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La gestion de l'eau en milieu urbain

30 mai 1997 Paru dans le N°202 à la page 49 ( mots)
Rédigé par : Charles POINSOT

Valoriser l'eau dans la ville est une volonté croissante de nombre de collectivités, mais aussi un pari complexe pour lequel une démarche globale d'environnement, intégrant des facteurs culturels et sociologiques, devient indispensable ! L'esthétique ou l'hydraulique ne suffit plus. Un approche systémique et une gestion écologique de l'élément aquatique sont la condition sine qua non de la réussite. La tentative faite à Grande-Synthe de réintroduire, dans une Z.A.C. des années 80, ces principes urbains d'intégration des canaux dans la cité s'appuie sur les références régionales que constituent les villes de Flandre. La pari était audacieux, et, malgré un contexte fortement défavorable, l'expérience est positive. Avec cette recherche, et bien d'autres, on peut aujourd'hui obtenir un aménagement écologique durable de l'élément Eau en Ville.

[Photo : Entretien périodique des plans d’eau au bateau faucardeur]

L’eau, matière vive, matière vivante, est l'objet d’attentions et de surveillances. Qualité, quantité, disponibilité... autant de paramètres à intégrer dans une gestion quotidienne de la ressource. Pour la ville comme pour la campagne, ces facteurs suffisent à répondre à l’offre, même si, hélas, des accidents et des catastrophes peuvent encore survenir.

Mais quand on veut intégrer l'eau dans le paysage urbain tout en maintenant ses multiples fonctions, on est alors confronté à des aspects supplémentaires qui compliquent voire contrarient les processus standardisés. Valoriser l'eau dans la ville est une volonté croissante de nombre de collectivités, mais aussi un pari complexe pour lequel une démarche globale d’environnement, intégrant des facteurs culturels et sociologiques, devient indispensable. L’esthétique ou l’hydraulique ne suffit plus. Une approche systémique et une gestion écologique de l’élément aquatique sont la condition sine qua non de la réussite.

Un « watergang » dans la ville : exemple de traitement hydraulique et végétal du paysage urbain

[Photo : Un watergang dans la ville : exemple de traitement hydraulique et végétal du paysage urbain]

À de trop rares exceptions, les villes ont longtemps cherché, et surtout depuis la fin du XIXe siècle, à ignorer les rivières et les ruisseaux urbains, à se débarrasser de leurs eaux : après les réseaux d’adduction, de drainage, de canalisations souterraines, de tout à l’égout et parfois de stations d’épuration, l'eau transite, est utilisée puis évacuée, « cachée » ou transférée en aval, chez « les autres ».

Aujourd’hui, plusieurs villes tentent avec des ambitions et des résultats différents de se réconcilier avec leur réseau hydrographique : aménagement de berges, réalisation de bases de loisirs, etc. C’est le cas de certaines villes anciennes (Bourg-en-Bresse, Annecy, Nantes…), plus rarement de quartiers neufs, comme celui de La Cadière, à Vitrolles. La tentative faite à Grande-Synthe de réintroduire, dans une Z.A.C. des années 80, ces principes urbains d’intégration des canaux dans la cité s’appuie sur les références régionales que constituent les villes de Flandre. Une telle expérience mérite bien que l’on s’y intéresse.

L’eau dans le paysage flamand

Terrain sédimentaire né de la dernière transgression marine du IXe siècle, la Flandre est, depuis toujours, marquée par la proximité de l’eau. Différemment localisée selon les composants géologiques, la nappe aquifère est partout présente.

L’ensemble hydrogéologique fait apparaître l’existence d’une couche d’eau douce flottant sur une nappe salée. La mer recouvrait en effet toute la région avant la réalisation des polders, au début de ce millénaire. L’interface entre ces nappes de densité différente se situe à des profondeurs variables (relativement faibles en général) et le niveau de l’aquifère étant toujours proche de la surface.

