).
Il faut noter que ces coûts restent nécessairement moyens sur plusieurs cas de figure correspondant à des structures d’exploitations agricoles différentes (réseau routier, taille des parcelles, accessibilité aux champs, structure des parcelles agricoles, période d’épandage, type de culture, etc.). Ils sont basés sur un travail hebdomadaire de 8 heures, et il y a obligatoirement des temps d’arrêt pour l’entretien du matériel et la mise en route. Des coûts plus faibles pourraient être obtenus avec des travaux en deux équipes, surtout dans les zones céréalières où la période d’épandage est courte.
Les coûts d’investissements indiqués dans le tableau général correspondent à des prix moyens d’équipements existant sur le marché, d’après les chiffres fournis par le Cemagref.
Dans le calcul des coûts d’exploitation, les amortissements ont été établis sur 5 ans, pour les équipements ; figurent également dans les coûts de la main-d’œuvre, l’entretien des véhicules, les carburants et lubrifiants.
Seul l’amortissement de l’installation de stockage est pris en compte dans le cas type n° 6 à l’exclusion du coût de traitement des boues.
Les frais financiers, inclus pour une valeur de 14 %, ont été ajoutés aux coûts d’exploitation.
TABLEAU COMPARATIF DES COÛTS D’ÉPANDAGE EN FONCTION DE L’ÉLOIGNEMENT DE LA STATION (au mètre cube)
DESCRIPTIF DES FILIÈRES TECHNIQUES UTILISÉES | | PARAMÈTRES DE FONCTIONNEMENT | | NIVEAUX D’INVESTISSEMENT | | COÛTS JOURNALIERS | | CAPACITÉS DE TRAITEMENT ET COÛTS UNITAIRES EN FONCTION DE L’ÉLOIGNEMENT STATION – PARCELLES AGRICOLES | | OBSERVATIONS |
---|---|---|---|---|---|
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ | |||||
1. Transport et épandage par un tracteur et une citerne unique (25 m³) | | Remplissage et déplacement : 15 m³/h | | Tracteur : 150 CVCiterne : 850 000 F | | 1 200 F/j | | 2 km : 120 m³/j (14,20 F/m³)5 km : 70 m³/j (24,30 F/m³)10 km : 40 m³/j (42,50 F/m³)15 km : 30 m³/j (56,85 F/m³)20 km : 20 m³/j (83,00 F/m³) | | Productivité très dépendante de la distance ; nécessité d’un plan de transport. |
2. Transport et épandage par engin automoteur (25 m³) | | Remplissage et déplacement : 15 m³/h | | Épandeur automoteur : 150 CV | | 2 500 F/j | | 2 km : 190 m³/j (13,15 F/m³)5 km : 110 m³/j (19,00 F/m³)10 km : 85 m³/j (38,45 F/m³)15 km : 60 m³/j (55,35 F/m³)20 km : 30 m³/j (83,00 F/m³) | | Meilleure séparation transport/épandage que la filière 1. |
3. Approvisionnement par un tracteur et épandage interne | | Productivité potentielle élevée dans un milieu intensément équipé | | Camions : 2 | | Transport : 2 100 F/jStockage : 2 500 F/jÉpandage : 1 500 F/jTOTAL : 3 800 F/j | | 2 km : 175 m³/j (21,70 F/m³)5 km : 150 m³/j (26,30 F/m³)10 km : 125 m³/j (30,40 F/m³)15 km : 100 m³/j (38,00 F/m³)20 km : 85 m³/j (48,70 F/m³) | | Séparation correcte des fonctions ; parc d’équipements adapté. |
4. Approvisionnement par vidange tracteur et stock tampon | | Transport : 1 tracteur – vidange : 15 m³/h | | Stock tampon : 25 m³ | | Transport : 3 500 F/jÉpandage : 2 500 F/jTOTAL : 5 800 F/j | | 2 km : 200 m³/j (23,60 F/m³)5 km : 130 m³/j (28,30 F/m³)10 km : 95 m³/j (28,00 F/m³)15 km : Item20 km : Item | | Mise en œuvre délicate du stock tampon de 25 m³. |
5. Approvisionnement par camion-citerne | | Véhicule : 25 m³ | | Épandeur : 700 000 F | | Transport : 2 500 F/jÉpandage : 4 200 F/jTOTAL : 6 700 F/j | | 2 km : 350 m³/j (19,30 F/m³)5 km : 200 m³/j (27,30 F/m³)10 km : 180 m³/j (29,40 F/m³)15 km : 90 m³/j (39,40 F/m³)20 km : 40 m³/j (48,00 F/m³) | | — |
6. Approvisionnement par un tracteur de stock avec citernes décentralisées | | Transport : vidange et stock – déplacement : 35 km/h | | Stock tampons : 25 m³ | | Transport : 2 100 F/jÉpandage : 4 600 F/jTOTAL : 6 700 F/j | | 2 km : 250 m³/j (20,35 F/m³)5 km : 100 m³/j (29,30 F/m³)10 km : 75 m³/j (33,85 F/m³)15 km : 50 m³/j (39,35 F/m³)20 km : 20 m³/j (53,80 F/m³) | | — |
L’objet d’un tel document est de montrer les différences qui peuvent exister entre différents types d’organisation en fonction des deux plus importants paramètres : la distance de transport et la quantité annuelle de boues à évacuer.