De la gestion de l’eau

La maîtrise du niveau de la nappe est particulièrement complexe quand cette nappe peut voir son niveau se modifier à la fois à son sommet, comme c’est le cas habituellement, et à sa base, parce qu’elle repose sur une nappe de qualité différente.

L’équilibre interne des différentes nappes devient plus délicat à assurer et peut avoir des conséquences très importantes. Pour une région aussi plate, ayant des problèmes au niveau de son sous-sol, la réussite et le maintien d’un système hydraulique sont vitaux. En effet, en Flandre Maritime française, il n’existe naturellement qu’un seul cours d’eau, le fleuve Aa et son delta. Cependant, ceux-ci sont canalisés et s’intègrent à un schéma hydrographique artificiel particulièrement dense et complexe : les wateringues, créées au XIVe siècle et composées de canaux et chemins d’eau (« watergangs » et « grachts ») dont l’extension linéaire est de plus de 1 000 km. L’ensemble hydrologique des wateringues du Nord et du Pas-de-Calais apparaît ainsi comme un vaste delta produisant dans une plaine sédimentaire une hydrogéologie complexe. La pente naturelle y est dérisoire (1/10 000 en moyenne). Qui plus est, il s’achève en bord de mer à une altitude de 2,5 NGF, comprise entre le niveau des basses et hautes mers (contenues par un relief dunaire littoral) pour être rejeté après stockage, par gravité ou pompage, selon une discontinuité liée à la fréquence des basses eaux.

De l’usage de l’eau

Les fonctions de ce réseau sont aujourd’hui diverses. Il réalise le drainage en période pluvieuse – pour éviter l’engorgement des terres et l’asphyxie des cultures – et l’irrigation en période de sécheresse, pour les besoins en eau de l’agriculture. Il maintient une couche d’eau douce pour éviter que la frange saumâtre n’affleure et ne provoque, par sa salure, une perte considérable en plantes et en animaux domestiques. Il assure l’apport, relativement récent, des eaux industrielles, le drainage des eaux usées pour l’assainissement de l’arrière-pays, et sert de base aux transports fluviaux, même si cette fonction se concentre à présent sur des axes à grand gabarit. Ce système a aussi été utilisé à des fins militaires depuis Vauban et jusqu’à la deuxième guerre mondiale, soit pour défendre les villes fortifiées, soit pour assiéger les places en inondant la région.

Une tradition de villes d’eau

L’histoire des villes de Flandre montre fréquemment ce traitement particulier des usages de l’eau, avec en même temps une multiplicité de fonctions. Une tradition flamande s’est ainsi créée en matière d’urbanisme sous la pression de ce facteur prédominant de l’environnement. Cette présence de l’eau a ainsi été utilisée de la même manière dans le nord de la Belgique, à Bruges en particulier, et aux Pays-Bas (Sluis, Amsterdam, pour ne citer que quelques exemples anciens, ou encore tout récemment à Middelburg ou Goes à Walcheren). Ces concepts ont été repris dans nombre de développements de zones d’habitats, en particulier néerlandaises telles qu’à Delft ou à Zoetermeer et dans l’IJsselmeerpolder : Lelystad, Almere-Haven, etc. Paradoxalement, la région dunkerquoise a opté, depuis sa création au Xe siècle, pour un habitat « insulaire », bâti sur les affleurements sableux des cordons dunaires anciens, dominant tant la mer que le polder inondable… de quelques mètres à peine.

Un pari urbanistique

La Z.A.C. du Courghain est située dans la ville de Grande-Synthe, arrondissement de Dunkerque, proche du port et des zones industrielles. Village rural et maraîcher jusqu’aux années 60, Grande-Synthe est une ville champignon qui est passée en trente ans de 300 à 30 000 habitants. Cette croissance devant se poursuivre au travers de la Z.A.C. du Courghain, celle-ci a pu faire l’objet d’un effort particulier d’études visant à renouveler la conception d’ensemble et à intégrer les canaux dans la ville. C’était aussi l’occasion.

[Photo : Schéma du site (canaux et urbanisation plus sentier promenade)]

sion de ne pas réitérer les erreurs commises par l’habitat “zupien” de la décennie précédente.

Gérer l’eau, nécessités et contraintes

Réaliser un réseau à ciel ouvert de canaux, watergangs et plans d’eau divers, répond, de la part des aménageurs, à deux soucis majeurs : un souci technique et financier, car un tel système évite le remblaiement général du terrain tout en assurant le drainage des eaux souterraines, l’évacuation des eaux pluviales, et leur auto-épuration naturelle ; mais aussi un souci d’ordre paysager et sociologique, l’existence de plans d’eau en zone d’habitat ayant été de tout temps un facteur d’animation urbaine et d’amélioration du cadre de vie, en relation étroite avec le facteur végétation. Canaux et plans d’eau ne sont pas, dans la cité, de simples ouvrages d’assainissement : le calme qu’impose leur surface tranquille contraste avec les lignes verticales des ensembles bâtis, les effets de miroir et les jeux de lumière qu’ils créent sont autant d’éléments qui enrichissent et font varier le paysage. Ces deux facettes d’un aménagement hydraulique urbain semblent, à première vue, tout à fait logiques et compatibles. Cependant, chacune d’entre elles suppose un certain nombre d’exigences pouvant être subies par l’autre comme autant de contraintes. Par exemple, la fonction drainage suppose un entretien périodique permettant un écoulement gravitaire efficace, et la présence de végétaux aquatiques peut, dans une certaine mesure, être un obstacle à cet entretien.

Pourtant, il s’agit là d’un facteur essentiel sur le plan de l’amélioration du paysage, de l’équilibre biologique des eaux, et même de l’animation. Canaux et watergangs “nus” n’offrent que peu d’intérêt pour la promenade par le caractère artificiel et la monotonie qu’ils inspirent.

L’habillage par le végétal des berges du cours d’eau ou du bassin est donc nécessaire sur le plan paysager, mais il est évidemment différent et plus ou moins présent selon que l’on se situe en zone urbaine dense ou plutôt lâche, selon le caractère que l’on veut donner au quartier. Les berges doivent donc traduire un souci de variété ; quais de pierre, talus, tunages de bois, enrochements, pentes naturelles, estacades permettent de les diversifier : il s’agit là du rôle du paysagiste. Mais il convient d’établir une certaine clarté dès le départ : le site en question n’est pas un milieu naturel et sauvage, donc l’emploi systématique de la végétation rivulaire ou aquatique n’y est pas justifié.

Un défi : la qualité des eaux

Le rôle de ces végétaux ne se limite pas à la recherche du simple plaisir visuel. Ils ont un rôle biologique extrêmement important au sein des “biocénoses” ou communautés vivantes, ils forment quelques maillons d’un système biologique très complexe dont l’équilibre est basé sur des phénomènes d’interdépendance et de concurrence vitale. Leur présence est également en rapport étroit avec le milieu inorganique, le biotope, qui conditionne leur existence tout en subissant les effets de leurs multiples actions. Dans le cas présent, l’intervention de la végétation des berges et de pleine eau se fait principalement à trois niveaux : le niveau de la productivité animale (poissons et oiseaux d’eau), celui de l’auto-épuration des eaux (mais aussi de leur pollution naturelle dans certaines conditions), et celui du maintien des berges.

Situation prévue : Les eaux collectées par le réseau de canaux et de watergangs devaient être en principe d’assez bonne qualité. Seules les eaux de ruissellement étaient attendues comme physiquement et chimiquement polluées par hydrocarbures, détergents ou matières en suspension. Concrètement, cela s’est traduit par deux réseaux d’évacuation : le réseau des eaux usées qui vont ainsi directement à la station d’épuration où elles sont traitées, et le réseau des eaux pluviales, celles des trottoirs, des rues, des voies piétonnes le rejoignant par les bouches avaloirs.