Le tableau montre bien que plus la quantité de boue à épandre est importante, plus il est impératif de séparer les fonctions de transport de celles de l’épandage.
Il est également essentiel, pour obtenir les meilleurs rendements, de disposer d’équipements spécialement adaptés à l’épandage des boues avec des débits très élevés. Même si le coût unitaire de l’investissement peut paraître élevé, le coût au mètre cube diminue très rapidement grâce à la cadence d’épandage.
Soulignons également que l’utilisation de citernes de 25 m³ comme stock tampon en bordure des parcelles est une solution apparemment économique mais très difficile à mettre en place sur le plan pratique, compte tenu des contraintes qu’elle impose aux chauffeurs.
Seuil de rentabilité comparée entre une filière d’élimination classique et l’épandage par un appareil automoteur spécialisé
Ce seuil est défini par le graphique ci-dessus, auquel il y a lieu d’apporter les précisions suivantes.
[Figure : Coût d’une filière classique (en F/t MS)]Par filière classique d’élimination, il faut entendre toute chaîne de traitement qui permette d’éliminer les boues (mise en décharge, incinération, épandage liquide avec matériel classique, granulation, ...).
Pour que les coûts des procédés restent comparables, il faut que le montant indiqué en abscisse (voir le graphique) inclut toutes les dépenses engagées après épaississement jusqu’à élimination complète du produit (déshydratation mécanique, transport, décharge...).
Signalons enfin qu’on ne peut affirmer que l’épandage agricole liquide soit généralisable à l'ensemble du territoire.
Nombreux sont les cas où le choix d’une filière de compostage sera plus justifié si les besoins agricoles sont plus marqués pour ce type de produit... Idem dans le cas d’un produit solide plutôt que liquide.
Le nombre de paramètres liés à la filière de l'épandage est très important. Nous avons été obligés de fixer deux paramètres entre eux, qui sont la vitesse d’épandage, et la quantité à épandre.
Nous noterons bien évidemment que le nombre d’heures possible d’épandage par an n’est jamais identique d'un site à l’autre, et qu’il en est de même pour la cadence.
Le cas que nous exposons est un cas particulier ; et il reste à chaque exploitant à fixer lui-même ses paramètres en fonction des contraintes agricoles du site où il se trouve pour voir en première approche si cette filière vaut la peine d’être étudiée.
Méthodologie d’approche pour la mise en place de chantiers d'épandage
Quelles que soient la situation géographique et la taille d'une station d’épuration, il est indispensable de suivre la même méthode d’approche pour sélectionner les équipements les mieux adaptés et la nature de l’organisation qui peut être mise en place pour l’épandage des boues à usage agricole, et cela en examinant successivement :
— les bilans quantitatif et qualitatif des boues résiduaires produites, avec l’interprétation de leur valeur agronomique ;
— l’analyse des besoins agricoles et les contraintes d’exploitation dans le périmètre d’épandage potentiel (type de sol, et de cultures, mode de fumure, profil géomorphologique...) ;
— la comparaison technico-économique des équipements et la définition des besoins de stockage ;
— le choix de la filière d’épandage la mieux adaptée.
Aujourd’hui il apparaît de plus en plus que les collectivités comme les sociétés industrielles souhaitent traiter avec des entreprises qui prennent en charge la totalité des phases que nous avons décrites, depuis l’étude de périmètre jusqu’à l’exploitation des chantiers d’épandage, en considérant que cette activité est trop éloignée des prestations qu’elles sont habituellement amenées à gérer par leurs propres moyens.
Conclusion
Nous avons voulu donner ici les principaux paramètres économiques qui entrent dans le calcul d’une organisation d'épandage de boues.
Chacun d’entre nous pourra juger de la variabilité de ces paramètres, ne serait-ce qu’en fonction des seules contraintes agricoles.
Aucune règle générale ne peut malheureusement être dictée pour savoir instantanément si l’épandage est économiquement plus intéressant. Une étude systématique de chaque élément doit être faite pour juger de la faisabilité. Le tableau que nous avons présenté montre essentiellement vers quel type d’organisation il faut tendre suivant la distance du rayon d’épandage, le volume à épandre, et la période possible d’épandage dans l’année.
Il ressort de façon certaine que les gros chantiers d’épandage doivent être pris en charge par des entreprises spécialisées qui offrent une prestation complète aux producteurs de boues et lui garantissent de pouvoir assurer l'exploitation complète du chantier.
Il est vraisemblable que de telles activités vont être amenées à se développer de plus en plus pour décharger les stations d’épuration de ce problème, tant les métiers deviennent différents entre l'exploitation d'une station et la valorisation agricole des boues.