Situation réelle : Dans les faits, certains éléments perturbent cette qualité. Les déchets et débris divers, témoins de la présence humaine — papiers, emballages, bouteilles — se retrouvent immanquablement dans les eaux. Les eaux de ruissellement sont chargées de substances chimiques (détergents et hydrocarbures surtout) et de matières en suspension (lessivage des éléments minéraux par les eaux de pluie : façades, toitures, voiries...). À ceci s’ajoutent des eaux usées domestiques atteignant le réseau pluvial en raison de mauvais branchements de la part des particuliers. Les apports du canal à grand gabarit, nécessaires au maintien du réseau à la cote 0,00 NGF en période sèche et dont les eaux, polluées en particulier par le sel, sont de qualité très médiocre, contribuent également à cette pollution diffuse. Engrais et pesticides emmagasinés dans le sol et utilisés sur les terres agricoles situées à proximité de la Z.A.C. enrichissent dans les premières années l’eau en éléments nutritifs et permettent la prolifération excessive de certaines espèces végétales (algues et lentilles d’eau surtout), ce qui entraîne une eutrophisation rapide du milieu avec désoxygénation préjudiciable à la faune aquatique. Enfin, les végétations aquatique et rivulaire elles-mêmes sont perturbatrices, car à la mort des végétaux (roseaux, nénuphars... mais aussi feuilles tombées des arbres), le milieu s’enrichit en matière organique et se fertilise. Une fertilisation trop intense conduit à un phénomène semblable à celui des engrais et également à un envasement progressif des fonds.

Face à cette situation préoccupante, la municipalité n’est pas restée sans intervenir, et ce sous toutes les formes possibles. En premier lieu, le milieu a été étudié qualitativement dans sa totalité, et des points de nuisances graves ont été résorbés prioritairement (effluents d’un site hospitalier, par exemple). L’eau est suivie périodiquement. Avec ces données fiables peuvent être engagés des traitements curatifs destinés à réduire ce que l’on nomme à tort “eutrophisation” mais qui est bien une hypertrophie.

visiblement traduite par la prolifération des lentilles d'eau. Cela va du curage classique des vases (10 000 m³ à l'hectare, tout de même) et au faucardage jusqu'à l'injection d'aluminate de soude pour précipiter les phosphates aux points “chauds”, en passant par l'empoissonnement en carpes Amour, herbivores, ou encore la réoxygénation par jet d'eau voire aussi par injecteurs d'air (type Clean Flo) en cours d'étude. Plusieurs dizaines d'émissaires pluviaux, à l'origine de 10 % des sédiments recueillis, vont aussi, de par la Loi sur l'Eau, devoir être équipés d'un prétraitement séparatif... Au total, et pour seulement cinq kilomètres de canaux urbains, c'est plus d'un million de francs – hors curages, bien sûr – qui est mobilisé chaque année pour l'entretien et la reconquête qualitative du site (réparti à parts égales entre le fonctionnement – brigade verte, analyses et produits – et l'investissement). Un réseau intra-urbain se gère donc aujourd'hui comme une station d'épuration ou un centre de lagunage, avec, en plus, un souci sanitaire et social compte tenu de l'imbrication entre l'habitat et le milieu “naturel”. Au final, et année après année, les seuils de pollution restent dépassés et la situation demeure préoccupante. Les paramètres bactériologiques, physico-chimiques ou biologiques relevés sur le site évoluent favorablement quoique très lentement. Des éléments positifs viennent heureusement justifier ces efforts : reproduction et alevinage croissants (gardons, tanches, brochets...) et retour de végétaux “nobles” tels que les roseaux, les massettes ou les iris. Force est donc de constater que, dans ce genre d'opération et dans ce contexte, les objectifs qualitatifs sont difficiles à atteindre, en dépit d'un effort de conception pluridisciplinaire de l'aménagement, d'un travail constant de suivi et de traitement, et de l'information des habitants. Or, c'est autant (si ce n'est plus) de ce côté qu'il faut porter son regard que vers les éléments spécifiques de l'hydroécologie des canaux proprement dits.

Le facteur humain

La présence de l'eau dans la ville, et tout particulièrement pour ce quartier de Grande-Synthe, résulte des souhaits exprimés par la population, touchée pour les plus anciens par la disparition de l'accès à la mer due à l'implantation de la sidérurgie sur l'eau, pour les plus jeunes par cette absence de la jouissance de l'eau dans un habitat alors très minéral.

Entre désir et réalité

Le choix d'un aménagement urbain avec réseau de drainage par canaux à ciel ouvert repose, pour les concepteurs de l'opération, sur une référence explicite à l'architecture et au paysage urbain traditionnel de nombre de villes de Flandre. Il retient comme postulat que le littoral fait partie intégrante du pays flamand. S'il est vrai que, à moins de dix kilomètres, des cités comme Bergues ou Gravelines offrent une similitude avec les références étrangères, les fortifications dunkerquoises ont disparu depuis longtemps, et la ville s'est étendue bien au-delà de ses limites historiques, qui ne transparaissent guère dans la trame urbaine, remaniée par la guerre et la reconstruction. Dès l'origine, Dunkerque est apparue comme une entité distincte de la Flandre rurale, en raison de ses activités portuaires, militaires puis industrielles. Ce milieu ne peut être assimilé à son environnement poldérien, avec lequel il a, certes, d'importantes relations de dépendance, mais aussi une large autonomie, accentuée dans le passé par divers conflits de fonction ou de suprématie économique et sociale. La référence culturelle est celle d'aménageurs extérieurs qui transposent une image globale de la Flandre dans un environnement qui tend essentiellement à s'en distinguer. Ceci n'est pas une critique à l'égard des urbanistes qui ont projeté et réalisé la Z.A.C.. Toute conception est la mise en œuvre de visions “mythiques” ou d'utopies et nulle ville nouvelle n'échappe à ces modèles. C'est un processus inhérent à tout aménagement concerté, qui le distingue d'une croissance urbaine naturelle, plus “harmonique” mais plus dépendante d'un nécessaire conformisme, tant technique que culturel. Ce parti urbain n'est pas dans le droit fil de l'histoire locale. Il fait fi (et peut-être avec raison) de la notion de patrimoine local – par ailleurs si souvent mis à mal par la reconstruction et l'expansion de l'agglomération – pour recréer un produit fortement chargé en références historiques régionales. Par ailleurs le développement industriel et urbain a amené une forte croissance démographique, c'est-à-dire autant de nouveaux venus, autant d'inconnus dont l'histoire personnelle n'était pas confondue avec celle du lieu, dont l'intégration s'avéra problématique et qui pour la plupart furent “accueillis” dans les zones d'urbanisation hâtive dites prioritaires (Z.U.P. de Grande-Synthe en particulier).

Du patrimoine...

Que devient alors la notion de patrimoine ? Le patrimoine est, au sens étymologique, ce qui vient du père, ce qui est héritage commun. “Plus généralement, le patrimoine constitue une garantie de continuité, de perpétuation, de sécurité et d'adaptabilité. C'est une matrice à partir de laquelle peuvent se manifester les potentialités de l'espèce, matrice entre ce milieu et le système vivant” (C.J. Maestre, 1977). Si l'on admet que la gestion du patrimoine doit en priorité être confiée aux populations qui y inscrivent leur histoire ; que la variété au sein de la population doit être suffisante pour faire face aux fluctuations par la capacité d'innover ; que la reconnaissance de l'ignorance des seuils et des rythmes se traduit par l'application permanente du processus essai-erreur ; alors il n'y a que depuis peu sur la région dunkerquoise une “gestion patrimoniale”. Plus précisément, le patrimoine n'y est pas physique. Ce n'est ni l'eau, ni la terre, ni le milieu vivant, ni le milieu bâti, ni même la mer. Le patrimoine dunkerquois est culturel. C'est la “course” et les corsaires, le carnaval, les grandes victoires du passé, quelques personnages illustres pour leur action sur l'économie ou leur combativité. Ceci est manifesté par la tendance de l'intelligentsia locale envers les souvenirs du passé (photographies, gravures et iconographies historiques, mais aussi chants populaires et langue flamande...). Elle ne se porte pas sur le milieu, le patrimoine naturel. Quant aux populations nouvelles, le plus souvent importées, elles suivent cela avec curiosité, mais sans s'y investir. Leur culture est dissociée de l'espace qu'elles occupent. En définitive, indépendamment de l'expérience du Courghain, c'est un désintérêt des populations, dans leur grande majorité, à l'égard du cadre bâti, qui empêche une réelle prise en charge d'un patrimoine collectif. Bien des exemples récents illustrent ces faits. On en prendra pour preuve l'adresse des villes et urbanistes d'Europe figurant en exergue de la contribution de la Fédération nationale des agences d'urbanisme “Planification urbaine et développement durable” au som-

met d'Istanbul, Habitat II : “Il s’agit (…) privilégier une approche culturelle et patrimoniale de nos villes (…). Il nous faut mettre en valeur tout le patrimoine urbain”.

Savoir oser

Le quartier du Courghain – dont les réalisations ont par ailleurs amélioré notablement les conditions d’habitat – est, sur le plan de la gestion écologique du milieu aquatique, avec son système de canaux intra-muros, une gageure pour ne pas dire un échec. Ce dernier était, somme toute, difficilement évitable car le déterminisme général de l’urbanisme local allait à l’encontre du projet. Celui-ci relève d’un pari qui entendait à la fois modifier fondamentalement la conception de l’urbanisme dans une région en mutation rapide, et réenraciner la population en montrant les analogies entre cette partie de l’agglomération et les sites historiques visités à l’étranger, c’est-à-dire en évoquant la continuité biogéographique et éco-ethnologique dans laquelle elle s’inscrit, en revalorisant les facteurs écologiques locaux.

Les leçons du temps

Comment s’étonner, dès lors, d’une certaine indifférence de la population à l’égard de ces espaces ? Malgré l’information, pour laquelle une nouvelle campagne est à envisager, c’est à la fois une méconnaissance du milieu aquatique (et de ses exigences) et une “accommodation” à cet environnement qui sont les causes premières des perturbations constatées. Aussi est-ce avec le temps, et le développement de nouvelles générations dans ce type de quartier, que pourra se faire l’appropriation, avec ce que cela induit de gestion qualitative des eaux, de remèdes aux nuisances et de reconnaissance du bien-fondé des choix opérés, c’est-à-dire une réelle prise en charge de ce patrimoine qui a tout juste vingt ans. Dans ce domaine, nombre d’espoirs se font jour : de plus en plus de jeunes sont sensibilisés à la protection de la nature par l’école, par le centre communal d’initiation à l’environnement, par les agents de développement des maisons de quartier ou par un outil unique en France, Espace naturel régional, qui éduque nombre d’écoliers du Nord-Pas-de-Calais à ces questions.

Ce sont ces enfants qui veulent canoter sur des plans d’eau propres, qui installent et réclament des abris à canards (cent à deux cents couples sur la Z.A.C. !) ou qui découvrent, grâce à la proximité de l’eau et à sa productivité, les plaisirs de la pêche.

Ce sont enfin les acteurs et décideurs de la ville qui poursuivent leur action volontariste pour un meilleur cadre de vie, jusqu’à rêver de remettre en service un moulin hydraulique pour relever et oxygéner les eaux du polder, comme au temps où la région était flamande...

Conclusion

L’exemple de Grande-Synthe sera-t-il reproduit ? En première lecture, on serait tenté de dire que le résultat n’est pas à la hauteur de l’espérance des concepteurs. À y regarder de plus près, on doit admettre que l’effet produit, le cadre urbain, les ambiances, les relations à l’eau ont été grandement améliorés. Le pari était audacieux, et, malgré un contexte fortement défavorable, l’expérience est positive.

Certes, la gestion de ce système constitue une charge importante, mais supportable en regard de la satisfaction des habitants et de l’amélioration générale de l’image de ces Z.U.P. et de ces Z.A.C. Aujourd’hui, avec ces quelques années de recul, on peut, on doit pouvoir faire mieux, c’est-à-dire obtenir un aménagement écologique durable, dans tous les sens du terme. Ici comme ailleurs, il faut des pionniers. Leurs efforts sont là aussi pour servir et faire progresser.

[Photo : Courghain – ZAC de la Ferme Cuve à Vitrolles : parcours de l'eau dans une zone d'habitat individuel de la Z.A.C. Le profil transversal permet des débordements de crue si la capacité des bassins forage n’écrêtait pas complètement un débit exceptionnel]
[Encart : Des villes redécouvrent l’eau – l’exemple de Vitrolles L’exemple de la gestion du paysage aquatique dans la Z.A.C. du Courghain à Grande-Synthe, présentée par Charles Poinsot dans l’article ci-dessus, ne mène pas à une conclusion euphorique pour tenter l’expérience dans d’autres sites urbains. Aussi mettons-nous en parallèle un autre cas dont la réussite est acquise, montrant ainsi que chaque site est un cas à part et que l’on ne peut généraliser un échec ou une réussite sans analyse comparée et sans étude préalable fouillée pour tout nouveau projet. La Z.A.C. du Courghain à Grande-Synthe est située dans une zone de polder près de Dunkerque. La pente hydraulique naturelle est nulle, les canaux urbains sont profonds et donc les volumes d’eau à renouveler importants. L’écoulement est totalement artificiel, puisqu’il dépend des soutirages à la mer en jusant ou des pompages d’exhaure en période pluvieuse. Les eaux proviennent du drainage d’un large périmètre agricole à très forte productivité, générateur d’un apport azoté très eutrophisant. Au contraire le bassin versant amont de la Cadière, le ruisseau qui traverse Vitrolles, est un plateau calcaire d’urbanisation récente encore réduite, dans un périmètre d’espaces végétaux naturels. Dans un régime climatique méditerranéen, la Cadière a des crues violentes dont les effets ont été aggravés par l’urbanisation. Aussi l’aménagement de nouvelles zones a inclus un plan hydraulique comprenant des plans d’eau d’orage et un réseau d’assainissement pluvial exploitant en partie l’ancien réseau d’irrigation agricole. Ces plans d’eau et canaux ont fait l’objet d’un traitement paysager et sont des espaces publics ou semi-privatifs utilisables pendant la quasi-totalité de l’année. Comparativement aux canaux de Grande-Synthe, les canaux de Vitrolles, même sur le plateau, ont un écoulement gravitaire naturel, sont peu profonds et l’aménagement leur a donné, en particulier dans la Z.A.C. de la Ferme Croze, un parcours sinueux agrémenté de petits bassins et cascatelles. Le cours de la Cadière lui-même n’a été que peu modifié et des aménagements légers de berges et de lit l’intègrent agréablement dans le nouveau paysage urbain. Que ce soit en habitat collectif de type cité verte, ou en trouée d’assainissement pluvial de surface à travers les lots d’habitat individuel, l’eau constitue un élément d’animation urbaine important, particulièrement apprécié en région méridionale (fraîcheur, bruissement, jeux d’ombre et lumière sur l’eau…). Depuis 1986 les habitants apprécient ces aménagements hydrauliques et veillent à leur bon entretien ; les services techniques communaux en assurent une gestion économique qui n’a pas dépassé les prévisions. L’expérience est ici probante.]
[Photo : Z.A.C. de la Ferme Craze à Vitrolles : prise d'eau de la Cadière qui alimente l’ancien canal dans la traversée de la Z.A.C. Au premier plan, le râteau de rétention des flottants périodiquement nettoyé]
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